J-08-17
PROCEDURES COLLECTIVES – REGLEMENT PREVENTIF – ACTION EN PAIEMENT DE CREANCES – ENTREPRISE COMMERCIALE – ENTREPRISE EN DIFFICULTE – REGLEMENT PREVENTIF (OUI) – CONDITIONS – DIFFICULTES FINANCIERES ET ECONOMIQUES.
Poursuivie par ses créanciers pour le remboursement de leurs dus, une entreprise commerciale en difficultés financières a sollicité par une requête du tribunal l’ouverture d’une procédure de règlement préventif. Le tribunal a fait droit à cette demande.
Tribunal de Bamako, Ordonnance N 886 DU 26/11/04, STA Mali, demande de règlement préventif, note Sobdibé Zoua, avocat.
Nous, Fatoma Thera, Président du Tribunal de commerce de Bamako
Vu la requête de la STA Mali SA aux fins d’ouverture de règlement préventif, les arguments y développés, les pièces à l’appui.
Vu les dispositions des articles 5, 6, 7, 8 et Suivants de l’Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif.
Ordonnons la suspension de toutes poursuites individuelles et collectives contre la STA Mali SA tendant à obtenir le paiement des créations désignées par cette dernière et nées antérieurement à la présente décision.
Disons que cette suspension de poursuite concerne aussi bien les voies d’exécution que les mesures conservatoires.
Disons en outre que la présente ordonnance sera publiée conformément aux dispositions des articles 36 et 37 de l’Acte uniforme susvisé.
Désignons Monsieur Marné Sacko.
Expert agréé pour faire un rapport sur la situation économique et financière de la STA Mali SA et les perspectives de son redressement.
Disons que l’expert déposera dans un délai de 2 mois son rapport en doubles exemplaires, contenant le concordat préventif proposé par la débitrice ou conclu entre elle et ses créanciers.
I. COMMENTAIRE DE L’ORDONNANCE W886 DU 26/11/04 DU TRIBUNAL DE BAMAKO
1). Contexte
La STA Mali, Compagnie de transport de droit malien, prétextant de réelles difficultés économiques sans être en état de cessation des paiements dépose le 25 novembre 2004 devant le TGI de Bamako, une requête en règlement préventif, appuyant sa démarche par les dispositions de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du Passif (AUPOPCAP). La requête a été enregistrée le 25 nov. 2004 au Greffe du Tribunal de Bamako. Le 26 novembre, le Président de cette juridiction rend une ordonnance portant suspension des poursuites individuelles et collectives au préjudice de nombreux créanciers dont SOMAFI (Bamako), SAFCA (Abidjan). et SOCOFIN (Pointe-Noire).
Les créanciers SOMAFI, SAFCA et SOCOFIN ayant fort heureusement appris l’existence de cette ordonnance s’interrogent sur les voies de recours ouvertes aussi bien par I’AUPOPCAP que par le Code malien de procédure.
Il. Commentaires
L’ordonnance du Tribunal de Bamako pose de manière générale, la question des mesures de renflouement (en Droit des Entreprises en difficultés). appelant l’intervention judiciaire d’une part.
Et, dans l’élan de protection des droits des créanciers les voies éventuelles de recours contre des décisions rendues en catimini et en violation flagrante du Droit unifié d’autre part.
A. Le règlement préventif
Aux termes des dispositions des articles 2, 5, 6, 7, 8 et suivants de I’AUPOPCAP, toute société éprouvant des difficultés financières non passagères mais en même temps, n’étant pas en cessation des paiements peut saisir la juridiction compétente d’une requête en règlement préventif.
Le règlement préventif est donc cette procédure destinée à éviter la cessation des paiements de l’entreprise en difficulté et à permettre l’apurement du passif au moyen d’un concordat préventif.
Pour qu’une requête en règlement préventif soit, en la forme recevable, 1’AUPOPCAP prévoit le dépôt, en même temps que la requête de :
– l’extrait d’immatriculation au RCCM.
– l’état financier de synthèse.
– l’état chiffré des créances et des dettes.
– l’état détaillé de l’actif et du passif.
– l’inventaire des biens du débiteur.
– le nombre des travailleurs.
– le montant des salaires et charges.
– le montant du chiffre d’affaire et de bénéfices des 3 dernières années.
– le nom et l’adresse des représentants du personnel (cf art. 6).
L’intérêt est ici pour le débiteur et pour le juge respectivement d’apporter toute justification aux difficultés alléguées et le convenir du caractère passager de celles-ci. Bien entendu, cela se passe aussi et surtout par les chiffres.
Comment un débiteur peut-il convaincre le juge de difficultés financières passagères s’il n’est rapporté à l’appui de sa requête un état financier de synthèse ou encore s’il n’est versé au dossier un plan de paiement des dettes du/des créancier(s). ? Inversement, le juge ne s’exposerait-il pas à examiner une requête en règlement préventif purement dilatoire et de pure malice ?.
Ces questions, me semble-t-il, sont le véritable enjeu procédural de ce dossier car, en effet :
De. l’absence des documents cités à l’article 6
– le Président;du Tribunal de Bamako a prononcé, nonobstant les exigences légales prescrites, la suspension des poursuites individuelles « et collectives » des créanciers vis-à-vis de STA Mali. Les conditions devant sous-tendre cette ordonnance du juge malien, vraisemblablement ne sont pas réunies sauf à prouver (mais à quel stade de la procédure ?). que :
STA Mali est en situation financière difficile, « irrémédiablement compromise » sans être en cessation des paiements.
l’économie nationale ou régionale en prend un sérieux coup.
l’intérêt des créanciers est sauvegardé en l’espèce.
A ce niveau, l’ordonnance rendue est fortement critiquable tant ces conditions n’ont attiré la moindre attention du juge. Pas même d’ailleurs que les raisons qui 1’empêchent de ne tenir compte de l’énumération faite à l’article 6. En application de cet article qui exige du juge de dire, au cas où les documents n’auraient pas été produits, et dans sa décision les motifs d’empêchement, l’ordonnance parait doublement critiquable.
De. l’absence d’un concordat préventif (Art. 7)
Le concordat préventif qui est un plan de redressement au moyen d’une proposition de paiement échelonné est à déposer en même temps que la requête en règlement préventif, sinon au plus tard dans le mois qui suit le dépôt de la requête.
Dans le dossier STA Mali les mesures de sauvegarde n’existent pas. Et c’est une cause d’irrecevabilité de la requête.
B. Les voies de recours
Dans ce dossier, sans qu’il n’ait été offert aux créanciers de se présenter à l’audience et de faire valoir leurs arguments de défense. Doit-on envisager une décision ayant été rendue, de relever appel, de faire opposition ou tierce opposition ?.
Le recours contre une décision de suspension de poursuites
S’agissant d’une procédure essentiellement OHADA, le premier réflexe serait de regarder ce qui est prévu dans l’AUPOPCAP notamment le IIIème chapitre.
Aux termes des dispositions de l’article 22 de l’AUPOPCAP « la décision de suspension de poursuites individuelles prévue par l’article 8 ci-dessus n’est susceptible d’aucune voie de recours ».
L’on comprend qu’à travers cette rédaction, le législateur OHADA ait voulu limiter les voies de recours pour accélérer le sauvetage de l’entreprise en difficultés. Mais de là à ne prévoir aucune voie de recours alors que dans le règlement préventif, le débiteur n’est pas toujours de bonne foi laisse penser à une omission très dommageable.
Sous cette forme de rédaction, les effets de la suspension des poursuites individuelles semblent être amoindris. En réalité, dès le prononcé de la suspension, les créanciers visés dans la requête ne peuvent plus attraire en paiement le débiteur.
C’est là un effet majeur quand, pour justifier le règlement préventif il a été rappelé la sauvegarde des intérêts des créanciers : pour qu’ils soient payés, il faudrait que l’entreprise tourne. Et pour que celle-ci tourne, ils devraient se garder de réclamer paiement des créances.
Il est, à ce moment difficile de concilier la célérité voulue par le législateur OHADA, laquelle participe du sauvetage de l’entreprise en difficulté, et la poursuite d’activités assise sur des moyens peu sérieux et lésant les créanciers.
Le recours contre une décision de la juridiction compétente relative au règlement préventif
Aux termes de l’article 23 de I’AUPOPCAP « les décisions de la juridiction compétente relatives au règlement préventif sont exécutoires par provision et ne peuvent être attaquées que par la voie de l’appel qui doit être interjeté dans le délai de quinze (15). jours à compter de leur prononce ».
La décision ordonnant suspension des poursuites individuelles, on l’a dit, est provisoire parce qu’elle doit être suivie dans les deux (2). mois ou dans les trois (3). en cas de prorogation du mandat de l’expert désigné.
Dans cette affaire, le concordat n’a pas accompagné la requête en règlement préventif. L’expert désigné n’a pas effectué, à cette date, la moindre expertise et le 26 février 2005, son mandat normal et/ou prorogé prend légalement fin.
C’est dire qu’en l’espèce, SOMAH et Cies, à la lecture des dispositions visées n’ont pas de recours approprié en Droit unifié.
Le recours au droit national (Code malien de procédure)
De droit et de jurisprudence établis toute personne n’ayant pas été appelée à l’instance, présente aux débats est étrangère au procès. Autrement dit, cette personne est tierce à la procédure.
Évidemment, il importe lorsqu’il est allégué du contraire de rapporter la preuve de ce que cette personne été appelée à l’instance et mise, de ce fait dans la possibilité de conclure, de plaider et, en général de se défendre.
Le juge malien a été saisi dune requête et les créanciers visés dans celle-ci n’ont aucun représentant de sorte à pouvoir intervenir, sur convocation du débiteur demandeur dans la procédure. Dans ces conditions, le recours possible reste celui autorisé par le droit national suivant qu’il s’agisse de la juridiction compétente (généralement celle du fond). ou de la juridiction du Président (référé).
En droit français de la procédure (qui a fortement inspiré les États francophones d’Afrique), « est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque » (Art. 583 du NCPC).
Le Code malien de procédure dispose en son article 604 que « la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer le jugement au profit du tiers qui l’attaque ». Et à l’article 605 « la tierce opposition sera formée par requête et sera portée à la juridiction qui a rendu la décision attaquée ou qui est saisie de la contestation ».
Or, une ordonnance rendue par la juridiction présidentielle si elle est susceptible de rétractation par la même juridiction semble se distinguer d’un jugement à la lecture de l’Acte uniforme rendu par la juridiction du fond.
De cette distinction apparaît la voie de recours idoine qui n’est, a priori, pas la tierce opposition.
Le recours souhaitable
Mieux qu’une requête en tierce opposition, la requête en rétractation offre le privilège de préserver la nuance ordonnance, jugement parce que le premier recours paraît approprié à une décision émanant de la collégialité ou encore de la « juridiction compétente ».
Il est en effet plus aisé et plus commode de demander à la « juridiction du Président » la rétractation d’une ordonnance prise par lui que de faire tierce opposition.
A bien y regarder, ce recours n’est pas possible puisqu’un jugement n’émane que de la juridiction du fond.
Cette requête en rétractation peut être introduite selon les règles ordinaires d’une introduction d’instance avec cette précision qu’elle est adressée à la juridiction du Président statuant en référé.
Elle pourrait s’intituler « Requête aux fins de rétractation d’une ordonnance de suspension de poursuites individuelles ».
Dans le règlement préventif, il doit être fixé des garde-fous supplémentaires de sorte à éviter que de procédures sécrètes mettent en péril le recouvrement de la créance des créanciers. La cessation des paiements n’est pas loin lorsque les délais fixés ne sont pas respectés et lorsque la requête est opaque et d’une opacité à rendre aveugle le juge en charge de la procédure.
On pourrait considérer par exemple que le débiteur qui, sans raisons ne produit les documents visés à l’article 6 ou à l’article 7 ne traverse que de difficultés passagères. Et donc de ne pas accorder la suspension des poursuites et le règlement préventif.
Le juge pourrait tout aussi décider que l’expert désigné, s’il n’accomplit pas sa mission dans le délai, fait de la société débitrice, une société en état de cessation des paiements. Une autre raison pour ne pas accorder le règlement préventif.