J-07-146
PROCEDURES COLLECTIVES – DIFFICULTES ECONOMIQUES ET FINANCIERES – DIFFICULTES IRREMEDIABLES (NON) – CESSATION DE PAIEMENT (NON) – CONCORDAT – REMISE EN CAUSE DES PROPOSITIONS CONCORDATAIRES PAR LES CREANCIERS – REJET DES CONTESTATIONS – HOMOLOGATION DU CONCORDAT – MISE EN REGLEMENT PREVENTIF – DESIGNATION D’UN SYNDIC ET D’UN JUGE–COMMISSAIRE – CESSATION DE FONCTION DE l’EXPERT.
Lorsqu’il ressort des propositions concordataires et du rapport dressé par l’expert commis à cet effet que la situation économique et financière d’une entreprise, bien que difficile, n’est pas irrémédiablement compromise et ne constitue pas un état de cessation des paiements, les propositions concordataires faites par le débiteur et qui ont été approuvées par la majorité des créanciers doivent être homologuées par le tribunal et ce, nonobstant les contestations faites par certains créanciers relativement à ces propositions. Par ailleurs, l’homologation du concordat met fin aux fonctions de l’expert qui est remplacé par un juge commissaire et un syndic désignés par le tribunal.
(Tribunal de Grande Instance du Moungo, Jugement n°/CIV du 08 mai 2007, Affaire La société BERARDI -CAM C/ ALKO SARL, CNPS et autres.) Note Professeur Yvette KALIEU.
LE TRIBUNAL,
Vu les lois et règlements en vigueur.
Vu les pièces du dossier de procédure.
Attendu que par requête aux fins d’ouverture d’un règlement préventif en date du 12 décembre 2006, enregistrée au greffe du Tribunal de Grande Instance du MOUNGO le 18 décembre 2006 sous le numéro 23/RCA/06-07, la société BERARDI-CAM SA, représentée par son directeur général, Roberto BERARDI et ayant pour conseil Maître KOSSI MPONDO, avocat au barreau du Cameroun, a saisi le Président du tribunal de céans pour.
Lui donner acte du dépôt de ladite requête.
Lui donner également acte du dépôt des documents visés à l’article 6 de l’acte uniforme OHADA portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif.
Lui donner acte du dépôt au greffe de sa proposition de concordat préventif.
Ordonner la suspension des poursuites individuelles entreprises, ou que pourraient entreprendre ses créanciers contre elle, créanciers dont la liste a été reprise dans sa requête.
Désigner conformément à l’article 8 de l’acte uniforme sus cité, un expert ayant pour mission de faire un rapport sur la situation économique et financière de l’entreprise, ses perspectives de redressement compte tenu des délais et remises consentis, ou susceptibles de l’être par les créanciers, et toute mesure contenue dans la proposition de concordat préventif.
Dire que l’expert nommé sera informé de sa mission dans un délai de 08 jours à compter de la décision à intervenir par tous moyens laissant trace écrite.
Dire que dans les deux mois au plus tard de cette notification, et à moins que ce délai n’ait été prorogé par le président de la juridiction de céans, l’expert sera tenu de déposer son rapport en double exemplaire au greffe, rapport contenant le concordat préventif proposé par le débiteur, ou conclu entre lui et ses créanciers.
Dire que cette décision n’est susceptible d’aucune voie de recours conformément à l’article 22 du même acte uniforme.
Qu’au soutient de sa démarche la société BERARDI-CAM SA expose qu’elle a pour domaine d’activité aussi bien la république du Cameroun qu’à l’étranger, l’exploitation des carrières, les travaux publics, les constructions diverses, l’import et l’export, etc…, et dispose pour les besoins de son exploitation, d’un parc d’engins dont le volume et la capacité lui permettent d’honorer d’importants marchés et chantiers.
Que toutefois, depuis quelques mois, sa sérénité habituelle se trouve perturbée par de nombreuses difficultés nées pour l’essentiel des multiples procédures judiciaires intentées contre elle par certains de ses créanciers.
Que ces procédures judiciaires pourraient entrainer sa disparition, alors même que sa situation financière, bien que difficile, n’est pas irrémédiablement compromise.
Que bien au contraire, son entreprise est encore viable et dispose d’éléments d’actif qui peuvent lui permettre, dans le cadre d’un plan de restructuration, de retrouver à moyen terme son équilibre normal.
Qu’elle a donc besoin d’une prompte intervention de la juridiction compétente, afin d’organiser son sauvetage et éviter de sombrer en état de cessation des paiements.
Que bien que débitrice envers les créanciers suivants de la somme globale de 600.484.087 francs (TOTAL FINA ELF, ALKO, TRACTAFRIC, PRIMA TP, SAARL, LUX’OR, MONT KOUPE, DACAM DLA, CONTINENTAL INDUSTRIE SEMEM DISTRIBUTOR, SOTRADHY, TROPIC TRADING SARL, ACTIVA, SOCIETE FOKOU, CAMCI, TRADEX, GIC NETCOBAT, SOCCA, CECAW, ETS DOMBOU, ETAT, CNPS, CBC BANK, SALAIRE PERSONNEL, TOUT AFRIQUE, et SPP), elle dispose en revanche d’un état de créance tant exigible qu’à échoir véritablement sérieux, ces différents marchés en cours présentant des perspectives de redressement et d’apurement de son passif plutôt prometteurs et se répartissant comme suit.
Créances exigibles- 245.400°000 francs.
Marchés en cours d’exécution notamment, celui conclu avec la « SOSUCAM » et la société « S.C.I-Quillien » 2.320°000°000 francs.
Caution et garantie à récupérer°: 145°000°000 francs CFA.
Qu’à tout cela, il convient d’ajouter son parc d’engin qui constitue un élément d’actif non négligeable pouvant faire l’objet de locations fort lucratives.
Que c’est donc compte tenu de tous ces atouts qu’elle a saisi le tribunal de céans de son offre de concordat préventif, pour demander de lui concéder des délais pour le règlement de son passif, bref d’homologuer son offre de concordat préventif.
Attendu que par ordonnance n°5/PT Nkongsamba du 18 décembre 2006, le président du tribunal de céans a ordonner la suspension des poursuites individuelles et à désigner sieur DISSAKE Dieudonné, expert financier agréé près la cour d’appel du Littoral, aux fins de dresser rapport sur la situation économique et financière de cette entreprise, ses perspectives de redressement, compte tenu des délais et remises consentis et susceptibles de l’être par les créanciers, et de toutes les mesures dans les propositions du concordat préventif.
Que le 20 mars 2007 après avoir obtenu une prorogation de délai d’un mois, l’expert susnommé a déposé son rapport au greffe de céans, et, conformément aux dispositions de l’article 14 de l’acte uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, le président à saisi le tribunal de céans en convoquant le débiteur et un certain nombre de ses créanciers pour être entendu en audience non publique en vue de l’homologation du concordat préventif présenté.
Qu’au cours de cette audience qui est apparue comme une véritable assemblée concordataire, la société demanderesse, par l’organe de Maître KOSSI MPONDO sont conseil a réitéré point par point son argumentaire développé ci- dessus, qui a abouti à l’obtention de l’ordonnance de suspension des poursuites individuelles du 18 décembre 2006, et a conclu que son offre de concordat réunissait toutes les conditions requises par la loi pour être homologuée.
Attendu que réagissant à cet argumentaire, les sociétés CNPS et ALKO SARL, sans fondamentalement remettre en cause l’offre de concordat et le principe de l’admission de la société demanderesse au bénéfice du règlement préventif, ont cependant émis des réserves quant aux délais de paiement par elle proposé.
Que la CNPS, qui a déploré le fait de n’avoir pas été consulté par l’expert désigné et regretter sa non convocation à la première audience, a demandé que sa créance évaluée à la somme de 21.648.791 francs soit payée en 18 échéances mensuelles soit dans un délai d’un an et six mois, et non en 27 mensualités (trois ans), telle que proposé dans l’offre de concordat.
Que la société ALKO SARL pour sa part, s’est fermement opposée aux longs délais (3 ans) proposé par la demanderesse pour apurer sa créance chiffrée à 4.100.538 francs, et a demandé que son règlement soit effectué en six mensualités.
Attendu que le tribunal doit donc se prononcer sur les demandes de ces deux créanciers, et sur la demande d’homologation du concordat préventif présenté par la société BERARDI- CAM SA.
Sur les demandes de réduction des délais formulées par la CNPS et la société ALKO SARL
A Du cas de la CNPS
Attendu que dans ses écritures du 24 avril 2007, la CNPS semble soutenir l’inopposabilité à son égard de l’offre de concordat préventif présentée par la société BERARDI-CAM SA, sous le double prétexte que l’expert désigné ne l’a pas consulté, et qu’elle n’a pas été convoquée à la première audience, et croit pour ces raisons devoir réclamer un concordat séparé en exigeant des délais qui lui sont propres (un an et six mois, plutôt que 27 mois ou trois ans).
Mais attendu qu’aucune de ces prétentions n’est fondée en droit OHADA.
Qu’en effet s’il est vrai selon les dispositions de l’article 12 de l’acte portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif que l’expert peut obtenir communication par les organismes de sécurité et de prévoyance sociale des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique et financière du débiteur, cela reste et ne demeure qu’une possibilité qui n’est d’ailleurs assortie d’aucune sanction.
Qu’en l’espèce, l’expert a reçu tous les renseignements qu’il voulait sur la CNPS du débiteur.
Que de même, l’article 14 du même acte uniforme laisse la latitude au président de convoquer à l’audience « tout créancier qu’il juge utile d’entendre ».
Que la CNPS ne saurait s’appuyer sur ces attitudes légalement justifiées pour réclamer une sorte de concordat séparé, encore et surtout que l’acte uniforme présente le concordat comme étant un document unique, qui comporte les propositions de délais et de remises susceptibles d’être acceptées par les créanciers, et que la juridiction compétente ne peut en aucun cas changer ou modifier.
Qu’il échet de rejeter sa demande comme non fondée.
B– DU CAS DE ALKO SARL
Attendu que la même analyse juridique développée ci-dessus prévaut en l’encontre de cette société.
Qu’en effet, selon les dispositions des articles 7 et suivants de l’acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, un seul concordat est soumis à l’homologation de la juridiction compétente.
Qu’il résulte de ce qui précède que ALKO SARL ne saurait obtenir un concordat séparé et encore moins des délais négociés à part.
I– Sur la demande d’homologation du concordat préventif proposée par la société BERARDI CAM SA
Attendu qu’il appert du rapport de l’expert DISSAKE Dieudonné que bien qu’étant fortement endettée, la société BERARDI-CAM SA n’est pour autant pas en état de cessation de paiements.
Que bien au contraire elle présente de réelles possibilités et garanties de redressement notamment, un imposant outil de production, composé entre autres de plusieurs camions et remorques à l’état neuf, plus d’une quinzaine de véhicules légers 4x4, tous aussi neufs, une douzaine de bulldozers, quatre graders, cinq compacteurs, des chargeurs, plusieurs groupes électrogènes et de nombreux autres engins, compresseurs, suppresseurs, pelles et postes de soudures, dont la seule location lui permet déjà d’engranger d’énormes dividendes, qu’à cela il faut ajouter un important stock de pièces de rechange, évalué à plus de trois cent million de francs, qui garantit d’ailleurs la continuité de ses activités.
Que cette énorme batterie logistique, doublée d’une expertise avérée, savamment entretenu par un personnel hautement qualifié et très dévoué à la tâche, ont sans doute concouru à la conclusion par cette entreprise de très grands marchés dont l’exécution est en cours, notamment ceux passés avec les sociétés SOSUCAM et S.CI RUE QUILLIEN, dont le chiffre d’affaire attendu s’élève à deux milliards trois cent vingt millions de francs.
Que de plus, le recouvrement de ses créances exigibles, et le remboursement de ses cautions et garanties permettent à la société BERARDI-CAM SA, d’escompter dans les deux prochaines années la rondelette somme de 391.400°000 francs.
Attendu qu’au rapport d’expert sus évoqué, sont annexés la preuve de la vérification de l’état de tous les matériels sus énumérés, ainsi que les pièces justificatives des créances exigibles et les contrats sus visés.
Que l’examen de tous ces documents et pièces accrédite la perspective d’une relance rapide et imminente de cette entreprise.
Attendu que la majorité des créanciers présents à l’audience a marqué son accord pour la mise en exécution du concordat préventif présenté par le débiteur.
Que le silence de tous les autres vaut sans doute approbation.
Attendu que le ministère public a également requis en faveur de l’homologation de ce concordat.
Attendu que selon l’article 15 alinéa 2 de l’acte uniforme sus visé, les délais proposés et les remises consenties par les créanciers ne doivent pas excéder trois ans pour l’ensemble des créanciers, et un an pour les créanciers de salaire.
Qu’en l’espèce, la société BERARDI-CAM SA, ayant offert des délais de moins de trois ans pour les autres créances, et neufs mois seulement pour les créances salariales, il y a lieu de dire que les conditions de validité de son concordat préventif sont réunies.
Attendu au demeurant que ledit concordat ne présente aucune entorse à l’intérêt collectif, moins encore à l’ordre public, mais offre plutôt de sérieuses garanties et possibilités de redressement de la société demanderesse.
Qu’il échet de l’homologuer en donnant acte à cette dernière des mesures de redressement proposées en mettant fin aux fonctions de l’expert désigné, et en nommant un juge commissaire chargé de veiller à sa bonne exécution ainsi qu’un syndic de règlement préventif.
Attendu en outre que selon l’article 23 de l’acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, les décisions relatives au règlement préventif sont exécutoire par provision.
Que l’urgence requise pour le sauvetage de la société BERARDI-CAM SA, commande de dire la décision à intervenir exécutoire sur minute et avant enregistrement.
Attendu qu’il ya lieu de mettre les dépens à la charge de la demanderesse, et d’ordonner la publication de la présente décision conformément aux dispositions des articles 36 et 37 de l’acte uniforme susvisé.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement à l’égard de la demanderesse, la CNPS, la société ALKO SARL, la société FOKOU et la société CECAW, et par défaut contre tous les autres créanciers, en matière civile et commerciale, en audience non publique, en premier ressort, et après en avoir délibéré conformément à la loi.
Rejette les demandes de réduction des délais présentés par les sociétés CNPS et ALKO SARL comme non fondées.
Reçoit la société BERARDI-CAM SA en son action, et l’y dit fondée.
L’admet aux bénéfices du règlement préventif avec tous les effets y attachés par la loi.
Homologue par conséquent le concordat préventif par elle proposé.
Constate les délais et remises consentis par les créanciers, et lui donne acte des mesures de redressement proposés.
Met fin aux fonctions de l’expert-rapporteur.
Nomme sieur NKEGNI FELIX, juge au tribunal de céans; juge commissaire, chargé de veiller au bon déroulement des opérations du règlement préventifs prononcé, et sieur DISSAK DELON GEORGES expert judiciaire, syndic du règlement préventif, chargé d’assister le débiteur dans l’exécution du concordat préventif.
Ordonne l’exécution provisoire sur minute et avant enregistrement du présent jugement.
Ordonne enfin sa publication dans les formes prescrites aux articles 36 et 37 de l’acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif.
Laisse les dépens à la charge de la demanderesse.
Note°: Yvette Rachel KALIEU ELONGO, Agrégée des Facultés de Droit, Université de Dshang, Cameroun
Cette décision doit être approuvée car, contrairement à quelques décisions précédentes qui avaient fait une application pas toujours heureuse des règles des procédures collectives, elle fait une bonne et exacte application des dispositions relatives au règlement préventif telles que prévues par l’AUPCAP.
Sur le plan de la procédure, le prononcé du règlement préventif est fait sur la base du rapport de l’expert et des propositions concordataires faites par le débiteur.Sur le fond, l’homologation du concordat qui constitue la principale mesure du règlement préventif suppose que la situation du débiteur ne soit pas irrémédiablement compromise et que les propositions concordataires soient conformes aux prescriptions légales et approuvées par la majorité des créanciers. C’est ce qui justifie que le tribunal ait rejeté la requête de certains créanciers qui non seulement estimaient n’avoir pas été convoqués et entendus par l’expert et le tribunal mais également contestaient les délais de paiement à eux proposés par le débiteur.