J-08-82
Droit des sociétés commerciales – Nomination d’administrateur judiciaire – Juridiction compétente – Président du Tribunal (non) – Tribunal statuant en matière commerciale.
Le gérant étant, aux termes des dispositions de l’article 326 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE, révocable par le Tribunal chargé des affaires commerciales, seul le tribunal est compétent pour désigner l’administrateur judiciaire de la société et révoquer le gérant, dont les fonctions n’ont pas encore officiellement pris fin.
Dès lors, le Président du Tribunal ne pouvait pas, sans violer l’article 326 précité, retenir sa compétence et nommer l’administrateur judiciaire en révoquant le gérant.
Par conséquent, sa décision encourt l’annulation.
Article 326 AUSCGIE
Cour d’Appel de Daloa, 1ère Chambre Civile et Commerciale, Arrêt n 166 du 11 aoûtt 2004, Affaire : EL Z. c/ LA SOCIETE FORESTIE RE DE L’OUEST DITE SCEFO. Le Juris Ohada n 2/2007, p. 42.
LA COUR
Vu les pièces du dossier de la procédure.
Vu les conclusions des parties.
Ensemble l’exposé des faits, procédure, prétentions et moyens des parties et motifs ci-après.
FAITS ET PROCEDURE
El Z. était gérant et détenteur exclusif des parts sociales de la société à responsabilité limitée dénommée COMPAGNIE LIMITEE DE BOIS INDUSTRIEL DU CENTRE-OUEST dite COLBICO, dont le siège social est à DALOA, et qui par ailleurs, est associée à la Société Civile d’Exploitation Forestière de l’Ouest dite SCEFO, société à responsabilité limitée sise à MAN et détient trente-quatre parts sur deux cents du capital social de celle-ci.
En proie à des difficultés financières, la société COLBICO a été admise au bénéfice de la liquidation judiciaire, le premier octobre 1991.
El Z. a alors sollicité le concours de la société SCEFO à l’effet de sauvegarder les intérêts de sa société, et au cours d’une réunion tenue le 31 mai 1995 à SAN-PEDRO, il a été convenu que : la société SCEFO s’engage à rembourser les 20 000 000 de francs de dette de la société COLBICO, dont 10 000 000 de francs avant le 16 juin 1995, et le reliquat en plusieurs mensualités, jusqu’à apurement total.
En contrepartie, la SCEFO détiendrait dès paiement de cette somme, 51 % des actions de la société COLBICO et se réserverait tout droit de fonctionnement et de transfert de la société COLBICO (qui se scindera en deux unités : MAN-DALOA).
Bien que détenteur de 49 % des parts de COLBICO, EL Z. serait désormais un employé dont le salaire sera déterminé au moment opportun.
Tirant argument de ce que SCEFO n’a pas entièrement honoré ses engagements, EL Z. a engagé une procédure en annulation de la cession de parts sociales qu’il lui a consentie.
Par arrêt n 266/03 en date du 15 mai 2003, la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire a rejeté le pourvoi formé par EL Z. en cassation de l’arrêt confirmatif n 38 du 26 janvier 2000, aux termes duquel la Cour d’Appel de céans a déclaré l’appel incident de SCEFO partiellement fondé, et statuant à nouveau, elle a débouté EL Z. de toutes ses demandes, l’a condamné à payer à son adversaire, la somme de 150 000 000 F et confirmé le jugement attaqué pour le surplus de ses dispositions, dont notamment son expulsion de COLBICO.
En exécution de cette décision, EL Z. a été expulsé de l’entreprise depuis juillet 2003.
Tirant prétexte de ce que d’une part, en sa qualité d’associé détenteur de 49 % des parts sociales, jamais depuis 1996 il n’a été convoqué à une quelconque assemblée générale et n’a reçu ni le bilan ni le compte rendu de la gestion faite par SCEFO, et d’autre part, la société COLBICO est actuellement laissée à l’abandon, de sorte que les investissements par lui réalisés sont menacés de ruine et les machines d’obsolescence, il a, par requête en date du 30 mars 2004, sollicité du Président du Tribunal de Première Instance de DALOA, la nomination d’un administrateur judiciaire, à l’effet de faire les comptes, et surtout, de reprendre les activités de COLBICO, pour la sauvegarde de ses droits et intérêts. Par ordonnance numéro 55/04 du 31 mars 2004, la juridiction présidentielle a fait droit à la demande, en nommant C.D. en cette qualité.
Cette décision a été signifiée le premier avril 2004 à la société SCEFO qui, autorisée par ordonnance n 60 rendue le 08 avril 2004 par le Président du Tribunal de Première Instance de DALOA, a assigné EL Z. et C. en rétractation de ladite ordonnance devant le juge des référés de DALOA, par acte daté du même jour.
Aux termes de l’ordonnance n 19 rendue le 08 avril 2004, le juge saisi a rétracté l’ordonnance n 55 du 31 mars 2004.
Celle-ci n’a pas été signifiée, et par acte du 12 juillet 2004, EL Z. en a relevé appel.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
EL Z. a sollicité l’infirmation de l’ordonnance entreprise.
Après avoir réitéré les moyens qui ont fondé sa demande en première instance, il a reproché au premier juge de n’avoir pas accueilli l’exception de communication de pièces par lui soulevée, relativement aux pièces visées dans l’assignation, et qui n’y étaient pas pourtant annexées, motifs pris de ce qu’en la matière, les pièces pouvaient être échangées à l’audience même et qu’au surplus lui, EL Z, était censé détenir toutes les pièces dont s’agit.
Il a fait valoir que le juge des référés a occulté notablement les moyens de défense qu’il a développés. Aussi, a-t-il précisé que ses prétentions étaient essentiellement fondées sur la mise en œuvre du titre 04 des statuts de la société COLBICO et l’application des articles 337, 344, 345 et 347 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique de l’OHADA;de plus, P, le gérant représentant la société SCEFO, n’a jamais convoqué d’assemblée générale depuis sa nomination et, depuis ces trois dernières années, la société COLBICO a cessé toute activité.
EL Z. a soutenu que contrairement à la décision du juge des référés, aux termes de l’article 234 du Code de Procédure Civile, les ordonnances sur requête n’ont pas besoin d’être motivées, sauf dans le cas où elles rejettent la demande, de sorte que c’est à tort que celui-ci a articulé « qu’en l’espèce, lesdits motifs ne sont pas précisés dans la décision ordonnant la désignation d’un séquestre », surtout que la requête qui contient l’exposé des motifs fait corps avec l’ordonnance.
Il a également fait grief au premier juge, d’avoir retenu que dans le cas d’espèce, la preuve d’un litige ou d’une mésintelligence n’est pas faite, alors que les prétentions des parties et les pièces produites induisent le contraire.
Pour finir, il a fait observer que la société SCEFO ne peut se targuer de son statut d’associée majoritaire et gérante, pour priver sa coassociée de toute information sur la gestion par elle faite, et que celle-ci est en train de conduire COLBICO à la ruine totale.
Concluant par le canal de la SCPA BILE-AKA, BRIZOUA BI et Associés son Conseil, la société SCEFO a essentiellement fait valoir que l’ordonnance portant nomination d’un administrateur judiciaire de COLBICO a été rendue sur la base de l’article 231 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative, alors qu’en l’espèce, devait trouver application l’article 326 alinéa 02 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique de l’OHADA, en vertu duquel la révocation du gérant d’une société à responsabilité limitée ne peut être demandée que devant le tribunal chargé des affaires commerciales. Dans ces conditions, ladite ordonnance a été rendue par une juridiction incompétente.
De plus, a-t-elle soutenu, ni la requête tendant à la nomination de l’administrateur judiciaire ni l’ordonnance qui y fait droit, ne font référence à l’Acte uniforme précité, et l’appelant n’a pu justifier d’un motif légitime, tout au moins de litiges ou de mésintelligences entre associés, de sorte que la rétractation de l’ordonnance querellée procède d’une saine application de l’article 326 déjà évoqué.
Pour finir, elle a indiqué que les résolutions de l’assemblée générale des associés qui ont porté nomination de P. comme gérant de COLBICO, ont été authentifiées par acte notarié, intégrées aux statuts et publiées dans un journal d’annonces légales.
Cependant, c’est à compter de l’exécution de l’arrêt en date du 15 mai 2003 de la Cour Suprême, qui a rejeté le pourvoi en cassation de EL Z, que la gérance de P.G. est devenue effective et ne totalise pas encore une année de gestion.
MOTIFS
EN LA FORME
Sur la recevabilité de l’appel
Considérant qu’aux termes de l’article 167 alinéa 02 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative, l’appel ne peut être interjeté qu’à l’encontre des personnes qui ont été parties à l’instance ayant donné lieu à la décision attaquée.
Considérant qu’il ne résulte pas des énonciations du jugement déféré, que Maître CISSE épouse SYLLA Assita et le Greffier en chef du Tribunal de Première Instance de DALOA ont été parties à l’instance qui a opposé devant le juge des référés, la société SCEFO à EL Z.;que l’appel dirigé contre ces personnes doit être déclaré irrecevable.
Considérant par contre, que l’appel dirigé contre la société SCEFO, demanderesse à l’instance, est conforme aux prescriptions légales et doit être déclaré recevable.
Sur la recevabilité des conclusions de la société SCEFO
Considérant que selon les dispositions de l’article 228 alinéa 03 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative, en matière de référé, les parties doivent, à peine de forclusion, faire parvenir au Greffe de la Cour dans le délai de huit (08) jours à compter de la signification de l’appel, les conclusions et pièces dont elles entendent se prévaloir en cause d’appel.
Considérant que la société SCEFO a déposé au Greffe de la Cour ses conclusions le 26 juillet 2004, ainsi qu’il résulte des mentions du registre « courrier arrivée », soit plus de 08 jours après la signification à son domicile élu, le 07 juillet 2004, de l’acte d’appel.
Qu’en application de l’article 228 précité, lesdites conclusions doivent être déclarées irrecevables pour cause de forclusion.
AU FOND
Considérant qu’il résulte des termes de la requête en date du 30 mars 2004, que EL Z. sollicite la nomination d’un administrateur judiciaire à l’effet de faire les comptes, et surtout, reprendre les activités de la société COLSICO pour la protection et la sauvegarde de ses droits et intérêts;qu’à n’en point douter, cette demande tend à la révocation du gérant actuel de la société COLSICO, fût-il statutaire ou non.
Considérant que selon les dispositions de l’article 326 alinéa 02 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique de l’OHADA, le gérant est révocable par le tribunal chargé des affaires commerciales dans le ressort duquel est situé le siège social, pour cause légitime, à la demande de tout associé.
Qu’ainsi, le Tribunal de Première Instance de DALOA statuant en matière commerciale est, en application desdites dispositions, seul compétent pour désigner l’administrateur judiciaire de la société COLSICO sise dans son ressort territorial, et ce faisant, révoquer le gérant dont les fonctions n’ont pas encore officiellement pris fin.
Considérant que si les arguments fondant la demande de EL Z. sont pertinents et admissibles en droit, le Président du Tribunal de Première Instance de DALOA ne pouvait pas, sans violer l’article 326 précité, retenir sa compétence et par ordonnance sur requête, nommer C.D. administrateur judiciaire de la société COLSICO, en révoquant par ce moyen la SCEFO, qui en est la gérante;que dès lors, sa décision encourt annulation.
Considérant que le juge des référés de DALOA n’a pas statué dans ce sens.
Qu’il convient d’infirmer l’ordonnance entreprise.
Considérant que EL Z. succombe.
Qu’il y a lieu de le condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Après en avoir délibéré conformément à la loi.
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort.
EN LA FORME
Déclare l’appel interjeté par EL ZSZ irrecevable tel qu’il est dirigé contre Maître CISSE épouse SYLLA Assita et le Greffier en chef du Tribunal de Première Instance de DALOA, mais recevable en tant qu’il est dirigé contre la Société Civile d’Exploitation Forestière de l’Ouest dite SCEFO.
Déclare en outre irrecevables, les conclusions déposées le 26 juillet 2004 par la société SCEFO au Greffe de la Cour.
AU FOND
Infirme l’ordonnance n 19 rendue le 08 avril 2004 par le juge des référés de DALOA.
Statuant à nouveau.
Dit que le Président du Tribunal de Première Instance de DALOA n’est pas compétent en lieu et place du Tribunal de Première Instance de DALOA statuant en matière commerciale pour connaître de la demande de nomination d’un administrateur judiciaire de la société à responsabilité limitée COMPAGNIE LIMITEE DE BOIS INDUSTRIEL DU CENTRE-OUEST dite COLBICO.
Déclare en conséquence nulle et nul effet, son ordonnance N 55 en date du 31 mars 2004.
Condamne EL ZSZ aux dépens.
PRESIDENT : M. ZINGBE POU.