J-08-19
UEMOA – ACTE ADDITIONNEL – NATURE JURIDIQUE – ACTES ADDITIONNELS A PORTEE GENERALE OU INDIVIDUELLE.
ACTES ADDITIONNELS SUSCEPTIBLES DU CONTROLE DE LAGALITE PAR LA COUR DE JUSTICE DE L’UEMOA (OUI).
ACTE ADDITIONNEL DE REVOCATION D’UN COMMISSAIRE – VIOLATION DES ARTICLES 16, 27, 28 ET 30 DU TRAITE UEMOA – ILLEGALITE DE L’ACTE ADDITIONNEL – NULLITE (OUI).
L’Acte additionnel est particulier au seul droit communautaire de l’UEMOA. Même s’il s’impose aux organes de l’Union, il ne peut modifier le Traité qu’il complète et auquel il doit être conforme.
Bien que le Traité de l’UEMOA ne le fasse pas, il faut distinguer deux sortes d’Actes additionnels : les Actes additionnels à portée générale ou réglementaire (statuts de la Commission, textes relatifs aux politiques sectorielles…). et les Actes additionnels individuels (nomination des membres de la Cour de Justice ou des Commissaires…).
Le recours en contrôle de légalité est ouvert contre tout acte d’un organe de l’Union faisant grief au requérant, ces actes devant être conformes au Traité. Il n’est donc pas possible de limiter le recours prévu par l’article 15-2 du Règlement de procédure de la Cour de justice aux seules catégories d’actes visées par lui. Il en résulte que la légalité d’un Acte additionnel peut être appréciée par la Cour de Justice de l’UEMOA.
L’Acte additionnel de révocation d’un Commissaire de l’UEMOA pris par la Conférence des Chefs d’Etat en violation des articles 16, 27, 28 et 30 du Traité de l’UEMOA doit être déclaré nul pour violation de la loi.
Cour de Justice de l’UEMOA, Arrêt n 032005 du 27 avril 2005, Eugène Yaï c/ Commission de l’UEMOA, Penant n 859, note Togba ZOGBELEMOU, Professeur à l’Université de Conakry-Sonfonia, Avocat au barreau de Guinée.
LA COUR
Rend le présent arrêt.
I. EXPOSÉ DES FAITS
Les faits de la cause, tels qu’exposés par le requérant et non contestés par les défenderesses, se présentent ainsi qu’il suit :
Par requête en date du 22 novembre 2004, enregistrée au greffe de la Cour de justice de l’UEMOA le même jour sous le numéro 03/04, M. Eugène Yaï, commissaire à. la Commission de l’UEMOA, de nationalité ivoirienne, demeurant à Ouagadougou, a, par l’organe de son conseil, Maître Issouf Baadbio, avocat à la Cour de Ouagadougou, Burkina Faso, introduit un recours en appréciation de la légalité de l’acte additionnel n 06-04, pris par le président en exercice de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’UEMOA.
Le requérant déclare que le vendredi 19 novembre 2004, en début d’après-midi, il lui a été signifié, par pli confidentiel, un acte additionnel n 06/04 portant nomination de M. Jérôme Bro Grebe en qualité de membre de la Commission de l’UEMOA en remplacement de Monsieur Eugène Yaï.
Il faut observer que l’acte additionnel daté du 15 novembre 2004 est signé par M. Mamadou Tandja, Président de la République du Niger, en qualité de président de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’UEMOA qui, aux termes des articles 17, 18 et 19 du traité du 10 janvier 1994, ne détient aucun pouvoir propre.
Pour M. Yaï, la dernière Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement (avant la prise de l’acte additionnel attaqué). est un sommet convoqué de manière extraordinaire à Niamey pour faire le point sur la démonétisation, et l’ordre du jour de cette conférence ne comportait nullement le renouvellement des membres de la Commission de l’UEMOA à titre individuel ou collectif.
M. Yaï ajoute que son mandat est en cours d’exécution, qu’il n’a jamais démissionné, qu’aucune procédure n’a été engagée devant la Cour de justice pour obtenir sa révocation.
Il estime dès lors que la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement ne peut pourvoir à son remplacement et qu’en l’espèce, l’acte additionnel constitue une révocation pure et simple et une vole de fait doublement caractérisée.
Il sollicite l’annulation de l’acte additionnel n 06/04 pour violation des articles 18, 19, 27 et 30 du traité.
Le recours a été signifié aux défenderesses le 25 novembre 2004 par lettres du greffier de la Cour.
Par lettre en date du 29 novembre 2004. le président de la Commission de l’UEMOA a informé la Cour de la désignation de son agent en la personne de M. Eugène Kpota, conseiller juridique de la Commission. Par une autre lettre en date du 29 novembre 2004, Me Harouna Sawadogo informa la Cour de sa constitution pour la défense des intérêts des défenderesses.
Sur rapport du juge rapporteur, le premier avocat général entendu, la Cour a décidé d’ouvrir la procédure orale sans mesures d’instruction préalables.
II. CONCLUSIONS DES PARTIES
Le requérant conclut à ce qu’il plaise à la Cour :
EN LA FORME :
Se déclarer compétente.
Recevoir M. Eugène Yaï en son action.
AU FOND :
Écarter la note relative au comportement de M. Eugène Yaï, produire par les défenderesses, en ce qu’elle est non signée de son auteur et ne peut être analysée autrement qu’en un tract.
Dire et juger l’action de M. Eugène Yaï bien-fondée, en conséquence annuler l’acte additionnel n 06/2004.
Au principal pour défaut de pouvoir du président de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement.
Subsidiairement pour défaut de pouvoir de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement.
Très subsidiairement : pour violation des articles 27, 28 et 30 du Traité de l’UEMOA.
Condamner les défenderesses aux entiers dépens.
Les défenderesses concluent à ce qu’il plaise à la Cour.
Au principal et en la forme :
S’entendre In limine litis déclarer la Cour de justice de l’UEMOA incompétente pour apprécier la légalité de l’acte additionnel n 06/04 du 15 novembre 2004 portant nomination de M. Jérôme Bro Grebe en qualité de membre de la Commission de l’UEMOA.
Subsidiairement au fond :
S’entendre déclarer le recours en appréciation de la légalité mal fondé.
En conséquence :
Débouter M. Eugène Yaï de toutes ses prétentions, fins et moyens.
S’entendre le condamner aux entiers dépens.
III. MOYENS ET ARGUMENTS DES PARTIES
1) Sur la compétence de la Cour de justice de l’UEMOA
A). Moyens et arguments des défenderesses
Par mémoire en défense en date du 24 novembre 2004, les défenderesses font observer que le recours en appréciation de légalité contre l’acte additionnel échappe à la compétence de la Cour de céans dès lors qu’il s’impose à elle au sens de l’article 19 du Traité. L’acte additionnel s’analyse comme un acte relevant du pouvoir discrétionnaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union.
Selon les défenderesses, l’acte additionnel s’impose à la Cour de céans aux termes de l’article 19 du Traité de l’UEMOA qui dispose que le respect des actes additionnels s’impose aux organes de l’Union ainsi qu’aux autorités des Etats membres.
Toujours pour les défenderesses, la Cour ne saurait apprécier la légalité d’un acte qui a autorité sur elle, sans courir le risque de violer le Traité de l’UEMOA.
Elles affirment en outre que l’acte additionnel relève du pouvoir discrétionnaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, et qu’il est exclu du domaine des actes soumis au recours en appréciation de légalité.
Elles précisent que les actes attaquables devant la juridiction de céans sont "les règlements, les directives et décisions d’un organe de l’Union", et que selon l’ancien juge de la Cour de justice de l’UEMOA, Mouliamadou Moctar Mbacke, dans son ouvrage sur la Cour de justice de l’UEMOA, « il est remarquable que les actes additionnels de la Conférence ne sont pas Inclus dans les actes attaquables ».
Les défenderesses estiment enfin que si la Cour veille au respect du droit quant à l’interprétation et à l’appréciation du Traité de l’Union, c’est sous la réserve qu’elle ne soit amenée elle-même à violer le Traité de l’UEMOA.
B). Moyens et arguments du requérant
M. Eugène Yaï, qui conclut à la compétence de la Cour de justice, fait observer que cette dernière est chargée d’appliquer les règles de droit lorsqu’un litige est porté devant sa juridiction.
Il soutient que c’est la substance de l’article 9 du Traité de l’UEMOA qui dispose que, « lorsqu’elle est saisie d’un recours en appréciation de légalité, la Cour de justice prononce la nullité totale ou partielle des actes entachés de vices de forme, d’incompétence, de détournement de pouvoir, de violation du Traité de l’Union ou des actes pris en application de celui-ci ».
Il ajoute que tout acte non conforme au Traité est susceptible d’être annulé ou déclaré invalide et qu’affirmer avec force que les actes additionnels s’imposent aux organes de l’Union, donc à la Cour, ne confère aucune immunité juridictionnelle à ces actes.
Selon M. Eugène Yaï, les affirmations selon lesquelles les actes additionnels relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement et qu’ils ont un régime similaire à celui des actes de Gouvernement, sont totalement erronées. La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a une règle de conduite à tenir, dictée par l’article 19 du Traité, à savoir celle de ne pas modifier le Traité. Cette restriction du Traité exclut toute idée de pouvoir discrétionnaire.
M. Eugène Yaï précise par ailleurs qu’il n’existe aucun texte de l’UEMOA disposant sur l’incompétence de la Cour. Pour M. Yaï, le texte le plus important définissant la compétence de la Cour de justice est le protocole additionnel n 1 relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA;ce texte fait partie intégrante du Traité.
Aux termes de l’article premier dudit protocole additionnel « la Cour de justice veille au respect du droit quant à l’interprétation et à l’application du Traité de l’Union ».
M. Eugène Yaï estime que cette disposition suffit à justifier la compétence de la Cour dès lors qu’il s’agit de vérifier la légalité d’un texte au regard du Traité de l’UEMOA.
Toujours selon M. Eugène Yai, l’article 8 alinéa 2 du protocole additionnel n 1 dispose que « le recours en appréciation de légalité est ouvert, en outre, à toute personne physique ou morale contre tout acte d’un organe de l’Union lui faisant grief ».
M. Eugène Yaï ajoute que tant sur les textes définissant la compétence de la Cour que sur le fondement de l’article 19 du Traité, l’acte additionnel ne peut échapper à la juridiction de la Cour de justice.
Ensuite, il se pose la question de savoir qui devrait vérifier la conformité de l’acte additionnel au Traité.
Pour M. Eugène Yaï, la réponse s’impose d’elle-même c’est le gardien de l’interprétation et de l’application du Traité, lequel, aux termes de l’article premier du protocole additionnel n 1 est la Cour de justice.
M. Eugène Yaï fait remarquer que s’agissant de l’acte attaqué, il y a lieu de constater qu’il s’agit d’un acte individuel, l’acte individuel s’opposant à l’acte réglementaire.
Il estime qu’il est de principe général commun à tous les Etats de l’UEMOA que tout acte individuel faisant grief peut être déféré à la censure des juridictions administratives. C’est lerecours pour excès de pouvoir.
II précise qu’en vertu de ce principe, tout acte d’un organe faisant grief à une personne peut être déféré à la Cour de justice de l’UEMOA.
M. Eugène Yaï estime que de droit et pour le droit, la Cour de justice est compétente pour connaître et annuler l’acte additionnel n 06/2004 pour les motifs de droit subséquents.
2) Sur le fond
A). Moyens et arguments du requérant
M. Eugène Yaï sollicite d’abord de la Cour d’écarter purement et simplement la note relative à son comportement, document non signé.
Ensuite, à titre principal, il fait observer que l’acte attaqué est signé de M. Mamadou Tandja, Président de la République du Niger « Pour la Conférence des Chefs d’Etat ».
Il soutient qu’aux termes de l’article 19 du Traité de l’UEMOA, les actes additionnels sont pris par la Conférence des Chefs d’Etat. Il en déduit que le président de la Conférence des Chefs d’Etat ne détient donc pas le pouvoir de prendre un acte additionnel.
Il ajoute qu’il ne constitue pas du seul fait de son existence et de sa qualité de membre de la Commission un péril en la demeure justifiant sa révocation dans des conditions hautement contestables tant du point de vue de la forme que du fond.
Il précise que sa révocation manque de base légale et l’acte qui la constate est entaché d’une nullité absolue.
Pour M. Eugène Yaï, il appartient aux défenderesses de justifier d’une délibération des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’UEMOA pour l’adoption de l’acte additionnel n 06.2004.
Il ajoute, avant de solliciter l’annulation de l’acte additionnel pour défaut de pouvoir de son auteur, que ce dernier, ni à titre personnel, ni à titre de président de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, n’a reçu compétence pour l’édition d’un acte additionnel.
Par ailleurs, il fait remarquer que la Conférence des Chefs d’Etat ne détient pas de pouvoir à l’effet de révoquer un commissaire de l’UEMOA.
Selon, M. Eugène Yaï, aux termes de l’article 27 alinéa 2 du Traité, « le mandat des membres de la Commission est de quatre années renouvelable, les membres de la Commission sont irrévocables, sauf en cas de faute lourde ou d’incapacité. ».
Toujours selon le requérant, le terme normal de son mandat n’est pas atteint. il déclare eu outre qu’il n’est pas démissionnaire, ni incapable et ne fait l’objet d’aucune procédure disciplinaire basée sur une faute lourde, que l’acte additionnel n 06/2004 n’est ni plus ni moins qu’un acte de révocation.
Il se dit surpris de découvrir dans le mémoire des défenderesses le grief d’incapacité professionnelle qui résulterait de son comportement. Il affirme que dans cette hypothèse, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement n’a aucune qualité pour le révoquer, cette attribution appartenant, en vertu de l’article 30 du Traité, à la Cour de justice, saisie par le Conseil des ministres.
Il estime que la Conférence des Chefs d’Etat a outrepassé ses pouvoirs en révoquant un commissaire, et que son pays d’origine ne peut valablement demander sa révocation sans violer les articles 27, 28 et 30 du Traité.
Il sollicite en conséquence de constater et de déclarer nul et nul d’effet l’acte additionnel n 06.2004 du 15 novembre 2004 portant sa révocation de ses fonctions de commissaire de l’UEMOA.
B). Moyens et arguments des défenderesses
Dans leur mémoire en défense en date du 24 décembre 2004, les défenderesses, qui concluent au rejet des prétentions du requérant, font en outre remarquer que l’acte additionnel attaqué a été adopté dans le strict respect du Traité de l’UEMOA.
Elles déclarent que contrairement aux allégations du requérant, il n’est pas nécessaire que se tienne une session formelle de la Conférence pour l’adoption d’un acte additionnel et pour que celui-ci soit signé par l’ensemble des Chefs d’Etat et de Gouvernement.
Elles soutiennent que les dispositions des articles 27 et 30 du Traité prévoient en réalité deux motifs de révocation fondés l’un sur la faute lourde, l’autre sur l’incapacité.
Elles affirment que, dans le silence de l’article 30 du Traité, l’incapacité doit s’analyser comme un motif de révocation laissé à l’appréciation de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement.
Elles estiment qu’en l’espèce, M. Yaï s’est trouvé dans une situation d’incapacité professionnelle.
Cette incapacité est attestée par la note jointe en annexe ainsi que les pièces qui l’accompagnent.
Elles précisent qu’il est avéré que, par son comportement, M. Yaï entrave le bon fonctionnement de la Commission. Il manque de sens des responsabilités et d’esprit d’équipe et possède une maîtrise insuffisante de ses dossiers en entretenant des rapports difficiles avec ses collaborateurs.
Toujours selon les défenderesses, il était indispensable que la Conférence des Chefs d’Etat qui l’a désigné puisse mettre fin à son mandat pour permettre un fonctionnement normal de la Commission.
Elles estiment qu’en l’espèce, la Conférence a entériné une proposition de révocation des autorités politiques du pays d’origine de M. Yaï comme, par ailleurs, elle l’avait fait lors de sa nomination respectant ainsi le principe du parallélisme des formes.
Elles sollicitent enfin le débouté de M. Yaï de toutes ses demandes, moyens et prétentions.
Par mémoire en réponse en date du 10 mars 2005, le requérant reprend les moyens déjà développés dans son mémoire en réplique du 24 janvier 2005.
IV. MOTIFS DE L’ARRET
1) En la forme
A). Sur la compétence de la Cour de justice
Les défenderesses font observer que le recours en appréciation de légalité contre l’acte additionnel échappe à la compétence de la Cour de céans dès lors qu’il s’impose à elle au sens de l’article 19 du Traité de l’UEMOA qui dispose que le respect des actes additionnels s’impose aux organes de l’Union ainsi qu’aux autorités des Etats membres.
Elles ajoutent que l’acte additionnel est exclu du domaine des actes soumis au recours en appréciation de légalité.
Le requérant soutient par contre que tout acte non conforme au Traité est susceptible d’être annulé ou déclaré invalide. Il précise que l’acte attaqué est un acte individuel s’opposant à l’acte réglementaire.
D’abord, il y a lieu de rappeler que M. Eugène Yaï avait saisi la Cour d’une requête aux fins de sursis à exécution à la suite du recours en annulation de l’acte additionnel n 06/2004 du 15 novembre 2004.
– le Président;de la Cour de céans avait fait remarquer dans l’ordonnance n 12 en date du 3 décembre 2004, portant sursis à exécution de l’acte additionnel n 06/2004, que « la Cour de justice veille au respect du droit quant à l’interprétation et à l’application du Traité de l’Union.
A ce titre, la Cour de justice, organe de contrôle juridictionnel, a pour mission fondamentale de veiller à la conformité avec le Traité de l’UEMOA des actes communautaires qui lui sont déférés. ».
– le Président;de la Cour s’était donc déclaré compétent pour connaître de la demande de sursis à exécution de l’acte additionnel n 06/2004 du 15 novembre 2004.
Ce rappel étant fait, il y a lieu de se poser les questions de savoir, d’une part, quelle est la nature juridique de l’acte additionnel et, d’autre part, si ledit acte fait ou non partie de la catégorie des actes attaquables.
Appréciant la nature juridique de l’acte additionnel, il convient de noter que seul le droit communautaire de l’UEMOA connaît cette dénomination d’acte additionnel.
Autrement dit, c’est un acte communautaire spécifique au droit communautaire de l’UEMOA pris par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement en vue de compléter le Traité sans toutefois le modifier.
Il s’impose aux organes de l’Union. Toutefois, il convient de souligner qu’en exigeant de l’acte additionnel de ne pas modifier le Traité qu’il complète, le législateur communautaire a entendu le soumettre à la conformité de celui-ci.
Par ailleurs, le respect dû à l’acte additionnel tant par les organes que par les autorités des Etats membres ne le dispense pas de la conformité au Traité, acte fondamental de l’Union.
Enfin, l’article 6 du Traité, qui proclame la primauté du droit communautaire sur toute législation nationale, exige que « les actes arrêtés par les organes de l’Union, pour la réalisation des objectifs du Traité, le soient conformément aux règles et procédures instituées par celui-ci ».
S’agissant de l’acte additionnel attaqué, c’est un acte à portée individuelle. Il s’agit de l’acte de nomination de M. Jérôme Bro Grebe en qualité de commissaire. L’article 3 dudit acte précise que toutes dispositions antérieures contraires, notamment celles de l’acte additionnel n 01/2003 en date du 29 janvier 2003, relatives à M. Eugène Yaï, sont abrogées.
Pour la Cour de céans, il s’agit donc de distinguer deux catégories d’actes additionnels.
Les actes additionnels individuels à portée générale ou réglementaire (statuts de la Coin-, textes relatifs aux politiques sectorielles par exemple..).
Les actes additionnels individuels (nomination des membres de la Cour de justice ou des commissaires..).
Par ailleurs, aux termes du second alinéa de l’article 8 du protocole additionnel n 1 relatif aux organes de contrôle, « le recours en appréciation de légalité est ouvert, en outre, à toute personne physique ou morale, contre tout acte d’un organe de l’Union lui faisant grief ».
Il résulte également de l’article 15-2e du règlement de procédures de la Cour de justice que « ce recours en appréciation de légalité est ouvert à toute personne physique ou morale contre tout acte d’un organe de l’Union faisant grief ».
Le recours en annulation tend à assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du Traité. Il serait contraire à cet objectif d’interpréter restrictivement les conditions de recevabilité du recours en limitant sa portée aux seules catégories visées par l’article 15-2e du règlement de procédures de la Cour de justice.
LA COUR a l’obligation d’assurer le respect de la légalité communautaire ainsi qu’il résulte de l’article l” du protocole additionnel n 1.
« La Cour veille au respect du droit quant à l’interprétation et à l’application du Traité de l’Union. ».
Il y a donc lieu d’affirmer, au regard de ces dispositions tant du protocole additionnel n 1 que du règlement des procédures, que la légalité de l’acte additionnel en question peut être contrôlée par le juge communautaire.
La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement est un organe de l’Union. Les actes additionnels à portée individuelle de la Conférence qui font grief sont attaquables devant la Cour de justice de l’UEMOA.
Il est de doctrine et de jurisprudence constantes que « le recours en annulation peut être dirigé de manière générale contre tous les actes ayant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci, quelle que soit leur dénomination ».
Il faut dans tous les cas une atteinte particulière à la situation juridique personnelle du requérant.
En l’espèce, il est évident que la nomination de M. Jérôme Bro Grebe est de nature à porter grief à M. Eugène Yaï et qu’il a eu pour conséquence sa révocation.
En tout état de cause, la compétence de la Cour en matière de contrôle de légalité ne saurait se limiter aux seuls actes cités par le protocole additionnel n 1 et par le règlement des procédures.
Enfin, il résulte de l’ensemble de ces considérations que la Cour de justice est compétente pour apprécier la légalité de l’acte additionnel n 06/2004 du 15 novembre 2004.
B). Sur la recevabilité du recours
Pour ce qui est de la recevabilité du recours, il y a lieu de relever tout d’abord :
que la requête a été présentée conformément aux prescriptions de l’article 26 du règlement de procédures.
que le requérant s’est acquitté de l’obligation de cautionnement fixé par l’ordonnance n 11/2004 du 20 novembre 2004.
En ce qui concerne ensuite le délai, le recours a été enregistré au greffe de la Cour le 22 novembre 2004;il se trouve largement dans le délai prescrit par l’article 8 alinéa 3 du protocole additionnel n 1 relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA.
Au regard de ce qui précède, le recours du requérant tel qu’introduit doit être déclaré recevable en la forme.
2) Au fond
A). Sur la note relative au comportement de M. Yaï
M. Eugène Yaï sollicite d’abord de la Cour d’écarter la note relative à son comportement, document non signé.
Les défenderesses qui résistent à cette demande font remarquer qu’en l’espèce, le requérant s’est trouvé dans une situation d’incapacité professionnelle attestée par la note jointe en annexe.
Il convient de faire remarquer qu’en l’état actuel de la procédure, M. Yaï n’est pas traduit devant la Cour de justice suite à une demande du Conseil des ministres, pour sanctionner la méconnaissance des devoirs liés à l’exerce des fonctions de membre de la Commission.
En cet état, il y a lieu de faire droit à sa demande en écartant la note relative à son comportement.
B). Sur le pouvoir de l’auteur de l’acte attaqué
Le requérant soutient que l’acte additionnel attaqué est signé de M. Mamadou Tandja, Président de la République du Niger, « Pour la Conférence des Chefs d’Etat », alors que l’organe compétent était la Conférence elle-même.
Il résulte de l’acte les mentions qui suivent :
« Pour la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement le Président Mamadou Tandja. ».
Il résulte également de l’acte attaqué que c’est la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’UEMOA qui en est l’auteur et non son président.
Au regard de ces observations, le moyen soulevé manque de pertinence et doit être rejeté.
C). Sur le défaut de pouvoir de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement et la violation des articles 16, 27, 28 et 30 du Traité
Le requérant soutient d’abord que la Conférence des Chefs d’Etat ne détient pas de pouvoir à l’effet de révoquer un commissaire de l’UEMOA. Il ajoute qu’aux termes de l’article 27 alinéa 2 du Traité, « le mandat des membres de la Commission est de quatre aunées renouvelable. Durant leur mandat, les membres de la Commission sont irrévocables, sauf en cas de faute lourde ou d’incapacité ».
Il précise que le terme normal de son mandat n’étant pas atteint, l’acte additionnel n’est ni plus ni moins qu’un acte de révocation.
Les défenderesses, qui concluent au rejet des prétentions du requérant, font observer que l’acte additionnel attaqué a été adopté dans le strict respect du Traité de l’UEMOA.
Elles estiment qu’en l’espèce, M. Yaï s’est trouvé dans une situation d’incapacité professionnelle attestée par la note jointe en annexe.
Selon les défenderesses, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a entériné une proposition de révocation des autorités politiques du pays d’origine de M. Eugène Yaï comme, par ailleurs, elle l’avait fait lors de sa nomination respectant ainsi le parallélisme des formes.
Sur ce moyen, il convient de noter qu’il ne résulte d’aucun texte de l’UEMOA que la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement détient le pouvoir de révoquer un commissaire.
Il s’y ajoute qu’aux termes des dispositions de l’article 16 du Traité, les organes de l’Union « agissent dans la limite des attributions qui leur sont conférées par le Traité de l’UEMOA et le présent Traité de l’UEMOA et dans les conditions prévues par ces Traités ».
Eu égard à ces dispositions, il y a lieu d’affirmer que l’acte additionnel attaqué n’est pas conforme au droit du Traité.
Ensuite, le requérant fait observer que les défenderesses déclarent formellement l’avoir révoqué à la demande de l’Etat ivoirien.
Il soutient qu’en tant que commissaire de l’UEMOA, il est, aux termes de l’article 28 du Traité, indépendant de son pays d’origine.
Il estime que les Etats membres, y compris son pays d’origine, sont tenus de respecter son indépendance et que son pays d’origine ne peut valablement demander sa révocation avant la fin de son mandat.
En effet, il résulte des termes du premier considérant de l’acte attaqué que, par lettre datée du 28 octobre 2004, la Côte d’Ivoire a proposé la nomination de M. Jérôme Bro Grebe en qualité de membre de la Commission de l’UEMOA en remplacement de M. Eugène Yaï.
Or, aux termes des dispositions de l’article 27 alinéa 2 du Traité, « durant leur mandat, les membres de la Commission sont irrévocables sauf en cas de faute lourde ou d’incapacité ».
L’article 30 dispose que « la révocation est prononcée par la Cour de justice à la demande du Conseil, pour sanctionner la méconnaissance des devoirs liés à l’exercice des fonctions de membre de la Commission ».
En l’espèce, le mandat de M. Eugène Yaï n’est pas encore arrivé à son terme, il n’a pas démissionné.
En l’état actuel de la procédure, ni le Conseil, ni la Cour de céans n’ont été saisis pour se prononcer sur la révocation de M. Yaï.
En tout état de cause, M. Yaï ne peut être révoqué ni par les autorités de son pays d’origine, ni par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement.
En conséquence, il y a lieu de dire que l’acte additionnel attaqué ne respecte pas les dispositions du Traité et qu’il doit être annulé pour violation de la loi.
V. SUR LES DÉPENS
Il ressort des dispositions de l’article 60 du règlement de procédures de la Cour que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens.
Toutefois, aux termes de l’article 61 dudit règlement, dans les litiges entre l’Union et ses agents, les frais exposés par les organes de l’Union restent à la charge de ceux-ci, sans préjudice des dispositions de l’alinéa 5 de l’article 60 du règlement précité.
Les défenderesses ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu, en application des dispositions ci-dessus, de les condamner aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement en matière de droit communautaire :
EN LA FORME :
Se déclare compétente pour apprécier la légalité de l’acte additionnel n 06/2004 du 15 novembre 2004.
Déclare l’action de M. Eugène Yaï recevable.
Sur le fond :
Écarte des débats la note non signée sur le comportement de M. Eugène Yaï.
Dit que l’acte additionnel n 06/2004 du 15 novembre 2004 portant nomination de M. Jérôme Bro Grebe a été pris en violation des articles 16, 27, 28 et 39 du Traité de l’UEMOA.
En conséquence le déclare nul et de nul effet.
Condamne les défenderesses aux entiers dépens.
– le Greffier, Raphaël P. OUATTARA.
NOTE par Togba ZOGBELEMQU, Professeur à l’Université de Conakry-Sonfonia, Avocat au barreau de Guinée
N.B.
Par un traité du 10 janvier 1994, sept Etats de l’Afrique de l’Ouest ont créé l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA);ils ont été rejoints par la Guinée-Bissau suite à l’accord d’adhésion signé à Ouagadougou (Burkina-Faso). le 5 mars 1997.
Au plan institutionnel, l’UEMOA a des organes de direction (Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, Conseil des ministres et Commission). et des organes de contrôle dont la Cour de Justice (article 16 à 40 du traité).
La Commission qui est l’organe exécutif est composée de sept commissaires désignés par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement : elle exécute les actes pris par les organes de conception et d’orientation que sont la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement et le Conseil des ministres. Les commissaires exercent leurs fonctions en toute indépendance et leur mandat n’est interrompu que par une démission ou une révocation prononcée par la Cour de Justice.
LA COUR comprend aussi huit membres se répartissant les fonctions de juge et d’avocat général. Choisis en raison des garanties d’indépendance et de compétence juridique qu’ils offrent, les membres de la Cour ont, entre autres compétences, la mission de contrôler la légalité des actes communautaires entachés de vice de forme, d’incompétence, de détournement de pouvoir ou de toute autre violation du traité de l’Union ou des actes pris en application de celui-ci. Dans cette fonction, la Cour peut rendre des arrêts annulant totalement ou partiellement les actes incriminés et les arrêts ont force exécutoire (articles 8, 9, 10 et 19 du protocole additionnel n 1 du 10 janvier 1994 relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA).
C’est dans ce décor institutionnel que par acte additionnel n 01/2003 du 29 janvier 2003, Eugène Yaï, de nationalité ivoirienne, a été nommé commissaire à l’UEMOA par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement.
A sa grande surprise, par une lettre du 28 octobre 2004 s’appuyant sur les dispositions de l’article 27 du traité UEMOA, la Côte-d’Ivoire a proposé la nomination de Jérôme Bro Grébé à sa place. Le 15 novembre 2004, par acte additionnel n 06/2004, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a fait droit à la demande en nommant l’intéressé comme membre de la Commission de l’UEMOA en remplacement de Eugène Yaï dont le mandat était toujours en cours. La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a donc procédé formellement à une nouvelle nomination et non à une révocation. Et c’est là l’enjeu de l’affaire.
Comme il fallait s’y attendre, Eugène Yaï a saisi la Cour de justice d’une requête du 22 novembre 2004 visant l’annulation de l’acte additionnel n 06/2004 du 15 novembre 2004. Cette requête enregistrée au greffe de la Cour sous le n 03/04 du 22 novembre 2004, a été suivie d’une requête enregistrée à la même date sous le n 04/04 et tendant à voir ordonné le sursis à exécution de l’acte additionnel querellé.
Par ordonnance n 12 du 03 décembre 2004, le président de la Cour a ordonné le sursis à exécution dudit acte additionnel en attendant la fin de la procédure principale. Une fin consacrée par l’arrêt n 03/2005 du 27 avril 2005 et dont le dispositif suit :
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement en matière de droit communautaire :
EN LA FORME :
Se déclare compétente pour apprécier la légalité de l’acte additionnel n 06/2004 du 15 novembre 2004.
Déclare l’action de Monsieur Eugène Yaï recevable.
Sur le fond :
Écarte des débats la note non signée sur le comportement de Monsieur Eu gène Yaï.
Dit que l’acte additionnel n 06/2004 du 15 novembre 2004 portant nomination de Monsieur Jérôme Bro Grébé a été pris en violation des articles 16,27, 28 et 30 du traité de l’UEMOA.
En conséquence le déclare nul et de nul effet.
Condamne les défenderesses aux entiers dépens.
Suite à cet arrêt, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a pris, le 11 mai 2005, un nouvel acte additionnel n 01/2005 confirmant la nomination de Jérôme Bro Grébé en lieu et place de Eugène Yaï, avec la précision, comme en 2004, qu’il achèvera le mandat de ce dernier. Cette fois, après avoir fait référence à l’arrêt d’annulation de la Cour, la Conférence a pris soin de motiver sa décision par l’incapacité de Eugène Yaï. Le 6 juin 2005, Jérôme Bro Grébé a prêté serment devant la Cour de justice en qualité de membre de la Commission de l’UEMOA.
Par son arrêt du 27 avril 2005, la Cour communautaire a comblé un vide qui existait dans le traité UEMOA de 1994, celui de la définition du régime juridique des actes additionnels pris par la Conférence des Chefs de Gouvernement en application de l’article 42 du traité. En décidant de soumettre l’acte additionnel au contrôle de légalité, la Cour a rendu un arrêt d’une portée juridique indéniable, un arrêt qui a laissé augurer d’un développement soutenu du droit communautaire. Mais l’acte additionnel du 11 mai 2005 a vite fait déchanter et l’arrêt du 27 avril 2005 serait ainsi devenu l’hirondelle qui ne ferait pas le printemps de la jurisprudence communautaire.
1). La soumission de l’acte additionnel au contrôle de légalité par l’arrêt du 27 avril 2005
En décidant ainsi que dessus, la Cour communautaire a fondé son arrêt sur les dispositions ci-après du traité UEMOA :
– l’article 16 prescrivant que les organes communautaires (en particulier la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, le Conseil des ministres et la Commission). agissent dans la limite de leurs attributions statutaires.
– l’article 27 disposant que la Commission est composée de commissaires, ressortissants des Etats membres et qui sont désignés par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement;le texte précise, en son alinéa 2, que pendant la durée du mandat de quatre ans, renouvelable, le commissaire est irrévocable, sauf en cas de faute lourde où d’incapacité.
– l’article 28 définissant les conditions de la fonction de commissaire (indépendance vis-à-vis de tout organisme et surtout des Etats membres, interdiction de toute autre activité professionnelle rémunérée ou non..).
– l’article 30 fixant les modalités de l’interruption des fonctions de commissaire (démission ou révocation par la Cour de justice sur saisine du Conseil des ministres). et sa conséquence (remplacement du commissaire pour la durée du mandat restant à courir).
En annulant l’acte additionnel du 15 novembre 2004, la Cour a procédé a une extension du champ matériel de sa compétence dans le cadre du recours en appréciation de légalité (articles 8, 9 et 10 du protocole 1, article 27 du statut de la Cour et article l5-2 du règlement de procédures de la Cour). Dès lors, si l’acte additionnel est irrégulier, il encourt sanction par la Cour.
A -L’intégration de l’acte additionnel dans le champ du contrôle de légalité de la Cour
En application de l’article 19 du traité UEMOA, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement prend, en tant que de besoin, des actes additionnels au Traité;ils sont annexés au traité qu’ils complètent, sans toutefois le modifier. Leur respect s’impose aux organes de l’Union ainsi qu’aux autorités des Etats membres.
L’article 8 du protocole 1, l’article 27 du statut de la Cour et l’article 15-2 du règlement de procédures énumèrent les actes communautaires soumis au contrôle de légalité, à savoir les règlements, les directives et les décisions.
Tirant argument de ces textes, les défenderesses à la requête en annulation (la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement et la Commission de l’UEMOA). ont contesté la compétence de la Cour pour se prononcer sur la légalité de l’acte additionnel du 15 novembre 2004, ajoutant que si, en vertu de l’article 1er du protocole n 1, la Cour veille au respect du droit quant à l’interprétation et l’application du traité de l’Union, elle exerce cette compétence sous réserve qu’elle ne soit pas amenée elle-même à violer le traité. Elles avaient déjà soulevé vainement le moyen devant le Président de la Cour saisi de la requête aux fins de sursis à exécution de l’acte additionnel incriminé.
Reposant sur une interprétation stricte des textes, le moyen de défense allégué plaçait la Cour devant un dilemme. Deux solutions s’offraient à elle.
La première invoquée par la partie défenderesse, consistait à soutenir l’interprétation littérale des textes en cause et la juridiction communautaire se déclarait incompétente, ce qui aurait constitué un véritable déni de justice dans l’espace communautaire. En effet, l’acte additionnel, qui n’est pas spécifique au droit communautaire de l’UEMOA, a ceci de particulier que non seulement son champ d’application matériel n’est pas déterminé, les défenderesses en ont déduit que la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement avait un pouvoir discrétionnaire, mais aussi et surtout l’acte additionnel n’est pas soumis à ratification comme le traité qu’il complète sans le modifier. Déclarer dès lors, qu’il est obligatoire en tant qu’il s’impose à tous les organes de l’Union et à tous les Etats membres ne suffit pas à conférer à l’acte additionnel une immunité de juridiction.
La seconde solution consistait à faire une Interprétation utile des textes au regard de la mission générale de la Cour qui est de veiller à l’application régulière du droit communautaire et surtout au fait que dans l’ordonnancement juridique de l’Union, il ne saurait y avoir de norme non soumise à ratification, donc inférieure au traité et ses protocoles additionnels, qui échappe à tout contrôle de légalité.
LA COUR de justice s’est engagée dans cette seconde vole, aidée en cela par les moyens d’action de Eugène Yaï.
Ce dernier a avancé un certain nombre d’arguments :
– le fait qu’un acte soit déclaré obligatoire pour les organes de l’Union ne lui confère aucune immunité juridictionnelle.
– la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire en matière d’acte additionnel dans la mesure où ses pouvoirs sont définis par l’article 19 du traité la restriction selon laquelle l’acte additionnel ne saurait modifier le traité exclut tout pouvoir discrétionnaire.
– l’article 1er du protocole I qui charge la Cour de veiller au respect du droit communautaire justifie amplement sa compétence.
– l’article 8 du protocole I ouvre le recours en appréciation de légalité à toute personne physique ou morale contre tout acte d’un organe de l’Union lui faisant grief;or, l’acte additionnel du 15 novembre 2004 a bien le caractère d’un acte individuel en tant qu’il nomme son destinataire, Jérôme Bro Grébé et porte atteinte à la situation professionnelle de Eugène Yaï.
Par une motivation d’une élégance intellectuelle remarquable, la Cour communautaire s’est déclarée compétente pour examiner la requête en annulation formée contre l’acte additionnel du 15 novembre 2004. De fait, la Cour a comblé un vide juridique : elle a fixé le régime juridique de l’acte additionnel, désormais intégré à la nomenclature des actes juridiques de l’Union soumis au contrôle de légalité de la Cour. Elle a fait preuve de l’audace suggérée par le professeur Pierre Meyer dans sa communication précitée.
Pour y parvenir, et après qu’elle ait rappelé la déclaration de compétence de son président dans la procédure de sursis à exécution de l’acte additionnel initiée par Eugène Yaï, la Cour a raisonné en deux étapes : elle a motivé le principe de l’assujettissement de l’acte additionnel au contrôle de légalité avant de procéder à la qualification de l’acte additionnel incriminé.
En effet, selon la Cour, Il est incontestable que l’acte additionnel « s’impose aux organes de l’Union. Toutefois, il convient de souligner qu’en exigeant de l’acte additionnel de ne pas modifier le traité qu’il complète, le législateur communautaire a entendu le soumettre à la conformité de celui-ci ». Or, le contrôle de la conformité au traité ne peut s’effectuer au sein de l’UEMOA que dans le cadre du recours en appréciation de légalité qui ressortit à la compétence de la Cour. La motivation était d’une technicité juridique imparable, à moins de vouloir entretenir le flou autour de l’article 19 du traité, au risque de créer, par des interprétations faites à dessein, des situations conflictuelles préjudiciables à la bonne marche de l’Union.
LA COUR a conforté sa motivation en indiquant que « le respect dû à l’acte additionnel tant par les organes que par les autorités des Etats membres, ne le dispense pas de la conformité au traité, acte fondamental de l’Union ». Et de rappeler que « l’article G du traité qui proclame la primauté du droit communautaire sur toute législation nationale, exige que les actes arrêtés par les organes de l’Union, pour la réalisation des objectifs du traité le soient conformément aux règles et procédures instituées par celui-ci ».
Dans le second mouvement de sa démarche, la Cour a procédé à la qualification de l’acte additionnel : elle a distingué l’acte à portée générale ou réglementaire de l’acte individuel. Sur la base de cette distinction classique établie depuis longtemps en droit administratif, la juridiction communautaire a relevé l’article 8 du Protocole I relatif aux organes de contrôle et l’article 15-2 de son règlement de procédures aux termes desquels le recours en appréciation de légalité est ouvert à toute personne physique ou morale contre tout acte d’un organe de l’Union lui faisant grief. Or, en l’espèce, l’acte additionnel du 15 novembre 2004 faisait grief à Eugène Yaï en tant qu’il a eu pour conséquence sa révocation.
Au terme de son raisonnement, la Cour a conclu qu’ » il y a donc lieu d’affirmer au regard de ces dispositions tant du protocole n I que du règlement de procédures, que la légalité de l’acte additionnel en question peut être contrôlée par le juge communautaire. La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement est un organe de l’Union. Les actes additionnels à portée individuelle de la Conférence qui font grief sont attaquables devant la Cour de justice de l’UEMOA ». Et elle a, de façon péremptoire, mis fin à la discussion, en déclarant qu’ » en tout état de cause, la compétence de la Cour en matière de contrôle de légalité ne saurait se limiter aux seuls actes cités par le Protocole n I et par le Règlement de procédures ».
L’analyse de la Cour, qu’il faut saluer, intègre l’acte additionnel au nombre des actes communautaires soumis à son contrôle, ce qui n’était pas évident compte tenu de la rédaction de l’article 19 du traité de l’Union. Son attitude rappelle que le juge n’a pas seulement pour rôle d’appliquer le droit mais aussi de l’interpréter et à l’occasion, de combler les lacunes pour éviter le déni de justice. Cela est important dans l’espace communautaire où la Cour se trouve dans la même position que le juge national dans l’espace territorial de son Etat. Et à l’instar de son homologue européen qui a élaboré des théories comme celle de l’invocabilité en matière de directive communautaire, qui permet aux particuliers d’exiger la réalisation des objectifs des directives, compte tenu de l’obligation de résultat à laquelle les Etats membres sont tenus..
LA COUR ayant déclaré l’acte additionnel soumis au contrôle de légalité, il convient d’en dégager les conséquences relativement à la sanction du contrôle.
B. La sanction du contrôle de légalité de l’acte additionnel par la Cour
LA COUR ayant déclaré sa compétence, il lui revenait dès lors d’examiner le fond de l’affaire, il fallait répondre à la question de la régularité de l’acte additionnel contesté par Eugène Yaï. Comme il sied à l’occasion dans toute procédure, la Cour a confronté les moyens d’action et de défense des parties.
En l’espèce, le requérant faisait grief à l’acte additionnel incriminé de ne comporter que la seule signature du président de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement alors qu’en application de l’article 19 du Traité, ledit acte relève pour son adoption, de la compétence de la Conférence dans sa composition entière le signataire de l’acte additionnel du 15 novembre 2004 n’avait donc pas le pouvoir d’agir ainsi qu’il l’a fait, ni à titre personnel, ni à titre de président de la Conférence.
Le moyen d’action pêchait par sa légèreté et surtout par son inadéquation avec la pratique institutionnelle au sein de l’UEMOA. En effet, les actes additionnels réglementaires sont signés par l’ensemble des représentants des Etats membres à la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement alors que les actes additionnels individuels ne portent que la signature du seul président de la Conférence. Il n’y avait donc pas matière à annulation de ce chef, d’autant que le requérant n’avait pas fait la preuve qu’aucune conférence ne s’était tenue à Niamey à la date du 15 novembre 2004 et que l’acte additionnel querellé indique bien qu’il s’agit d’une décision de la Conférence des Chefs d’Etat, le président en exercice. Président du Niger, ayant signé seul au nom de la Conférence.
Le requérant a poursuivi en soutenant par ailleurs que la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement ne détenait aucun pouvoir, en application de l’article 27 alinéa 2 du traité, pour révoquer un commissaire en cours de mandat, fut-il frappé d’incapacité professionnelle la Conférence des Chefs d’Etat a donc outrepassé ses pouvoirs en prenant la décision de révocation sur proposition du pays d’origine, la Côte-d’Ivoire, alors que l’article 28 du traité dispose expressément que les commissaires exercent leurs fonctions en toute indépendance, dans le seul intérêt de l’Union, et ne reçoivent, ni n’acceptent d’instructions de la part d’aucun gouvernement ou organisme. Le requérant avançait là sa véritable arme d’attaque.
En réplique, la partie défenderesse a, dans son mémoire en défense, conclu au rejet des prétentions du requérant, Eugène Yaï, aux motifs que :
d’une part, qu’il n’est pas nécessaire que se tienne une session formelle de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement pour l’adoption d’un acte additionnel et pour que celui-ci soit signé par l’ensemble des Chefs d’Etat et de Gouvernement.
Et d’autre part, des deux motifs de révocation prévus aux articles 27 et 30 du traité II faute lourde et incapacité professionnelle), l’incapacité professionnelle doit, dans le silence de l’article 30, s’analyser comme un motif de révocation laissé à la libre appréciation de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement.
Ces deux moyens de défense étaient tout aussi légers qu’erronés au plan du droit.
En effet, sur le premier moyen, il convient de relever qu’il ne pouvait prospérer au regard des articles 17 à 19 du traité définissant les attributions de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, lesquelles sont exercées au cours des réunions de la Conférence tenues au moins une fois par an : il est de ce fait irrégulier qu’un membre assume seul, en dehors de toute réunion, les compétences dévolues à la Conférence à partir de sa capitale, fut-il Président en exercice de la Conférence.
A cette observation, s’ajoute que l’expression « session » employée à propos des réunions de la Conférence des Chefs d’Etat est inappropriée. Une session est une période au cours de laquelle un organe collégial tient plusieurs réunions. La pratique des organisations sous-régionales africaines révèle que les conférences au sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement prennent généralement le temps d’une réunion ou séance, les dossiers étant déjà préparés par les conseils ministériels et les points litigieux réglés par les Chefs d’Etat au cours de rencontres informelles entre homologues.
Quant au second moyen de défense, la partie défenderesse s’est livrée à une interprétation abusive des article 27 et 30 du traité : l’article 30 est rédigé dans des termes très clairs, ne comportant ni ambiguïté, ni lacune. La faute lourde et l’incapacité professionnelle en tant que motifs de révocation d’un commissaire sont clairement spécifiées. L’incapacité professionnelle de Eugène Yaï alléguée par la partie défenderesse ne pouvait dès lors cri tant que motif de révocation être laissée à la libre appréciation de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement pour la raison simple que si cette Conférence est compétente pour désigner les commissaires (article 27 alinéa 1er du traité), elle ne l’est plus s’agissant de leur révocation : en application des article 27 alinéa 2 et 30 alinéa 1er et en raison de l’irrévocabilité de leur mandat, les commissaires ne peuvent être révoqués de leurs fonctions que sur décision de la Cour de justice saisie par le Conseil des ministres, et pour l’un des deux motifs suivants, la faute lourde ou l’incapacité professionnelle. La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a une compétence d’attribution qui ne saurait, sans violer le traité, se muer cri compétence de principe. La demande du pays d’origine, la Côte-d’ivoire, qui constituait cri soi une irrégularité par rapport à l’article 28 du traité (indépendance vis-à-vis des Etats membres et loyauté des commissaires à l’égard de l’Union). ne pouvait justifier que l’organe suprême de l’UEMOA ait agi en violation du traité constitutif.
Dans le cas d’espèce, les objectifs d’intégration économique de l’UEMOA n’étaient nullement en cause, il s’agissait de la composition d’un organe communautaire, la Commission. Par conséquent ni la théorie des compétences implicites des organisations internationales, ni le principe de subsidiarité ne pouvaient expliquer la décision contenue dans l’acte additionnel du 15 novembre 2004, lequel ne pouvait bénéficier d’aucune présomption de légitimité. En matière de révocation, le traité de l’UEMOA a exclu toute compétence concurrente ou conjointe de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement et de la Cour de justice de l’Union. Le partage des compétences est très explicite dans le traité à la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement la compétence pour désigner les membres de la Commission, et à la Cour de justice la compétence pour les révoquer après saisine par le Conseil des ministres. Contrairement à ce qui a été soutenu par la partie défenderesse devant la Cour, il n’y a aucun parallélisme des formes en la matière : le pouvoir de proposition des Etats membres est limité à la seule désignation des commissaires, proposition faite à la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement toute autre interprétation relève de l’hérésie juridique.
Au regard de ces observations, on comprend aisément la motivation de l’arrêt sur le fond. Après avoir écarté des débats la note relative au comportement de Eugène Yaï produite par la partie défenderesse pour prouver la situation d’incapacité professionnelle de ce dernier et rejeté le moyen d’action du requérant tenant au défaut de pouvoir du Président du Niger, seul signataire, donc seul auteur, de l’acte additionnel du 15 novembre 2004 au nom de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, la Cour s’est attardée sur le moyen d’action tenant au défaut de pouvoir de révocation des commissaires par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement.
Analysant les faits, la Cour a constaté que :
– par lettre du 28 octobre 2004, la Côte-d’Ivoire a proposé la nomination de Jérôme Bro Grébé en qualité de commissaire à l’UEMOA, en remplacement de Eugène Yaï dont le mandat n’était pas venu à expiration, ce qui constituait une violation de l’article 28 du traité.
– la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement ne détient pas le pouvoir de révoquer un commissaire (article 30 du traité).
– les organes de l’Union doivent agir dans la limite des attributions qui leur sont conférées par les textes communautaires en vigueur, notamment l’article 16 du traité.
LA COUR en a déduit qu’en l’état, il y a eu une révocation déguisée de Eugène Yaï qui n’a pas démissionné de son mandat en cours d’exécution et ne fait pas l’objet d’une action en révocation devant elle à l’initiative du Conseil des ministres. Aussi, sans hésitation aucune, la Cour a prononcé l’annulation de l’acte additionnel du 15 novembre 2004 pour violation de la loi, lit-on dans l’arrêt.
En prenant cette décision, la Cour a fait une saine application du droit communautaire tel que contenu dans les textes en vigueur. Elle a surtout fait une bonne interprétation téléologique de la mission générale à elle confiée par l’article 1er du protocole I de veiller « au respect du droit quant à l’interprétation et à l’application du traité de l’Union ». Cette politique jurisprudentielle l’a ainsi conduite, à travers l’arrêt Eugène Yaï du 27 avril 2005, à rappeler aux organes de l’UEMOA, à commencer par l’instance suprême qu’est la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, qu’ils sont tenus d’agir dans la limite de leurs attributions statutaires, conformément à l’article 16 du traité. Une obligation qui pèse sur tous les organes, y compris la Cour elle-même.
Manifestement l’arrêt rendu ne pouvait laisser indifférent dès son prononcé le juriste y trouve matière à disserter sur la place de la Cour de justice dans l’architecture institutionnelle de l’Union tout comme le politique y voit une atteinte à sa souveraineté et l’acte additionnel du 11 mai 2005 est l’expression la plus achevée de cette réaction politique.
II. La portée de l’arrêt du 27 avril 2005
Comme indiqué ci-dessus, l’arrêt Eugène Yaï a eu et a encore un impact institutionnel indéniable.
A l’occasion, la juridiction communautaire a rappelé à tous les organes et institutions de l’Union, sans exclusive, sa mission de contrôle de l’interprétation et de l’application du droit communautaire, et cela en toute indépendance conformément aux articles 5, 6, 8, 9,11 et 12 de l’acte additionnel n 10/96 du 10 mai 1996 portant statut de la Cour, et surtout du préambule du Protocole I relatif aux organes de contrôle dans lequel les Etats membres ont affirmé la nécessité d’instituer un mécanisme chargé du contrôle de leurs engagements.
Cependant, cette volonté affichée par la Cour d’assumer ses responsabilités ne pouvait ne pas heurter la sensibilité de l’organe suprême de l’Union, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, compétente pour la nomination des juges de la Cour (article 2 protocole II). En exerçant cette compétence, les Chefs d’Etat de l’Union n’ont-il pas eu à l’esprit que la Cour de justice leur est subordonnée ? L’acte additionnel du 11 mai 2005 n’a-t-il pas été pris pour affirmer cet état d’esprit, pour rappeler que la jouissance d’un droit n’entraîne pas son exercice dans l’absolu ? Il y a fort à parier le contraire.
A. Un intérêt juridique certain
En l’état actuel de la société internationale, la justice internationale a un caractère essentiellement volontaire (article 36-2e statut de la Cour Internationale de Justice, article 12-3e statut de la Cour pénale internationale). et le juge international supporte les effets des imperfections et lacunes du droit à appliquer, ce qui le conduit le plus souvent à distinguer les litiges justiciables (c’est-à-dire d’ordre juridique). des litiges non justiciables et à la pratique du non liquet.
Au contraire, l’arrêt Eugène Yaï montre qu’une organisation internationale tendant à l’intégration économique, comme l’UEMOA, dispose nécessairement d’une juridiction obligatoire caractérisée par :
– une ouverture non seulement aux organes de la communauté mais aussi et surtout aux personnes physiques (comme Eugène Yaï). et morales.
– la possibilité de sa mise en mouvement unilatéralement contre les Etats membres et l’organisation.
– une compétence exclusive de tout autre mode de règlement.
– la force exécutoire des décisions judiciaires.
Ainsi, outre la mission générale de contrôle de l’interprétation et de l’application du traité qu’il confie à la Cour (article 1er), le Protocole n I de l’UEMOA dispose que :
– lorsque, saisie d’un recours en appréciation de légalité, la Cour prononce la nullité totale ou partielle des actes querellés, l’organe de l’Union dont émane les actes annulés est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt (article 9 et 10).
– les interprétations du droit communautaire formulées par la Cour dans le cadre de la procédure de recours préjudiciel en interprétation, s’imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles de l’ensemble des Etats membres (articles 12 et 13).
– les arrêts de la Cour ont force exécutoire (article-20).
En tant que juridiction communautaire, et tout comme un juge national, la Cour ne peut, sous peine de déni de justice, refuser de statuer pour quelque motif que ce soit. Aussi, dans l’affaire Eugène Yaï, elle ne s’est pas retranchée derrière le silence du traité et des protocoles sur le régime juridique des actes additionnels pour ne pas trancher : elle a interprété l’article 19 du traité et, sur cette base, elle a annulé l’acte additionnel du 15 novembre 2004. Le juge communautaire jouît d’une totale indépendance dans le choix des sources juridiques sur lesquelles il appuie son interprétation des textes, y compris le droit national des Etats membres.
Par ailleurs, l’arrêt Eugène Yaï a montré que le juge communautaire juge les différends qu’ont les particuliers, personnes physiques ou morales, avec les organes et institutions communautaires alors que, sauf exception, l’individu n’a pas droit d’accès à une juridiction internationale, Il ne participe à aucun stade de la procédure. Aussi, en ses articles 15 et 16, le protocole n I de l’UEMOA donne compétence à la Cour de justice de connaître, d’une part, des litiges relatifs à la réparation des dommages causés par les organes de l’Union ou par les agents de celle-ci dans l’exercice de leurs fonctions et, d’autre part, des conflits entre l’Union et ses agents (à l’instar de Eugène Yaï).
Enfin, on peut noter que les arrêts de la Cour de justice de l’UEMOA ont non seulement un caractère obligatoire à compter du jour de leur prononcé (article 57 du règlement de procédures). mais aussi ils ont force exécutoire (article 20 du protocole n 1). dans tout l’espace communautaire. Et toute opposition à l’exécution d’un arrêt donne lieu à un autre type de recours juridictionnel, le recours en manquement qui sanctionne la violation des obligations découlant du traité (article 13 protocole n 1). De la sorte, les organes communautaires ne peuvent contourner les arrêts de la Cour qu’en procédant à une modification du traité. On comprend dès lors que pour maintenir sa décision de nomination de Jérôme Bro Grébé, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement ait été obligée de prendre un nouvel acte additionnel motivé le 11 mai 2005.
Les caractéristiques de la justice communautaire exposées ci-dessus à travers les textes de l’UEMOA et l’arrêt Eugène Yaï donnent des indications sur la nature des fonctions de la Cour qui statue à la fois comme un juge constitutionnel et un juge administratif.
Au-delà de la mission générale de veiller à la bonne interprétation et application du droit communautaire, la Cour poursuit un objectif d’unité d’application des textes en vigueur dans l’espace communautaire considéré comme un espace intégré à l’image des territoires des Etats membres le juge communautaire prend dès lors l’allure d’un juge national, et cela se traduit dans ses fonctions administrative et constitutionnelle illustrées par l’arrêt Eugène Yaï.
Dans l’espace communautaire ainsi défini, la réalisation des objectifs économiques implique nécessairement un transfert partiel de souveraineté. Aussi le juge communautaire a pour mission première de protéger tous les sujets de droit (Etats membres, particuliers personnes physiques ou morales). contre les actes et comportements irréguliers des organes et institutions communautaires il se présente de ce fait comme un juge administratif national.
Ainsi s’explique l’adoption du recours en appréciation de la légalité pour faire annuler pour illégalité les actes normatifs des organes et institutions communautaires, de l’exception d’illégalité et du recours direct ou préjudiciel en interprétation des actes communautaires. Il en est de même de l’action ouverte au personnel communautaire et de l’action en responsabilité permettant de réformer les sanctions prononcées ou d’obtenir la réparation des dommages causés par la Communauté ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions (articles 5 à 17 Protocole I et article 15 règlement de procédures de la Cour de l’UEMOA).
Comme elle l’a fait dans l’arrêt Eugène Yaï en annulant l’acte additionnel du 15 novembre 2004 réalisant une révocation déguisée de commissaire en cours de mandat, la Cour a eu l’occasion, notamment dans le domaine de la fonction publique communautaire, de sanctionner les décisions des organes de l’Union, soit en annulant les décisions des organes de l’Union, soit en condamnant l’organisation à payer des dommages et intérêts. Ainsi, dans les arrêts du 29 mai 1998 (affaire Sacko Abdourahmane c/Commission de l’UEMOA et Dieng Ababacar c/ Commission de l’UEMOA), la Cour a annulé des décisions de licenciement pour défaut de consultation préalable du Comité consultatif de recrutement et d’avancement (OCRA). par le président de la Commission, comité institué par l’article 18 du règlement n 01/95 du 1er août 1995 portant statut des fonctionnaires de l’UEMOA.
A la même date, dans l’affaire Laubhouet Serge c/ Commission de l’UEMOA, la Cour a condamné l’Union au paiement de 7 millions de francs CFA à son agent licencié, elle a motivé son arrêt par un fonctionnement défectueux de la Commission préjudiciable à l’intéressé;cependant tout comme un juge administratif, la Cour a déclaré à l’occasion ne pas pouvoir imposer à la Commission de l’UEMOA la réintégration de son agent dont elle a mis fin aux fonctions, sans violer le principe de la séparation des compétences juridictionnelles et des compétences administratives. En d’autres termes, lorsqu’elle annule une décision administrative de la Commission, de licenciement par exemple, la Cour ne peut ordonner la remise de la situation concernée dans son état antérieur (la réintégration par exemple de l’agent licencié).
Il appartient à la Commission de prendre les mesures nécessaires à l’exécution de l’arrêt conformément à l’article 10 du protocole n 1. A défaut pour la Commission de le faire, elle engage la responsabilité de l’organisation.
Dans l’arrêt Haoua Touré c/ Commission de l’UEMOA du 25 juin 2003, la Cour a aussi condamné la Commission à payer à la requérante, ancienne secrétaire dactylographe, la somme de 20 millions de FCEA à titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudice confondues pour licenciement abusif résultant de la violation des articles 76, 77 et 86 du règlement n 01/95 du 1er août 1995 portant statut du personnel permanent de l’Union.
Ainsi, la Cour assure parfaitement sa fonction administrative le respect de la légalité dans un espace économique intégré est une garantie de bon fonctionnement des organes et institutions en charge de la réalisation des objectifs de l’Union économique. Mais tout en exerçant cette fonction, la Cour de justice de l’Union se présente comme la juridiction suprême dans un système communautaire qui apparaît comme un système fédéral dans lequel une répartition des compétences s’impose, et cela en raison du caractère supranational de la Communauté. A ce sujet, il a déjà été indiqué que les actes juridiques communautaires sont obligatoires pour tous les organes et institutions, notamment les règlements qui s’appliquent directement dans tout Etat membre (article 43 alinéa 1er du traité).
Dans ce cadre, chaque organe ou institution est tenu d’agir dans les limites de ses attributions statutaires (article 16 du traité). Le juge communautaire joue dès lors le rôle d’un juge constitutionnel qui a une double mission : défendre les compétences respectives des Etats membres et de l’Union économique et garantir l’équilibre des pouvoirs entre les organes et institutions communautaires. Tel est le sens de l’organisation du recours en manquement et du recours en appréciation de légalité ouverts aux Etats membres et aux organes et institutions communautaires qui, en tant qu’acteurs du jeu constitutionnel, n’ont pas à justifier d’un intérêt à agir, donc à se prévaloir d’un grief (article 15-1 et 20 du règlement de procédures de la Cour de l’UEMOA).
L’arrêt Eugène Yaï est d’un intérêt juridique incontestable;il a réglé le sort de l’acte additionnel Individuel mais la question se pose en ce qui concerne l’acte additionnel réglementaire. Une tentative de réponse peut être esquissée à partir des dispositions de l’article 15-20 du règlement de procédures consacré au recours en appréciation de légalité.
En application de ce texte, ledit recours est ouvert aux personnes physiques et morales contre tout acte d’un organe de l’Union faisant grief;en revanche, les Etats membres, le Conseil des ministres et la Commission de l’UEMOA, qui jouissent du même droit d’action, sont dispensés de la preuve d’un préjudice. On peut en déduire qu’à l’exception des personnes de droit privé, le recours en appréciation de légalité est ouvert aux organes communautaires, autres que la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, contre les actes additionnels réglementaires. De la sorte, le régime juridique de ces actes serait aligné sur celui des autres actes juridiques produits par les organes communautaires, notamment sur celui des règlements.
En prenant le 27 avril 2005 la décision d’annuler l’acte additionnel du 15 novembre 2004 pris par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement en dehors de ses attributions, la Cour communautaire a veillé non seulement au respect de la légalité mais aussi à l’équilibre institutionnel au sein de l’UEMOA. Et cela montre tout l’intérêt juridique qu’il y a à soumettre l’acte additionnel au contrôle de légalité : il faut empêcher la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, instance suprême de l’Union, au moyen de l’acte additionnel, d’empiéter sur les attributions des autres organes et surtout de modifier le traité sur des aspects visant l’objectif d’intégration économique, sans que cette modification soit soumise à la ratification des Etats membres, donc au contrôle des Parlements nationaux. Aussi, il est regrettable que la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement n’ait pas partagé cette préoccupation en prenant l’acte additionnel du il mai 2005, soit moins de 15 jours après le prononcé de l’arrêt Eugène Yaï.
B. Un intérêt politique relatif
L’acte additionnel du il mai 2005 nommant à nouveau Jérôme Bro Grébé, commissaire à l’UEMOA en remplacement de Eugène Yaï, traduit l’émotion vive provoquée par l’arrêt du 27 avril 2005 au sein de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement : une réaction allergique à ce crime de lèse-majesté. En effet, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement n’est-elle pas l’instance suprême qui définit les grandes orientations de la politique de l’Union (article 17 du traité). ? Les membres de la Cour de justice ne sont-ils pas désignés par cette Conférence ? Autant de situation et de condition juridiques qui conduisent la Conférence à reconduire sa décision du 15 novembre 2004.
La conférence a cependant pris soin, le 11 mai 2005, de préciser la base légale et le motif de son acte ! Celui-ci est fondé sur l’article 27 alinéa 2 du traité qui dispose que « le mandat des membres de la Commission est de quatre ans, renouvelable. Durant leur mandat, les membres de la Commission sont irrévocables, sauf en cas de faute lourde ou d’incapacité ». Sur ce fondement, la Conférence a pris l’acte additionnel du 11 mai 2005 en alléguant à la charge de Eugène Yaï de graves difficultés de nature à entraver le bon fonctionnement de la Commission, une situation qualifiée par la Conférence de situation d’incapacité au sens de l’article 27 alinéa 2 cité ci-dessus.
Les charges reprochées à Eugène Yaï ont été exposées devant la Cour dans la procédure initiée par l’intéressé et tendant à l’annulation de l’acte additionnel du 15 novembre 2004 et non dans une procédure engagée par le Conseil des ministres et poursuivant la révocation de Eugène Yaï : elles consistaient, selon la partie défenderesse devant la Cour, en nu manque de sens de responsabilité et d’esprit d’équipe, une maîtrise insuffisante des dossiers et des rapports difficiles avec les collaborateurs.
C’est donc forte de ces faits reprochés à Eugène Yaï que, sur la base de l’article 30 alinéa 2 du traité, la Conférence a décidé de confirmer la nomination de Jérôme Bro Grébé. Le texte invoqué dispose qu’ » en cas d’interruption du mandat d’un membre de La Commission, l’intéressé est remplacé pour la durée de ce mandat restant à courir ».
Mais alors, Eugène Yaï n’ayant pas démissionné, l’article 30 alinéa 2 du traité et l’arrêt du 27 avril 2005 ayant été visés, pourquoi la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement n’a-t-elle pas, au regard des faits allégués, fait usage de l’article 30 alinéa 1er du traité? Le texte dispose que « le mandat des membres de la Commission peut être interrompu par la démission ou par la révocation. La révocation est prononcée par la Cour de justice à La demande du Conseil, pour sanctionner la méconnaissance des devoirs liés à l’exercice des fonctions de membre de la Commission. ».
En présence d’un texte aussi clair, on comprend difficilement que la Conférence des Chefs d’Etat de Gouvernement n’ait pas instruit le Conseil des ministres de saisir la Cour de justice aux fins de révocation de Eugène Yaï, révocation qui aurait restitué à la Conférence la plénitude de ses attributions en matière de désignation des Commissaires de l’Union (article 27 alinéa 1er du traité).
Comment expliquer cette décision de la Conférence dans la mesure où celle-ci ne pouvait invoquer ni l’urgence, ni la nécessité ? La Commission est un organe collégial : les attributions d’Eugène Yaï auraient pu être exercées par les autres commissaires, sur décision avant dire droit de la Cour, si la nécessité s’imposait en cours de procédure.
Les ressorts de l’acte additionnel du il mai 2005 doivent être recherchés sur le terrain politique. En effet, tous les Etats membres de l’Union ont des régimes à dominante présidentielle, pour ne pas dire des régimes présidentialistes, dans lesquels le bicéphalisme de l’exécutif n’a rien de commun avec celui du régime parlementaire. Avec une culture politique façonnée dans le contexte autoritaire de la colonisation, le Chef d’Etat africain ne tolère pas le partage du pouvoir, tout au plus, il peut accepter d’être déchargé de certaines charges au profit d’un Vice-Président ou d’un Premier ministre. Dès lors, mieux qu’une clé de voûte des institutions politiques, « le Chef d’Etat est plutôt dans la situation d’un architecte ou d’un maître d’œuvre. Il est le centre de tout ».
La concentration des pouvoirs qui résulte d’une telle situation consacre la primauté du Chef d’Etat africain qui devient du coup allergique à tout contrôle politique ou juridictionnel. Car comme l’écrit Jean François Bayart, « l’autoritarisme politique repose sur un autoritarisme sociétal diffus et récurrent, qui insiste sur Les valeurs de hiérarchie et d’obéissance ».
Tel a pu être, pour ne pas dire tel a été, l’état d’esprit des Chefs d’Etat de l’UEMOA en prenant l’acte additionnel du 11 mai 2005. Autrement, on s’explique mal cette détermination à vouloir maintenir, sans respecter les formes, le contenu d’un acte annulé par décision de justice.
La position prise par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement traduit une volonté manifeste de soustraire à tout contrôle juridictionnel les actes de la Conférence, souveraine qu’elle est, forte qu’elle est de s’exprimer directement au nom des Etats membres dont procède l’Union Économique, organisation internationale. A cela pourrait s’ajouter aussi la crainte d’un Gouvernement des juges qui s’érigeraient en redresseurs de torts, en donneurs de leçons de droit face à l’organe composé des premiers magistrats des Etats membres, auteurs du traité et de ses protocoles additionnels.
L’attitude comporte des risques, et cela à trois niveaux.
En premier lieu, il n’est pas exclu, dans un tel contexte, que le traité et ses protocoles d’application soient modifiés par voie d’acte additionnel échappant à toute ratification, donc à tout contrôle des Parlements nationaux. Le fait que l’acte additionnel n 03/97 du 23 juin 1997 portant modification de la composition de la Commission, ait en réalité précisé et complété le traité quant au nombre des commissaires, la durée et l’irrévocabilité de leur mandat, n’écarte pas le risque évoqué. Or, le droit primaire de l’Union, à l’opposé du droit dérivé, est essentiellement constitué du traité et des protocoles édictés avec l’accord des Etats membres.
Avec l’existence de l’opposition politique au sein des Assemblées parlementaires nationales, il est à craindre que se développe un discours anti-communautaire. La supranationalité qu’implique l’intégration économique est encore loin d’être un élément de la conscience civique au sein des populations de l’UEMOA. Que l’on se souvienne dans les années 60 de l’échec de la proposition de la double nationalité au sein du Conseil de l’Entente dont les membres font aussi partes de l’UEMOA ! Par ailleurs, combien d’opérateurs économiques et de fonctionnaires d’Etat ignorent la législation communautaire.
En second lieu, le champ d’application matériel de l’acte additionnel n’étant pas précisé, il y a un risque certain de frein au développement de la jurisprudence de la Cour, donc du droit communautaire, dans des matières qui feraient l’objet d’une réglementation assez détaillée par voie d’acte additionnel, réglementation dont l’application serait insusceptible de tout recours. Il y aurait là une atteinte sérieuse à la mission de la Cour qui est de veiller à l’interprétation et à l’application uniforme du droit découlant des normes produites par les organes de la Communauté, or l’acte additionnel est édicté par un organe communautaire, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement.
En troisième lieu, le remplacement d’Eugène Yaï par Jérôme Bro Grébé montre que dans le choix des candidats au poste de commissaire, les Etats veillent toujours à porter leur choix sur des hommes acquis à la cause du régime en place. Qui est fou ? dirait l’autre. En tout cas, une belle manière de contourner les articles 27 et 28 du traité prescrivant le recrutement des commissaires sur la base des critères de compétence et d’intégrité morale et imposant aux Etats membres le respect de leur indépendance dans l’accomplissement de leur mission.
Ce qui s’est passé avec l’acte additionnel du 11 mai 2005 a de quoi susciter des inquiétudes quant à la neutralité politique des agents chargés d’animer les organes et institutions communautaires d’une part, et quant à l’image qui apparaît de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement. Il faut en effet éviter que soit portée sur l’organe suprême de l’UEMOA l’accusation dont était chargé son prédécesseur de l’OUA, à savoir celle d’être un club de Chefs d’Etat plus préoccupés par des arrangements et concessions réciproques que par des choix stratégiques cohérents de nature à accélérer la marche vers l’intégration effective. Une situation dénoncée vertement, en ce qui concerne le personnel des organisations africaines, par Adebayo Adédéji, alors secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique au cours d’un colloque organisé par la CEDEAO sur l’intégration africaine en 1980 à Conakry. Les reports successifs du sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement prévu pour octobre 2006, alors que les mandats des commissaires ont expiré et qu’il faut nommer un nouveau Gouverneur de la BCEAO et un nouveau président de la BOAD, et la prorogation de l’intérim à ces deux postes au début de l’année 2007, illustrent ces batailles de coulisse, voire entre palais présidentiels pour pourvoir aux différents postes des organes statutaires.
L’acte additionnel du il mai 2005 heurte l’esprit juridique par le culte de l’autorité et de l’obéissance hiérarchique qu’il l’a sous-tendu.
Il faut donc espérer qu’il ne constitue pas un précédent. Ce serait salutaire pour l’édification d’un Etat de droit dans l’espace communautaire UEMOA, qui tend à se substituer aux territoires des Etats membres pour en faire un bloc homogène dans la sous-région de l’Afrique de l’Ouest.