J-08-15
OBLIGATIONS – ACTION EN PAIEMENT DE CRÉANCE – PAIEMENT – EXECUTION PARTIELLE – PREUVE DU PAIEMENT PAR RECUS ET PRESTATION DE SERMENT – CONFLIT DE PREUVES – PREFERENCE DONNEE A LA PRESTATION DE SERMENT.
DIFFERENCE ENTRE LES SOMMES RECONNUES PAYEES – DIFFERNECE ALLOUEE AU CREANCIER A TITRE DE DOMMAGES-INTERETS.
IMMEUBLE DONNE EN GARANTIE – VENTE DE L’IMMEUBLE ORDONNEE – NON RESPECT DES DISPOSITIONS DU CODE DE PROCEDURE CIVILE RELATIVES A LA VENTE FORCEE – ANNULATION DE LA VENTE FORCEE.
En présence de reçus par lesquels le créancier reconnaît avoir reçu en paiement une somme supérieure à celle établie par un procès verbal de prestation de serment ultérieur, il convient de donner acte aux parties de cette prestation de serment et condamner les débiteurs à payer la somme supérieure, la différence devant être considérée comme des dommages-intérêts accordés au créancier pour le préjudice consécutif au retard dans le paiement de la dette.
C’est à tort que le premier juge reconnaît la validité de la vente forcée de l’immeuble donné en garantie au créancier, celui-ci n’ayant pas respecté les formalités des articles 244, 246, 252 et 255 du code de procédure civile tchadien.
COUR D’APPEL DE N’DJAMÉNA, CHAMBRE CIVILE, Arrêt n 125 du 08 mars 2002 A.I, S.D contre S.K.
LACOUR
Après en avoir délibéré conformément à la loi.
EN LA FORME :
Par déclarations faites au greffe du tribunal de première instance de NDjaména, les 19/6/98 et 18/7/98, Maîtres Bahdjé et Abdoulaye Bahr, avocats au Barreau du Tchad, respectivement conseils de Ad et de S.D, interjettent appels du jugement n 168/98 rendu le 23/4/98 entre leurs clients en son dispositif ainsi conçu « Déclare S.K recevable et fondé en son action;condamne solidairement A.I et S.D à payer à S.K la somme de 15.706 000 francs à titre de créances et 7.852 250 francs à titre de dommages et intérêts;ordonne paiement par provision à hauteur de 8 000 000 francs nonobstant les voies de recours;déboute S.K du surplus de sa demande;déclare recevable la requête incidente formulée par AI, mais dit qu’en substance, elle est mal fondée;l’en déboute;le condamne à l’entier dépens ».
Considérant que par conclusions versées en réplique le 23/10/98, Maître Amady Nathé, conseil de S.K fait appel incident;que ces appels sont intervenus dans les forme et délai prescrits aux articles 193 et suivants du ode de procédure civile;qu’il y a lieu de les déclarer recevables;à l’audience de mise en délibéré du 01/3/02 prorogé au 8/3/02, chacune des parties était régulièrement représentée;qu’il convient de statuer contradictoirement.
AU FOND :
Par conclusions versées en cause d’appel le 4/9/98 sous la plume de son conseil, le sieur AI expose à l’appui de son appel que le nommé G.K leur a accordé avec son ami S.D un prêt de 20 000 000 francs remboursable dans un délai de 60 jours avec un intérêt de 4.500 000 francs;qu’à l’expiration dudit délai, ils avaient effectivement honoré leurs obligations mais il leur restait logiquement une somme de 2 000 000 francs à devoir;que le sieur S.K, militaire de son état et usant de son autorité a arraché une reconnaissance de dette de 29.720 000 francs ramenée à la suite à 25.720 000 francs grâce à l’intervention du sieur T.S qui n’avait manqué de relever le caractère illégal de l’acte de S.K;que le premier juge les a condamnés aux motifs que l’acte de reconnaissance, fondement de la procédure est bien établi au nom de S.K et que la question de non recevoir intervenue en plein débat au fond perd sa portée de question préjudicielle;que l’action en paiement de la créance et des dommages et intérêts est bien fondée et que lui S.K n’a jamais fait allusion à cette action en annulation intentée par son conseil.
Qu’en somme, cette fragile construction juridique du premier juge n’est pas fondée;qu’en réalité, les deux chèques d’un montant global de 20 000 000 francs dont copies sont versées au dossier, attestent irréfutablement que c’est bien G.K qui leur a accordé ce prêt, par conséquent c’est lui qui a qualité pour agir et non S.K;qu’au regard de l’article 29 du Code de procédure civile « toute partie peut présenter elle-même sa cause et soutenir en personne la défense de ses intérêts;elle peut aussi se faire représenter »l’article 33 du même Code dit que « le choix du mandataire est libre, il devra justifier de son mandat soit par acte sous seing privé, soit par déclaration verbale de la partie comparaissant avec lui devant le juge ».
Qu’en l’espèce, le sieur S.K n’a jamais eu à justifier de son mandat depuis la procédure d’instance et qu’aucune pièce n’est versée au dossier pour prouver que G.K l’a mandaté pour attraire devant le tribunal;que la Cour ne peut que déclarer la requête irrecevable pour défaut de qualité;aussi, il ne nie pas entrer en relation avec G.K mais soutient cependant avoir déjà remboursé une grande partie des 24.500 000 francs qui leur étaient dus;qu’il a versé en espèce 8 000 000 francs à S.K et 14.500 000 francs à G.K soit un montant global de 22.500 000 francs;qu’il lui reste en définitif 2 000 000 francs à devoir par conséquent, c’est à tort que le premier juge dont la partialité ne fait aucun doute, a rejeté sa demande en annulation quand bien nième que son immeuble n 13, îlot 1, section 4 a été attribué à G.K au mépris des textes régissant la saisie conservatoire et la vente aux enchères publiques notamment les articles 263, 292, 295, 299, 300, 307 et 313 du Gode de procédure civile;qu’il demande à la Cour d’infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions, de déclarer recevable et fondée son action, annuler en conséquence la vente aux enchères publiques de son immeuble n 13 îlot 1, section 4, et lui donner acte de sa disposition à payer les 2 000 000 francs restants.
Considérant que par conclusions du 12/8/99 versées à l’audience du 13/8/99, le sieur S.D expose sous la plume de son conseil avoir de vieilles connaissances avec A.I;qu’ils sont des associés et pour le besoin de leurs activités commerciales, ils ont eu à contracter plusieurs dettes avec différents créanciers parmi lesquels il y a S.K à qui, ils doivent 25.720 000 francs;que pour éponger leurs dettes chez tous les créanciers, ils ont signé entre eux en se répartissant les dettes à rembourser;que lui S.D s’occupait de la créance de Sougouma Ali qui est de 19.700 000 francs et au remboursement de 3.500 000 francs valeur de la décortiqueuse perdue;que suivant leur convention, c’est A.I qui doit payer la créance de 25.720 000 francs à S.K;qu’il s’est ainsi acquitté de ses obligations comme convenus par conséquent, c’est a tort que le premier juge l’a incriminé de surcroît a son insu;que logiquement, seule une décision par défaut devrait intervenir à son égard niais le premier juge a péché par inadvertance sur le sacro saint des dispositions légales relatives aux débats contradictoires;aussi, il est injuste que S.K qui a accepté le principe du paiement et qui a eu à saisir un immeuble de A.I à concurrence des sommes à devoir se retourne une fois de plus contre lui alors que depuis la convention signée librement et d’accord parties, il s’est juridiquement désengagé;qu’en conséquence, les conventions légalement faites tiennent lieu de loi entre les parties comme l’a si bien disposé l’article 1134 du Code civil;qu’il demande à la Cour d’infirmer purement et simplement le jugement querellé en ce qu’il l’a condamné solidairement avec A.I et de le mettre hors de cause.
Considérant que par répliques du 12/10/98, S.K conclut sous la plume de son conseil, demander à la Cour d’infirmer le premier jugement en ce qu’il a condamné A.I et S.D à lui payer des dommages et intérêts en plus de’ la créance principale mais de le réformer sur le montant en lui allouant 58 893.970 francs pour tous préjudices confondus.
Que la question de qualité par eux soulevée est un faux problème dans la mesure où G.K et lui sont de même père et de même mère;qu’avec l’autorisation du juge, l’un peut valablement représenter l’autre et surtout que A.I et S.D ont déjà effectué un certain paiement libératoire dans ses mains;aussi, l’argument tiré de son statut de militaire n’est qu’une divagation car, la reconnaissance de dettes a été instrumentée par acte authentique du greffier en chef notaire;qu’il en va de même pour la nullité de la vente aux enchères publiques de l’immeuble 13, îlot 1, section 4;que les motivations du premier juge sont claires, bien approfondies et basées sur les termes de l’article 1134 du Code civil;les formalités entourant la vente de l’immeuble deviennent secondaires dans l’exécution des obligations réciproques incombant aux parties;qu’il a ainsi subi de préjudices énormes qui méritent réparations a hauteur de 58 893.970 francs.
Sur ce, la Cour est sollicitée à se prononcer sur la qualité de S.K, sur la créance, sur l’annulation de la vente aux enchères publiques et sur la condamnation solidaire de AI et S.D.
Considérant que A.I demande avec insistance à la Cour de déclarer irrecevable la requête introduite par S.K pour défaut de qualité;qu’il se fonde à cet effet sur les dispositions des articles 29 et 33 du Code de procédure civile.
Mais considérant qu’au regard des pièces versées au dossier, il ressort clairement que non seulement A.I et S.D avaient à travers l’acte de reconnaissance de dette, accepté de régler le problème avec S.K mais mieux encore, ils ont eux-mêmes couvert cette nullité, s’il y en a, en acceptant de rembourser une partie de la créance dans les mains de S.K;qu’il y a lieu d’écarter des débats cet argument ou moyen de défense.
SUR LA CRÉANCE :
Considérant que S.K a réclamé et obtenu du tribunal de première instance, la condamnation des sieurs A.I et S.D à lui devoir à titre de reliquat de sa créance, la somme de 15.705 000 francs;que A.I conteste énergiquement ce montant en soutenant être redevable seulement de 2 000 000 francs à titre de reliquat;qu’au soutien de sa dénégation, il précise par une lettre d’éclaircissement du 18/01/98 avoir déjà remboursé successivement à S.K 7 millions en espèce ensuite 1 000 000 francs en espèce et un chèque BIAT de 10 millions;qu’il a également donné en espèce une somme de 4.500 000 francs à son frère G.K;que le tout fait 22.500 000 francs, par conséquent, il n’est redevable que de 2 000 000 francs seulement;qu’il n’entend pas payer plus que ça à moins que G.K et S.K jurent sur le coran pour prouver la véracité de leur réclamation.
Mais considérant qu’il ressort de l’acte de reconnaissance de dette que le montant de la créance est incontestablement de 25.720 000 francs;qu’il ressort des décharges signées le 25/3/95 que S.K a perçu 10 000 000 francs en annulation du chèque BIAT N09875544 à lui laissé par ses débiteurs A.I et S.D;qu’il a perçu également 1 000 000 francs suivant décharge du 2 1/6/96;qu’il reconnaît en outre avoir reçu également 7.495.250 francs de ses débiteurs;qu’il reconnaît avoir enfin 2 000 000 francs de l’huissier pour le compte de A.I et S.D;qu’en somme, il a perçu 20.495.250 francs;que déduction faite, il resterait logiquement à lui devoir la somme de 5.224.750 francs.
Mais considérant que suivant le procès-verbal de prestation de serment signé le 17/01/01 verse au dossier, serment déféré par A.I, S.K a prêté serment pour dire qu’il a reçu 18 015 000 francs et qu’il reste en conséquence 7 705 000 francs à récupérer chez A.l et SD;qu’il échet de donner acte aux parties de cette prestation de serment;que de ce qui précède, il résulte que AI et S.D auront a verser en plus de 20.495.250 francs constatés par décharge et aveux, les 7 705 000 francs reliquat prouvé par le serment;ce qui donnera un total de 28.200.250 francs soit un trop perçu de 2.480.250 francs qu’il y a lieu d’accorder comme dommages et intérêts à S.K;qu’en conséquence, il convient de dire que le premier juge n’a pas bien apprécié les faits et appliqué le droit sur ce point.
SUR L’ANNULATION DE LA VENTE :
Considérant que suivant le procès-verbal de vente aux enchères publiques n0777/NOT/NDJ/96, l’immeuble sis au quartier Klémat section 4, îlot 1, lot 13 d’une superficie de 1250 mn2 appartenant à A.I a été adjugé au sieur G.K au prix de 10 015 000 francs.
Que A.I. a demandé en vain l’annulation de cette vente devant le premier juge qui l’estime valable aux motifs qu’elle n’est qu’une formalité pour parvenir à l’exécution des termes de l’obligation qui lie les parties dans l’acte de reconnaissance de dette.
Que suivant l’article 1134 du Code civil « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites;elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi les autorise;elles doivent être exécutées de bonne foi ».
Que A.I n’a jamais fait allusion à l’action en annulation intentée pour lui par le canal de son conseil;qu’il y a lieu de déduire qu’en cherchant à obtenir l’annulation de la vente, la plume des conseils menace de révoquer la volonté des parties de façon unilatérale en violation de l’article 1134 du Code civil qu’il convient d’écarter cette action étrangère à la volonté des parties afin de laisser prévaloir le principe de l’effet des obligations.
Mais considérant que le point 4 du même acte de reconnaissance dit explicitement que les débiteurs mettent en garantie de paiement de la somme de 25.720 000 francs à la date du 3 1/12/95 le terrain sis à la cuvette Klemat N 3, îlot 1, section 4 à N’Djamena d’une valeur de 52 000 000 francs;que le point 5 précise qu’en « cas d’inexécution à la date du 3 1/5/95, Monsieur S.K pourra faire saisir la propriété sus-indiquée et la vendre judiciairement aux fins de se faire désintéresser à concurrence de 25.720 000 francs;qu’en cas de conflit, le tribunal de N’Djaména est compétent ».
Considérant qu’à l’analyse de ces points, il ne fait pas de doute que ledit terrain dont la valeur reconnue par les parties sur leur acte de reconnaissance se chiffre à 52 000 000 francs est mise simplement en garantie de paiement pour être vendu judiciairement en cas d’inexécution.
Qu’une saisie ou vente judiciaire obéit à une procédure bien établie et ne saurait être une simple formalité comme l’a dit le premier juge;que même s’il en était ainsi, une formalité obéit toujours à une logique qu’il faut suivre sous peine de nullité au regard des articles 263, 292, 299, 300, 307 et 313 du Code de procédure civile cités par l’appelant.
Que l’article 293 du même Code dispose à cet effet que « ne pourront faire l’objet d’une adjudication que les immeubles immatriculés.. la procédure de saisie peut être entamée dès le dépôt de la réquisition d’immatriculation;la vente ne pourra intervenir qu après l’immatriculation ».
Que l’article 294 renchérit que « toutes autres constructions ne pourront être saisies et vendues que suivant la procédure de saisie-exécution »;qu’en l’espèce, il y a lieu de considérer que la saisie ou vente appropriée est celle liée à la procédure de saisie exécution.
Que les articles 244, 246, 252, 255 du Code de procédure précitée disent en substance que toute saisie-exécution ne peut être procédée si l’on ne peut attendre de la vente des objets saisis, un produit supérieur au montant des frais d’exécution forcée.
Que le procès-verbal doit contenir l’indication du jour de la vente qui aura lieu 8 jours au moins après saisie;copie de ce procès-verbal est notifiée au débiteur saisi;la vente est faite sur le prochain marché public ou en la salle des ventes ou au lieu de la saisie ou sur autorisation de saisie en tout autre lieu plus avantageux;elle est annoncée par tous les moyens appropriés sur la presse, s’il y en a, par la voie radiophonique, si besoin est par crieur public et en tout cas, par l’apposition d’affiches au plus proche marché à la porte de la salle d’audience, au lieu où sont les effets et à celui où la vente doit avoir lieu;les affiches indiquent le lieu, les jour et heure de la vente et la nature des objets sans délais particuliers;l’apposition est constatée par le certificat de l’agent de l’exécution accompagnée d’une copie d’affiche.
Or, en ce cas d’espèce toutes ces formalités n’ont pas été observées;aussi, le terrain litigieux devrait être vendu pour le paiement des 25.720 000 francs;qu’il a été adjugé au créancier 10 015 000 francs au mépris de 52 000 000 francs reconnus par les parties sur acte de reconnaissance versé au dossier;que dans tous les cas, la procédure de vente n’étant pas respectée, c’est à tort que le premier juge l’a déclarée valable;qu’il échet à présent d’infirmer le jugement sur ce point.
SUR LA CONDAMNATION SOLIDAIRE :
Considérant que AI et S.D sont condamnés solidairement par le premier juge;que S.D conteste cela et demande à la Cour d’appel de le mettre hors de cause aux motifs qu’il a totalement honoré ses obligations vis-à-vis de leurs créanciers communs conformément à la convention qui les lie;à l’appui de sa prétention S.D verse au dossier la convention alléguée et une attestation dite de « règlement définitif de créance » selon laquelle, il a payé à S.A et N.A une somme de 24.700 000 francs valeur de 5 citernes de gas-oil.
Mais considérant qu’il est un principe général du droit que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites »;qu’en l’espèce, ladite convention ne lie que A.I et S.D;qu’elle ne saurait engager S.K qui n’est pas partie qu’en revanche, l’acte de reconnaissance de dette signé de S.D, A.I et S.K, reste valable et produit ses pleins et entiers effets à l’égard de tout un chacun d’eux jusqu’au paiement intégral de la somme a devoir que S.D ne peut se soustraire de cette obligation;qu’en conséquence, c’est à bon droit que le premier juge l’ait condamné solidairement avec A.I.
Considérant toutefois que lorsque le jugement ne statue pas entièrement en faveur de l’une des parties, les frais peuvent être mis pour une quote-part à la charge de chacune d’elles;qu’en l’espèce, les appelants ayant succombé en ce qu’ils sont condamnés au paiement de la créance restante et S.K en ce que la vente opérée à son profit est annulée, il convient de condamner chacune des parties aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement matière civile et en dernier ressort.
EN LA FORME :
Déclare recevables les appels principal de A.I et S.D et incident de S.K.
AU FOND :
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Donne acte à S.K et G.K de leur serment.
Condamne solidairement A.I et S.D au paiement de 7 705 000 francs pour tous préjudices confondus.
Annule la vente aux enchères intervenue le 5/3/96, objet du PV 777/NOT/NDJ/96.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Condamne les deux parties aux dépens par moitié.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur le Président.
Avocats : Bahdjé;Mahamat Hassan Abakar, Padaré;Philippe;Amady Nathé;Abdoulaye Bahr.
Président : Wadana Paul.
Juges Djimtoloum Data;Djédouboum Ngardiguimbaye.
COMMENTAIRE DE L’ARRÊT N 125/02 DU 08 MARS 2002. A.I. S.D contre S.K par Djimadoum Michel, Assistant de droit privé – Université de N’Djamena
La pratique des affaires dans notre milieu est teintée d’amateurisme et le plus souvent empreinte d’une légèreté qui laisse pantois les professionnels du droit. Elle se caractérise par une confiance mutuelle aveugle des cocontractants qui, généralement, ne prennent pas la peine de matérialiser les actes qu’ils posent lors de leurs transactions. Ce qui génère parfois un contentieux difficile à régler du fait de l’absence de preuve y afférent. L’arrêt sur lequel nous nous penchons est assez révélateur de cette situation.
Il résulte des faits de la cause que pour le besoin de leurs activités commerciales, les sieurs A.I et SD empruntent chez GK une somme de 20 millions de nos francs remboursables dans un délai de 2 mois avec un intérêt de 4,5 millions de francs.
A la date butoir pour le remboursement, la dette n’avait pu être liquidée dans son intégralité. Le créancier, par l’intermédiaire de son frère SK, militaire de son état, réussit a arracher une reconnaissance de dette des codébiteurs à hauteur de 25.750 000 francs qu’il va faire valoir devant les instances judiciaires.
Condamnés solidairement par le tribunal, ces derniers vont faire appel en relevant entre autres griefs le défaut de qualité de l’appelant (SK). et l’inexactitude de la quotité du solde de la dette. Ils demandent par conséquent à la juridiction d’appel d’infirmer ce jugement en ce qu’il les condamne solidairement au paiement de la dette et de déclarer nulle la vente aux enchères de l’immeuble affecté à la garantie du paiement pour non respect des formalités prescrites à cet effet.
Sur ce dernier point, le premier juge a estimé que les formalités deviennent secondaires quant il s’agit de l’exécution de la volonté des parties conformément à l’esprit des dispositions de l’article 1134 du code civil. Y faisant suite, le juge d’appel va statuer point par point sur les griefs relevés contre la décision initiale.
Ainsi, se fondant sur l’acte de reconnaissance, il va écarter l’argument tiré du défaut de qualité car celui-là mentionnait comme interlocuteur S.K. Puis, le juge confirme la condamnation solidaire des débiteurs. Cependant, il infirmera le premier jugement sur 2 aspects, à savoir la quotité de la dette et la vente aux enchères de l’immeuble placé en garantie de la créance.
Si l’arrêt de la Cour paraît logique sur certains aspects (solidarité des débiteurs et annulation de la vente), ses fondements (acte de reconnaissance de dette et preuve de l’obligation du débiteur). sont sujets à caution. Aussi nous paraît-il nécessaire de démontrer dans un premier temps les failles d’un tel jugement avant d’analyser les conséquences qui en résultent.
I. UN JUGEMENT INIQUE DANS SES FONDEMENTS
Les bases essentielles du jugement de la Cour sont l’acte de reconnaissance de dette versé par le représentant du créancier au dossier, et le serment qui a été déféré à celui-ci. Or comme nous allons le constater, la validité de ces deux éléments de preuve est tout à fait discutable.
A. Le caractère non valable de l’acte de reconnaissance de la dette
L’acte de reconnaissance de dette, bien qu’unilatéral, ne produit pas moins des effets identiques à celui d’un contrat, surtout lorsque ces effets sont susceptibles de créer des droits au profit des personnes tierces à son auteur.
Pour qu’un tel acte puisse produire des effets valables, il devrait par conséquent être fait sans vices, c ‘est-a-dire émaner d’une volonté saine ou libre.
L’article 1111 du code civil dispose que « la violence exercée contre celui qui a contracté l’obligation est une cause de nullité, encore qu’elle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite ».
Par conséquent, tout acte ou contrat suspecté d’être fait dans des conditions de violence, que celle-ci soit physique ou morale, réelle ou supposé, devrait préalablement faire l’objet d’une attention particulière du juge.
Dans le cas d’espèce;cette situation relevée avec insistance par les défendeurs a été occultée aussi bien par le juge d’instance que celui d’appel.
Pourtant, les faits relevés par les codébiteurs militaient en faveur d’un examen approfondi des circonstances et des conditions dans lesquelles l’acte de reconnaissance a été établi.
En effet, il ressort des déclarations des codébiteurs, qui citent un témoin à l’appui, que la quotité de la dette a été fixée par le mandataire du créancier et. Revue à la baisse après une intervention de T.S (le fameux témoin). Le bon sens aurait voulu qu’au delà de la lettre de l’acte, le juge puisse interroger ledit témoin afin de s’assurer du caractère libre et consensuel de la volonté des débiteurs. Or, il ne ressort nulle part du dispositif du jugement une préoccupation du juge dans ce sens.
D’ailleurs, plusieurs faisceaux d’indices confortaient l’hypothèse de la non validité de l’acte de reconnaissance de dette.
Il y a en effet dans un premier temps les déclarations contradictoires sur le montant réel de la créance (25.750 000 francs pour le créancier et 24.500 000 francs pour le débiteur).
Ensuite, l’identité du créancier sur l’acte de reconnaissance de dette interpelle. En effet, celui-ci désigne comme créancier S.K alors que les photocopies des chèques consignant le montant de la dette et l’identité du prêteur font ressortir que c’est plutôt G.K qui est le créancier.
Même si le premier est le mandataire du second, sa qualité devrait toujours ressortir des actes qu’il pose pour le compte de son mandant.
Enfin, plus évident est le montant de 20 millions qui ressort des photocopies des chèques.
Dans un contexte où la culture de la violence est de mise et où il n’est pas rare de voir les militaires faire valoir leur titre et leur qualité pour s’arroger des droits ou se faite justice, des allégations de contrainte morale de l’auteur de l’acte devraient faire l’objet de vérifications préalables.
Le fait d’avoir payé une partie de la dette entre les mains du mandataire ne couvre pas le vice résultant de la violence comme l’affirme la Cour dans le dispositif du jugement, mais relève bien du registre de la violence sus-relevée.
Dans une espèce similaire, la Cour de cassation française a affirmé que « bien qu’une reconnaissance de dette souscrite sous l’empire de la violence ait été exécutée par quatre versements successifs, cette circonstance ne saurait faire disparaître le vice dont l’engagement était affecté dès lors que les juges du fond constatent que le souscripteur n’avait acquiescé au règlement de la dette (Civ h,30/06/1954 JCP 1954, Il, 8325 note Y).
Lorsqu’on sait que l’essentiel de la motivation des juges aussi bien en instance qu’en appel se fonde sur ledit acte de reconnaissance, il va sans dire que celui-ci est absolument inique.
Cette irrégularité ne se limite pas seulement à la validité de l’acte, mais elle est aussi constatée dans l’administration du serment à l’intimé (S.K).
B. Un vice dans l’administration du serment
Quoique considéré par le droit positif comme étant un mode de preuve, le serment n’est le plus souvent utilisé qu’en l’absence d’autres modes de preuve. Si l’on y fait référence qu’à défaut de mieux, c’est qu’il a une force probante relative. C’est ce qui ressort de l’interprétation des dispositions de l’article 1360 du Code civil. Cependant lorsqu’il est déféré à une partie a la demande de l’autre, il fait foi contre celui qui le défère et celui qui, y consent est supposé innocent.
La délicatesse de ce mode de preuve a conduit le législateur à préciser les modalités de son application.
Ainsi, l’article 1359 du Code civil dispose que « il ne peut être déféré que sur un fait personnel à la partie à laquelle on le défère ». L’article 131 alinéa i du Code pénal tchadien nous éclaire davantage en disposant que « le serment ne peut être prêté que par la partie en personne ». C’est à ce niveau qu’apparaît l’erreur de la Cour d’appel dans cette affaire.
En effet, le serment a été déféré au mandataire du créancier, en l’occurrence S.K. Or le mandataire, lorsqu’il exécute son mandat dans les termes convenus, créé des droits et des obligations à l’encontre du mandant. Les dispositions de l’article 1998 du Code civil énoncent d’ailleurs à juste titre que « le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné ». Rapprocher l’esprit de ces dernières dispositions de celles de l’article 131 du Code pénal permet-il de déduire que celui-ci pouvait faire un serment valable? A priori on serait tenté de le croire car dans une espèce similaire, la Cour de cassation française a affirmé qu’ « une personne ne saurait être appelée à prêter le serment décisoire que si elle est partie au procès et si une décision est susceptible d’être rendue contre elle » (sc.10/01/1974, JCP 1974, IV, 68). En effet, le mandataire peut être considéré comme étant partie au procès dans la mesure ou c’est lui qui se tient à la barre et parle au nom du mandant.
Au delà de cette analyse, il faut avoir à l’esprit que même si le mandataire dirige la procédure au nom et pour le compte du mandant et doit de ce fait rendre compte, les effets de la décision du juge ne lui sont pas applicables. C’est pourquoi il faudrait plutôt considérer le mandant comme celui qui est véritablement concerné.
Ainsi, les juges dans cette affaire ont péché en admettant le serment déféré au mandataire (S.K). en lieu et place du créancier (G.K). Ce qui s’analyse en une violation des dispositions de l’article 131 du Code pénal suscité.
De plus, dans les faits tels qu’ils nous ont été rapportés, les paiements successifs faits par les codébiteurs l’ont été alternativement entre les mains tantôt du créancier, tantôt de son mandataire. Dans ce cas de figure, il aurait été plus équitable de déférer le serment à chacun d’eux car on peut très bien imaginer que le mandataire ait pu dissimuler quelques paiements, ou bien même que le créancier lui-même n’ait pas fait état à son mandataire du paiement effectué directement entre ses mains. A ce niveau, dire que la décision du juge a été peu réfléchie ne serait pas du tout exagérée.
II. MAIS LOGIQUE SUR CERTAINS DE SES ASPECTS
Il serait inéquitable de clouer au pilori les juges sans pour autant relever les aspects légalistes de leur décision. Ceux-ci sont relatifs d’une part à la condamnation solidaire des débiteurs et d’autre part à l’annulation de la vente de l’immeuble affecté à la garantie du paiement de la dette.
A. Une logique de condamnation des codébiteurs
La notion de solidarité est le plus souvent de mise lorsque deux ou plusieurs individus engagent conjointement leurs responsabilités envers un autre. Du point de vue juridique, la notion de solidarité est lourde de conséquences car elle peut faire peser l’entière responsabilité sur l’un des codébiteurs en ce sens que le titulaire de la créance peut s’adresser à l’un deux uniquement pour l’exécution de l’obligation. Les codébiteurs demeurent tous liés tant que la dette subsiste. C’est pourquoi le législateur a défini de manière très claire les cas où la notion de solidarité est retenue. Ainsi l’article 1202 du Code civil dispose en substance que la solidarité ne se présume pas.
Les dispositions susmentionnées reçoivent toutefois dans leur application une exception notable : en matière commerciale, la solidarité se présume entre codébiteurs tenus d’une même dette (Paris 03/10/1991, D.1991 IR. P.259).
Dans le cas d’espèce, A.I et S.D ont effectivement contracté une dette commune à l’égard du créancier.
Ceci est un fait réel puisque matérialisé à travers l’acte de reconnaissance de la dette qui, quoique nul, peut néanmoins servir de commencement de preuve par écrit.
De plus, comme nous l’avons relevé, la dette contractée l’ayant été dans le cadre des activités commerciales, le juge peut valablement la présumer. D’ailleurs S.D qui réfute la condamnation solidaire ne nie pas le fait que la dette ait été contractée conjointement. Il évoque à l’appui de sa défense un fait nouveau qui n’engage que lui et son codébiteur.
En effet, ceux-ci, outre la dette qui fait l’objet de cette procédure judiciaire, avaient d’autres dettes communes envers d’autres créanciers. Que par souci d’organisation dans le remboursement desdites dettes, ils se sont répartis les charges par convention. S.D ayant honoré sa part d’obligation en vertu de cette convention, estime que cette action le libère vis-à-vis de G.K.
Mais s’il est vrai que suivant les termes de l’article 1134 du Code civil, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites », la relativité de celles-ci ne fait pas de doute. En clair, cette convention de répartition de dettes entre les codébiteurs est étrangère à celle dont l’exécution fait en ce moment problème. C’est une convention qui est différente de la première et ne peut avoir de répercussion sur cette dernière. Qu’en tout état de cause, on ne peut reprocher au juge d’avoir réaffirmé le principe de la relativité des conventions.
C’est donc à bon droit que celui-ci a maintenu la condamnation solidaire des codébiteurs. L’autre aspect positif du jugement est celui qui est relatif à l’annulation de la vente aux enchères de l’immeuble saisi.
B. Une annulation réfléchie de la vente
Bien qu’étant soumis au principe du consensualisme, la vente d’immeuble n’est valable que lorsque certaines formalités prescrites par la loi sont respectées. Ces formalités ont un caractère substantiel et la volonté des parties seules ne suffit pas à réaliser la vente.
Il en est de même de la vente consécutive a une saisie immobilière où le législateur impose une démarche à respecter sous peine de nullité.
Dans le cas d’espèce, les codébiteurs avaient affecté en garantie du paiement de la dette de 25.720 000 francs, un immeuble évalué à 52 millions de francs. Le créancier avait donc demandé la saisie de l’immeuble qui fut adjugé plus tard au créancier au prix de 10 015 000 francs. Cette vente fut validée par le tribunal d’instance en se fondant sur le fait que ladite vente « n’est qu’une formalité pour parvenir à l’exécution des termes de l’obligation qui lie les parties ».
L’article 246 alinéa 2 du même Code dispose que « la saisie doit être limitée à ce qui est nécessaire pour désintéresser le créancier et couvrir les frais de l’exécution ». C’est une logique qui découle du bon sens et de l’équité. Or dans le cas d’espèce, l’immeuble a été saisi pour un solde de dette d’environ 6 millions alors que sa valeur est de 52 millions, pour être en définitive adjugé à 10 millions. Dans le cas d’espèce, les intérêts du débiteur ont été purement et simplement sacrifiés. Chercher à dire le droit en créant parallèlement une injustice caractérisée relève de l’absurdité.
Dans la vente d’immeuble en général et particulièrement dans la vente judiciaire d’immeuble, les formalités de publicité sont une formalité substantielle car elles rendent opposable la vente vis-à-vis des tiers. L’intervention massive du législateur dans la procédure de la vente d’immeuble relève le caractère particulier de l’immeuble dans la nomenclature des biens. Il en fait par ailleurs une vente beaucoup plus légale que conventionnelle. Dans ce contexte, prétendre comme l’ont fait les premiers juges, que « la vente n’est qu’une formalité pour parvenir à l’exécution des termes de l’obligation » relève de la méconnaissance pure et simple des dispositions légales sus évoquées.
C’est donc à juste titre que le juge d’appel a relevé le caractère impératif de la saisie ou vente judiciaire en des termes on ne peut plus clairs : « elles obéissent à une procédure bien établie et ne saurait être une simple formalité;que même s’il en est ainsi, une formalité obéit toujours à une logique qu’il faut suivre sous peine de nullité ».
A ce niveau, le juge d’instance avait péché sur plusieurs aspects :
Ne peuvent faire l’objet d’une saisie immobilière que les immeubles immatriculés (article 293 du Code de procédure civile), ceux n’ayant pas fait l’objet d’une telle procédure ne peuvent être atteintes que par une saisie-exécution (article 294 du Code de procédure civile). Or, il ne résulte nulle part des dispositions de l’arrêt une certitude à ce sujet à propos de l’immeuble saisi. Le juge a donc substitué la procédure adéquate (saisie exécution). à une autre inappropriée.