J-06-186
DROIT COMMERCIAL GENERAL – CONGE DONNE POUR DEMOLITION ET CONSTRUCTION D’UN IMMEUBLE – PLANS NE PREVOY ANT PAS DE LOCAUXaUSAGE IDENTIQUEaCELUI DU PRENEUR CONGEDIE – DROITaUNE INDEMNITE D4EVICTION (NON).
Ne peut prétendre à une indemnité d’éviction le preneur qui a reçu un congé pour démolition et reconstruction de l’immeuble au motif que les plans prévus pour la reconstruction ne prévoient pas de locaux ayant la même destination que le sien.
Article 91 AUDCG
Article 92 AUDCG
Article 93 AUDCG
Article 94 AUDCG
Article 95 AUDCG
Article 100 AUDCG
Article 102 AUDCG
COUR D’APPEL DE DAKAR, Chambre civile et commerciale 1, Arrêt n 186/2005 du 18 février 2005, IBANEZ / SCI TOUBA, note Bakary Diallo, Penant, n 855, p. 250.
Entre Georges Ibanez, commerçant demeurant à Dakar et ayant pour Conseil Maître Mounir Ballal, Avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, appelant.
Comparant et concluant par l’organe dudit Avocat, d’une part.
Et la Société Civile Immobilière « Touba », prise en la personne de son représentant légal en ses bureaux à Dakar, laquelle SCI est représentée par le Standing Immobilier ayant son siège social à Dakar, mais faisant élection de domicile en l’étude de Maître Malick Sall, Avocat à la Cour, intimée.
Comparant et concluant par l’organe dudit Avocat, d’autre part.
Suivant exploit de Maître Aloyse Ndong, Huissier de justice à Dakar, en date du 20 février 2002, M. Georges Ibaneza interjeté appel d’un jugement rendu le 15 janvier 2002 par le tribunal régional de Dakar, présidé par Mme Thiombane, et avec l’assistance de Maître Cheikhou Oumar SalI, Greffier, enregistré le 17 mai 2002, sous le bordereau n 522/5, vol. XXV, F l14,case 4779 aux droits de seize mille francs.
Et par le même exploit, M. Georges Ibaneza fait servir assignation à la Société Civile Immobilière « Touba », d’avoir à comparaître et se trouver par-devant la Cour d’Appel de Dakar, chambre civile et commerciale, en son audience publique et ordinaire du 15 mars 2002, pour y venir voir et entendre statuer sur les mérites de son recours.
Sur cette assignation, l’affaire inscrite au rôle de la Cour sous le n 229 de l’année 2002,a été appelée à la date pour laquelle ladite assignation avait été servie, puis renvoyée au 26 avril 2003.
A cette date, l’affaire, mise au rôle particulier de l’audience, a été appelée par Monsieur le Conseiller chargé de la mise en état, et successivement renvoyée jusqu’au 10 septembre 2004, date à laquelle elle a été utilement retenue.
Maître Mounir Ballal, pour le compte de Georges Ibanez,a déposé des conclusions écrites en date du 12 juin 2003, tendant à ce qu’il plaise à la Cour :
« Déclarer recevable en la forme, l’appel interjeté par le sieur Georges Ibanez.
Infirmer en toutes ses dispositions, le jugement en date du 15 janvier 2002.
Réformant et statuant à nouveau.
Vu les dispositions des articles 91, 92, 93, 94, 95, 100 et 102 du livre III titre I chapitre VI de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général de l’OHADA.
Fixer le montant de l’indemnité d’éviction à la somme de 80 000 000 de FCFA.
Condamner la SCI « Touba » aux entiers dépens d’instance et d’appel dont distraction au profit de l’Avocat qui le requiert aux offres de droit.
Conclusions du 1er avril 2004
Adjuger de plus fort au sieur Georges Ibanez, le bénéfice de ses écritures principales en date du 12 juin 2003 ».
Maître Malick Sall, pour le compte de la SCI « Touba » ,a déposé des conclusions écrites tendant à ce qu’il plaise à la Cour :
Conclusions du 9 juillet 2003
« Statuer ce que de droit sur la recevabilité formelle de l’appel.
Vu le congé en date du 23 juin 1999.
Vu le jugement du tribunal régional hors classe de Dakar du 30 janvier 2001.
Vu les dispositions de l’article 95-2 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général.
Débouter le sieur Georges Ibanez de l’ensemble de ses moyens, fins et conclusions.
Confirmer, en conséquence, le jugement n 113 rendu le 15 janvier 2002 par le tribunal régional hors classe de Dakar ».
Conclusions du 3 juin 2004
« Donner acte au sieur Georges Ibanez, qu’il reconnaît que l’immeuble pour lequel congé a été donné a été détruit et les lieux sont toujours en chantier.
Adjuger en conséquence à la SCI « Touba », l’entier bénéfice de ses écritures principales et celui des présentes ».
Les débats ont été clos et Monsieur le Conseiller chargé de la mise en état a pris une ordonnance de clôture en date du 10 septembre 2004 renvoyant l’affaire au 3 décembre 2004, au 10 décembre 2004, puis au 7 janvier 2005 devant la chambre de céans pour mise en délibéré.
Sur quoi, Monsieur le Président a mis l’affaire en délibéré, pour l’arrêt à intervenir à la date du 21janvier 2005.
DROIT
La cause en cet état présentait à juger les différents points de droit résultant du dossier et des conclusions prises par les parties en cause.
Quid des dépens?
A cette date, le délibéré a été prorogé au 18 février 2005.
Advenue l’audience publique et ordinaire de ce jour 18 février 2005, la Cour, mêmement composée, vidant son délibéré a statué ainsi qu’il suit :
LA COUR
Vu les pièces du dossier.
Ouï les parties en toutes leurs demandes, fins et conclusions.
Après en avoir délibéré conformément à la loi.
Considérant que par acte en date du 20 février 2002, le sieur Georges Ibaneza interjeté appel contre le jugement rendu le 15 janvier 2002 par le tribunal régional hors classe de Dakar et dont le dispositif est ainsi conçu :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en premier ressort.
En la forme
Reçoit l’action de Georges Ibanez.
Au fond
Le déboute de toutes ses demandes comme mal fondées.
Le condamne aux dépens.
Considérant que suivant ordonnance de clôture en date du 10 septembre 2004, le Conseiller de la mise en état a déclaré l’appel recevable.
Qu’il échet de statuer au fond.
AU FOND
1) Sur les faits
Considérant qu’il est constant que Georges Ibanez est lié à la Société Civile Immobilière dénommée « Touba », par un contrat de bail commercial.
Que ladite société avait d’abord, par contrat en date du 22 janvier 1992, donné en location à Claude M.J. Guignard, un local à usage commercial.
Que ledit contrat prenant effet le 1er avril 1992, devait se terminer le 31 mars 2001.
Que par avenant portant changement du nom du preneur, Claude Guignard et la SCI « Touba » ont convenu de remplacer le nom du preneur par Georges Ibanez, conformément à l’article 3 du contrat de bail.
Qu’ainsi, depuis le 27 avril 1996, Ibanez est locataire d’un local à usage commercial, où il exploite un bar-restaurant.
Que ce contrat venant à expiration le 31 mars 200l, le sieur Ibanez, par acte extrajudiciaire en date du 13 décembre 2000,aformulé auprès de son bailleur, une demande de renouvellement de bail, conformément à l’article 92 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général (AU/DCG).
Que par acte extrajudiciaire en date du 21 décembre 2000, la SCI « Touba » lui a signifié son refus de renouvellement du contrat de bail, aux motifs qu’elle envisage de démolir pour reconstruire un nouvel immeuble.
Que par exploit d’huissier en date du 1er février 2001, Georges Ibaneza assigné la SCI « Touba » en paiement du montant de l’indemnité d’éviction.
2) Sur les prétentions des parties
Considérant que dans ses conclusions en date du 12 juin 2003, Georges Ibanez sollicite de la Cour, d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, au vu des dispositions des articles 91-92-93-94-95-100 et 102 du livre III titre I chapitre VI de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général de l’OHADA :
– de fixer le montant de l’indemnité d’éviction à la somme de 80 000 000 FCFA;
– de condamner la SCI « Touba », représentée par le Standing Immobilier, à lui payer cette somme.
Qu’il expose que les dispositions précitées sont d’ordre public.
Que l’article 95 fait obligation au bailleur, de verser au preneur, l’indemnité d’éviction prévue à l’article 94 de l’AU/DCG, si les locaux reconstruits ont une destination différente de celle des locaux objet du bail.
Qu’il ajoute que la SCI « Touba » n’a pas envisagé dans ses plans architecturaux, la construction de locaux ayant la même destination.
Considérant que dans ses conclusions en date du 9 juillet 2003, la SCI « Touba » demande la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Qu’il expose avoir justifié de la nature et la description des travaux envisagés et avoir versé aux débats, toutes les pièces justificatives, conformément aux articles invoqués de l’AU/DCG.
Que Ibanez procède par simples allégations et ne prouve pas que les locaux à reconstruire n’ont pas la même destination que ceux démolis.
Considérant que dans ses conclusions en réplique en date du 12 avril 2004, Ibanez allègue qu’il verse aux débats, un procès-verbal de constat d’huissier en date du 17 février 2004, faisant état de ce qu’aucune construction n’est élevée sur les lieux.
Que ce procès-verbal prouve, selon lui, que la SCI « Touba » essaie de se soustraire à son obligation de l’indemniser, conformément à l’article 95 AU/DCG.
Considérant que dans ses conclusions en réplique en date du 3 juin 2004, la SCI « Touba » fait plaider que le procès-verbal de constat du 17 février 2004 d’Ibanez fait noter que « sur les lieux, j’ai trouvé une grande surface clôturée à l’aide de tôle en zinc. aucune construction n’est apparente »; que cela signifie que immeuble a été bien détruit, mais qu’il n’est pas encore construit, pour qu’Ibanez se prévale d’une quelconque indemnité d’éviction.
SUR CE
Considérant qu’il résulte de l’article 95 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général, que le bailleur peut s’opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée, sans avoir à régler d’indemnité d’éviction. s’il envisage de démolir l’ensemble comprenant les lieux loués et de les reconstruire. Il devra dans ce cas, justifier de la nature et de la description des travaux projetés.
Considérant qu’il résulte des pièces versées aux débats, et notamment, du projet de construction d’un immeuble sur le TF n 1352/DG, que la SCI « Touba » a agi conformément aux dispositions précitées.
Qu’il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort.
Vu l’ordonnance de clôture en date du 10 septembre 2004.
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Met les dépens à la charge du sieur Ibanez.
Président : Mamadou Deme.
NOTES
Si le bailleur décide de démolir pour reconstruire des locaux objet d’un bail commercial, le preneur doit quitter les lieux sans indemnité.
En la circonstance, le bailleur (la SCI Touba) avait l’intention de procéder à la démolition de l’immeuble pour sa reconstruction. Il adonc délivré le 21 décembre 2000, à son locataire (M. lbanez), un congé avec refus de renouvellement.
Son locataire prétextait qu’il n’y était pas soumis, dans la mesure où le bailleur n’avait pas envisagé dans ses plans architecturaux, la construction de locaux ayant la même destination.
Le preneur assigna donc le bailleur en paiement du montant de l’indemnité d’éviction. Mais par jugement du 15 janvier 2002, le tribunal hors classe de Dakar a rejeté sa demande, en contestant le bien-fondé du paiement de l’indemnité d’éviction.
Saisi sur appel, le juge du deuxième degré abonde dans le même sens, en refusant de voir dans les faits de l’espèce, une quelconque contradiction du refus d’indemnisation du bailleur avec les dispositions de l’article 95 de l’AUDCG.
Il y a lieu, en effet, de retenir qu’encas de reconstruction et de présence dans l’immeuble de locaux commerciaux, l’Acte uniforme offre au locataire, un droit de priorité qui doit s’exercer dans les limites d’une surface équivalente ou susceptible de satisfaire des besoins identiques.
Cependant, encas de non-respect de ce droit de priorité ou de changement de destination des locaux reconstruits, le locataire sera parfaitement fondé à demander le paiement de l’indemnité d’éviction prévue à l’article 94 de l’Acte uniforme.
Pour l’essentiel, cet arrêt de la Cour d’Appel de Dakar doit être pleinement approuvé.
Bakary Diallo.
Doctorant Paris I Sorbonne.