J-08-67
SOCIETE A RESPONSABILITE LIMITEE – SARL – SARL en liquidation – distribution des dividendes –assemblée générale compétente (OUI) – COMPETENCE DU juge (NON).
Dans le cas d’une société à responsabilité limitée en liquidation, la distribution des dividendes est de la compétence de l’assemblée générale et non du juge.
Cour d’appel d’Abidjan, Chambre Civile et Commerciale, Arrêt civil contradictoire 3ème Chambre, Audience du vendredi 07 avril 2000, Affaire : Liquidation de la Société SADEA Editions (Me Estelle ATTALE). c/ Paul ARNAUD (SCPA PARIS VILLAGE).Juridis Périodique n 60 / 2004, p. 109. Note Robert NEMEDEU.
LA COUR d’Appel d’Abidjan, Chambre Civile et Commerciale, séant au Palais de Justice de ladite ville, en son audience publique ordinaire du vendredi Sept Avril Deux Mille, à laquelle siégeaient :
– Monsieur CHAUDRON Maurice, Président de Chambre, Président;
– Mme BLE SAKIE Irène et Mme ATTOKPA K. GRAH Emma, Conseillers à la Cour;Membres;
– En présence de Monsieur ANOMA Jérôme, Avocat Général;
– Avec l’assistance de Maître FAN Jean-Pierre, Greffier.
A rendu l’arrêt dont la teneur suit, dans la cause :
entre :
La Liquidation SADEA Editions, Société à Responsabilité Limitée au capital de 5 000 000 de francs CFA, sise à Abidjan-Plateau, Immeuble l’Ebrien, 5e étage, 04 BP 1329 Abidjan 04, poursuites et diligences de son représentant légal, Monsieur Anon SEKA, Expert Comptable, es qualité de liquidateur de la société SADEA Editions, domicilié à la Riviera Bonoumin, Cité Belles Fleurs I villa n 7, 04 B.P. 1329 Abidjan 04, ayant pour Conseil Maître Estelle ATTALE, Avocat près la Cour d’Appel d’Abidjan.
Appelante.
Représentée et concluant par Maître Estelle ATTALE, Avocat à la Cour, son Conseil.
d’une part.
ET :
M. Paul ARNAUD, né le 14 avril 1941 à Gagnoa, de nationalité ivoirienne, Directeur de Société demeurant à Abidjan Yopougon Banco Nord-Cité CIPIM, villa N 62, 11 B.P. 1288 Abidjan 11, ayant élu domicile au Cabinet de la SCPA PARIS VILLAGE.
Intimé.
Représenté et concluant par SCPA PARIS VILLAGE, Avocat à la Cour, son Conseil.
d’autre part.
Sans que les présentes qualités puissent nuire ni préjudicier en quoi que ce soit aux droits et intérêts respectifs des parties en cause, mais au contraire, sous les plus expresses réserves de fait et de droit. Le Tribunal de Première Instance d’Abidjan, statuant en la cause, en matière civile, a rendu le 30 juillet 1997, un jugement civil N 748/Civ. 6/A enregistré à Abidjan le 28 mai 1999 (reçu : Trois cent quatre vingt huit mille sept cent quinze francs), aux qualités duquel il convient de se reporter, et dont le dispositif est ci-dessous résumé.
Par exploit en date du 08 décembre 1999 de Maître Félix KABLAN-BILE, Huissier de Justice à Abidjan, la Liquidation de la Société SADEA Editions a déclaré interjeter appel du jugement sus-énoncé et a, par le même exploit, assigné le sieur Paul ARNAUD à comparaître par-devant la Cour de ce siège, à l’audience du vendredi 31 décembre 1999 pour entendre, annuler ou infirmer ledit jugement.
Sur cette assignation, la cause a été inscrite au rôle général du Greffe de la Cour, sous le numéro 1237 de l’an 1999.
Appelée à l’audience sus-indiquée, la cause, après des renvois, a été utilement retenue le 04 février 2000 sur les pièces, conclusions écrites et orales des parties.
Droit
En cet état, la cause présentait à juger les points de droit résultant des pièces, des conclusions écrites et orales des parties.
LA COUR a mis l’affaire en délibéré, pour rendre son arrêt à l’audience du 07 avril 2000.
Advenue l’audience de ce jour, 07 avril 2000, la Cour, vidant son délibéré conformément à la loi, a rendu l’arrêt suivant :
LA COUR
Vu les pièces du procès.
Ouï les parties en leurs conclusions.
Après en avoir délibéré conformément à la loi.
Vu l’arrêt N 107 du 21 01.2000 de la Cour d’Appel de céans, sur la recevabilité de l’appel.
Considérant que la Liquidation de la Société SADEA Editions fait valoir par son Conseil, Maître Estelle ATTALE, qu’aux termes de l’article 12 des Statuts, chaque part sociale donne droit à une fraction des bénéfices et de l’actif social, proportionnellement au nombre de parts existantes.
Qu’elle fait savoir que l’exercice 1990-1991 a dégagé un résultat net, après impôts et avant affectation au compte de réserves légales, de la somme de 38.711.802 francs, compte que l’Assemblée Générale Ordinaire n’a pas approuvé;or, seule l’Assemblée Générale est habilitée à affecter le résultat d’une société.
Qu’elle soutient qu’en accordant à Paul ARNAUD, 20% du résultat net avant affectation de 5% du résultat au compte de réserve légale, le Premier Juge a violé l’article 20 des Statuts de la société.
Que la distribution ne pourrait intervenir, les frais de la constitution n’étant pas totalement amortis.
Qu’elle conclut donc, à l’infirmation du jugement entrepris.
Considérant que Paul ARNAUD, intimé concluant par la SCPA PARIS-VILLAGE, explique qu’il était associé à la société SADEA Editions et détenait 20 parts.
Que, suite à un faux procès, il a été éjecté de cette société.
Que, malgré ses tentatives pour convoquer une Assemblée Générale, il s’est heurté au refus de la gérance de cette société.
Que, devant cette méconnaissance de son droit d’associé, il a assigné la société Sadea Editions pour procéder à la distribution des bénéfices de l’exercice 1990-1991.
Qu’il soutient que, si les statuts de la Société exigent que les bénéfices sociaux soient affectés par l’Assemblée Générale Ordinaire, après approbation des comptes, suivant l’article 20 alinéas 1, 2 et 3, encore faut-il que l’Assemblée Générale se réunisse;or, celle-ci n’a jamais été convoquée, alors que la gérance était légalement tenue de soumettre le résultat à l’approbation des associés, et de distribuer les bénéfices constatés, au plus tard dans les six mois de la fin de l’exercice social.
Qu’il poursuit que jusqu’en 1996, le compte dudit exercice n’a été approuvé par une Assemblée Générale et aucune distribution de bénéfices constatée, alors que la législation comptable impose ces opérations, au plus tard six mois après la fin de l’exercice social.
Que, face à la mauvaise foi de la Sadea Editions, il pouvait être valablement recouru à justice;qu’il en déduit que le Tribunal n’a pas violé les dispositions statutaires de la société Sadea Editions;que, s’agissant du défaut de prélèvement des 5% au titre de la réserve légale, il fait valoir que la société Sadea Editions ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
Que, concernant l’impossibilité de distribuer les bénéfices au titre du premier exercice, soi-disant imposé par la loi aux SARL, il affirme qu’une telle interdiction n’est pas édictée par l’article 34 alinéa 3, qui dispose que « le montant des intérêts ainsi payés doit être compris parmi les frais de premier établissement et réparti avec ces frais, suivant le mode et dans le délai que doivent _*, sur les années qui présenteront des _*.
Qu’il soutient que la liquidation de la Sadea Editions veut tromper la Cour, quant au contenu et à l’intelligence des textes.
Qu’il plaide, en conséquence, que la Sadea Editions soit déboutée de son appel.
Considérant qu’en réplique aux moyens de _*, l’intimé soutient que ce dernier reconnaît lui-même que l’Assemblée Générale n’a pu se tenir.
Que le Juge pouvait donc provoquer cette Assemblée Générale, seule habilitée à affecter les dividendes après déduction des 5%.
Considérant que l’intimé a conclu, il échet de statuer contradictoirement.
Des motifs
EN LA FORME
Considérant que l’appel régulièrement intervenu est recevable.
AU FOND
Considérant qu’il résulte de l’article 20, 4 des Statuts de la Société Sadea Editions, que le paiement des dividendes revenant aux associés est dévolu à l’Assemblée des associés.
Qu’il s’ensuit que le Juge ne saurait suppléer, sous quelque motif que ce soit, l’assemblée générale des associés, pour affecter un dividende à un associé, sans s’immiscer dans la gestion financière de la société, laquelle n’appartient qu’aux seuls dirigeants sociaux.
Qu’il convient, en conséquence, d’infirmer le jugement entrepris.
Considérant que les parties affirment de manière unanime, que l’assemblée générale des associés n’a pu se tenir, ni même (être) convoquée, violant ainsi les dispositions statutaires.
Qu’il faut remédier à cela par la nomination d’un Administrateur ad hoc, avec pour mission, de convoquer l’Assemblée générale des associés pour la distribution des dividendes de l’exercice 1990-1991, qui a fait apparaître un bénéfice de 38.711.802 francs.
Considérant qu’il importe, dans ces circonstances, de répartir les dépens.
PAR CES MOTIFS
Vu l’arrêt N 107 du 21 01.2000 de la Cour d’Appel de céans.
Déclare la liquidation de la Société Sadea Editions bien fondée en son appel relevé du jugement civil N 748/CIV. 6/A rendu le 30 07.1997 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan;Infirme ledit jugement.
Statuant à nouveau.
Dit et juge que la distribution des dividendes aux associés est dévolue à l’assemblée générale des associés.
En conséquence, désigne Monsieur Francis DESCLERCS, Expert Comptable, 01 BP 3956 Abidjan 01-Téléphone 20.21.71.71 / 20.32.55.87 ou 20.21 14.59 en qualité d’Administrateur ad hoc, avec pour mission essentielle, de convoquer dans les trois mois de la notification de sa nomination, l’assemblée générale des associés de la Société Sadea Editions, aux fins de distribuer les dividendes de l’exercice 1990-1991, sur la base d’un bénéfice net de 38.711.802 FCFA.
Fait masse des dépens et dit qu’ils seront partagés par moitié entre les parties.
En foi de quoi, le présent arrêt prononcé publiquement, contradictoirement, en matière civile, commerciale et en dernier ressort par la Cour d’Appel d’Abidjan (3ème Chambre Civile), a été signé par le Président et le Greffier.
NOTE Robert NEMEDEU, Chargé de cours, FSJP – Université de Yaoundé II – Soa
Les faits de l’espèce sont les suivants : un associé de la société SARL Sadea Editions, M. Paul Arnaud, attrait devant le TPI d’Abidjan, son liquidateur M. Anon Seka, pour obtenir la répartition judiciaire du bénéfice social de l’exercice 1990-1991, qui s’élevait à 38 millions de Fcfa. Il obtint gain de cause devant ce juge, qui décida effectivement de lui octroyer 20 % du résultat net (car il détenait 20 % des parts de la SARL). avant affectation de 5 % du résultat au compte de réserve légale.
Le liquidateur, par la voie de son Conseil, Me Estelle Attale, fait appel de la décision du juge. Le grief principal soulevé est le suivant : la décision du juge a violé l’article 20 des statuts, qui exige que les bénéfices sociaux soient affectés par l’assemblée générale ordinaire, après approbation des comptes, ce qui n’a pas été fait, et surtout que ladite assemblée n’a pas été convoquée.
L’intimé invoque la mauvaise foi du gérant car, étant certainement, à la lecture des faits, un ancien gérant révoqué, il estime qu’il était du devoir du gérant, de procéder à la convocation de ladite assemblée générale ordinaire, pour approbation des comptes, et que ne l’ayant pas fait, il violait aussi par ailleurs, la législation comptable, qui exige que lesdites opérations soient faites au plus tard 6 mois après la fin de l’exercice.
LA COUR d’Appel estime que le juge du TPI, en procédant à cette répartition des bénéfices, qui légalement est un pouvoir dévolu aux associés en assemblée générale ordinaire, s’est immiscé dans la gestion financière, voire, qu’il y a eu gouvernement du juge.
Compte tenu du fait que l’assemblée générale ordinaire n’avait pu se tenir, les juges de la Cour d’Appel nomment un administrateur judiciaire, avec pour mission, de convoquer l’assemblée générale des associés pour procéder à la distribution des dividendes de l’exercice 1990-1991, qui fait apparaître un bénéfice net de 38 millions de Fcfa.
Cet arrêt suscite un certain nombre de questions : tout d’abord, celle de la qualité pour convoquer l’assemblée générale des associés, lorsque le dirigeant social n’y a pas procédé;et par ailleurs, dès lors que le juge est saisi de la question, comment doit-il procéder sans s’immiscer dans la gestion sociale ?.
En d’autres termes, comment éviter dans le fonctionnement des sociétés commerciales, le gouvernement des juges, tant redouté ?.
Prenant de la hauteur par rapport aux faits de l’espèce, on peut nourrir une réflexion globale sur les modalités d’obtention de la distribution des bénéfices sociaux, ainsi que sur le rôle du juge dans le fonctionnement des sociétés commerciales, qui se révèle ambivalent.
I. Les modalités d’obtention de la distribution des bénéfices sociaux
On ne saurait parler de la distribution des bénéfices sociaux, que s’il y a eu véritablement bénéfice comptable à la fin d’un exercice. Dans notre arrêt, la question ne portait pas sur l’existence ou non du bénéfice, qui était dégagé à 38 millions, mais plutôt au niveau du pouvoir de décision de sa répartition entre les associés.
Une fois cette question résolue, il conviendrait d’envisager les hypothèses dans lesquelles il y aurait problème (l’organe compétent ne réagit pas ou le renvoi systématique en réserve).
A. Qui doit décider de la répartition des bénéfices ?
Aux termes de l’article 346 AUDSCGIE, la répartition des bénéfices s’effectue conformément aux statuts, sous réserve des dispositions impératives communes à toutes les sociétés. Quand on se reporte à l’article 142 AUDSCGIE, on constate que l’assemblée générale décide de l’affectation du résultat, dans le respect des dispositions légales et statutaires. Elle constitue les dotations nécessaires à la réserve légale et aux réserves statutaires.
De la combinaison de ces différents articles, il ressort que la décision de répartition des bénéfices est un pouvoir propre de l’assemblée des associés, qu’on ne saurait accorder à un autre organe. Les clauses statutaires ne pourraient qu’organiser les modalités de cette affectation, étant entendu qu’au moins le 10e du bénéfice de l’exercice sera affecté obligatoirement à la formation d’un fonds de réserve dit « réserve légale », sous peine de nullité de la délibération ou de la clause. Bien évidemment, si cette réserve atteint le 5e du montant du capital social, la dotation cesse d’être obligatoire.
Dans le cas d’espèce, la clause statutaire (article 20). prévoyait effectivement que c’est à l’assemblée générale ordinaire, d’approuver les comptes et donc, de décider de l’affectation des bénéfices sociaux. Une fois de plus, à ce niveau, aucun problème ne se posait, sauf que l’assemblée générale ordinaire n’avait pas été convoquée par le gérant, et l’associé Arnaud, voulant utiliser son droit de convocation, s’y est mal pris.
B. Comment vaincre l’inertie du gérant ?
La non-convocation des assemblées générales, l’inertie ou la mauvaise foi des gérants, sont des pratiques fréquentes dans le fonctionnement des sociétés commerciales. Le législateur OHADA, conscient de cela, prévoit à l’article 337 AUDSCGIE, que « les associés sont convoqués aux assemblées générales par le gérant, ou à défaut, par le commissaire aux comptes, s’il en existe un. Un ou plusieurs associés détenant la moitié des parts sociales ou détenant, s’ils représentent au moins le quart des associés, le quart des parts sociales, peuvent exiger la réunion d’une assemblée. En outre, tout associé peut demander en justice, la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée et de fixer son ordre du jour ».
On ne saurait déduire de cet article, que les associés ne peuvent jamais procéder eux-mêmes à la convocation de l’assemblée générale, et que ce droit n’appartient qu’aux organes légaux. Nous savons qu’en principe, il revient au gérant qui administre la société, de convoquer l’assemblée générale. L’interprétation de l’article 337 a1.2, nous permet d’affirmer que le législateur OHADA ne conditionne pas l’exercice de ce droit par les associés remplissant la condition indiquée, à l’inertie du gérant. Certes, ils peuvent s’en servir pour vaincre l’inertie du gérant, mais aussi, ils peuvent par ce moyen, se donner la latitude de convoquer une assemblée générale, donc de juger ainsi de l’opportunité qu’une assemblée soit convoquée. Et ce n’est que si le gérant refuse de procéder à la convocation, que cet associé ou tout autre, peut demander en justice, la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée générale et de fixer son ordre du jour.
Dans notre arrêt, M. Arnaud, certainement, faisait face à l’inertie ou à la mauvaise foi du gérant de convoquer l’assemblée générale. Cependant, au lieu de faire application de l’art. 337 a1.2 ou 3 AUDSCGIE, il a plutôt demandé au juge l’affectation judiciaire du résultat, ce qui était une mauvaise utilisation de son droit de convocation. Certainement, il était pressé d’en finir avec ce gérant qui bloquait, par ce moyen, la répartition du bénéfice de l’exercice 1990-1991.
La réponse positive du TP1 ici suscite une réflexion globale sur le rôle du juge dans la société commerciale.
II. Le rôle ambivalent du juge :
un droit d’intervention et une interdiction d’immixtion dans les affaires sociales.
Il est presque unanimement admis que le juge ne doit pas s’immiscer dans les affaires sociales (B). Cela n’exclut pas qu’il intervienne (A), quand il est saisi d’une question concernant le fonctionnement de la société commerciale. La nuance conceptuelle entre immixtion et intervention doit être relevée.
A. Un droit d’intervention du juge dans les affaires sociales
On ne saurait dénier tout rôle au juge, dans le fonctionnement des sociétés commerciales. Bien que partant du principe que la société est « la chose des associés », il n’empêche qu’elle met en jeu des intérêts autres que ceux des associés (salariés, créanciers, tiers en général). Et le juge, en tant que détenteur de l’imperium, se doit de garantir à ces derniers, une sécurité. Son intervention s’avère également salutaire lorsqu’une règle sociale est floue, en cas de vide juridique ou de blocage dans la société.
Cette dernière situation s’est souvent traduite par un refus systématique des minoritaires, de voter pour une résolution vitale pour la société. La jurisprudence admet que le juge doit, tout en évitant de se substituer aux organes sociaux, « désigner un mandataire aux fins de représenter les associés minoritaires défaillants à une nouvelle assemblée, et de voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l’intérêt social, mais ne portant pas atteinte à l’intérêt légitime des minoritaires ».
Cette jurisprudence est d’une ingéniosité remarquable. Le juge désigne un mandataire de justice à cette fin, sans y procéder lui-même. Il y a là, une volonté de la part de ce dernier de ne pas s’immiscer dans les affaires sociales, mais de faciliter par ce moyen, le bon fonctionnement de la société.
L’arrêt de la Cour d’Appel d’Abidjan s’inscrit dans cette logique d’éviter au juge, de se mêler des affaires sociales. Le raisonnement suivi par les juges d’appel pour nommer l’administrateur ad hoc en témoigne. Ils se sont basés sur les éléments de fait suivants : il s’agissait des résultats de l’exercice 1990-1991, et jusqu’en l’an 2000, ils n’étaient pas affectés;par ailleurs, l’assemblée générale ordinaire n’avait pas été convoquée, malgré la pression de l’associé Arnaud, ce qui fait que la mauvaise foi du gérant était manifeste.
Cependant, il faut admettre que la mise en œuvre de ce droit d’intervention du juge (même si elle est plus facile dans le cas de cet arrêt), réduit considérablement la frontière qui existerait entre le droit d’intervention et le risque d’immixtion, notamment quand il y a blocage dans la société (hypothèse de l’arrêt Flandin).
Par cette jurisprudence, le juge se refuse à une immixtion directe dans les affaires sociales. N’empêche qu’elle est indirecte car, comment admettre qu’un mandataire puisse pouvoir jouir des conditions psychologiques d’un associé ? Peut-il assumer, comme l’associé, une quelconque conséquence de son vote ? Il n’est autre qu’un mandataire du juge, qui doit agir dans le cadre de son mandat, tel que ce dernier a défini. Les termes du mandat sont les suivants : représenter les minoritaires défaillants, voter en leur nom, conformément à l’intérêt social, mais avec une précaution, ne pas porter atteinte à leur intérêt légitime. On doit dire que l’étendue de ce mandat cadrait avec les éléments de fait de l’espèce, de sorte qu’on ne saurait généraliser pour plusieurs raisons : les minoritaires ne constituent pas une catégorie toujours homogène, et peuvent nourrir des motivations diverses;par ailleurs, voter en leur nom, conformément à l’intérêt social, oblige le mandataire à apprécier l’intérêt social, qui est la boussole des associés et des dirigeants. Et enfin, ne pas porter atteinte à leur intérêt légitime est d’une relativité certaine car, le mandataire devra déjà savoir quel est l’intérêt légitime des minoritaires défaillants, et comment ne pas y porter préjudice.
On peut tout de même se demander si le fait de voter à leur place, alors qu’ils se refusent à le faire, n’est déjà pas une atteinte à leur intérêt légitime, voire une immixtion dans les affaires sociales.
B. Une interdiction d’immixtion dans les affaires sociales
Le gouvernement du juge a toujours été redouté dans la société commerciale. Ce, parce qu’on considère que la société est une affaire des associés, et que si intervention du juge il doit y avoir, ce ne serait que pour conforter le point de vue des associés. Par contre, il est de jurisprudence constante que le juge ne saurait se substituer aux associés ou aux organes sociaux, pour prendre une décision à leur place ou faire de la décision judiciaire, une délibération (jugement valant acte). Dans l’arrêt commenté, les juges d’appel ont bien précisé que le juge ne saurait procéder à une répartition des bénéfices sociaux, qui légalement, est un pouvoir dévolu aux assemblées générales des associés, car, en le faisant, il s’est immiscé dans la gestion financière.
On constate que l’immixtion, dans tous ces cas, se traduit par une prise de décision par le juge, à la place des associés. En le condamnant avec énergie, la jurisprudence sauvegarde la démocratie sociétaire, qui fait de la société commerciale, et de la société anonyme en particulier, un merveilleux instrument du capitalisme moderne.