J-06-138
VOIES D’EXECUTION – MAINLEVEE DE SAISIE-EXECUTION – SAISIE PRECEDEE DE DEUX COMMANDEMENTS SERVIS L’UN SOUS L’EMPIRE DU C.P.C.C – ET L’AUTRE APRES L’ENTREE EN VIGUEUR DE L’AUPSRVE – DEMANDE DE MAINLEVEE POUR VIOLATION DES ARTICLES 92 ET 100 AUPSRVE – MAINLEVEE (NON) – INAPPLICABILITE DE L’ACTE UNIFORME.
Selon son article 337, l’Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution n’est applicable qu’aux mesures conservatoires, mesures d’exécution forcée et procédures de recouvrement engagées après son entrée en vigueur.
Doit par conséquent être rejetée la demande en mainlevée de saisie-exécution fondée sur la violation d’une disposition de l’Acte uniforme dès lors que la procédure de contrainte critiquée a été engagée antérieurement à l’entrée en vigueur dudit Acte.
COUR D’APPEL DE L’ADAMAOUAaNGAOUNDERE, Arrêt n 04/CIV du 16 novembre 1999 (BICEC c/ Me Kamwa François et Me Youssoufou Ibrahim).
ARRET.
LA COUR
– Vu l’ordonnance n 05/ORD rendue le 02 décembre 1998 par le Président du Tribunal de première instance de Ngaoundéré.
– Vu l’appel relevé contre cette décision le 17 décembre 1998 par la BICEC.
– Ouï Monsieur le Président du siège en son rapport.
– Ouï les parties en leurs conclusions respectives.
– Vu les pièces du dossier de la procédure.
– Après en avoir délibéré conformément à la loi.
En la forme.
– Considérant que l’appel de la BICECa été interjeté dans les forme et délai de la loi.
– Qu’il convient de le recevoir en la forme.
Au fond
– Considérant que, pour l’essentiel, le reCourant allègue la violation d’une part de l’article 92 de l’Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, et celle de l’article 1142 du code civil d’autre part.
– Que s’agissant [de] la violation de l’obligation de faire de l’article 1142 sus-visé, le premier Juge a relevé à juste raison « qu’elle signifie que le débiteur d’une obligation de faire ne peut pas être condamné à une exécution forcée de prestation en nature qu’il aurait dû fournir, mais doit plutôt être condamné à des dommages-intérêts compensatoires en lieu et place de ladite prestation ».
– Que l’ordonnance du juge des référés met à la charge de la BICEC tiers saisi réfractaire une obligation de payer une somme déterminée au cabinet KAMWA, cette banque étant devenue immédiatement et directement débitrice de la totalité des causes de la saisie par le mécanisme de [la] novation.
– Que s’agissant de la violation alléguée de l’article 92 de l’Acte uniforme sus-évoqué, son article 337 dispose que « le présent Acte uniforme sera applicable aux mesures conservatoires, mesures d’exécution forcée et procédures de recouvrement engagées après son entrée en vigueur », le 10 juillet 1998.
– Qu’il en résulte clairement, selon la doctrine et une jurisprudence constantes, que celles desdites mesures et procédures engagées avant le 10 juillet 1998 sont soumises au droit antérieurement applicable dans chaque Etat Partie.
– Que l’Acte uniforme ne saurait donc s’appliquer dans la présente procédure engagée [contre] la BICEC depuis le premier commandement servi le 10 février 1998.
Par ces motifs et ceux du premier juge que la Cour adopte.
– Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et commerciale, en appel et en dernier ressort.
En la forme
– Déclare l’appel de la BICEC recevable.
Au fond
– L’y dit mal fondée; L’en déboute.
– Confirme l’ordonnance entreprise.
– Condamne la BICEC aux dépens, dont distraction au profit de Maître Kamwa, Avocat aux offres de droit.
NOTE
1) Le passage du Cameroun au nouveau droit OHADAasuscité des difficultés de plusieurs ordres. Des critiques politiques ont été adressées au modèle d’intégration proposé, certains juristes s’offusquant de ce que la législation uniforme, d’inspiration juridique française pour l’essentiel, faisait peu de cas de la contexture bijurale du Cameroun dont deux des dix provinces se réclamaient jusque-là d’une longue tradition juridique anglo-saxonne. Sur un plan plus strictement technique, l’application du nouveau droit a redonné une certaine actualité au débat sur l’exécution provisoire des décisions de justice. De même, l’identification du juge chargé du contentieux de l’exécution a donné lieu à de vives controverses. Plus discrète et quelque peu oubliée apparaît la question, pourtant récurrente, du droit transitoire. C’est précisément sur ce point que l’arrêt n 04/CIV rendu le 16 novembre 1999 par la Cour d’appel de l’Adamaoua revêt tout son intérêt.
2) Les faits à l’origine de l’arrêt sont d’apparence plutôt anodine. Le 23 janvier 1998, Me Kamwa François fait pratiquer une saisie-arrêt avec titre au préjudice de la société Transport Express S.A.R.L. et entre les mains de la banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit, dite BICEC. En l’absence de toute contestation et après expiration du délai d’opposition, le saisissant lève un certificat de non-opposition qu’il signifie à la Banque le 10 février 1998, avec commandement de payer. Le refus persistant de la BICEC de s’exécuter conduit le créancier à l’assigner devant le juge des référés qui, par ordonnance n 02/ORD du 17 novembre 1998, condamne sous astreinte le tiers saisi à se libérer entre les mains du créancier du montant des causes de la saisie. Après un nouveau commandement infructueux du 20 novembre 1998, Me Kamwa procède trois jours plus tard à la saisie-exécution des biens mobiliers corporels de la BICEC, qui s’adresse aussitôt au juge des référés de Ngaoundéré aux fins d’en obtenir la mainlevée.
Au soutien de son action, la Banque fait valoir que la décision de justice mise à exécution est une ordonnance de référé mettant à sa charge une simple obligation de faire, et insusceptible d’exécution forcée au regard de l’article 1142 du code civil selon lequel « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages-intérêts, encas d’inexécution de la part du débiteur ». Mais surtout, elle fait au saisissant le grief de n’avoir pas observé entre le commandement du 20 septembre 1998 et la saisie intervenue le 23 septembre 1998, le délai impératif de huit jours imposé par l’article 92 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE), et d’avoir en outre méconnu les dispositions de l’article 100 dudit Acte qui fixe le contenu du procès-verbal de saisie.
L’argumentaire ainsi développé ne trouve cependant pas grâce aux yeux du président du tribunal de première instance de Ngaoundéré. Éconduite par le juge des référés, la BICEC interjette appel contre l’ordonnance de débouté, conviant de la sorte la cour d’appel de l’Adamaoua à se prononcer en la cause. Son appel ne connaîtra pas meilleure fortune, puisque la Cour confirme l’ordonnance entreprise.
D’une part en effet, le juge d’appel affirme que la décision de justice mise à exécution constitue un titre exécutoire régulier. Il écarte par conséquent d’un trait de plume le premier argument de l’appelante, considérant « que l’ordonnance du juge des référés met à la charge de la BICEC tiers saisi réfractaire une obligation de payer une somme déterminée au cabinet KAMWA, cette banque étant devenue immédiatement et directement débitrice de la totalité des causes de la saisie par le mécanisme de la novation » . D’autre part. et c’est là l’objet de notre commentaire. la Cour décide, au visa de son article 337, que l’AUPSRVE entré en vigueur le 10 juillet 1998 est inapplicable à la procédure d’exécution litigieuse, engagée depuis le 10 février 1998.
3) Sur ce dernier point, il apparaît, de toute évidence, que la Cour règle un conflit de compétence entre l’Acte uniforme, explicitement déclaré inapplicable en l’espèce, et le code de procédure civile et commerciale (– C.P.C.C.), implicitement invoqué pour absoudre la saisie critiquée. Pour y parvenir, le juge d’appel a adopté une démarche intellectuelle en deux temps : il a d’abord cerné le champ d’application de chacune des lois en concours, et ensuite identifié l’élément de rattachement conduisant à la détermination de la loi applicable. Notre analyse, qui épousera les contours de cette démarche, révèlera que si la première opération a été couronnée de succès, la seconde quant à elle a conduit à une solution peu heureuse.
LA DELIMITATION THEORIQUE DU CHAMP D’APPLICATION DES LOIS EN CONCOURS
4) La question de l’empire de la loi dans le temps a toujours préoccupé la communauté des juristes. Une loi en vigueur étant abrogée par une loi nouvelle, il faut déterminer le domaine d’application dans le temps des deux normes successives, en identifiant les faits et les actes qui seront régis respectivement par la loi ancienne et la loi nouvelle. Cette préoccupation était au cœur même de l’arrêt commenté. Il convient d’expliciter les données du problème soumis à la Cour (A) avant d’envisager les principes de solution par elle adoptés (B).
LES DONNEES DU PROBLEME
5) Le 23 novembre 1998, une saisie-exécution est pratiquée au préjudice de la BICEC, qui en sollicite la mainlevée au motif que les dispositions des articles 92 et 100 AUPSRVE ont été violées au cours de la procédure d’exécution. a la demande de mainlevée, le saisissant oppose que l’Acte uniforme invoqué n’est guère applicable à la saisie litigieuse, initiée sous l’empire du C.P.C.C. et diligentée conformément aux prescriptions de ce dernier texte. Ainsi se trouvent rassemblés les ingrédients d’un conflit entre deux normes législatives successives ayant le même objet et, théoriquement, une égale prétention à s’appliquer.
Rappelons que le droit des voies d’exécution était, jusqu’à une époque récente, régi au Cameroun par les dispositions du C.P.C.C. de 1806, du moins dans les provinces d’inspiration juridique française. L’Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution est venu se substituer à cette législation vieillissante, puisque son article 336 dispose que « le présent Acte uniforme abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les Etats parties » . En conséquence de ce changement de législation, la matière des saisies s’est trouvée successivement soumise à deux lois différentes. Laquelle de ces deux lois, l’ancienne ou la nouvelle, fallait-il appliquer pour apprécier la régularité de la saisie-exécution critiquée?.
6) L’enjeu d’une telle question était évident; de la loi retenue dépendait le sort de la mesure d’exécution critiquée. Alors que l’application du C.P.C.C. emportait absolution de la saisie attaquée, le choix de l’Acte uniforme exposait au contraire ladite saisie à une mainlevée certaine, la loi nouvelle ayant édicté dans l’intérêt du débiteur saisi de nombreuses dispositions impératives ignorées par le créancier poursuivant en l’espèce : observation d’un délai plus long entre le commandement et la saisie, prohibition de principe de l’enlèvement des biens saisis (art. 36, 100. 6 et 101AUPSRVE), faculté de réalisation amiable par le débiteur des biens saisis (art. 115. 119 AUPSRVE), insertion dans le procès-verbal de saisie de nombreuses mentions impératives tendant à une information correcte du saisi quant à son droit de contester la mesure de contrainte pratiquée à son préjudice, les délais pour ce faire, la juridiction compétente… De la sorte, la saisie-exécution litigieuse, valable au regard des dispositions du C.P.C.C. était par contre nulle au regard de celles de l’Acte uniforme. Par suite, il y avait avantage pour le créancier à ce que la loi nouvelle fût éludée au profit du C.P.C.C. tandis qu’il était au contraire dans l’intérêt de la BICEC que l’Acte uniforme fût déclaré seul applicable, ce qui explique la divergence de leurs prétentions respectives.
7) Pour démêler l’écheveau, la Cour s’est employée à fixer en quelque sorte le domaine d’application ratione temporis de chacune des lois en concours, en se laissant guider par certains principes qu’il importe à présent d’examiner.
LES PRINCIPES DE SOLUTION DEGAGES PAR LA COUR
8) La doctrine a patiemment construit au fil des siècles un système de solution des conflits de lois dans le temps, autour de deux théories : l’une, classique, dite des droits acquis et l’autre, moderne, dite de l’application immédiate de la loi nouvelle. La jurisprudence s’attache généralement à la seconde théorie, avec des correctifs et, le cas échéant, des combinaisons avec la première. On a également pu soutenir qu’il existait en réalité quatre solutions possibles au problème de la succession dans le temps de normes législatives visant le même objet : l’application rétroactive de la loi nouvelle, l’application immédiate de celle-ci, la survie de la norme législative ancienne, et l’application générale de la loi nouvelle.
Au vrai, ces constructions théoriques ne sont utiles au juge que lorsque le législateur s’est gardé d’édicter lui-même des règles de droit transitoire. Or, dans le conflit de lois de voies d’exécution qui nous intéresse, l’AUPSRVE, à l’instar de nombreuses lois contemporaines procédant à une réforme législative d’ensemble, a délimité son autorité dans le temps à travers son article 337 ainsi rédigé : ». Le présent Acte uniforme sera applicable aux mesures conservatoires, mesures d’exécution forcée et procédures de recouvrement engagées après son entrée en vigueur » . Cette règle spéciale de droit transitoire contient deux principes que la cour d’appel de l’Adamaoua a l’un et l’autre adoptés : l’Acte uniforme ne s’applique pas aux procédures d’exécution diligentées avant son entrée en vigueur (1); il ne s’applique pas non plus aux mesures d’exécution en cours au moment de son entrée en vigueur (2).
Le principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle
9) La non-rétroactivité de la loi est un « principe en vertu duquel une norme juridique nouvelle ne peut remettre en cause les situations anciennes nées de l’application de la règle antérieure » . Ce principe interdit d’appliquer une loi à des actes ou à des faits antérieurs à son entrée en vigueur, dans la vue de modifier ou d’effacer les effets juridiques produits sous l’empire de la loi ancienne.
La doctrine libéraliste et individualiste des droits acquis, qui envisageait le problème de l’application de la loi dans le temps en termes de droits subjectifs, voyait naguère dans la non-rétroactivité une règle essentielle tendant à protéger la liberté de l’homme contre l’arbitraire du législateur. On a ajouté à cette première justification que l’intérêt de la loi elle-même et la sécurité du commerce juridique recommandaient que l’on n’exige guère des citoyens l’obéissance à une loi qu’ils ne pouvaient connaître puisqu’elle n’existait pas encore.
10) Fort de ces considérations et constatant avec le Professeur Héron que « la rétroactivité n’a pas bonne réputation » , le législateur uniforme a repris le principe de la non-rétroactivité des lois déjà posé par le code civil de 1804, puis consacré aussi bien par le législateur pénal que par le constituant Camerounais.
En effet, l’AUPSRVE exclut, de toute nécessité, son application rétroactive lorsqu’il dispose en son article 337 qu’il ne sera applicable qu’aux mesures conservatoires, mesures d’exécution forcée et procédures de recouvrement engagées après son entrée en vigueur. Même si elle ne le dit pas expressément, c’est bien au nom de la règle de non-rétroactivité contenue dans l’article 337. dont l’arrêt reproduit du reste le texte. que la cour d’appel de l’Adamaoua congédie l’application de l’Acte uniforme. De l’avis de la Cour, ce serait faire rétroagir la loi uniforme, entrée en vigueur le 10 juillet 1998, que de l’appliquer à la saisie-exécution critiquée, mise en route depuis le commandement du 10 février 1998, sous l’empire donc du C.P.C.C.
11) On remarquera toutefois que la procédure d’exécution contestée ne se réduisait pas à un fait unique dont les effets seraient définitivement cristallisés sous l’empire du C.P.C.C. et dès avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Au contraire, elle a nécessité plusieurs actes accomplis l’un sous l’empire de l’ancienne loi. à savoir le commandement du 10 février 1998. et les autres après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. c’est le cas du commandement du 20 septembre 1998 et de la saisie intervenue trois jours plus tard. Trois actes, correspondant à autant de dates, avaient une égale vocation à déterminer le droit applicable dans le temps. La norme ancienne et la règle nouvelle s’étant trouvées, chacune en son temps, en vigueur au moment où se sont accomplis certains actes concourrant à la procédure d’exécution litigieuse, aucune d’elles ne pouvait être automatiquement exclue; les deux lois étaient a priori applicables car aucune d’elles ne possédait une vocation exclusive à régir la procédure d’exécution en cause.
On le voit, la règle de la non-rétroactivité à elle seule devenait impuissante à résoudre le conflit de compétence entre les lois en présence. Aussi la Cour a-t-elle dû la compléter par un second principe lui aussi contenu dans l’article 337 AUPSRVE, celui de l’inapplicabilité de la loi nouvelle aux procédures en cours.
Le principe de l’inapplicabilité de la loi nouvelle aux procédures en cours
12) L’article 337 AUPSRVE est formel, en ce sens que l’Acte uniforme qui le contient ne s’applique qu’aux procédures de recouvrement et procédures d’exécution engagées après son entrée en vigueur. En conséquence, toutes les saisies initiées à compter du 10 juillet 1998 sont soumises aux dispositions de l’Acte uniforme tandis que celles des saisies qui, commencées avant cette date, se poursuivent après elle, restent soumises au droit antérieur. Autrement dit, les procédures en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle se poursuivent selon les normes anciennes. C’est pourquoi la Cour a pu décider en l’espèce que la saisie-exécution initiée le 10 février 1998 sous l’empire du C.P.C.C. et achevée le 23 novembre 1998 alors que l’Acte uniforme était déjà applicable échappait néanmoins à l’emprise de cette dernière loi. a l’estime du juge d’appel, la BICEC était mal fondée à réclamer l’invalidation par application des articles 92 et 100 AUPSRVE de la saisie-exécution pratiquée à son préjudice; bien que la procédure de saisie se fût achevée à un moment où l’Acte uniforme avait déjà force obligatoire, il y avait survie de la loi ancienne contemporaine de la mise en route de la mesure d’exécution forcée.
13) En consacrant comme principe de solution la survie de la loi ancienne pour les procédures d’exécution en cours au 10 juillet 1998, l’article 337 AUPSRVE déroge au principe traditionnel de l’application immédiate de la loi nouvelle. Selon ce principe, les lois de procédure et de compétence judiciaire sont applicables dès leur entrée en vigueur aux situations juridiques en cours. Or, il ne fait pas de doute que les lois de voies d’exécution sont des lois de procédure, de sorte que l’on se serait attendu à ce que l’Acte uniforme s’appliquât immédiatement aux mesures d’exécution en cours au jour de son entrée en vigueur. Mais précisément, le législateur communautaire a pris le soin d’édicter des règles transitoires spéciales parce qu’en la circonstance, les principes du droit commun transitoire ne lui convenaient guère. L’Acte uniforme ayant apporté de très nombreuses innovations par rapport au droit des voies d’exécution jusqu’alors en vigueur dans les Etats membres de l’OHADA, il était en effet indispensable d’aménager une période de transition entre ces deux états de législations marquées par des différences substantielles. La solution contraire aurait fréquemment conduit à des solutions inextricables.
14) C’est le lieu de souligner la singularité de certaines décisions de justice, qui juxtaposent sans sourciller des saisies relevant de législations différentes. Si le tribunal de grande instance de la Lékié a pu, en dépit de l’entrée en vigueur de l’Acte, convertir valablement en saisie-exécution une saisie conservatoire de biens mobiliers corporels pratiquée le 22 janvier 1998, comment s’expliquer en revanche qu’une saisie-arrêt de l’ancien droit puisse être convertie en saisie-attribution de créances ou qu’à l’inverse une saisie conservatoire de la loi uniforme soit validée pour être transformée en saisie-exécution du C.P.C.C.?.
15) Dans l’espèce commentée par contre, la Cour ne peut qu’être approuvée de ne s’être pas laissé abuser par l’appelante, qui lui demandait d’annuler une saisie-exécution pour inobservation des formalités prévues pour la… saisie-vente ! Au nom des principes de non-rétroactivité et de non-application immédiate contenus dans l’article 337 AUPSRVE, le juge d’appel refuse de se livrer à ce mélange de genres, en relevant que l’Acte uniforme ne s’applique qu’aux procédures engagées après son entrée en vigueur.
16) Une fois le champ d’application de la loi uniforme abstraitement délimité par rapport au C.P.C.C. il restait à choisir, concrètement, le fait ou la circonstance devant permettre de rattacher la saisie contestée à la loi appropriée.
LE. CHOIX DE L’ELEMENT DE RATTACHEMENT ET LA DETERMINATION DE LA LOI APPLICABLE
17) La démarche de la Cour laisse clairement apparaître qu’elle a adopté le raisonnement de type syllogistique, style ordinaire des décisions de justice : dans la majeure, constituée par la règle de droit applicable, elle énonce que l’AUPSRVE est, aux termes de son article 337, applicable aux procédures d’exécution engagées après son entrée en vigueur; dans la mineure, constituée par les circonstances de la cause, elle constate que la saisie-exécution litigieuse a été engagée le 10 février 1998, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi uniforme; en conclusion, elle déclare cette loi-ci inapplicable à cette saisie-là.
On s’en avise, le critérium utilisé par le juge d’appel pour écarter l’application de la loi communautaire est le point de départ de la procédure d’exécution (A). Si ce choix est irréprochable dans son principe, sa mise en œuvre s’avérera cependant malaisée au regard de la complexité des circonstances de la cause (B).
LE POINT DE DEPART DE LA PROCEDURE D’EXECUTION, ELEMENT DE RATTACHEMENT RETENU
18) Le choix de la loi applicable en l’espèce dépendait, on l’a vu, du point de savoir à quel fait concret il convenait de s’attacher : fallait-il s’appuyer sur la date du premier commandement, sur celle du second ou de la saisie elle-même?.
La Cour fait opportunément appel à la notion de « procédure engagée » utilisée par l’Acte uniforme. Appliquant ce présupposé aux faits de la cause, le juge d’appel décide que la mesure d’exécution critiquée a été « engagée » au sens de l’article 337 AUPSRVE dès le 10 février 1998, date du premier commandement. Cette date, antérieure à celle du 10 juillet 1998 à laquelle l’Acte uniforme a acquis force obligatoire, donne compétence au C.P.C.C. alors en vigueur, pour régir la saisie-exécution contestée. En la circonstance, la loi ancienne conservait donc a posteriori sa valeur normative, et excluait l’application de la loi nouvelle. Or la saisie en cause, manifestement irrégulière lorsqu’on l’apprécie à l’aune de l’Acte uniforme (enlèvement des effets saisis, dénégation de la faculté de réalisation amiable des biens saisis, omission dans le procès-verbal de saisie de nombreuses mentions impératives), était au contraire irréprochable au regard du C.P.C.C. contemporain de sa mise en route. Ainsi, il n’y avait pas lieu à mainlevée puisque l’Acte uniforme qui aurait pu conduire à cette solution était inapplicable à la saisie engagée avant son entrée en vigueur.
19) Le choix de la Cour pour la date du 10 février 1998 comme point de départ de la procédure d’exécution mérite quelques observations. En raisonnant comme il l’a fait, le juge d’appel postule que le commandement du 10 février 1998 suffisait à lui seul pour justifier la saisie-exécution pratiquée sept mois plus tard, le second commandement servi dans l’intervalle devant être tenu pour indifférent. Mais que servait-il alors au créancier poursuivant d’adresser à la Banque une seconde objurgation si la valeur du premier commandement ne pouvait être mise en doute?–.
La vérité est que le commandement du 10 février 1998 n’avait pas la portée que lui prêtait l’astucieux intimé. L’effet conjugué de l’entrée en vigueur de l’AUPSRVE et du second commandement servi le 20 septembre 1998acomplexifié la situation, et aurait dû conduire la Cour à se départir de son assurance.
B– LA DISPERSION DES FAITS, ELEMENT PERTURBATEUR
20) On remarquera que le législateur OHADA s’étant employé à circonscrire le domaine d’application dans le temps de l’Acte uniforme, la véritable difficulté en l’espèce consistait à interpréter les dispositions transitoires de l’article 337. Plus précisément, que fallait-il entendre par une mesure « engagée » au sens de ce texte?.
La question revêt toute son importance lorsqu’on se rappelle que la saisie-exécution en procès a été précédée de deux commandements servis chacun sous l’empire de l’une des lois en concours. La mesure d’exécution était-elle engagée au sens de l’article 337 par l’acte de saisie seulement ou alors l’était-elle par la signification d’un commandement et dès avant la saisie elle-même? Et lequel des deux commandements dans ce dernier cas?.
21) La Cour a tranché, en Jugeant que « l’Acte uniforme ne saurait donc s’appliquer dans la présente procédure engagée contre la BICEC depuis le premier commandement du 10 février 1998 ».
Deux conclusions découlent nécessairement de cette assertion :
du point de vue de sa nature juridique, le commandement préalable à la saisie-exécution a lecaractère d’un véritable acte d’exécution et ne constitue pas seulement un acte préparatoire à l’exécution, puisqu’il suffit pour « engager » une saisie.
du point de vue de ses effets juridiques, le commandement du 10 février 1998aconservé sa valeur nonobstant l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle, de sorte que le second commandement du 20 septembre 1998 était surabondant. Ainsi s’expliquerait qu’une saisie-exécution de l’ancien droit ait pu être pratiquée plutôt qu’une saisie-vente de la loi nouvelle.
22) Ces solutions sont-elles d’une correction juridique incontestable? Nous nous permettons d’en douter.
Il est certes exact que les arguments ne manquaient pas en faveur de la Cour, qui a pris le parti d’assimiler le commandement à un acte d’exécution. Les articles 318 s. C.P.C.C. relatifs à la saisie-exécution et même les articles 92 s. AUPSRVE relatifs à la saisie-vente ne traitent-ils pas du commandement préalable comme d’une formalité substantielle faisant partie intégrante de la procédure de saisie? La procédure d’expropriation forcée des biens immobiliers n’est-elle pas dans le même sens dès lors que la publication du commandement en la matière vaut saisie?.
Il reste cependant que la jurisprudence a décidé depuis longtemps qu’en matière d’exécution sur les biens mobiliers corporels le commandement n’était qu’un acte préparatoire à l’exécution, et non un acte d’exécution. La Cour de cassation en a d’ailleurs déduit que l’octroi d’un délai de grâce, qui suspend toutes poursuites d’exécution et même les saisies en cours, n’interdit cependant pas la signification d’un commandement puisque celui-ci n’est qu’une formalité préliminaire commune à toutes les voies d’exécution; sans appartenir à la procédure d’exécution elle-même, le commandement n’est qu’un acte préalable à la poursuite, laquelle ne commence qu’au procès-verbal de saisie. En droit comparé, la Cour de cassation française a émis le 14 juin 1993 un avis dans le même sens, après qu’elle eut été saisie suite aux difficultés nées de l’application de la loi n 91-650 du 9 juillet 1991, grande inspiratrice de l’AUPSRVE.
22bis) Cette dernière solution mérite d’être approuvée. Admettre le contraire reviendrait à accepter que des saisies-exécution, mises en route par un commandement antérieur au 10 juillet 1998, puissent encore être pratiquées de longues années après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, qui a remplacé ce procédé de contrainte par la saisie-vente. Le maintien d’un tel archaïsme, déjà condamnable en soi au regard de la prétention du législateur OHADA à la modernité, ne serait du reste pas sans danger; il permettrait en effet à des créanciers malicieux de frelater la loi en assurant artificieusement la survie du C.P.C.C. afin de priver leurs débiteurs de la protection accrue que leur offre la nouvelle législation sur la saisie-vente.
22ter) L’on conviendra donc que contrairement à l’opinion de la cour d’appel de l’Adamaoua, le commandement du 10 février 1998 n’a pas pu « engager » la procédure de saisie-exécution pour justifier la survie de la loi ancienne. Le second commandement servi le 20 septembre 1998 après l’entrée en vigueur de l’Acte était, pour les mêmes raisons, dépourvu de la qualité d’acte d’exécution et ne pouvait, en tout état de cause, préparer une saisie-exécution puisque ce procédé de contrainte n’existait plus depuis le 10 juillet 1998. Dès lors, il coule comme de source que rien ne justifiait en l’espèce qu’une saisie-exécution pût être diligentée à la date du 23 novembre 1998, tel procédé d’exécution ayant été supprimé depuis l’entrée en vigueur de l’AUPSRVE. De ce point de vue, il y avait donc lieu à mainlevée de la saisie litigieuse.
23) Reste à savoir si le saisissant a pu valablement pratiquer une saisie-vente sous la qualification erronée de saisie-exécution, la signification d’un commandement préalable étant une formalité substantielle dans un cas comme dans l’autre. a cet égard, le premier commandement, antérieur à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, ne peut être considéré comme prélude à une saisie-vente puisqu’il ne répond pas aux exigences nouvelles des articles 92. 94 AUPSRVE. Le second commandement, servi sous l’empire de la loi nouvelle, n’a précédé la saisie que de trois jours alors que l’article 92 AUPSRVE impose l’écoulement d’un délai minimum de huit jours. Ici encore et en faisant l’économie des problèmes de qualification, rien ne sauvait la saisie du 23 novembre 1998 de la condamnation.
24) Au total donc, le premier commandement resté sans suite jusqu’au 10 juillet 1998 se trouvait complètement privé d’effet, et ne pouvait justifier ni une saisie-exécution. supprimée à cette date. ni une saisie-vente. Servi quant à lui après l’entrée en vigueur de l’AUPSRVE, le second commandement constituait nécessairement le prélude à une nouvelle procédure de saisie-vente. La saisie subséquente, « engagée » le 23 novembre 1998, soit sous l’empire de la loi nouvelle, était soumise aux seules dispositions de l’Acte uniforme, en vertu de l’article 337 reproduit par la Cour et cependant interprété de façon contestable. Or le saisissant avait ostensiblement violé les dispositions des articles 92 et 100 AUPSRVE; la mainlevée de la saisie critiquée s’imposait par conséquent, l’évidence sur ce point dispensant de toute démonstration.
25) Remarquons enfin que c’est sa qualité de tiers saisi réfractaire qui a valu à la BICEC d’être, après le commandement du 10 février 1998, attraite devant le juge des référés et condamnée par ordonnance n 02/ORD du 17 novembre 1998 au paiement des causes de la saisie initiale. Le second commandement, daté du 20 novembre 1998, s’inscrit logiquement à la suite de ce titre exécutoire, comme le soulignait l’infortunée appelante dans ses conclusions. Même en concédant à la Cour l’assimilation du commandement de payer à un acte d’exécution, il n’y avait aucune raison à ce que la Cour préférât la date du premier commandement à celle du second comme point de départ de la procédure d’exécution. Au 10 février 1998 en effet, la BICEC n’était que dépositaire et non propriétaire des sommes dont le créancier poursuivait l’expropriation forcée. Il n’existait alors contre la Banque aucun titre exécutoire propre à justifier une saisie de ses biens, de sorte qu’à l’égard du tiers saisi réfractaire le premier commandement s’apparentait à la mise en route d’une procédure de recouvrement plutôt que d’exécution. Seule la condamnation ultérieure de la Banque, intervenue après l’entrée en vigueur de l’Acte, a fourni au créancier le titre exécutoire qui lui a permis de pratiquer la saisie du 23 novembre 1998, commandement préalablement signifié trois jours plus tôt. On le voit, la procédure d’exécution et ses formalités préliminaires se situaient entièrement sous l’empire de l’Acte uniforme. seul applicable dès lors. même si la procédure en responsabilité dirigée contre la Banque a été initiée sous l’empire du C.P.C.C.
25bis) Comparons d’ailleurs avec cette espèce voisine soumise à la cour d’appel du Centre. Un débiteur reçoit, le 6 juillet 1998, signification d’une ordonnance d’injonction de payer, et forme contredit sans toutefois s’acquitter de la consignation requise. L’ordonnance reçoit par la suite apposition de la formule exécutoire, et sert de support à une saisie-vente pratiquée le 19 octobre 1998.ala demande du dettier, le juge des référés de Yaoundé ordonne la mainlevée de la saisie au visa de diverses dispositions de l’AUPSRVE. Son ordonnance est censurée par la cour d’appel du Centre, par ce motif que l’Acte uniforme ne s’applique qu’aux procédures engagées après son entrée en vigueur : de l’avis de la Cour, une procédure de recouvrement engagée le 6 juillet 1998, soit quatre jours avant l’entrée en vigueur de l’Acte, est régulière si elle est conforme à la législation antérieure.
La Cour fait visiblement amalgame entre la procédure de recouvrement que représentait en l’espèce la procédure d’injonction de payer, et la procédure d’exécution constituée par la saisie-vente. La première, initiée avant l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme, devait demeurer soumise au droit antérieur. et susceptible par exemple de contredit plutôt que d’opposition. tandis que la seconde, engagée sous l’empire de la loi communautaire, dépendait entièrement de l’AUPSRVE pour l’appréciation de sa validité.
25ter) En s’inspirant d’une telle distinction, la cour d’appel de l’Adamaoua aurait été conduite, dans l’espèce commentée, à dissocier la procédure de recherche du titre exécutoire de la procédure d’exécution. Elle aurait ainsi réalisé que celle-ci était entièrement placée sous l’empire de l’Acte uniforme, bien que celle-là fût initiée sous l’empire du C.P.C.C.
26) On le voit, tout convergeait vers l’application de l’AUPSRVE au détriment du C.P.C.C. Dès lors, une option s’ouvrait à la Cour :
ou bien elle décidait, comme certains juges l’ont admis, que la saisie-exécution, supprimée par l’AUPSRVE, n’avait plus cours légal dans l’espace OHADA, et il y avait lieu à mainlevée de la saisie critiquée pour manque de base légale.
ou bien elle Juge ait que le créancier n’avait pu pratiquer qu’une saisie-vente sous la qualification erronée de saisie-exécution, et il y avait encore lieu à mainlevée pour violation manifeste des dispositions des articles 92 et 100 AUPSRVE.
Alexis NDZUENKEU.
Magistrat.
Juge aux Tribunaux de Tibati (Cameroun).