J-08-52
convention de compte courant – denonciation abusive – responsabilite de la banque.
Engage sa responsabilité vis-à-vis de son client, la banque qui procède abusivement à la rupture de la convention de compte courant qui la lie à celui-ci.
Cour Suprême de Côte d’ivoire, Chambre Judiciaire, Arrêt n 087/05 du 10 février 2005, SGBCI (SCPA AHOUSSOU KONAN et Associés). c/ STE SOGENE (Me MANDAGOU Aliou). Actualités juridiques n 53/2007 p. 29.
LA COUR
Vu la requête en rétractation en date du 26 mai 2004.
Vu les pièces du dossier.
Vu les conclusions écrites du Ministère Public en date du 30 novembre 2004.
Vu l’article 39 de la loi n 94-440 du 16 aoûtt 1994 relative à la Cour Suprême.
Sur la Rétractation
Attendu qu’il résulte de l’article 39 susvisé, qu’un recours en rétractation peut être exercé contre les décisions de la Chambre Judiciaire, lorsque la décision est intervenue sans qu’aient été observées les dispositions des articles 27 de la présente loi.
Attendu que par arrêt n 251 du 15 avril 2004, la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême a cassé et annulé l’arrêt n 1041 du 25 juillet 2003 de la Cour d’Appel d’Abidjan et sur évocation, a déclaré irrecevable la demande en paiement de la SGBCI, déclaré la SGBCI responsable de la rupture de la convention de compte courant et l’a condamnée à payer à la SOGENE, la somme de 754.247.879 F;que par requête en date du 02 juin 2004, la SGBCI a formé recours en rétractation contre cet arrêt;qu’elle soutient à l’appui de son recours, que l’arrêt de la Chambre Judiciaire est intervenu sans qu’aient été observées les dispositions de l’article 27 qui stipulent que tout arrêt de la Chambre Judiciaire doit être signé dans les vingt-quatre heures par le Président, le Rapporteur et le Secrétaire de la Chambre, qu’il doit contenir l’énoncé succinct des moyens produits et qu’il doit être motivé et viser les textes dont il fait application.
Mais attendu que le défaut de signature de l’arrêt dans les vingt-quatre heures, qui est une circonstance extrinsèque à l’arrêt, parce que sans effet sur le contenu, ne peut permettre d’anéantir la décision querellée;qu’il ne peut être également reproché à l’arrêt attaqué de n’avoir pas énoncé le moyen unique de cassation pris du défaut de base légale invoqué à l’appui du pourvoi.
Attendu par contre que l’examen dudit arrêt fait apparaître que la Chambre Judiciaire n’a pas visé les textes dont il est fait application, aussi bien en ce qui concerne le moyen de cassation invoqué, que dans l’évocation, sur la responsabilité de la rupture de la convention de compte courant, sur le préjudice de la SOGENE, et sur l’action en paiement de la SGBCI;qu’il s’ensuit qu’en statuant comme elle l’a fait, la Chambre Judiciaire a violé l’article 27 de la loi n 97243 du 25 avril 1997;que dès lors, conformément à l’article 39 susvisé, il convient de déclarer la requête en rétractation de la SGBCI contre l’arrêt de la Chambre Judiciaire fondée;qu’en conséquence, il y a lieu de réexaminer le pourvoi.
Sur le Pourvoi
Sur la deuxième branche du moyen unique de cassation du défaut de base légale, résultant de l’absence, de l’insuffisance ou de la contrariété des motifs
Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué (Abidjan, 25 juillet 2003), que la Société de Négoce dite SOGENE, en relations d’affaires avec la SGBCI, suivant une convention de compte courant signée les 18 juin et 21 juillet 1993, était bénéficiaire d’un compte courant dans les livres de cette banque;que ledit compte étant resté débiteur sur une longue période, la SGBCI, après plusieurs correspondances demeurées infructueuses, a relancé son client, le 25 aoûtt 2000, en lui indiquant que désormais ses engagements s’élevaient à 282 000 000 F, dont la durée de remboursement pourrait être portée à sept années avec un différé de trois mois, et précisait à l’attention de celui-ci, que « faute d’avoir trouvé une solution avant le 31 aoûtt 2000, le dossier sera transféré au service contentieux qui se chargera du recouvrement judiciaire de cette créance »;qu’ayant estimé avoir été victime d’une rupture brusque et abusive de la convention de compte courant de la part de la SGBCI, la SOGENE a assigné celle-ci, le 29 décembre 2000, devant le Tribunal de Première Instance d’Abidjan, à l’effet de désigner un expert pour déterminer son préjudice;que par un autre exploit en date du 02 avril 2001, la SOGENE a formé opposition contre l’ordonnance d’injonction de payer n 2204 du 26 mars 2001 qui la condamnait à payer à la SGBCI, la somme de 323 379.266 F, laquelle ordonnance est rétractée par jugement n 243 du 13 décembre 2001, du Tribunal d’Abidjan;que par jugement ADD n 244 de la même date, la juridiction a ordonné une expertise comptable, à l’effet de déterminer le préjudice de la SOGENE, et a nommé pour y procéder, ANON SEKA;que la SGBCI ayant contesté les conclusions du rapport d’expertise qui avait évalué le préjudice à 579.123.508 F, le Tribunal d’Abidjan, par jugement ADD n 162 du 28 novembre 2002, a ordonné une contre-expertise confiée à YAO KOFFI Noël, expert comptable;qu’entre-temps, la SGBCI a repris sa procédure en assignant la SOGENE en paiement de la somme de 323 379.266 F;que le contre-expert ayant déposé son rapport, le Tribunal a procédé à la jonction des de6ux procédures, et par jugement n 82 du 24 avril 2003, a déclaré la demande de la SGBCI recevable mais mal fondée, l’en a déboutée et a par contre, condamné la banque à payer à la SOGENE, la somme de 754.247.879 F.
Attendu que pour évaluer le préjudice de la SOGENE à la somme de 754.247.879 F, la Cour d’Appel s’est contentée d’affirmer qu’il convient de confirmer le jugement entrepris qui a condamné la SGBCI à payer la somme de 754.247.879 F, arrêtée par l’expert comptable.
Attendu cependant qu’en statuant ainsi, alors que le second expert dont le rapport a été retenu, n’a pas évalué le préjudicie de la SOGENE à ce moment-là, mais a plutôt donné une fourchette qui fixe le préjudice entre 380.707.561 F et 737.247.879 F, la Cour d’Appel s’est fondée sur un motif erroné et donc, a manqué de donner une base à sa décision;d’où il suit que cette branche du moyen est fondée;qu’il y a lieu de casser et annuler l’arrêt attaqué et d’évoquer, en application de l’article 28 de la loi n 97-243 du 25 avril 1997.
Sur l’évocation
Sur la responsabilité de la rupture de la convention de compte courant
Attendu qu’aux termes de l’article 1134 du Code Civil « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elle doivent être exécutées de bonne foi ».
Attendu que les 18 juin et 21 juillet 1993, la SOGENE a signé avec la SGBCI, une convention de compte courant en vue de bénéficier du concours de la banque pour le développement de son activité commerciale;que conformément à l’article 2 de cette convention de compte courant, le compte est ouvert pour une durée indéterminée;cependant, la banque se réserve le droit de réclamer éventuellement, sans interrompre le fonctionnement du compte courant, l’apurement des comptes du client et ce, à tout moment, au moyen d’une simple lettre recommandée énonçant son intention à cet égard adressée au client quinze jours au préalable;que néanmoins, par une lettre en date du 25 aoûtt 2000 que la SGBCI considère comme une lettre d’apurement des comptes de son client, cette banque informait sa cliente, la SOGENE, que, faute d’avoir trouvé une solution avant le 31 aoûtt 2000, elle transférait son dossier au Service Contentieux, qui se chargera du recouvrement judiciaire de la créance;que ladite lettre a été faite en violation de l’article 2 susvisé, en ce qu’elle n’a pas été faite par lettre recommandée et qu’elle n’a pas respecté le délai de préavis de quinze jours;que cette lettre constitue en réalité une lettre de dénonciation de la convention de compte courant, car elle était assortie d’une date butoir à partir de laquelle le compte courant devait être considéré comme rompu, dans la mesure où il n’était pas envisageable de transférer le dossier au Service Contentieux et de continuer dans le même temps, à faire fonctionner le compte courant qui, dans le cadre d’une véritable lettre d’apurement, aurait subsisté;qu’en dénonçant sans préavis, ni par lettre recommandée, la convention de compte courant qui la liait à la SOGENE, la SGBCI a violé l’article 1134 susvisé;qu’en conséquence, il y a lieu de la déclarer responsable de la rupture de la convention de compte courant ayant existé entre les deux parties.
Sur le préjudice de la SOGENE
Attendu qu’aux termes de l’article 1149 du Code Civil, « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé ».
Attendu qu’il est établi que c’est suite à la lettre du 25 aoûtt 2000 que la SGBCI a mis fin à la convention de compte courant;que le comportement de la SGBCI, qui se trouve être l’unique banque de la SOGENE, a causé un préjudice certain à son client, qui mérite réparation;que cependant, en application du texte susvisé, seul le préjudice résultant de la rupture brusque et brutale de la convention de compte courant consécutive à la lettre du 25 aoûtt 2000 doit être réparé;que l’arrêt des concours financiers de la banque à son client, justifié uniquement par la situation débitrice du compte courant de ce dernier, n’était pas constitutif d’une faute contractuelle, de sorte que son préjudice ne peut être évalué à partir de l’arrêt desdits concours financiers, qu’il situait en août 1999;qu’il résulte des pièces produites au dossier, notamment la contre-expertise réalisée par YAO KOFFI Noël, expert comptable, que du fait du comportement de la banque, la SOGENE n’a pu réaliser son chiffre d’affaires de l’année 2000, estimé à la somme de 452.531.941 F;que sur ce chiffre d’affaires, le préjudice ne peut être apprécié qu’à partir du 30 août 2000 jusqu’au 31 décembre 2000;qu’en évaluant le chiffre d’affaires mensuel moyen de la SOGENE à 38 000 000 F, soit pour les quatre mois à la somme de 152 000 000 F, à laquelle il convient d’inclure le deposit de 18 000 000 F, le préjudice de la SOGENE doit être fixé à 170 000 000 F;que la SGBCI doit être condamnée à payer cette somme à la SOGENE.
Sur l’action en paiement de la SGBCI
Attendu que par ordonnance n 2204 du 26 mars 2001, le Président du Tribunal de Première Instance d’Abidjan a condamné la SOGENE à payer à la SGBCI, la somme de 323 379.266 F;que cette ordonnance a été rétractée par le jugement n 243 du 13 décembre 2001 du Tribunal d’Abidjan.
Attendu qu’il résulte de l’article 15 de l’Acte Uniforme du Traité OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, que le délai d’appel est de trente jours à compter de la décision;que le jugement de rétractation sus-indiqué n’a fait l’objet d’aucun recours dans les trente jours de son prononcé, de sorte que la SCBCI est forclose en son action en paiement de sa créance contre la SOGENE.
PAR CES MOTIFS
Déclare la requête en rétractation fondée.
Ordonne la rétractation de l’arrêt n 251 du 15 avril 2004 de la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême.
Sans qu’il y ait lieu de statuer sur les première et troisième branches du moyen unique de cassation.
Casse et annule l’arrêt n 1041 du 25 juillet 2003 de la Cour d’Appel d’Abidjan.
Déclare la SGBCI responsable de la rupture de la convention de compte courant.
La condamne à payer à la SOGENE, la somme de 170 000 000 F.
Déclare la SGBCI forclose en son action en paiement de sa créance contre la SOGENE.
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.
Président, M. YAO ASSOMA.
Conseillers, M. ADJOUSSOU Y, (Rapporteur). M. VE BOUA.
Greffier, Me N’GUESSAN Germain.