J-07-237
DROIT COMMERCIAL GENERAL – BAIL – ASSIGNATION EN PAIEMENT D’INDEMNITE D’EVICTION – RECEVABILITE (OUI).
DROIT AU RENOUVELLEMENT – CONDITIONS – ARTICLE 91 AUDCG – CONDITION DE DUREE (OUI) – DEMANDE DE RENOUVELLEMENT (NON) – POURSUITES DES RELATIONS CONTRACTUELLES – ARTICLE 97 AUDCG – RENOUVELLEMENT IMPLICITE (OUI) – UTILISATION NON CONFORME DES LIEUX (NON) – RUPTURE ABUSIVE DU CONTRAT (OUI) – INDEMNITE D’EVICTION BIEN FONDEE – MONTANT – ARTICLE 94 AUDCG – DEFAUT D’ACCORD – EXPERTISE – EVALUATION DES PREJUDICES – DEMANDE RECONVENTIONNELLE – DEFAUT DE JUSTIFICATION – REJET (OUI).
S’il est vrai que le preneur n’apporte pas la preuve qu’il a accompli une demande de renouvellement conformément à l’article 91 AUDCG, il n’en demeure pas moins que le bailleur n’a pas non plus résilié le contrat à la date de son échéance. Les relations contractuelles s’étant poursuivies au-delà de la date d’expiration du bail, il s’en suit que le contrat est considéré comme étant renouvelé pour une période de trois ans conformément à l’article 97 AUDCG. Par conséquent, la rupture du contrat est abusive dès lors qu’elle intervient avant l’échéance des trois ans.
Article 6 NOUVEAU LOI N 10/93 DU 17 MAI 1993 PORTANT ORGANISATION JUDICIAIRE AU BURKINA FASO
(TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE OUAGADOUGOU (BURKINA FASO), Jugement n 245/2005 du 04 mai 2005, DIA Harouna c/ Chambre de commerce, d’industrie et d’artisanat du Burkina).
LE TRIBUNAL,
FAITS PROCEDURE PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par exploit d’huissier de justice en date du 22 septembre 2000, DIA Harouna, commerçant demeurant à Ouagadougou ayant pour conseil maître Mamadou TRAORE, avocat à la Cour, a donné assignation à la Chambre de commerce, d’industrie et d’artisanat du Burkina dont le siège social est à Ouagadougou d’avoir à comparaître devant le Tribunal de céans pour s’entendre désigner par jugement avant dire droit un expert à l’effet d’évaluer son indemnité d’éviction, s’entendre condamner la Chambre de commerce à lui payer ladite indemnité, s’entendre enfin condamner la Chambre de commerce aux dépens.
A l’appui de sa cause, DIA Harouna expose qu’il avait pris à bail des locaux à usage de chambre froide positive au Grand Marché de Ouagadougou et appartenant à la défenderesse suivant contrat en date du 1er juin 1998.
Que sur autorisation du bailleur il a transformé la chambre froide positive en chambre froide négative à l’effet d’y exercer un commerce de poisson frais; qu’à cet effet il a fait d’énormes investissements financiers.
Que près de deux cent détaillants constituent sa clientèle, qu’ainsi il exploite le plus grand fond de commerce de poissonnerie du pays, que son chiffre d’affaire est de près d’un milliard deux cent millions de francs CFA.
Qu’en 1999 et en 2000 son bail a été renouvelé. Qu’un mois dix jours après le dernier renouvellement, il fut surpris par une lettre du bailleur le 10 juillet 2000 portant résiliation de son contrat pour compter du même jour sans aucun motif.
Que prenant acte du contenu de l’écrit, il s’adressa au juge des référés afin que celui-ci lui accordât un délai de 6 mois pour libérer les lieux.
Que le 5 septembre 2000, il adressait une correspondance à la Chambre de commerce demandant le paiement d’une indemnité d’éviction; qu’aucune suite n’a été donnée à cette correspondance; qu’il se voit contraint d’initier la présente procédure sur la base de l’article 94 de l’Acte uniforme OHADA portant droit commercial général pour réclamer ladite indemnité.
En réplique, la Chambre de commerce par la plume de ses conseils cabinet Harouna SAWADOGO et maître Richard TRAORE argue qu’il n’y a pas lieu à paiement d’indemnité d’éviction du fait que DIA Harouna n’a jamais sollicité le renouvellement de son bail; qu’il est constant que la clause de tacite reconduction est nulle et non avenue; que c’est donc à bon droit que la Chambre du Commerce a signifié à son cocontractant la rupture de son contrat pour compter du 10 juillet; que par ailleurs, DIA Harouna a demandé et obtenu du juge des référés un délai congé pour libérer les locaux; que le demandeur ne situe pas réellement le terrain sur lequel il engage sa responsabilité; que tantôt il parle de refus de renouvellement, tantôt de résiliation.
Que s’agissant du renouvellement du bail, DIA Harouna n’apporte pas la preuve qu’il remplit les deux conditions prévues à l’article 91 de l’Acte uniforme, à savoir l’exploitation pendant au moins deux ans des lieux loués et la conformité de ladite exploitation à la destination des locaux; qu’il est certain qu’au lieu d’exploiter un commerce de fruits et légumes, DIA Harouna exploitait plutôt un commerce de poissons et fruits de mer; qu’en outre, le renouvellement suppose, aux termes de l’article 92 de l’Acte uniforme précité, que le locataire le demande au plus tard trois mois avant la date d’expiration du bail par acte extrajudiciaire, sous peine de déchéance; que l’indemnité d’éviction n’étant due qu’en cas de refus de renouvellement, DIA Harouna ne saurait la demander.
Sur le montant de l’indemnité d’éviction, la Chambre de commerce argue subsidiairement qu’en cas de condamnation, le montant demandé se référant à la moitié du chiffre d’affaire ne répond à aucun texte légal; que l’indemnité d’éviction est égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, tenant compte de la perte subie par le locataire et du gain manqué; que le chiffre d’affaire est donc important dans la détermination de l’indemnité d’éviction; que ledit chiffre d’affaire étant soumis à déclaration, seul le chiffre déclaré au fisc sera retenu; qu’à ce titre, l’administration fiscale a retenu la somme de 40°000°000 F comme chiffre d’affaire du demandeur pour l’année 1999.
A l’audience du 16 janvier 2002, le Tribunal, par jugement avant dire droit a ordonné une expertise à l’effet d’évaluer l’indemnité d’éviction demandée par DIA Harouna; l’expert comptable OUATTARA Oumar a été commis à cette fin avec un délai d’un mois pour déposer ses conclusions; le 10 décembre 2003, le Tribunal, à la demande de DIA Harouna, procédait au remplacement de l’expert désigné, celui-ci ayant été jugé défaillant; l’expert comptable Eddie KOMBOIGO a alors été désigné. Courant mois de mars 2004, l’expert remplaçant a déposé son rapport, faisant ressortir un montant minimal de 236.000°000 F et maximal de 535.269.337 francs, d’où une moyenne de 385.634.668 francs.
Contre cette expertise, les conseils de la Chambre de commerce ont relevé l’absence de base légale; que le rapport laisse croire que depuis la rupture du contrat, DIA Harouna est resté sans activité alors que celui-ci exploite à travers la ville des poissonneries; que le rapport n’a pas non plus tenu compte de l’ordonnance de référé qui accordait un délai au demandeur pour libérer les lieux; qu’ils sollicitent alors une contre expertise.
Le 26 mai 2004, par un autre jugement avant dire droit, le Tribunal a ordonné une contre expertise et a nommé le cabinet FIDAF à l’effet d’y procéder.
Courant mois de novembre 2004, le contre expert a déposé son rapport, faisant ressortir une perte d’exploitation de 25.000°000 F, une indemnité pour rupture abusive de 2.400°000 F et un préjudice moral laissé à l’appréciation du Tribunal.
Appréciant le dernier rapport d’expertise, DIA Harouna explique que le contre expert a outrepassé ses pouvoirs qui se résumaient à évaluer le montant de l’indemnité d’éviction plutôt qu’à chercher à théoriser sur le fondement juridique de ladite indemnité; qu’il a été incapable de faire des propositions chiffrées, se contentant tantôt de faire des abattements de taux, tantôt des applications de coefficients basées sur aucun fondement objectif.
Dans ses répliques la chambre de commerce fait valoir que seule la contre expertise peut servir de base d’une éventuelle indemnité d’éviction; que ladite indemnité n’est d’ailleurs pas due du fait qu’il n’y a pas eu de refus de renouvellement.
Que de plus, s’agissant d’un commerce exploité dans un marché, on ne saurait parler de fonds de commerce du fait qu’il n’y a en réalité pas de clientèle; celle-ci se définissant comme les acheteurs fidélisés à un commerçant, qu’étant au grand marché, la clientèle appartient plutôt à la structure en charge de la gestion dudit marché; que DIA Harouna ne saurait indiquer de client fidélisé par son fait.
Vidant sa saisine à l’audience du 4 mai 2005, le Tribunal a rendu la décision contradictoire dont la teneur suit.
DISCUSSION
I DU BIEN FONDE DE L’INDEMNITE D’EVICTION
Attendu que DIA Harouna reproche à la chambre de commerce d’avoir rompu abusivement son bail passé le 1er juin 1998; Qu’il explique que seulement un mois dix jours après le renouvellement, il a reçu une lettre de résiliation; Que la Chambre de commerce réplique que son cocontractant ne répondait pas aux conditions de renouvellement.
Attendu qu’au sens de l’article 91 de l’Acte uniforme précité, le droit au renouvellement est acquis au commerçant locataire qui aura exploité son commerce pendant au moins 2 ans dans les locaux et qui aura formulé par acte extra judiciaire sa volonté de renouvellement au plus tard 3 mois avant la date d’expiration de son contrat.
I A De la condition de durée
Attendu que la première condition édictée par la loi se résume en une exploitation de deux ans dans les locaux loués; qu’en l’espèce, le contrat liant la Chambre de commerce à DIA Harouna date du 1er juin 1998; qu’en 1999, ledit contrat a été renouvelé; qu’à la date du 31 mai 2000, DIA Harouna totalisait donc deux ans d’exploitation; que son contrat ayant été résilié le 10 juillet 2000, il s’en suit que DIA Harouna avait plus de deux ans d’occupation des lieux.
I B Sur la demande de renouvellement
Attendu que la Chambre de commerce soutient que DIA Harouna dont le contrat était à durée déterminée n’a pas fait de demande de renouvellement alors même que la loi le lui imposait.
Attendu que s’il est vrai que le preneur n’apporte pas la preuve qu’il a accompli cette formalité, il n’en demeure pas moins que le bailleur, à la date du 31 mai 2000, n’a pas non plus résilié le contrat; que les relations contractuelles s’étant poursuivies au-delà de la date d’expiration du bail, il s’en suit que le contrat est considéré comme étant renouvelé pour une période de trois ans conformément à l’article 97 de l’Acte uniforme.
Que dès lors aucune rupture ne pouvait intervenir avant l’échéance des trois ans à compter du 1er juin 2000; Qu’en signifiant au preneur la résiliation de son contrat le 10 juillet 2000 pour compter du même jour, la Chambre de commerce a méconnu les dispositions légales en la matière; que le délai accordé par le juge des référés ne saurait se substituer à celui dont l’observation est imputée à la libre volonté du bailleur; qu’il s’en suit que la rupture du contrat est abusive.
Attendu par ailleurs que la Chambre de commerce argue que les lieux loués étaient destinés à l’exploitation de fruits et légumes, alors que DIA Harouna les avait exploités pour la conservation de poissons et fruits de mer; qu’à l’analyse des pièces produites au dossier, il ressort notamment de l’avis de monsieur OUEDRAOGO Aimé de la Chambre de commerce que la défenderesse n’ignorait pas la transformation de la chambre froide positive en chambre froide négative; qu’elle est donc mal venue à invoquer l’utilisation non conforme des lieux pour expliquer la rupture du contrat.
Attendu enfin que l’indemnité d’éviction est due non seulement en cas de refus de renouvellement du bail commercial, mais aussi dans tous les cas où le commerçant locataire aura été évincé; qu’en l’espèce, il est versé au dossier une lettre de la défenderesse attribuant aux bouchers du marché central la location des mêmes locaux; que ladite lettre est datée du 10 juillet 2000, date même de la signification à DIA Harouna de la résiliation de son contrat.
Attendu que de tout ce qui précède il s’en suit que l’indemnité d’éviction est due, qu’il convient d’en déterminer le montant.
II DU MONTANT DE L’INDEMNITE D’EVICTION
Attendu qu’au sens de l’article 94 de l’Acte uniforme OHADA portant sur le droit commercial général, le montant de l’indemnité d’éviction est fixé de commun accord par les parties et à défaut de cet accord par la juridiction compétente en tenant compte du chiffre d’affaire, des investissements réalisés par le preneur et de la situation géographique du local; qu’en l’espèce, il ne fait aucun doute que DIA Harouna et la Chambre de commerce ne s’accordent pas sur le principe même de l’indemnisation; qu’il revient donc à la juridiction de céans de fixer le montant de l’indemnité.
Attendu que dans ses écritures, DIA Harouna évalue son préjudice à 620°000°000 F; que par deux fois, le Tribunal avait ordonné une expertise à l’effet d’évaluer le préjudice réellement subi.
Attendu que les deux rapports déposés, il ressort dans le premier que le préjudice peut être évalué à 385.634.668 F, et dans le second à 67.400°000 F augmenté du préjudice moral dont le calcul est laissé à l’appréciation du juge.
Attendu que le rôle de l’expert est de guider le juge dans sa prise de décision sans que ses conclusions ne lui soient imposées; qu’en l’espèce, au regard du chiffre d’affaire moyen ressorti par les deux expertises et des investissements réalisés par DIA Harouna, notamment la transformation de la chambre froide positive en chambre froide négative et au vu de la situation géographique du local (Marché Central de Ouagadougou); l’évaluation du préjudice réel doit en outre tenir compte de la résiliation soudaine du bail commercial de DIA Harouna par la Chambre de commerce.
Attendu que la résiliation soudaine du bail commercial de DIA Harouna par la Chambre de commerce a immanquablement eu pour effet la diminution de son chiffre d’affaire; que pourtant ce chiffre d’affaire, au regard de la situation géographique du local loué était en évolution exponentielle; qu’à ce préjudice il échet d’ajouter celui relatif aux frais de déménagement et d’arrêt momentané des activités; Que l’évaluation faite par le deuxième expert, soit 67.400°000 francs, s’est appuyée sur la méthode de calcul basé sur le chiffre d’affaire réel relevé dans les documents de l’entreprise et des données fournies par la Direction générale des Impôts; Qu’à l’analyse, elle correspond à une juste réparation du dommage matériel subi par le demandeur.
Attendu par ailleurs que la rupture du contrat a également causé un préjudice moral à DIA Harouna notamment la baisse de sa popularité et le ternissement de son image; Qu’en effet, le sieur DIA a été presque agressé et mis manu militari à la porte; que cette forme d’expulsion crée assurément un préjudice moral certain; qu’il y a lieu de fixer à 25.000°000 F le montant de ce chef de préjudice; Qu’ainsi la somme totale de 92.4000°000 francs correspondant à la réparation du préjudice subi par DIA Harouna; Que les frais des investissements réalisés n’étant pas justifiées il échet de les écarter.
Que la moitié du chiffre d’affaire demandée par DIA Harouna ne saurait lui être allouée du fait que le bénéfice annuel d’une activité commerciale n’est pas égal à la moitié de son chiffre d’affaire.
Attendu enfin que DIA Harouna demande, sur le fondement de l’article 06 nouveau de la loi portant organisation judiciaire au Burkina que la Chambre de commerce soit condamnée à lui payer la somme de 12 500°000 F au titre des frais d’avocats; que toute prétention doit être étayée de pièces justificatives; qu’en l’espèce, DIA Harouna ne produit au dossier aucun élément permettant d’apprécier ce chef de demande; qu’il convient de l’en débouter.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort.
En la forme, déclare l’action introduite par DIA Harouna recevable,.
Au fond, la déclare bien fondée. Condamne par conséquent la Chambre de commerce, d’industrie et d’artisanat du Burkina (CCIA/B) à payer à DIA Harouna la somme de quatre vingt douze millions quatre cent mille francs (92.400°000 F) à titre d’indemnité d’éviction.
Déboute DIA Harouna du surplus de sa demande.
Condamne la CCIA/B aux dépens.