J-08-21
PROCEDURE –POURVOI EN CASSATION – RECEVABILITE – VIOLATION DE L’ARTICLE 164 DU CODE DE PROCEDURE CIVILE ET COMMERCIALE ET ADMINISTRATIVE IVOIRIEN POUR DEFAUT DE MOTIVATION DE L’APPEL – NULLITE – IRECEVABILITE DE L’APPEL – ABSENCE DE CONCLUSIONS ET DE MOYENS DANS L’ACTE D’APPEL – POURVOI EN CASSATION – MOYENS NON SOULEVES DEVANT LES JUGES NATIONAUX – MOYENS NOUVEAUX MELANGES DE FAIT ET DE DROIT – IRRECEVABILITE.
Il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État partie de l’OHADA de réglementer les modalités procédurales des recours en justice telle que l’action judiciaire en appel, si bien que lorsque la procédure d’appel n’a pu aboutir pour méconnaissance d’une formalité substantielle, constituent des moyens nouveaux mélangés de fait et de droit, les moyens formulés à l’appui du pourvoi qui n’ont pas été soumis ni expressément, ni implicitement aux les juges du fond. Lesdits moyens doivent être déclarés irrecevables.
Cour commune de justice et d’arbitrage, Arrêt n 042/2005 du 7 juillet 2005, “KONAN-Bailly Kouakou / Hussein Nassar Ali Gaddar” Penant n 860, p. 399, note Bakary DIALLO.
LA COUR
Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique devant la Cour de céans, de l’affaire Konan-Bailly Kouakou Etienne contre Messieurs Hussein Nassar et Ah Gaddar par arrêt n 400/2002 du 8 mai 2002 de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, saisie d’un pourvoi initié le 6 juin 2001 par Monsieur Etienne Konan-Bailly Kouakou, ayant pour Conseils Maîtres Yao N’Guessan et associés, avocats à la Cour, demeurant à Abidjan, contre l’arrêt n 1172 rendu le 19 décembre 2000 par la Cour d’appel d’Abidjan au profit de Messieurs Hussein Nassar et Ali Gaddar et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en premier ressort.
EN LA FORME.
Déclare Konan-Bailly irrecevable en son appel.
Le condamne aux dépens ».
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi cinq moyens de cassation tels qu’ils figurent à 1’ » exploit aux fins de pourvoi en cassation » annexé au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur Jacques M’Bosso, président.
Vu les dispositions des articles 13,14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Sur la recevabilité du pourvoi.
Vu l’article 15 du Traité susvisé.
Vu les articles 28 et 51 du Règlement de procédure susvisé.
Attendu que Messieurs Hussein Nassar et Ali Gaddar, défendeurs au pourvoi, ont soulevé In limine litis, dans leur mémoire en réponse en date du 18 juillet 2001, l’irrecevabilité du pourvoi formé par Monsieur Etienne Konan-Bailly Kouakou pour cause de violation des alinéas 1 et 2 de l’article 208 du Code ivoirien de procédure civile, commerciale et administrative aux termes desquels, « le délai pour former le pourvoi est d’un mois à compter de la signification de la décision entreprise » et « le pourvoi en cassation est formé obligatoirement par acte d’huissier et comporte assignation à comparaître devant la Cour Suprême avec indication de date et heure d’audience »;que tel n’a pas été le cas en l’espèce; » que l’arrêt n 1172 du 19 décembre 2000 a été signifié à la personne même de Monsieur Etienne Konan-Bailly Kouakou le 10 avril 2001;que le dernier délai pour se pourvoir en cassation était le 11 mai 2001;que jusqu’à cette date, aucune assignation [ne leur a] été servie (..);que tout pourvoi intervenu postérieurement au 11 mai 2001 est hors délai donc irrecevable ».
Mais attendu que s’il est vrai que c’est l’article 208 du Code ivoirien de procédure civile, commerciale et administrative qui fixe le délai dans lequel le pourvoi en cassation peut être formé devant la Cour Suprême de Côte d’Ivoire et en détermine la forme, il reste qu’en ce qui concerne la saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de 1’OHADA, il faut se référer au Règlement de procédure de ladite Cour.
Attendu que l’article 15 du Traité et les articles 28 et 51 du Règlement de procédure susvisés disposent respectivement que « les pourvois en cassation prévus à l’article 14 sont portés devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, soit directement par l’une des parties à l’instance, soit sur renvoi d’une juridiction nationale statuant en cassation saisie d’une affaire soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes », que le recours devant la Cour de céans doit être exercé « dans les deux mois de la signification de la décision attaquée » et, « lorsque la Cour est saisie conformément aux articles 14 et 15 du Traité par une juridiction nationale statuant en cassation qui lui renvoie le soin de juger une affaire soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes, cette juridiction est immédiatement dessaisie. Elle transmet à la Cour l’ensemble du dossier avec une copie de la décision de renvoi. Dès réception de ce dossier, les parties sont avisées de cette transmission par la Cour..).
Attendu, en l’espèce, que c’est par arrêt n 400/2002 du 8 mai 2002 que la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, juridiction nationale ivoirienne de cassation a, en application de l’article 15 sus énoncé du Traité susvisé, renvoyé devant la Cour de céans l’affaire Konan-Bailly Kouakou contre Messieurs Hussein Nassar et Ali Gaddar dont elle était saisie par pourvoi initié le 6 juin 2001 par Etienne Konan-Bailly Kouakou en cassation de l’arrêt n 1172 rendu le 19 décembre 2000 par la Cour d’appel d’Abidjan;qu’en application de l’article 51 sus énoncé du Règlement de procédure susvisé, ladite Cour Suprême de Côte d’Ivoire s’est immédiatement dessaisie du dossier de cette procédure en le transmettant au greffe de la Cour de céans avec une copie de l’arrêt de renvoi précité;que, par ailleurs, le délai de recours étant de deux mois à compter de la signification de la décision attaquée et l’arrêt attaqué ayant été signifié à Monsieur Konan-Bailly Kouakou Etienne le 10 avril 2001, celui-ci avait jusqu’au 11 juin 2001 pour former régulièrement pourvoi sans passer par acte d’huissier, ce que n’exige pas le Règlement de procédure de la Cour de céans;que les règles de procédure édictées par les textes sus indiqués ayant été ainsi respectées, il échet de déclarer recevable le pourvoi, objet de l’arrêt de renvoi de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire.
Sur les moyens réunis
Attendu que Monsieur Etienne Konan-Bailly Kouakou demande à la Cour de céans de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer sur la base des moyens ci-après :
« incompétence du premier juge et de la Cour d’appel, manque de base légale en ce qu’il s’infère des dispositions de l’article 101 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général que le juge des référés ne peut être compétent pour résilier et expulser un locataire d’un bail à usage professionnel ou commercial.
Abrogation des dispositions du Code des loyers en ce qu’il appert des dispositions des articles 336 et 337 de l’Acte uniforme organisant les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution que le juge des référés a excédé son pouvoir en rendant l’ordonnance d’expulsion.
Manque de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance et de la contrariété des motifs en ce que la Cour fonde sa décision sur le fait que l’appelant n’a produit ni écriture, ni pièce au soutien de son action de procédure et en conséquence, le Tribunal qui a simplement déclaré l’acte d’appel irrecevable n’a d’égard pour les autres moyens.
Violation de l’article 101 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général en ce que le premier juge, en rendant l’ordonnance n 2176/2000, a ignoré gravement les dispositions de l’article 101 qui oblige le bailleur qui entend poursuivre la résiliation du bail dans lequel est exploité un fonds de commerce de s’adresser au juge du fond seul compétent en la matière d’une part et de notifier sa demande aux créanciers inscrits.
Manque de base légale en ce que l’administration fiscale a adressé en date du 12 décembre 2000 un avis à tiers détenteur au locataire qui devra désormais s’acquitter de ses loyers dus et échus entre ses mains et qu’à partir de cette date (12 décembre 2000), le bailleur, n’étant plus propriétaire de la créance sur le locataire, était désormais mal fondé à poursuivre son action de résiliation du bail et d’expulsion dudit locataire pour non paiement des loyers dus et échus ».
Mais attendu que l’arrêt n 1172 du 19 décembre 2000 de la Cour d’appel d’Abidjan, objet du présent pourvoi, a déclaré Monsieur Konan-Bailly Kouakou « irrecevable en son appel » au motif qu’ » aux termes des dispositions de l’article 164 du Code de procédure civile, commerciale et administrative, l’appel doit être motivé;que tel n’est pas le cas d’espèce;que l’omission de cette formalité substantielle vide la procédure de son sens et apparaît comme une manœuvre dilatoire;qu’elle doit comme telle être sanctionnée par la nullité de l’acte d’appel rendant ainsi l’action irrecevable;qu’en cet état, il n’y a d’égard pour les autres moyens »;qu’en effet, il résulte de l’examen des pièces du dossier de la procédure que l’acte d’appel du 6 juin 2001 ne contient aucun des moyens précités;qu’en outre et selon les énonciations de l’arrêt attaqué, « l’appelant [Monsieur Konan-Bailly Kouakou] n’a produit ni écriture, ni pièce au soutien de son action de procédure »;que n’ayant pas conclu en appel, les différents moyens du pourvoi invoqués devant la Cour de céans n’ont jamais été soumis, ni expressément, ni implicitement aux juges du fond;qu’il suit qu’étant nouveaux et mélangés de fait et de droit, lesdits moyens doivent être déclarés irrecevables;qu’il échet, en conséquence, de rejeter le pourvoi formé par Monsieur Etienne Konan-Bailly Kouakou.
Attendu que Monsieur Etienne Konan-Bailly Kouakou ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré.
Déclare recevable en la forme le pourvoi formé par Monsieur Etienne Konan-Bailly Kouakou.
Rejette ledit pourvoi.
Condamne Monsieur Etienne Konan-Bailly Kouakou aux dépens.
– le Président;, M. Jacques M’BOSSO.
NOTE
Il est des arrêts dont l’intérêt réside moins dans la solution donnée que dans la mention incidente qu’ils peuvent comporter. Cet arrêt d’irrecevabilité de la CCJA rendu le 7 juillet 2005 est de ceux là. Il faut dire que celui-ci n’aurait guère mérité que 1’ on s’y attarde s’il n’était pas une confirmation de la jurisprudence de la juridiction supranationale relative au rejet des moyens nouveaux mélangés de fait et de droit.
Un pourvoi a été irrégulièrement formé devant la Cour Suprême de Côte d’Ivoire qui s’est immédiatement dessaisie et a procédé à un renvoi conformément à l’article 15 du traité auprès de la CCJA.
En l’espèce, le preneur contestait la compétence du juge des référés qui avait prononcé à son encontre une ordonnance d’expulsion et reprochait principalement à la Cour d’appel d’avoir déclaré son appel irrecevable pour manque de base légale. En effet, la cour d’appel l’avait éconduit en jugeant son appel irrecevable pour n’avoir pas accompli une formalité substantielle conformément à l’article 164 du code de procédure civile qui exige une motivation de l’appel.
La juridiction supranationale approuve ici ce que la Cour d’appel a retenu dans son arrêt du 19 décembre 2000 en rejetant le pourvoi. Elle énonce que « l’appelant (M. Konan-Bailly Kouakou). n’a produit ni écriture, ni pièce au soutien de son action de procédure ». La Cour Commune relève que n’ayant pas conclu en appel, lesdits moyens n’ont jamais été soumis, « ni expressément, ni implicitement » aux juges du fond;il s’en suit que les cinq moyens développés par le pourvoi sont nouveaux et mélangés de fait et de droit et doivent, en conséquence, être déclarés irrecevables.
Deux enseignements sont à tirer de cet arrêt : d’abord il appartient aux législations nationales de réglementer les conditions de la voie de l’appel conformément au principe de l’autonomie procédurale;ensuite le principe de l’irrecevabilité des moyens nouveaux mélangés de fait et de droit tend à nuancer de beaucoup le principe largement admis en doctrine selon lequel la CCJA est un troisième degré de juridiction.
1). L’autonomie procédurale des Etats parties
Le droit de faire appel est un principe général de procédure, toutes les décisions d’une juridiction du premier ressort peuvent normalement faire l’objet d’une telle voie de recours, à moins qu’un texte n’exclue expressément cette possibilité. Tel est le cas par exemple des décisions tranchant des litiges inférieurs à un certain montant (ledit montant étant différent selon la juridiction et les Etats), ces jugements rendus en premier et dernier ressort ne peuvent pas faire l’objet d’un appel. C’est le principe du double degré de juridiction reconnu dans la totalité des Etats parties du Traité OHADA.
S’il revient à l’ordre juridique interne de chaque Etat-partie de l’OHADA de désigner la juridiction compétente, il lui appartient également de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’application directe du droit communautaire. La même logique, « nationale », prévaut pour les conditions de l’action judiciaire en appel.
C’est ainsi que la législation Ivoirienne à travers son article 164 du Code de procédure civile, commerciale et administrative exige que l’appel soit motivé. Or, il ressort de l’espèce que l’auteur du pourvoi n’avait pas satisfait à cette formalité « substantielle ». La Cour d’appel d’Abidjan avait estimé, en effet, qu’ « aux termes des dispositions de l’article 164 du Code de procédure civile, commerciale et administrative, l’appel doit être motivé;que tel n’est pas le cas d’espèce;que l’omission de cette formalité substantielle vide la procédure de son sens et apparaît comme une manœuvre dilatoire;qu’elle doit comme telle être sanctionnée par la nullité de l’acte d’appel rendant ainsi l’action irrecevable, qu’en cet état, il n’ y d égard pour les autres moyens ».
Tout en se proclamant ordre juridique commun, l’OHADA ne touche ni à l’organisation judiciaire des Etats parties, ni à la théorie générale de l’action en justice et de l’instance. L’ordre juridique de l’OHADA s’appuie en vérité largement sur les échelons étatiques, acteurs incontournables de ce système unifié et composé.
Bien que la terminologie « autonomie institutionnelle et procédurale » n’apparaisse ni dans le traité ni dans la jurisprudence et qu’il n’existe pas de formulation jurisprudentielle synthétique de ce principe, son existence ne fait aucun doute. Elle peut être déduite de certains arrêts de la CCJA. Les multiples renvois du législateur au droit national pour la définition de certains termes et la désignation de la « juridiction compétente » en droit interne témoignent de son souci de respecter l’autonomie procédurale des Etats parties. C’est ce principe que la juridiction supranationale confirme encore dans l’espèce commentée.
Il y a lieu de retenir de cet arrêt du 7 juillet 2005 que lorsque la loi nationale ferme la voie de l’appel à un plaideur dans son action en justice, parce qu’une des formalités substantielle n’a pas été remplie la procédure du pourvoi en cassation ne peut pas prospérer devant la juridiction supranationale. La Cour d’appel avait sévèrement parlé de « manœuvre dilatoire » la CCJA semble l’avoir approuvé puisqu’elle a refusé d’examiner les moyens du pourvoi en les jugeant tout simplement irrecevables.
Il est facile d’en comprendre la raison, le second degré de juridiction n’a de sens que si la question litigieuse a été débattue et jugée devant la cour. Il serait, en effet, inadmissible que la juridiction supranationale ait à juger autre chose que ce qui avait été demandé aux juges nationaux du fond, et il serait autant injuste qu’incompréhensible que ceux-ci soient censurés pour ne pas s’être prononcés en dehors du cadre où le litige avait été situé. Il faut donc bien mesurer la portée de l’omission d’une prétention, d’un moyen dans les écritures devant les juges du fond elle est irrémédiable dans le pourvoi en cassation.
C’est qu’en effet, si l’on permettait la saisine directe de la Cour Commune d’une prétention nouvelle et / ou d’un moyen nouveau mêlé de fait et de droit non soumis aux juges nationaux du fond il y aurait méconnaissance du principe du double degré de juridiction.
Il y a tout lieu de penser que la CCJA a voulu le faire comprendre à un plaideur dont la maladresse était si évidente que l’on ne pleurera pas sur son sort.
Toutefois, la portée de l’interdiction considérée doit être précisée : il faut bien voir en effet que ce qui est prohibé, c’est le fait de présenter directement à la juridiction supranationale des moyens nouveaux mêlés de fait et de droit.
II. L’irrecevabilité des moyens nouveaux mélangés de fait et de droit
Par définition, le pourvoi est une voie de recours extraordinaire par laquelle le plaideur attaque la décision rendue en dernier ressort : mais comme toute voie de recours, il s’ordonne à partir de la décision qui en fait l’objet.
En même temps rechercher quels sont les moyens susceptibles d’entraîner la cassation d’un arrêt, c’est déterminer quelle est l’étendue du contrôle qu’exerce la CCJA sur les décisions qui lui sont soumises. L’arrêt rapporté semble nous indiquer que la juridiction supranationale n’a guère été perturbée dans son travail de Cour régulatrice par son pouvoir d’évocation;en sorte que le pourvoi en cassation même dans le cadre du droit OHADA doit être considéré comme un recours extraordinaire.
L’ambiguïté de la nature du contrôle qu’exerce la CCJA sur le pourvoi (article 14 al. 5 du Traité). a pourtant amené la doctrine à qualifier la juridiction supranationale de troisième degré de juridiction. Pour répandue qu’elle soit, cette opinion n’en est pas moins fausse. A tout le moins le principe du rejet des moyens nouveaux mélangés de fait et de droit adopté par la CCJA tend à la nuancer fortement.
Les moyens formulés à l’appui du pourvoi sont nécessairement formulés en fonction de la décision rendue en dernier ressort (généralement la Cour d’appel), et non en vue de la réformation directe de l’arrêt. Formellement donc la procédure du pourvoi en cassation reste une procédure extraordinaire qui ne permet pas de parler d’un degré supplémentaire de juridiction. C’est par l’évocation que la CCJA se transforme en troisième degré juridiction puisqu’elle devient alors une juridiction de renvoi de ses propres arrêts de cassation.
D’ailleurs, lorsqu’elle veut dépasser dans ses arrêts de cassation le cadre de sa saisine limitée par le pourvoi et marquer cette mutation, elle utilise toujours l’expression « sur l’évocation » pour annoncer cette partie de la procédure. L’évocation est donc un moyen de procédure qui permet au juge supranational de passer du statut de juge du droit à celui de juge du fait.
L’espèce commentée est donc un défrichage utile, il n’est pas rare de noter chez certains plaideurs pour qui la seule possibilité d’une connaissance directe des faits par la Cour Commune entretient un fâcheux état d’esprit. Il existe, en effet, des plaideurs dont toute l’activité devant les juges nationaux, consiste à préparer l’instance de cassation, puis, par une rédaction habile de leurs conclusions, provoquer l’immixtion mécanique du juge supranational au fond du litige.
Les cinq moyens développés par le pourvoi se référaient, en l’espèce, à des règles de droit dont l’application aurait exigé la mise en œuvre de faits qui ne résultent pas du débat tel qu’il s’est déroulé devant le tribunal de première instance d’Abidjan ou auprès de la Cour d’appel d’Abidjan. Ce qui aurait nécessité de la part de la CCJA de suppléer d’office les moyens mélangés de faits. En d’autres termes, la justification du moyen doit s’opérer sans qu’il soit besoin de mettre en œuvre des faits autres que ceux établis dans le débat au fond.
Le contrôle qu’exerce la Cour Commune sur l’application des règles de l’Acte uniforme par les juges nationaux répond à l’objet même du pourvoi en cassation. Le pourvoi ne portant que sur les éléments de droit retenus par les juges nationaux, la juridiction supra-nationale est invitée à dire quelle est la règle de droit applicable à l’espèce et à déterminer son contenu.
Il n’y avait donc pas lieu pour la CCJA d’analyser le bien ou mal fondé des moyens proposés par le pourvoi. Les moyens invoqués, c’est-à-dire les erreurs éventuellement commises par le juge des référés puis par Cour d’appel d’Abidjan dénoncées par le présent pourvoi sont mélangés essentiellement de données de fait. Or le fait n’est pas un élément de la légalité.
Toutefois, ayant la mission de dire le droit, le juge peut toujours suppléer d’office les moyens de pur droit. Le moyen de pur droit est « nécessairement dans la cause » . Cette limitation traditionnelle de la compétence de la haute juridiction, outre qu’elle correspond à sa mission institutionnelle qui est de veiller à l’application uniforme de la règle de droit, répond à une nécessité l’interprétation uniforme ne peut être assurée si le juge supranational se transforme lui-même en juge d’appel qui serait encombré par les recours.
En tous les cas le fait que la CCJA examine les faits n’est pas une raison suffisante pour considérer qu’elle est « totalement un troisième degré de juridiction ». A notre sens, le critère de la distinction du fait et du droit doit rester pertinent pour déterminer notamment les conditions générales nécessaires à la recevabilité et du bien fondé des moyens de cassation  :
– le respect des cas d’ouverture à cassation.
– le respect des règles relatives à la présentation des moyens de cassation.
Il ne faudrait surtout pas encourager cette tendance des plaideurs à considérer le pourvoi en cassation comme une voie de recours.. ordinaire et à en appeler systématiquement à l’arbitrage du juge supranational, sans prendre suffisamment conscience de la spécificité de son rôle. Le principe du double degré de juridiction devrait suffire à vider la controverse. Comme le dit si bien un éminent auteur l’appel est « la voie de recours ordinaire (..). au sens ordinaire du mot » .
L’instance de cassation OHADA ne peut et ne doit pas faire office d’un degré supplémentaire de juridiction. Lorsqu’elle se borne à observer les cas d’ouverture à cassation, le juge supranational ne juge pas les litiges mais les décisions qui lui sont soumises, et à cette étape « il ne (lui). serait ni juridique ni juste de reprocher au juge du fond d’avoir violé une loi que rien ne lui avait signalée, ni indiquée comme applicable ».
Cet arrêt écorne sérieusement la pureté de l’affirmation selon laquelle la CCJA est un troisième degré de juridiction, pour des raisons que chacun s’accordera à reconnaître comme légitimes.
Bakary DIALLO, Docteur en droit Paris 1.