J-08-78
Arbitrage – Clause compromissoire – Droit reconnu à toute personne de recourir à l’arbitrage – Nullité (non).
Arbitrage – Contrat – Exécution – Violation des droits cédés – Litige – Clause compromissoire – Juridiction compétente.
L’Acte uniforme relatif au droit de l’Arbitrage tenant lieu de la loi relative à l’arbitrage, c’est en vain qu’une des parties oppose la nullité de la clause compromissoire inscrite dans le contrat, dès lors que ledit Acte admet que toute personne physique ou morale peut recourir à l’arbitrage sur les droits dont elle a la libre disposition.
Par conséquent, les juridictions nationales sont incompétentes au profit de la Cour d’Arbitrage, dès lors que c’est la violation de droits cédés dans ledit contrat qui est à l’origine de la saisine du juge du Tribunal.
Cour d’Appel d’Abidjan, 1ère Chambre Civile et Commerciale, Arrêt n 585 du 10 juin 2005, Affaire : A. c/ STE CI-TELECOM STE BATES A.G. PARTNERS M. Z. M. G. LE BURIDA. Le Juris Ohada n 2/2007, p. 29.
LA COUR
Vu les pièces du dossier.
Ouï les parties en leurs conclusions.
Ensemble l’exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après.
Par exploit d’huissier de justice en date du 14 décembre 2004 avec ajournement au 24 décembre 2004, Monsieur A. ayant pour Conseil la SCPA NAMBEYA-DOGBEMIN & Associés, Société d’Avocats, a relevé appel du jugement civil n 985 rendu le 06 juin 2004 par le Tribunal d’Abidjan qui, en la cause, a statué ainsi qu’il suit :
« … Déclare l’action irrecevable pour incompétence de la juridiction saisie, en raison de la clause attributive de compétence.
Condamne le demandeur aux dépens ».
Aux termes de son acte d’appel, Monsieur A. expose qu’il a manifesté le désir d’utiliser de manière audiovisuelle, le personnage de « CAUPHY GOMBO » de la bande dessinée, dont GBICH est le support.
Il ajoute qu’il a alors approché Monsieur Z, auteur et propriétaire dudit personnage, et signé un contrat de partenariat aux termes duquel, Monsieur Z. autorise Monsieur A. à faire une exploitation audiovisuelle du personnage « CAUPHY GOMBO », pour la somme de deux millions de francs CFA, de même qu’il l’autorise à modifier ou approfondir le concept « CAUPHY GOMBO » et l’adapter aux exigences d’une production audiovisuelle.
C’est, investi de ces droits poursuit-il, qu’il a procédé aux formalités d’usage, notamment au dépôt du nom à l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle dite OAPI et au Bureau Ivoirien du Droit d’Auteur dit BURIDA.
Il indique qu’après plusieurs séances de casting, Monsieur G. a été retenu et transformé par divers artifices, de sorte à parfaitement incarner le personnage « CAUPHY GOMBO ».
Il déclare avoir produit alors une production audiovisuelle d’une durée de 03 à 05 minutes diffusée par la RTI, première chaîne, avec une filmothèque de 120 télégags qui a connu un succès retentissant, faisant ainsi de « CAUPHY GOMBO », un personnage très célèbre.
Il relève cependant que, grande a été sa surprise, lorsqu’au cours du mois de juin 2003, la société Côte-d’Ivoire TELECOM s’est mise à exploiter à des fins publicitaires, le personnage « CAUPHY GOMBO », tant sur des supports écrits qu’audiovisuels, et précise que c’est le comédien G. qui a été utilisé avec la tenue vestimentaire qu’il lui a confectionnée, avec un nœud papillon caractéristique.
Il fait savoir que suivant trois correspondances en date du 23 juin 2003, il a demandé à Côte-d’Ivoire TELECOM, Monsieur Z. et au comédien G, d’arrêter toute exploitation audiovisuelle de ce personnage.
Monsieur A. indique cependant que non seulement l’exploitation du personnage « CAUPHY GOMBO » a continué, mais bien plus, Côte-d’Ivoire TELECOM a répondu qu’elle est bénéficiaire de deux contrats, conclus l’un entre son Conseil en communication, la société BATES AG PARTNERS SARL et Monsieur Z, et l’autre, entre son Conseil en communication et le comédien G.M, pour toute l’année 2003.
Il déclare qu’eu égard au préjudice énorme que lui a causé Côte d’Ivoire TELECOM, il a saisi le Tribunal à l’effet de la voir condamnée à lui payer des dommages-intérêts.
Critiquant le jugement attaqué, Monsieur A. relève que c’est à tort que le premier juge s’est déclaré incompétent, motif pris de ce que son action étant basée sur le contrat de partenariat du 14 mars 2004, qui dispose que « toute contestation ou litige survenant dans l’interprétation ou l’exécution du présent contrat fera l’objet d’un règlement amiable préalable;si le litige persiste, il sera soumis à la Cour d’Arbitrage d’Abidjan ».
Il affirme qu’il n’a jamais existé de contrat entre Côte d’Ivoire TELECOM et lui, encore moins entre la société BATES AG PARTNERS et lui, le seul contrat auquel il est partie étant celui signé le 14 mars 2003 avec Z.
Par conséquent, poursuit-il, en raison de l’effet relatif des conventions à l’égard des tiers posé par l’article 1165 du Code Civil, aux termes duquel « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes.
Elles ne nuisent point au tiers et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 »;la société Côte d’Ivoire TELECOM ne saurait valablement se prévaloir de cette clause.
Par ailleurs, ajoute-t-il, la société susnommée ne se trouve pas dans le cas prévu à l’article 1121 du Code Civil.
Il rappelle que le Tribunal a été saisi d’un litige relatif à la responsabilité délictuelle de la société Côte d’Ivoire TELECOM et de son mandataire, la société BATES AG PARTNERS, lesquels ont frauduleusement utilisé le personnage audiovisuel de « CAUPHY GOMBO » lui appartenant, de sorte que ce n’est ni l’interprétation ni l’exécution du contrat conclu entre Z. et lui qui est en cause.
Par conséquent, ajoute-t-il, la clause attributive de compétence ne saurait être invoquée en l’espèce.
Il sollicite l’infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Il répète qu’il est l’auteur de l’œuvre nouvelle, après concession à lui faite par Monsieur Z, de tous les droits d’exploitation audiovisuelle du personnage « CAUPHY GOMBO ».
Il fait valoir qu’aux termes de l’article 2 de la loi n 96-564 du 25 juillet 1996 relative à la protection des œuvres de l’esprit et aux droits d’auteur, « les auteurs des œuvres de l’esprit jouissent sur ces œuvres, du seul fait de leur création et sans formalité aucune, d’un droit de propriété incorporelle, exclusif et opposable à tous.
Un tel droit dénommé « droit d’auteur » comporte tous les attributs d’ordre intellectuel, moral et patrimonial dont la détermination est organisée par la présente loi ».
Il ajoute que l’article 17 de ladite loi précise que : « sont réputés auteurs de l’œuvre audiovisuelle, les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre », et conclut que la loi fait ainsi une distinction entre l’œuvre originale de laquelle est tirée l’œuvre audiovisuelle et cette dernière qui a pour auteurs, ses producteurs.
Il invoque également l’article 75 de la loi précitée qui précise que :
« Le contrat qui lie le producteur aux auteurs d’une œuvre audiovisuelle, autres que l’auteur de la composition musicale avec ou sans parole, emporte, sauf clause contraire et sans préjudice des droits reconnus à l’auteur par les dispositions relatives aux droits patrimoniaux du titre III de la première partie de la présente loi, cession au profit du producteur des droits exclusifs d’exploitation de l’œuvre audiovisuelle. ».
Il en conclut qu’il est le détenteur exclusif des droits d’exploitation audiovisuelle sur le personnage « CAUPHY GOMBO » et donc, le seul à pouvoir en disposer.
Il affirme que c’est totalement en fraude que Côte d’Ivoire TELECOM et la société BATES AG PARTNERS ont utilisé et exploité son personnage « CAUPHY GOMBO », celles-ci n’ayant obtenu aucune autorisation de sa part.
Il indique que cette utilisation illicite de son personnage constitue une faute ayant entraîné un préjudice financier pour lui, estimé à cent millions de francs CFA car, explique-t-il, tous les annonceurs qui avaient manifesté un intérêt pour « CAUPHY GOMBO » se sont désistés, se retrouvant lui avec 40 télégags non diffusés, occasionnant une perte de 400 000 000 FCFA, soit 10 000 000 FCFA par télégag.
Il ajoute que du fait de l’interruption des discussions avec les sponsors potentiels, il a accusé un manque à gagner de 75 000 000 F et évalue son préjudice total à la somme de 575 000 000 FCFA.
Il sollicite l’infirmation du jugement attaqué, la condamnation solidaire de la société Côte d’Ivoire TELECOM, la société BATES AG PARTNERS, Monsieur Z. et G. à lui payer la somme de 575 000 000 FCFA à titre de dommages-intérêts.
Il demande également leur condamnation aux entiers dépens distraits au profit de la SCPA NAMBEYA-DOGBEMIN, Avocats, aux offres de droit.
Par écritures de Maître BOKOLA Chantal, Avocat à la Cour, son Conseil, en date du 29 décembre 2004, la société Côte d’Ivoire TELECOM explique que dans le cadre d’une campagne de publicité relative à sa nouvelle tarification des communications téléphoniques, elle a conclu avec l’Agence BA TES AG PARTNERS, une convention en vue de prestation de services en matière de communication.
Elle ajoute que l’Agence BATES AG PARTNERS a conçu une campagne d’affichage, utilisant l’image du personnage de bande dessinée « CAUPHY GOMBO », incarné par l’acteur G.
Elle indique qu’avant l’utilisation de ce personnage, l’agence a signé avec son auteur Z. et l’acteur G, les conventions suivantes :
– Une convention de prestation de service entre Z. et elle.
– Une autorisation unilatérale de droit d’exploitation du personnage « CAUPHY GOMBO » dûment signée par Z.
– Un contrat de prestation de service entre G. et l’Agence BATES AG PARTNERS.
Elle fait valoir que sommée par Monsieur A. d’arrêter l’exploitation audiovisuelle du personnage de « CAUPHY GOMBO » de façon illégale le 23 juin 2003, elle a invoqué les différents contrats sus mentionnés, pour justifier cette exploitation.
Contre toute attente, poursuit-elle, Monsieur A. a saisi le Tribunal d’une action en paiement de dommages-intérêts, qui a abouti au jugement attaqué.
Elle sollicite au principal, la confirmation de ce jugement car, soutient-elle, le présent litige est bien relatif à l’exécution du contrat de partenariat, puisque Monsieur A. estime qu’il y a une atteinte aux droits que lui confère ledit contrat.
Elle affirme que dans ce cas, c’est devant la Cour d’Arbitrage que le litige devrait être porté, comme le prévoit le contrat de partenariat du 14 mars 2003.
Subsidiairement, elle déclare que les poursuites initiées à son encontre sont injustifiées, dans la mesure où les contrats passés par l’Agence BATES AG PARTNERS avec Monsieur Z, d’une part, et avec Monsieur G, d’autre part, ne peuvent en aucun cas engager sa responsabilité.
Elle relève que cette agence n’a jamais agi comme son mandataire, puisqu’elle ne lui a conféré aucun pouvoir de représentation, et allègue qu’elle est totalement étrangère aux contrats passés par l’agence avec laquelle elle n’a passé qu’un contrat d’entreprise, au sens de l’article 1787 du Code Civil défini comme la convention par laquelle une personne charge un entrepreneur d’exécuter en toute indépendance, un ouvrage.
Elle fait valoir que pour être tiers aux contrats passés par l’agence, Z. et G, elle doit être mise hors de cause.
Elle sollicite aussi la condamnation de Monsieur A. aux dépens distraits au profit de Maître BOKOLA Lydie Chantal.
Dans ses écritures en réplique du 12 janvier 2005, Monsieur A. reproche à Côte d’Ivoire TELECOM, d’avoir abordé le fond du litige en qualifiant son action d’injustifiée, alors qu’elle s’était bornée à soutenir l’incompétence de la juridiction qui a statué en première instance.
Il en déduit qu’il s’agit d’une demande nouvelle non admise par l’article 175 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative.
Il fait valoir que les contrats ayant un effet relatif, Côte d’Ivoire TELECOM ne saurait se prévaloir de la clause compromissoire aux lieu et place de Z.
Il maintient que la société BATES AG PARTNERS est bien le mandataire de Côte d’Ivoire TELECOM, dont la responsabilité reste engagée.
Pour Monsieur Z, représenté par son Conseil le Cabinet d’Avocats SARR, ALLARD & Associés, il s’agit bien ici, de l’interprétation des clauses du contrat liant Monsieur A. à elle, de sorte que la clause attributive de compétence doit jouer.
Elle sollicite la confirmation du jugement déféré et la condamnation de l’appelante aux entiers dépens.
Dans ses écritures du 09 février, Côte-d’Ivoire TELECOM rétorque qu’elle n’a pas formulé de demande nouvelle, mais plutôt développé des moyes de défense.
Elle réaffirme que la clause attributive de compétence doit jouer et que sa responsabilité n’est nullement engagée par les agissements de l’Agence BATES AG PARTNERS.
Dans ses nouvelles répliques du 10 février 2005, Monsieur A. soulève la nullité de la clause compromissoire, pour violation des articles 1er et 2 de la loi N 93.673 du 09 août 1993 sur l’arbitrage.
En effet, explique-t-il, ce texte exige que les parties signataires soient commerçantes toutes les deux, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, que les arbitres soient désignés, or, aucun arbitre n’a été désigné dans la convention qui le lie à Z.
Il conclut que cette clause nulle est réputée non écrite.
Pour sa part, Côte-d’Ivoire TELECOM réplique que l’Acte uniforme OHADA du 11 mars 1999 relatif au droit de l’arbitrage a abrogé la loi n 93-673 du 09 août 1993 portant arbitrage, et ce, en son article 35.
Le Ministère Public a conclu à la confirmation du jugement entrepris.
SUR CE
EN LA FORME
L’appel de Monsieur A. est intervenu dans les forme et délai légaux;il est en conséquence recevable.
AU FOND
Sur la nullité de la clause compromissoire
Il résulte des dispositions de l’article 35 de l’Acte Uniforme du 11 mars 1999 relatif au droit de l’arbitrage, que cet « Acte uniforme tient lieu de la loi relative à l’arbitrage dans les Etats parties », se substituant donc aux dispositions internes de la loi 93.673 du 09 août 1993.
Or, l’article 2 dudit Acte uniforme admet toute personne physique ou morale à recourir à l’arbitrage sur les droits dont elle a la libre disposition.
Il s’ensuit que c’est en vain que Monsieur A. oppose la nullité de la clause compromissoire inscrite dans le contrat qui le lie à Monsieur Z.
Sur l’incompétence des juridictions de droit commun
Il n’est pas contesté que l’action de Monsieur A. est dirigée également contre Monsieur Z, représentant le journal GBICH, avec lequel il a passé le contrat de partenariat en date du 14 mars 2003.
Il est manifeste que c’est la violation des droits cédés dans ledit contrat qui est à l’origine de la saisine du juge du Tribunal d’Abidjan-Plateau.
Il ne peut donc pas être dénié que c’est l’exécution dudit contrat qui est en cause.
Il s’ensuit que les juridictions nationales sont incompétentes au profit de la Cour d’Arbitrage, comme l’indique l’article 7 dudit contrat.
Le jugement déféré mérite en conséquence, une confirmation pure et simple.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort.
EN LA FORME
Reçoit Monsieur A. en son appel.
AU FOND
L’y dit mal fondé et l’en déboute.
Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions.
Le condamne aux dépens.
PRESIDENT : Mme YAO-KOUAME ARKHURST H. MARIE FELICITE.