J-08-124
PROCEDURES COLLECTIVES – REGLEMENT PREVENTIF – SUSPENSION DES POURSUITES – DESIGNATION D’UN EXPERT – DELAI DE REMISE DE RAPPORT – NON RESPECT – PREJUDICE – RESPONSABILITE DE L’EXPERT (OUI) – DOMMAGES6-INTERETS (OUI).
L’expert judiciaire désigné par l’ordonnance d’ouverture de règlement préventif peut voir sa responsabilité engagée lorsqu’il ne respecte pas les délais légaux prescrits pour déposer son rapport. Par conséquent, il peut être condamné à payer des dommages-intérêts au créancier à qui le non respect de ce délai cause un préjudice. En l’espèce, le rapport de l’expert n’a été remis que cinq mois plus tard au lieu de deux mois ce qui a causé un préjudice au créancier, qui, étant sous le coup d’une suspension des poursuites a vu le patrimoine du débiteur diminuer du fait des actions exercées par les autres créanciers.
Article 8 AUPCAP
Article 13 AUPCAP
(Tribunal de Grande Instance de Yaoundé, JUGEMENT CIVIL N 262 DU 9 JANVIER 2003, AFFAIRE STANDARD CHARTERED C/ MANGA EWOLO André). Observations Yvette Kalieu.
LE TRIBUNAL
Vu l’acte introductif d’instance ensemble les pièces du dossier de la procédure.
Attendu que par exploit du 07 Mai 2001 de Maître BIYIK Thomas, huissier de justice à Yaoundé, la Standard Chatered Bank agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux et ayant pour conseil Maître NGALLE MIANO, Avocat au barreau du Cameroun a fait donner assignation à MANGA EWOLO André, expert judiciaire agréé d’avoir à comparaître par devant le Tribunal de Grande Instance du Mfoundi statuant en matière civile et commerciale pour s’entendre condamner celui-ci à lui payer la somme de 200 000 000 FCFA à titre de dommages intérêts.
Attendu que par un autre exploit en date du 17 juillet 2001 du ministère de Maître NGWE Gabriel Emmanuel, huissier de justice à Yaoundé, la société Industrielle de traitement des produits et intrants agricoles (SITAGRI) agissant en intervention volontaire a fait donner assignation à la standard Chatered Bank et à MANGA EWOLO André d’avoir à comparaître devant la juridiction sus évoquée pour s’entendre ordonner la main levée de l’hypothèque opérée sur ses biens immobiliers le 3 Novembre 1992;condamner la Standard Chatered Bank à lui payer la somme de 69.419 941 FCFA à titre de préjudice matériel et 1.500 000 000 FCFA pour réparer le préjudice tant moral que commercial, ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir;condamner la Standard Chatered aux entiers dépens.
Attendu que toutes les parties ont comparu et conclu;qu’il échet de statuer par décision contradictoire à leur égard.
Attendu qu’au soutien de son action la standard Chatered Bank fait valoir qu’elle a signé à la date du 2 Novembre 1992 une convention de compte courant avec affectation hypothécaire pour une somme de 700 000 000 FCFA avec la SITAGRI.
Que ces facilités bancaires ont été renouvelées à la date du 5 Mai 1999.
Que les comptes de la SITAGRI présentaient un solde débiteur d’une somme de 873 395 097 FCFA à la date du 5 Octobre 2000.
Qu’elle a procédé à la clôture des comptes de la SITAGRI dans ses livres et l’a mis en demeure de payer dans un délai de 8 jours, la somme sus mentionnée augmentée de celle de 97.339.509 d’intérêts et frais.
Que la SITAGRI a alors sollicité et obtenu une Ordonnance d’ouverture de règlement préventif qui désignait un expert au nom de MANGA EWOLO André.
Que cet expert devait déposer son rapport au greffe du Tribunal de Grande Instance du Nfoundi au plus tard dans les deux mois à compter de sa notification de l’Ordonnance du 25 Octobre 2000.
Qu’une somme de 20 000 000 FCFA devrait être également consignée au greffe dudit Tribunal par la SITAGRI.
Qu’à la date du 25 janvier 2001, seule une somme de 7 000 000 FCFA avait été reglée par la SITAGRI et que par ailleurs, le rapport de l’expert n’avait toujours pas été déposé.
Qu’à la suite du procès verbal de constat d’huissier, il s’avèrera que l’expert aurait sollicité et obtenu une prorogation de deux mois pour le dépôt de son rapport, ceci en violation des dispositions de l’article 13 de l’Acte Uniforme portant redressement et liquidations judiciaires.
Que la carence et l’inefficience de l’expert lui ont causé un préjudice incommensurable en ce que pendant qu’elle était interdite de poursuites individuelles depuis 7 mois, d’autres créanciers en ont profité pour procéder à des recouvrements, restreignant ainsi l’assiette garantissant sa créance.
Attendu que pour faire échec à l’action de la Standard Chartered Bank, sieur MANGA EWOLO André expose que le retard observé dans le dépôt de son rapport est dû au fait que celle-ci ne lui a pas communiqué les pièces comptables à temps.
Qu’il n’a reçu les premières qu’en date du 19 Janvier 2001.
Que dès lors, le délai supplémentaire qui lui a été accordé était nécessaire pour peaufiner son rapport.
Attendu que la SITAGRI quant à elle expose par le biais de son conseil Maître ACHU Julius, avocat au barreau du Cameroun que la dette initialement estimée à 873. 395. 097 FCFA par la Standard Chatered Bank a été ramenée à 50.878.358 FCFA.
Qu’il ressort du rapport d’expertise que la banque susdite a usé de méthodes frauduleuses;qu’en effet le taux d’intérêts fixé à 10% ne reflète nullement la réalité exacte des calculs faits par la banque.
Que si le taux d’intérêts véritablement utilisé était pris en compte, elle serait créancière de 69.419 941 FCFA.
Que par conséquent, la Standard Chatered Bank doit être condamnée à lui payer cette somme.
Que par ailleurs sa dette ayant été ramenée à sa juste valeur, l’affectation hypothécaire ne parait plus opportune.
Qu’il y a lieu d’en ordonner la mainlevée;qu’en outre, la Standard Chatered Bank SA a bloqué indûment et clôturé sans cause son compte en lui causant ainsi des pertes importantes;que de ce fait, le préjudice tant moral que commercial qu’elle a subi s’élève à 1.500 000 000 FCFA.
SUR LA DEMANDE PRINCIPALE
Attendu que le règlement préventif a pour but de permettre l’apurement du passif d’une entreprise au moyen d’un concordat préventif.
Qu’il s’agir en effet de rétablir les différents créanciers de l’entreprise dans leurs droits.
Qu’aux termes de l’article 8 de l’Acte Uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif dès le dépôt de la proposition de concordat préventif, une décision de suspension des poursuites individuelles est rendue et un expert désigné.
Attendu que cette mesure ne vise cependant pas à privilégier certains créanciers au détriment des autres.
Que pour assurer cette égalité, les prescriptions de l’Acte Uniforme susvisé doivent être observées;qu’en l’occurrence, l’expert désigné est tenu de déposer son rapport dans les deux mois à compter de sa saisine, ce délai pouvant être prorogé d’un mois.
Attendu qu’en l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le rapport de l’expert MANGA EWOLO André n’a été déposé que cinq mois après sa saisine;que la prorogation du délai qui lui a été accordée est illégale puisque ne respectant pas les dispositions de l’article 13 al. 2 de l’Acte Uniforme déjà visé.
Que ce retard a causé un préjudice à la Standard Chatered Bank dans la mesure où il n’est pas contesté que d’autres créanciers ont procédé au recouvrement de leurs créances, toute chose qui restreint l’assiette garantissant sa créance.
Qu’en application de l’alinéa 2 de l’article susvisé, la responsabilité de MANGA EWOLO André doit être engagée.
Qu’ainsi, la Standard Chatered est fondée en son action.
Attendu que sa demande est exagérée dans son quantum;que le Tribunal dispose d’éléments d’appréciation suffisants pour la ramener à 10 000 000 FCFA.
SUR LA DEMANDE D’INTERVENTION VOLONTAIRE
(…).
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et commerciale et en premier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi.
Reçoit la Standard Chatered Bank en sa demande;l’y dit fondé.
Condamne MANGA EWOLO André à lui payer 10 000 000 FCFA à titre de dommages-intérêts.
Reçoit la SITAGRI en son intervention volontaire.
Rejette sa demande comme non justifiée.
Observations : Pr. KALIEU ELONGO Yvette Rachel, Agrégée des Facultés de Droit, Université de Dschang (Cameroun)
Cette décision doit être saluée car elle est l’une des rares décisions rendues sur la responsabilité des syndics et experts qui interviennent dans le cadre des procédures collectives. En effet, bien que les règles qui prévoient la mise en œuvre de leur responsabilité en cas de faute soient prévues, il s’avère dans les faits, que les syndics et experts font parfois preuve de négligence et de malveillance dans la conduite des procédures collectives. Ces faits restaient jusque-là rarement sanctionnées bien que décriées ( voir en ce sens, SAWADOGO (F. M.), L’application judiciaire du droit des procédures collectives en Afrique francophone à partir de l’exemple du Burkina-Faso,. Revue Burkinabé de droit, n 26, juillet 1994, p. 191 et suivants. qui décriait déjà certains faits tels que la rémunération excessive, la mauvaise gestion et des malversations des syndics et liquidateurs. Lire aussi sur la question, POUGOUE (P.G.). et KALIEU (Y.), L’organisation des procédures collectives d’apurement du passif OHADA, PUA, collection Droit uniforme, 1998, passim.).