J-08-64
COUR COMMUNE D EJUSTICE ET D’ARBITRAGE – CCJA – PROCEDURES SIMPLIFIEES DE RECOUVREMENT – INJONCTION DE PAYER – CLAUSE DE COMPETENCE TERRITORIALE – CONTRARIETE DE LA CLAUSE AVEC L’ARTICLE 4 AUPSRVE – SAISINE DES JUGES DU FOND ANTERIEURE A L’ENTREE EN VIGUEUR DE L’AUPSRVE – INCOMPETENCE DE LA CCJA.
La saisine des juges du fond étant intervenue avant l’entrée en vigueur de l’AUPSRVE, la CCJA est incompétente pour connaître de la violation de l’attribution de compétence territoriale par l’article 4 de cet Acte uniforme par une clause contractuelle de compétence territoriale à une juridiction française.
Article 4 ALINEA 1 AUPSRVE
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), Audience publique du jeudi 11 octobre 200l, Arrêt n 001/2001 du 11 octobre 2001, Affaire : Établissements Thiam Baboye (ETB). c/ Compagnie Française Commerciale et Financière (CFCF). Juridis Périodique N 51 / 2002, p. 106, note Sylvain SOUOP.
LA COUR Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.). de l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires (OHADA). a rendu en Afrique, l’arrêt suivant, en son audience publique du 11 octobre 2001, où étaient présents :
– Messieurs. Seidou Ba, Président;
– Jacques M’Bosso, Premier Vice-Président;
– Antoine Joachim Oliveira, Second Vice-Président;
– Joào Aurigemma Cruz Pinto, Juge;
– Maïnassara Maïdagi, Juge;
– Boubacar Dicko, Juge-rapporteur;
– et Maître Pascal Édouard Nganga, Greffier en chef.
Sur le pourvoi formé par Maître Magloire Baudje, Avocat à la Cour à N’Djamena (République du Tchad), agissant au nom et pour le compte des Établissements Thiam Baboye dits « ETB », demeurant à N’Djamena, rue 3251 concession 22, 3ème arrondissement, boîte postale 319.
En cassation de l’Arrêt n 455/98 rendu le 02 novembre 1998, au profit de la Compagnie Française Commerciale et Financière dite « CFCF », demeurant en France, 99, rue de Mirabeau, 94853 Evry-sur-Seine, et ayant comme Conseil, Maître Abdou N’Doubalo Lamian, Avocat à la Cour à N’Djamena, défenderesse à la cassation, ledit arrêt ayant en substance condamné les « ETB », sur leur appel, à payer à la « CFCF », 50.355.800 francs à titre de dommages et intérêts dans un contentieux relatif au règlement d’une commande de farine de froment passée courant 1992 par les « ETB » à la défenderesse au pourvoi.
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur le Juge Boubacar Dicko :
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice d’Arbitrage de l’OHADA.
Sur les trois moyens réunis :
Attendu que le pourvoi fait grief à l’arrêt déféré, d’avoir violé les dispositions de l’Acte uniforme relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, notamment en ses articles 3 alinéa 2 et 4 alinéa 1, en ce que d’une part, l’article 3 alinéa 2 ayant donné la possibilité aux parties de déroger aux règles de compétence au moyen d’une élection de domicile prévue au contrat, il s’ensuit, selon le requérant, que sa commande de farine de froment Grands Moulins de Paris ayant fait l’objet d’une facture en date du 19 juin 1992, mentionnant qu’ » en cas de contestation, le Tribunal de Commerce de Paris sera seul compétent, de convention expresse, même en cas de demande incidente ou en garantie », seul le Tribunal de Commerce de Paris était compétent pour connaître d’un litige relatif à cette vente;qu’en conséquence, en se déclarant à tort compétente, la Cour d’Appel de N’Djamena a violé la disposition sus-mentionnée;que d’autre part, l’article 4 alinéa 1 de l’Acte uniforme précité ayant énoncé que « la requête doit être déposée ou adressée par le demandeur ou son mandataire autorisé par la loi de chaque Etat-partie à la représenter en justice, au greffe de la juridiction compétente », dès lors, selon le requérant, la Cour d’Appel de N’Djamena, en affirmant que le sieur Tchori avait qualité pour représenter la CFCF devant les juridictions tchadiennes, a violé et la disposition susvisée et la loi nationale, le Code de Procédure Civile tchadien ayant limitativement déterminé en son article 32, par rapport à la représentation des parties, que « les Sociétés de toute nature » ne pouvaient être représentées que « par un de leurs agents ». Attendu, par ailleurs, que le pourvoi reproche à l’arrêt attaqué, une omission de statuer et un défaut de base légale, en ce que d’une part, en cause d’appel, le requérant ayant soulevé « In limine litis », la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité de la CFCF, la Cour d’Appel de N’Djamena, sans y répondre, n’a argumenté que sur le défaut de qualité du sieur Abderamane Hissein Tchori, et alors même, selon le requérant, que toutes les pièces versées au dossier, relatives à la vente de farine de froment conclue entre les Établissements Thiam Baboye et les Grands Moulins de Paris, ne font aucune référence à la CFCF, qui n’était ni signataire audit contrat de vente ni fournisseur des « ETB », et n’a aucun lien de droit avec eux;que d’autre part, pour rejeter la demande en dommages-intérêts du requérant, la Cour s’est bornée à entériner la décision du Tribunal, sans en vérifier les éléments et sans pouvoir préciser la raison pour laquelle elle a retenu la somme de 50.355.800 francs CFA réclamée par la CFCF et son représentant, à titre de créance.
Mais attendu que l’article 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique édicte que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA). assure dans les Etats-parties, l’interprétation et l’application commune des Actes uniformes OHADA et, par voie de recours en cassation, se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats-parties dans toutes les affaires soulevant des questions à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité, à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales, ainsi que dans les mêmes conditions, sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des Etats parties dans les mêmes contentieux.
Attendu qu’il ressort de l’examen des pièces du dossier de la procédure, que l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, entré en vigueur le 10 juillet 1998, n’avait pas intégré l’ordre juridique interne de la République du Tchad, au moment où les juges du fond étaient saisis du contentieux, et qu’il ne pouvait de ce fait, être applicable;que dans ce contexte spécifique, aucun grief ni moyen relatif à l’application de l’Acte uniforme invoqué n’avait pu être formulé et présenté devant les juges de fond par le requérant;que dès lors, les conditions de compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA en matière contentieuse, telles que précisées à l’article 14 susvisé, n’étant pas réunies, il échet de déclarer incompétent et renvoyer en conséquence, le requérant à mieux se pourvoir.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré.
se déclare incompétente.
renvoie le requérant à mieux se pouvoir.
le condamne aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus, et ont signé :
- – le Président;
- – le Greffier en chef.
Pour expédition certifiée conforme à l’original, établie en quatre pages, par Nous, Pascal Edouard Ngang, Greffier en chef de ladite Cour.
Fait à Abidjan, le 17 octobre 2001.
Commentaire
Après avoir constaté que la saisine du juge du fond (au Tchad). est antérieure (l’arrêt n’indique pas cette date). à l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (10 juillet 1998). et que de surcroît, « aucun grief ni moyen relatif à l’application de l’Acte uniforme invoqué n’avait pu être formulé et présenté devant les juges du fond par le requérant au pourvoi », la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage en a conclu que les conditions de sa compétence n’étaient pas réunies, conformément à l’article 14.3 du Traité OHADA, elle s’est logiquement déclarée incompétente à statuer et a renvoyé le requérant (ETB). à se mieux pourvoir.
Il n’est pas surprenant que le premier arrêt de la CCJA tranche une question relative à sa compétence, tant la nouveauté du droit uniforme OHADA surprend encore les justiciables, et même certains professionnels du droit, qui peinent à maîtriser les arcanes de ce droit de facture récente.
La compétence de la CCJA est encadrée par l’article 14 alinéa 3 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, aux termes duquel « saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats-parties, dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité, à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales ».
L’alinéa 4 précise que la CCJA « se prononce dans les mêmes conditions, sur les décisions non susceptibles d’appel, rendues par toute juridiction des Etats-parties, dans les mêmes contentieux ». Ce dernier aspect concerne, par exemple, pour le cas du Cameroun, les décisions rendues par le Tribunal de Grande Instance, en matière d’incidents sur saisie immobilière. Ce tribunal, seul compétent pour les saisies immobilières, statue en premier et dernier ressort. Sa décision n’est pas susceptible d’appel ou d’opposition. Cependant, il convient de noter que l’article 300, alinéa 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution précise que les décisions judiciaires rendues en matière de saisie immobilière « ne peuvent être frappées d’appel que lorsqu’elles statuent sur le principe même de la créance ou sur les moyens de fond tirés de l’incapacité d’une des parties, de la propriété, de l’insaisissabilité ou de l’inaliénabilité des biens saisis ». Malgré l’apparente clarté de cet article, il reste qu’il n’est pas toujours facile de faire la distinction entre ce qui est appelable et ce qui ne l’est pas.
Par ailleurs, l’on est en droit de s’interroger sur la pertinence de l’article 14 a1. 3 du Traité, lorsqu’il prévoit que la CCJA est également compétente pour connaître des questions relatives à l’application des « règlements ». Car, contrairement à l’article 14 al. 3, l’article 15 du même traité ne parle que des Actes uniformes (les règlements ne sont plus mentionnés). Avec le professeur Issa-Sayegh, l’on ne peut manquer de poser la question de savoir « quelle disposition prévaudra sur l’autre ? ». En fait, « il est peu douteux que la violation d’un règlement donne lieu à un recours en cassation. En effet, les règlements ont pour seul objet, l’application du Traité (article 4). et non celle des Actes uniformes. Les Règlements font partie intégrante du Traité, qui ne règle que les rapports entre les organes de l’OHADA et entre cette organisation et les Etats parties;les justiciables d’un recours en cassation ne peuvent donc être concernés par le Traité et ses textes d’application, mais uniquement par le droit substantiel porté par les Actes uniformes ».
Au-delà de la compétence ratione materiae de la CCJA sur les questions relevant spécifiquement du droit des affaires harmonisées par la législation OHADA, une question se pose sur la compétence de l’article 14 suscité, la CCJA ne serait pas compétente pour connaître « des décisions appliquant des sanctions pénales ».
Autant l’alinéa 4 in fine semble explicite, autant on ne peut manquer de s’interroger sur la compétence de la CCJA par rapport à la qualification des « sanctions pénales » prévues par les Actes uniformes eux-mêmes. Notamment, le titre V de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, consacré à la « Banqueroute et autres infractions », la troisième partie de l’Acte uniforme sur le droit des sociétés commerciales, consacrée aux « Dispositions pénales ». Selon une doctrine autorisée, « en cas de réponse affirmative à cette question, on entrevoit une division du contentieux judiciaire, en matière pénale, entre la CCJA (qualification de l’incrimination). et les Cours de Cassation nationales (répression), ce qui entraînera une complexité et des lenteurs de procédure. Pourquoi ne pas étendre le droit d’évocation de la CCJA à de telles affaires, les parties en cause devant produire le texte pénal applicable ? ».
Le professeur Issa-Sayegh partage les mêmes préoccupations à cette compétence de la CCJA, que l’on peut qualifier de connexe. Il dit que « si l’on garde à l’esprit que l’OHADA est compétente pour inclure dans les Actes uniformes des dispositions d’incrimination, les Etats-parties s’engageant à déterminer les sanctions pénales encourues (article 5, alinéa 2), on incline naturellement à penser que la CCJA doit être compétente pour apprécier les décisions pénales mettant en cause les dispositions d’incrimination, pas celles infligeant des sanctions, même s’il n’est pas prévu de ministère public dans son organisation.
Une telle dissociation des compétences serait aberrante sur le plan intellectuel, et peu commode sur le plan procédural;comment admettre et réaliser le fait que la CCJA doit d’abord se prononcer sur la bonne application des dispositions d’incrimination pénale, et renvoyer ensuite (en cas de cassation). à la juridiction nationale (de cassation ? d’appel ?), pour qu’il soit statué sur les sanctions ? ».
On assistera, dans certaines procédures ayant des connotations pénales, à un véritable imbroglio judiciaire. De toutes les façons, la question reste posée, et il revient à la CCJA, et peut-être au Conseil des Ministres des Etats membres de l’Ohada, d’apporter réponse à cette interrogation, dont la solution tardive entretiendra certainement un conflit d’interprétation de la compétence de la CCJA, ce qui augure des lenteurs judiciaires, donc une insécurité judiciaire, que les géniteurs de l’OHADA avaient pourtant voulu éviter.
Sylvain SOUOP.
Avocat en stage.
Barreau du Cameroun.