J-06-171
PROCEDURES COLLECTIVES – RECONNAISSANCE DE DETTE – CONTESTATION TARDIVE DE LA RECONNAISSANCE - AVEU D’UNE CREANCE CERTAINE, LIQUIDE ET EXIGIBLE – TAT DE CESSATION DES PAIEMENTS – RECHERCHE D’ACTIF DISPONIBLE – EXPERTISE JUDICIAIRE – FAILLITE PERSONNELLE – DIRIGEANT DE SOCIETE – NECESSITE DE STATUER PREALABLEMENT SUR LA CESSATION DES PAIEMENTS.
La reconnaissance d’une dette vaut aveu d’une créance certaine, liquide et exigible malgré la contestation, tardive et sans fondement, de cette reconnaissance.
L’état de cessation des paiements consistant dans l’impossibilité du débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, il convient d’ordonner une expertise pour vérifier l’existence d’un actif disponible suffisant pour honorer le passif.
La déclaration de faillite personnelle suppose l’ouverture d’une procédure collective et doit être déclarée irrecevable en l’état si aucune procédure collective n’est ouverte.
Article 25 AUPCAP
Article 28 AUPCAP
Tribunal régional hors classe de Dakar, jugement n° 127 du 28 janvier 2005, L’Agence Conseil en Marketing et Communication dite « OPTIMA » (Mes Guèdel NDiAYE et ASSOCIES) c/ La Société Africa Investissement Sénégal Brasseries dite « AISB » (Mes François SARR et Associés)
TRIBUNAL REGIONAL HORS CLASSE DE DAKAR (SENEGAL)
AUDIENCE PUBLIQUE ORD!NAIRE DU 28 JANVIER 2005
Le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar, statuant en matière tenue le vingt huit janvier de l’an deux mille cinq à laquelle siégeaient Monsieur Birane NIANG, Président de chambre, Madame Aminata F ALL CISSE et Mouhamadou Lamine BA, Juges au siège, membres, en présence de Monsieur lbrahima BAKHOUM, Substitut de Monsieur le Procureur de la République et avec l’assistance de Maître Cheikhou Oumar SALL, Greffier, rendu le jugement dont la teneur suit :
ENTRE
L’Agence Conseil en Marketing et Communication dite « OPTIMA» siège social à Dakar Angle Rue 2 Tour de l’œuf Point E, poursuites et diligences de son Gérant, lequel fait domicile élu en l’Etude de Maître Guédel ND lA YE et Associés, SCP d’Avocats, 73 bis Rue Amadou Assane NDOYE à Dakar;
DEMANDERESSE
Comparant et concluant à l’audience par l’organe desdits conseils;
D’UNE PART
Et
1- La Société Africa Investissement Sénégal Brasseries dite « AISB », prise en la personne de son représentant légal en ses bureaux sis à la SODIDA Bâtiment 37 et 38 à Dakar;
2-Monsieur Emmanuel AIM, Président du Conseil d’Administration de AISB, en ses bureaux à la SODIDA Bât.37 ET 38 à Dakar,
DEFENDEURS
Comparant et concluant à l’audience par l’organe de Mes François SARR et Associés, Avocats à la Cour à Dakar;
D’AUTRE PART
Sans que les présentes qualités puissent nuire ni préjudicier en rien aux droits et intérêts respectifs des parties en cause;
LE TRIBUNAL
Attendu que par exploit en date du 13 février 2004 de Me Fatma Haris DIOP, Huissier de Justice, l’Agence Conseil en Marketing et Communication OPTIMA a assigné en liquidation des biens la société AFRICA INVESTISSEMENT SENEGAL BRASSERIES dite AISB et le sieur Emmanuel AIM en faillite personnelle; que l’exécution provisoire du jugement à intervenir est en outre sollicitée;
Attendu que par écritures en date du 13 mai 2004 la Société défenderesse a formulé une demande reconventionnelle en désignation d’expert; qu’elle sollicite en’ outre qu’il lui soit donné acte de ce qu’elle formulera une demande reconventionnelle en dommages et intérêts après expertise;
EN LA FORME
Attendu que tant l’action principale que la demande reconventionnelle sont faites conformément à la loi; qu’il y a lieu de les déclarer recevables;
AUFOND
1) SUR LA DEMANDE PRINCIPALE
Attendu que dans ses écritures datées du 11 mars 2004, l’Agence OPTIMA soutient qu’elle est créancière de la Société AISB de la somme de 51.531.654 francs CFA, que cette créance qui a fait l’objet d’une reconnaissance de dettes en date du 11 juin 2003 représente le solde du prix des prestations effectuées pour la campagne publicitaire de la marque « American Cola» en janvier et février 2003; que les engagements pris par la défenderesse pour régler sa dette n’ont pas été respectés; que la saisie conservatoire autorisée sur les comptes bancaires de 786.396 francs dans le compte ouvert à ECO BANK; qu’elle ne dispose d’aucun autre compte bancaire si ce n’est celui ouvert au crédit lyonnais;
Qu’elle est donc manifestement en cessation de paiement; qu’il sollicite dès lors du Tribunal prononcer sa liquidation judiciaire et déclarer le sieur AIM en faillite personnelle;
Attendu que par écritures datées du 13 mai 2004, la société AISB a répondu aux arguments sus-avancés de la société OPTIMA en soutenant que dès lors que la preuve n’est pas rapportée que les conditions d’ouverture d’une procédure collective sont réunies conformément aux dispositions de l’article 28 de l’acte uniforme sur les procédures collectives, OPTIMA doit être déboutée de ses demandes; que s’agissant en effet d’une part de la preuve de la créance, celle-ci se fonde sur lettre datée du 11 juin relative à une demande de moratoire alors qu’elle a toujours estimé que la compagne publicitaire qui avait justifié l’émission de factures par OPTIMA a été un véritable échec; qu’elle verse d’ailleurs aux débats la lettre de réclamation qu’elle lui avait adressée à la date du 13 février 2003 et qui n’a pas eu de suite; que malgré tout, elle était disposée à lui payer les montants prévus au contrat; que toutefois compte tenu de l’inélégance de OPTIMA qui au mépris des pourparlers engagés entre les parties pour trouver une solution a introduit la présente action, elle en revient à une stricte application du droit commun des contrats synallagmatiques; qu’elle est dès lors fondée à lui opposer l’exception d’inexécution, OPTIMA n’ayant ni correctement, ni entièrement exécutés ses engagements;
Que d’autre part, s’agissant de la preuve de l’état de cessation de paiement, elle précise qu’elle ne peut par résulter que des seules déclarations des tiers saisis, en l’occurrence des banques, à l’occasion de la saisie conservatoire de créances datées du 10 octobre 2003 étant donné que les sommes disponibles dans les comptes bancaires d’une Société ne sont pas les seuls avoirs dont peut disposer une Société; qu’un compte bancaire peut d’ailleurs être débiteur aujourd’hui et largement créditeur le lendemain; Ja date du 10 octobre 2003 ne peut rendre compte de sa trésorerie disponible actuellement en banque ou de manière générale;
Attendu que par écritures datées du 09 juin 2001, OPTIMA a répliqué aux arguments de réponse de AISB en avançant que s’agissant d’abord de sa créance par lettre datée du Il juin 2004, AISB a reconnu devoir la somme de 51.531.654 francs et offert de se libérer en 7 mensualités; qu’à ce jour, elle n’a pas remboursé le moindre franc; que par ailleurs même si dans ses conclusions du 13 mai 2004, elle remet en cause la reconnaissance de dette, celle-ci est devenue un aveu judiciaire qui lie définitivement son auteur que d’ailleurs s’agissant. de l’exception d’inexécution qu’elle soulève, il ressort de la lettre du 13 février 2003 qu’elle invoque à l’appui de ce moyen que les affichages convenus ont été bel et bien effectués et qu’elle aurait plutôt subi des pertes dues à la disposition de certains tableaux; que ce qui ressort en réalité de ladite lettre, c’est une demande de remise sur le montant de la facture; qu’ensuite s’agissant de l’état de cessation, AISB ne justifie, en dehors de la somme de 786.396 francs disposer d’aucun avoir disponible à son profit; qu’elle tente d’ailleurs de mettre à sa charge la preuve qu’elle n’est pas en cessation de paiement, or il ne peut être demandé à une partie de rapporter la preuve d’un fait négatif; que s’agissant enfin du sieur Emmanuel AIM, il était tenu d’annoncer l’état de cessation de paiement de la Société AISB et qu’aucune diligence n’a été faite dans ce sens;
Attendu que dans ses écritures en secondes répliques en date du 08 septembre 2004, AISB avance qu’elle n’a jamais reconnu devoir une quelconque somme d’argent et qu’elle n’a jamais fait d’aveu; que même si sa créance était reconnue cela ne justifie point la présente procédure; qu’elle précise qu’en effet l’état de cessation de paiement étant la situation d’un débiteur qui n’est pas en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, les simples difficultés de trésoreries passagères ainsi que les réclamations injustifiées d’un créancier ne peuvent être considérées comme la preuve de l’état de cessation de paiement que pour ce qui est de la faillite personnelle du sieur AIM, elle est le fruit de la mauvaise foi et de l’imagination de la partie adverse;
1°) SUR LA CREANCE DE OPTIMA
Attendu que si dans ses dernières écritures en date du 08 septembre 2004, la défenderesse principale en l’occurrence la Société AISB soutient en définitive qu’elle n’a jamais fait d’aveu ni reconnu devoir une quelconque somme d’argent à OPTIMA, il est constant comme résultant de sa propre lettre en date du 11 juin 2003 produite aux débats qu’elle y reconnaît devoir à la SARL OPTIMA la somme de 51.53.1.654 francs au titre de la campagne de publicité réalisée pour la marque « American Cola» en janvier et février 2003; qu’il résulte d’ailleurs de ses écritures antérieures qu’elle n’a en réalité jamais contesté la créance de OPTIMA et lui oppose l’exception d’inexécution en se fondant sur sa lettre en date du 13 février 2003; que d’ailleurs l’exception ne peut nullement prospérer; qu’en effet, il ressort de ladite lettre et comme le fait remarquer à juste titre OPTIMA que les prestations convenues ont été effectuées et qu’en réalité, il était demandé une remise sur le montant de la facture; qu’il s’y ajoute que dans la lettre du Il juin 2003 susvisée, AISB s’engageait à solder sa dette en 7 mensualités de 7.361.655 francs du 30 août 2003 au 30 février 2004; qu’il y a dès lors lieu de constater que la créance de OPTIMA sur AISB est bien certaine, liquide et exigible;
2°) SUR L’ETAT DE CESSATION DE PAIEMENT
Attendu qu’il ressort des dispositions de l’article 25 alinéa 2 de l’acte uniforme sur les procédures collectives que « le débiteur qui est dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible doit faire une déclaration de cessation de paiement aux fins d’obtenir l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des tiers, quelle que soit la nature de ses dettes; que dès lors est en cessation de paiement le débiteur qui est dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible;
Qu’en l’espèce, si OPTIMA a rapporté la preuve par la production d’un procès-verbal de saisie conservatoire de créances en date du 10 octobre 2003 que l’actif disponible en compte de AISB s’élève à la somme de 786.396 francs et si AISB est fondée à dire que les sommes disponibles dans les comptes bancaires d’une Société ne sont pas les seuls avoirs dont peut disposer une Société il lui était tout de même loisible voire même possible de rapporter la preuve qu’elle avait en dehors des comptes bancaires, un actif disponible susceptible d ‘honorer son passif exigible;
Que dès lors, dans le souci d’être mieux éclairé la situation économique et financière de la débitrice il y a lieu d’ordonner avant dire droit une expertise à cette fin et de désigner Monsieur lbrahima BARRO expert comptable pour y procéder;
3°) SUR LA FAILLITE PERSONNELLE DU SIEUR EMMANUEL AIM
Attendu qu’il a été ordonné avant dire droit une expertise; que la demande en déclaration de faillite du sieur AIM devient dès lors prématurée; qu’il y a lieu donc de dire n’y avoir lieu à statuer sur cette demande;
Il) SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE
Attendu que AISB sollicite que soit ordonnée une expertise aux fins de vérifier le nombre de panneaux publicitaires effectivement réalisés par OPTIMA, déterminer la date à laquelle lesdits panneaux ont été livrés et le préjudice subi du fait du retard dans la livraison de certains panneaux et la non livraison de tous les panneaux qui avaient été prévus en contrat;
Attendu que OPTIMA n’a pas conclut sur ce point;
Attendu qu’il est clair qu’aujourd’hui la Société AISB est mal fondée à solliciter une telle expertise;
Qu’en effet il apparaît des pièces versées au dossier que les affichages ont été exécutés depuis 2003 et qu’elle a donc eu tout le temps pour remettre en cause les travaux effectués par OPTIMA;
Qu’il s’y ajoute que c’est pour avoir réceptionné lesdits travaux sans émettre la moindre contestation qu’elle se retrouve aujourd’hui débitrice envers la Société OPTIMA de la somme de 51.531.654 francs; qu’il y a lieu de la débouter de cette demande par conséquent de celle tendant à ce qu’il lui soit donné acte de ce qu’elle formulera une demande reconventionnelle en dommages et intérêts après expertise;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, Contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort;
EN LA FORME :
Reçoit tant l’action principale que la demande reconventionnelle;
AU FOND
Dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande en déclaration de faillite personnelle du sieur Emmanuel AIM;
Déboute la Société AISB de toutes ses demandes;
AVANT DIRE DROIT
Ordonne une expertise aux fins de déterminer la situation financière de la société AISB aux frais avancés de celle-ci;
Désigne pour y procéder Monsieur lbrahima BARRO expert- comptable;
Lui impartit le délai d’un mois à compter de la notification de sa mission;
Réserve les dépens;
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur
Que le tribunal désigne un expert pour apprécier la situation économique et financière du débiteur et vérifier si celui-ci est en état de cessation des paiements, cela se conçoit aisément :on ne peut prononcer l’ouverture d’une procédure collective de redressement judiciaire ou de liquidation des biens sans constater l’existence de cette condition de fond.
Mais on peut concevoir des doutes et des craintes sur la mission de l’expert. En effet, dans sa motivation, le tribunal a retenu : « Qu’en l’espèce, si OPTIMA a rapporté la preuve par la production d’un procès-verbal de saisie conservatoire de créances en date du 10 octobre 2003 que l’actif disponible en compte de AISB s’élève à la somme de 786.396 francs et si AISB est fondée à dire que les sommes disponibles dans les comptes bancaires d’une Société ne sont pas les seuls avoirs dont peut disposer une Société il lui était tout de même loisible voire même possible de rapporter la preuve qu’elle avait en dehors des comptes bancaires, un actif disponible susceptible d’honorer son passif exigible;
Que dès lors, dans le souci d’être mieux éclairé la situation économique et financière de la débitrice il y a lieu d’ordonner avant dire droit une expertise à cette fin et de désigner Monsieur Ibrahima BARRO expert comptable pour y procéder ».
Si l’expert a pour mission de vérifier si le débiteur avait d’autres avoirs (donc un actif suffisant) comme le laisse sous-entendre le jugement, afin de vérifier s’il y a cessation des paiements, l’esprit de la définition de cette notion risquerait de s’en trouver altéré. En effet, à quoi servirait de constater l’existence d’un actif suffisant pour régler le passif actuel si le débiteur ne paie pas ses dettes certaines, liquides et exigibles (quelles que soient les raisons de sa passivité).
On doit considérer que dès lors qu’il ne paie pas de telles dettes il est en cessation des paiements; il n’y a aucune raison que son attitude retentisse sur ses créanciers et sur l’économie nationale.