J-08-161
CONVENTION D’ARBITRAGE – OPPOSABILITE ENTRE LES PARTIES – OPPOSABILITE VIS A VIS DES TIERS (NON).
ASSIGNATION – DEFENDEUR RESIDANT EN FRANCE – CONVENTION JUDICIAIRE FRANCO-TOGOLAISE .
CONCESSION EXCLUSIVE – RAPPORTS EXLUCIFS ENTRE LE CONCEDANT ET LE CONCESSIONNAIRE DURANT DE NOMBREUSES ANNEES SANS INSERTION DE TIERS DANS LE RAPPORT CONTRACTUEL – PREUVE DE L4EXCLUSIVITE (OUI).
I. S’il est vrai que les signataires d’une convention judiciaire doivent soumettre leurs différends au Tribunal arbitral, il n’en demeure pas moins vrai que la présente action est principalement initiée par l’une des parties signataires contre des sociétés qui ne sont pas parties au contrat querellé, et subsidiairement, contre la société partie signataire et une autre société qui est également un lien à ce contrat;que le contrat litigieux ne saurait être appliqué aux tiers qui n’y sont pas parties;que de surcroît, les articles 23 du Traité de l’OHADA et 13 de l’Acte uniforme sur l’arbitrage n’ont nullement prévu la possibilité d’opposer la convention d’arbitrage aux tiers;qu’il échet alors de rejeter cette exception et de se déclarer compétent pour connaître du présent litige.
II Pour soulever la nullité de l’acte d’assignation, les requis se sont basés sur l’article 6 de la convention judiciaire conclue entre la France et le Togo, ainsi que sur les articles 58 et 60 alinéa 5 du Code de Procédure Civile. Aux termes de l’article 6 précité, « les dispositions des articles qui précèdent ne s’opposent pas en matière civile, administrative et commerciale, à la faculté pour les parties contractantes, de faire effectuer dans l’un des deux Etats, par les soins des officiers ministériels, des significations ou remises des actes aux personnes y demeurant »;que contrairement aux allégations des requis, leur signification faite par l’huissier français est valable;qu’il s’agit là d’une option que la convention laisse au choix des intéressés résidant sur le territoire de l’une des parties contractantes.
S’agissant des dispositions de l’article 58 du Code de Procédure Civile, la notification des actes de procédure pour les personnes ne résidant pas au Togo, ou dont le domicile n’est pas connu, se fait par affichage ou par insertion dans un journal;certes, cette procédure n’a pas été respectée par la requérante;toutefois, les requis n’ont pas refusé de prendre l’assignation;au contraire, ils l’ont reçue et ont comparu;il y a lieu de dire que cette omission a été corrigée par les requis eux-mêmes.
Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter l’exception de nullité de l’acte d’assignation.
III A l’analyse des faits, l’argument tiré par la société RENAULT du fait que le contrat la liant à STAR était non exclusif ne peut prospérer, du fait que la société RENAULT aurait pu, pendant qu’elle travaillait encore avec la STAR, conclure d’autres contrats avec la CFAO ou avec d’autres sociétés;que si elle ne l’a pas fait en ce moment, c’est parce que tout allait pour le mieux;que si elle a rompu son contrat avec la STAR avant de confier l’importation et la distribution de ses produits à CFAO, c’est que dans son entendement, elle voulait travailler exclusivement avec la société STAR;qu’il convient de conclure que cette rupture intervenue unilatéralement sans discussion, en vue de reprendre le matériel, les pièces d’échanges, la situation du personnel et des investissements faits, notamment la formation du personnel, le renouvellement des équipements ainsi que la clientèle, démontre son intention de nuire;qu’il échet de conclure à une rupture abusive.
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE LOME, CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE Audience publique des vacations du quatre juillet deux mille trois (4 juillet 2003). AFFAIRE : STAR c/ RENAULT CFAO SFCE. Revue Camerounaise de l’Arbitrage n 22. Juillet-Août-Septembre 2003, p. 15, note Pierre BOUBOU.
LE TRIBUNAL
ENTRE :
Société Togolaise d’Automobile et de Représentation (STAR), ayant son siège à Lomé, prise en la personne de son Directeur Général;assistée de Me AQUEREBURU, Avocat à la Cour;demanderesse.
d’une part.
ET.
1) Compagnie Financière de l’Afrique de l’Ouest (CFAO), ayant son siège à Lomé, prise en la personne de son Directeur Général;assistée de son Avocat Me LAWSON-BANKU, Avocat à la Cour.
2) S.F.C.E, prise en la personne de son Directeur Général;assistée de Me d’ALMEIDA, Avocat à la Cour.
3) RENAULT-TOGO, prise en la personne de son Directeur Général;assistée de Me A. KOMLAN, Avocat à la Cour.
toutes trois défenderesses.
d’autre part.
Sans que les présentes qualités puissent nuire ou préjudicier aux droits et intérêts des parties respectives, mais sous les plus expresses réserves de fait et de droit :
POINT DE FAIT : Suivant exploit de Me SODJI, Huissier de justice, en date du 12 décembre 2002, la société STAR ayant son siège à Lomé, prise en la personne de son Directeur Général, assistée de Me AQUEREBURU, Avocat à la Cour, a fait donner assignation à la CFAO dont le siège est à Lomé, prise en la personne de son Directeur Général, assistée de Me LAWSON BANKU, Avocat à la Cour, à comparaître par-devant le Tribunal de céans pour s’entendre condamner à lui payer la somme de 21.454.907,86 FF à titre de dommages-intérêts;ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel, opposition et sans caution.
Sur cette assignation, la cause fut inscrite au rôle général sous le n 2245/2001 et appelée à son tour à l’audience du 18 décembre 2002, à laquelle elle fut plusieurs fois renvoyée pour être uniquement retenue et plaidée le 28 janvier 2003.
Le Ministère Public, qui a eu la parole pour ses réquisitions, a déclaré s’en rapporter à justice.
POINT DE DROIT : La cause en cet état présentait à juger les différentes questions de droit résultant des déclarations des parties et de pièces du dossier.
Quid des dépens ?.
SUR QUOI, l’affaire fut mise en délibéré pour jugement être rendu le 6 juin 2003, lequel délibéré fut prorogé au 4 juillet 2003.
Et ce jour, vendredi 4 juillet 2003, le Tribunal, vidant son délibéré, a rendu le jugement dont la teneur suit :
LE TRIBUNAL
Ouï Me AQUEREBURU pour la demanderesse.
Ouï Mes LAWSON, AMEKOUDI, d’ALMEIDA, A. KOMLAN.
Le Ministère Public entendu.
Et après en avoir délibéré conformément à la loi.
Attendu que suivant exploit de Me SODJI Kouamba en date du 12 décembre 2002, la Société Togolaise d’Automobile et de Représentation (STAR) ayant son siège à LOME, représentée par son Directeur Général, ayant pour Conseil Me Alexis Coffi AQUEREBURU, Avocat à la Cour, a fait donner assignation à la Compagnie Financière de l’Afrique de l’Ouest (CFAO) ayant son siège à LOME, représentée par son Directeur Général, ayant pour Conseil Me LAWSON BANKU, Avocat à la Cour, à comparaître par-devant le Tribunal de céans pour s’entendre condamner à lui payer la somme de 21.454.987,86 FF à titre de dommages-intérêts.
Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel, opposition et sans caution.
Attendu que suivant un autre exploit de Me Jacques TEBOUL, Huissier de justice, en date du 2 juillet 2002, la Société Togolaise d’Automobile et de Représentation (STAR), assistée toujours de Me Alexis Coffi AQUEREBURU, Avocat à la Cour, a fait donner assignation en intervention forcée à la société dite SFCE (SA) groupe CFAO, ayant son siège social à 18, rue TROYON en France, assistée de Me d’ALMEIDA, Avocat à la Cour, et la société RENAULT SA ayant son siège en France, assistée de Me Ahlin KOMLAN, Avocat à la Cour, pour s’entendre :
déclarer la présente action régulière et partant, recevable.
ordonner sa jonction avec le dossier référencé au rôle général sous le n 2245/2001.
s’entendre déclarer responsable des dommages causés à la requérante, du fait de la résiliation de son contrat de représentation.
s’entendre en conséquence, condamner solidairement avec les sociétés CFAO et SFCE groupe CFAO ou STAR, des sommes contenues dans l’assignation du 12 décembre 2001.
ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
s’entendre, enfin, condamner à tous les dépens dont distraction au profit de Me Alexis AQUEREBURU aux offres de droit.
Attendu qu’au soutien de son action, la Société Togolaise d’Automobile et de Représentation expose qu’elle est héritière de la Compagnie Africaine d’Automobile RENAULT (CAAR) et de RENAULT-TOGO, à la suite de la cession des actions de la Régie Nationale des Usines RENAULT (RNUR) au groupe FADOUL représenté par Monsieur Michel Zouhab FADOUL depuis mars 1998;que pendant de très longues années, la requérante a mis son talent et a développé au Togo cette marque, en réalisant malgré la crise économique que traverse le Togo depuis une dizaine d’années, un chiffre d’affaires en constant progrès, tant en pièces détachées qu’en véhicules neufs;qu’en vue de satisfaire au mieux ses exigences, tant de sa clientèle que de la société RENAULT, elle a procédé à de gros investissements qui s’élèvent à la lecture du bilan de l’année 1999, à la somme totale de 7.267.672,91 FF;que toujours dans le souci de satisfaire la requise, la requérante a été contrainte par la Direction de l’Équipement RENAULT, à renouveler entièrement son équipage et outillage;que curieusement, malgré toutes ces soumissions de la concluante aux entiers desiderata de la RENAULT, la Compagnie Financière de l’Afrique de l’Ouest dite CFAO s’est brutalement substituée à la requérante dans la distribution des véhicules RENAULT, en pillant toute sa clientèle sans aucune offre d’indemnisation quelconque, encore moins une reprise de stocks des pièces détachées;qu’il s’agit d’un plan savamment mûri, car RENAULT n’a jamais apporté l’assistance technique requise à la concluante, qui pendant une décennie, n’a reçu en tout qu’une seule visite d’un responsable de RENAULT, en l’occurrence Monsieur GROS en 1998;que la démarche hautement comptable de la CFAO est le fruit d’une véritable conspiration destinée à soustraire aux moindres coût et frais la clientèle constituée par la requérante pendant plusieurs décennies;que cette démarche cause un grand préjudice à la requérante, évaluée de façon suivante :
a) montant des immobilisations et investissements.
suivant arrêté du 31 décembre 1999 7.276 672,91 FF.
b) Stock de pièces de recharge RENAULT.
à la date du 31 décembre 1999 3.525.805,03 FF.
c) Marges dégagées des 10 derniers exercices :
véhicules 4.562.644,07 FF.
pièces détachées 6 006 048,28 FF.
d) Manque à gagner dû au défaut de livraison de deux véhicules objet d’une commande ferme :
deux véhicules RENAULT Safrane 120 000 FF.
deux véhicules RENAULT 12 (voir l’annexe).
e) Dû à la STAR suivant relevé RENAULT.
à la date du 4 avril 2000 5.460,13 FF.
et 8 896,84 euros, soit 58.359,44 FF.
soit un total de 21.454.987,86 FF.
Qu’elle sollicite qu’il plaise au Tribunal, condamner les requis à lui payer la somme de 21.454.987,86 FF à titre de dommages-intérêts.
Attendu qu’en réponse, la Compagnie Française d’Afrique de l’Ouest au Togo a, dans ses conclusions en date du 22 avril 2002, sollicité qu’il plaise au Tribunal de constater que la STAR s’est trompée de cible;mettre la CFAO hors de cause;dire et juger que l’action de la requérante procède de l’abus de droit d’ester en justice et la condamner à lui payer à titre reconventionnel, la somme de 50 000 000 FCFA à titre de dommages intérêts;qu’en effet, la STAR entretenait des relations commerciales avec la société RENAULT dont le siège social est à Boulogne en France, relativement à la distribution des produits de cette dernière (véhicules, pièces de rechange et autres) pendant la période de collaboration entre STAR et RENAULT;que c’est à partir de juin 2000, bien après la fin du contrat liant la STAR à la société RENAULT (fin décembre 1998), que la CFAO-TOGO s’est vue confier la carte RENAULT par la SFCE pour distribution des produits RENAULT (pièce 2);qu’à la lumière de la relation des faits, on ne saurait reprocher à la CFAO quelque déloyauté vis-à-vis de la STAR, puisque la CFAO-TOGO s’est aussi assurée que le contrat liant RENAULT à STAR était non exclusif, ainsi que le confirme l’article 3-1 dudit contrat d’importateur et de distributeur en date du 2 janvier 2002;que de toutes les façons, une telle action ne peut être dirigée que contre la société RENAULT;qu’il n’y a aucun lien juridique entre la CFAO-TOGO et la STAR.
Attendu que pour sa part, la société RENAULT, par l’organe de son Conseil Me Ahlin KOMLAN, a conclu à l’annulation de l’assignation délivrée par la société STAR et à l’incompétence du Tribunal de céans;qu’en effet, un premier contrat de distribution et d’importation non exclusif a été signé entre la STAR et RENAULT le 1er janvier 1988 pour une durée d’un an, et qui a été reconduit par différents avenants;que le 2 janvier 1998, un nouveau contrat a été signé pour une période déterminée et a été résilié par lettre du 10 décembre 1998;que c’est cette résiliation qui fait l’objet du présent litige;que la STAR tente d’induire le Tribunal en erreur, en communiquant deux lettres de résiliation du contrat de service conclu le 22 mai 2000 entre la STAR et la Direction des Ventes Spécial Exportation de RENAULT;que le Tribunal relèvera que la STAR prétend avoir fait un investissement de 7.267.672,91 FF en vue de satisfaire aux exigences tant de la clientèle que de la Société RENAULT, sans en rapporter la preuve par des pièces versées au dossier;que la STAR prétend également avoir été contrainte par la Direction de l’Équipement de RENAULT, de renouveler entièrement son équipage et outillage, alors que d’une part, il n’existe pas chez RENAULT, une Direction de l’Équipement;que d’autre part, la requérante ne rapporte pas la preuve de ce qu’elle a effectivement réalisé un tel renouvellement;qu’aucune pièce n’est en outre versée au dossier pour prouver les prétendues congratulations adressées à STAR par RENAULT.
Que d’une part, l’article 6 de la convention judiciaire liant la France au Togo – et qui n’est pas une convention franco-africaine – prévoit effectivement la faculté de faire effectuer dans l’un des deux Etats, par les soins d’officiers ministériels, des significations remises d’actes aux personnes y demeurant;qu’il ne s’agit là que d’une possibilité de compléter les actes de significations obligatoires qui doivent être faites dans les deux Etats afin d’informer la personne destinataire d’un acte, le plus rapidement possible;que cette faculté ne peut remplacer la procédure prévue à l’article 1er de la convention;qu’ainsi, cette signification n’a été faite qu’à titre supplétif et ne peut valoir signification;qu’ainsi, cette assignation faite dans ces conditions, est nulle.
Que d’autre part, la présente action engagée par la STAR n’entre pas dans le champ d’application de l’article 21 du contrat d’importation et de distribution conclu le 2 janvier 1998 entre les parties;que certes, la CFAO et la SFCE ne sont pas parties au contrat;mais que la qualité d’intervenant forcée de la société RENAULT ne saurait la mettre hors de la clause d’arbitrage liant la RENAULT à la STAR;que le Tribunal se doit de se déclarer incompétent et renvoyer la STAR à mieux se pourvoir.
Attendu que Me d’ALMEIDA, Conseil de la SFCE, dans ses conclusions en date du 11 décembre 2002, a sollicité qu’il plaise au Tribunal déclarer au principal, irrecevable cette action;que subsidiairement et au fond, il a demandé la mise de son client hors de cause et la condamnation de la société STAR à payer à son client la somme de 429 099 975.725 FCFA au titre de dommages-intérêts;qu’en effet, la STAR a fait délaisser une assignation à la SFCE par le canal d’un huissier français;que le Code de Procédure Civile et la convention judiciaire liant le Togo à la France prévoient la procédure à suivre pour assigner par-devant les juridictions togolaises, une personne résidant à l’étranger, plus particulièrement en France;qu’aux termes desdites dispositions, l’assignation devait être délaissée au Procureur de la République, affichée au placard de la juridiction, et après, expédiée en copie au domicile du défendeur par lettre recommandée avec accusé de réception;que mieux, la STAR avait assigné pour le 3 septembre 2002, qui n’était pas un jour d’audience;que dans ces conditions, la loi l’obligeait à prendre un « avenir » pour corriger cette irrégularité, ce qu’elle n’a pas fait;que son action doit être déclarée irrecevable;que subsidiairement, rien ne peut être reproché à la SFCE, puisque c’est la société RENAULT qui a rompu le contrat le liant à la STAR et a confié l’importation et la distribution de ses produits à la CFAO-TOGO;que l’autre n’a rien à y voir;que d’ailleurs, le contrat les liant n’est pas exclusif;qu’en réalité, la collaboration entre la RENAULT et la SFCE est postérieure à la rupture du contrat querellé;qu’en effet, la rupture a eu lieu le 10 décembre 1998, alors que la SFCE a commencé à collaborer avec RENAULT le 28 juin 2000;qu’il échet de débouter la requérante de ses demandes, fins et conclusions;que par ailleurs, la SFCE a exposé des frais au cours de cette procédure abusive;qu’ainsi, elle demande reconventionnellement que la STAR soit condamnée à lui payer 20 % du montant qu’elle réclame aux requis à titre de dommages-intérêts.
Attendu que dans ses conclusions en cours de délibéré en date du 8 mai, le Conseil de la société STAR a fait observer que la contestation que sa cliente élève porte bien tant sur le contrat du 2 janvier 1998 que sur celui du 22 mai 2000, et non sur le premier seulement;qu’il sollicite enfin, qu’il plaise au Tribunal de rejeter toutes les exceptions soulevées et lui adjuger l’entier bénéfice de ses demandes contenues dans les deux assignations.
Attendu que pour sa part, la société RENAULT, dans ses conclusions en cours de délibéré, a sollicité qu’il plaise au Tribunal écarter les notes de plaidoiries déposées par le Conseil de la société STAR le 7 mars 2003, et qui contiendraient des écritures nouvelles, ainsi que de nouvelles pièces non communiquées en cours de procédure;qu’elle a sollicité à nouveau la nullité de l’assignation ainsi que l’incompétence du Tribunal de céans pour connaître de ce litige.
Attendu que la SFCE a également conclu en cours de délibéré;qu’elle a sollicité qu’il plaise au Tribunal écarter les notes de plaidoiries de la requérante et lui faire droit de ses demandes contenues dans ses conclusions datées du 11 décembre 2002 et versées au dossier.
I. SUR LA COMPETENCE DU TRIBUNAL DE CEANS
Attendu que pour soulever l’incompétence du Tribunal de céans, le requis invoque l’article 21 du contrat d’importation et de distribution conclu entre la STAR et la société RENAULT, relatif à l’arbitrage.
Attendu que s’il est vrai que l’article précité prévoit que les signataires du contrat querellé doivent soumettre leurs différends au Tribunal arbitral, il n’en demeure pas moins vrai que la présente action est principalement initiée par la STAR (l’une des parties signataires) contre la CFAO-TOGO (qui n’est pas partie au contrat querellé), et subsidiairement, à la société RENAULT (partie signataire) et la SFCE, qui est également un lien à ce contrat;que le contrat litigieux ne saurait être appliqué aux tiers qui n’y sont pas parties;que de surcroît, les articles 23 du Traité de l’OHADA et 13 de l’Acte uniforme sur l’arbitrage n’ont nullement prévu la possibilité d’opposer la convention d’arbitrage aux tiers;qu’il échet alors de rejeter cette exception et de se déclarer compétent pour connaître du présent litige.
II. SUR LA NULLITE DE L’ASSIGNATION
Attendu que pour soulever la nullité de l’acte d’assignation, les requis se sont basés sur l’article 6 de la convention judiciaire conclue entre la France et le Togo, ainsi que sur les articles 58 et 60 alinéa 5 du Code de Procédure Civile.
Attendu qu’aux termes de l’article 6 précité, « les dispositions des articles qui précèdent ne s’opposent pas en matière civile, administrative et commerciale, à la faculté pour les parties contractantes, de faire effectuer dans l’un des deux Etats, par les soins des officiers ministériels, des significations ou remises des actes aux personnes y demeurant »;que contrairement aux allégations des requis, leur signification faite par l’huissier français est valable;qu’il s’agit là d’une option que la convention laisse au choix des intéressés résidant sur le territoire de l’une des parties contractantes.
Attendu que s’agissant des dispositions de l’article 58 du Code de Procédure Civile, la notification des actes de procédure pour les personnes ne résidant pas au Togo, ou dont le domicile n’est pas connu, se fait par affichage ou par insertion dans un journal;que certes, cette procédure n’a pas été respectée par la requérante;que toutefois, les requis n’ont pas refusé de prendre l’assignation;qu’au contraire, ils l’ont reçue et comparu;qu’il y a lieu de dire que cette omission a été corrigée par les requis eux-mêmes.
Attendu que compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter l’exception de nullité de l’acte d’assignation.
III. SUR LA RECEVABILITE DE L’ACTION
Attendu que les actions initiées par la requérante ont été faites dans les délai et forme prévus par la loi;qu’il échet de la déclarer recevable en la forme.
IV. SUR LES DOMMAGES-INTERETS RECLAMES PAR LA REQUERANTE
Attendu qu’il ressort des pièces versées au dossier, que le 1er janvier 1988, la société RENAULT et la société STAR ont conclu un contrat d’importation et de distribution des produits RENAULT par STAR au TOGO pour une durée d’un an;que ce contrat a été reconduit par avenants;que le 2 janvier 1994, un nouveau contrat a été conclu par les mêmes parties pour une durée d’un an et ayant le même objet;qu’il a aussi été reconduit par avenants;que le 2 janvier 1998, un nouveau contrat a été conclu entre les deux sociétés, ayant le même objet et ceci pour une durée indéterminée;qu’enfin, le 22 mai 2000, un autre contrat a été conclu entre la société STAR et la Direction des Ventes Spécial Exportation de la société RENAULT;que le 10 décembre 1998, la société RENAULT a informé son partenaire qu’il allait rompre le contrat du 2 janvier 1998 le liant à la société STAR, à compter de la date du 30 juin 1999;que plus tard, celui du 22 mai 2000 a aussi été rompu;qu’ainsi, l’importation et la distribution des produits RENAULT ont été par la suite confiées à la société CFAO-TOGO par la société RENAULT;que par la suite, la Société Française de Commerce Européen est devenue importateur, distributeur de produit RENAULT pour le BENIN.
Qu’elle a ensuite transféré ses droits d’importation et de distribution des produits RENAULT sur le territoire contractuel de la CFAO-TOGO;que c’est dans ces conditions que la STAR a assigné la CFAO-TOGO en dommages-intérêts pour concurrence déloyale et ensuite, les sociétés RENAULT et SFCE en intervention forcée.
Attendu qu’il est constant que depuis 1988, c’est la société STAR qui seule, importait et distribuait les produits RENAULT au TOGO jusqu’en 1999, date à laquelle la rupture a eu lieu;que même si les contrats successifs conclus n’ont pas prévu une clause d’exclusivité, dans la réalité, la STAR a été la seule société à importer et à distribuer les produits RENAULT au TOGO pendant cette période;qu’à cet égard, elle a dû se faire une grande clientèle sur place;que pendant cette période, la CFAO-TOGO, elle, s’occupait d’autre chose;que le fait pour la CFAO de se substituer à la STAR et de s’emparer de toute la clientèle sur place, sans s’assurer si la STAR avait volontairement abandonné son activité, démontre qu’elle avait l’intention de concurrencer la requérante et donc, son intention de nuire;qu’il échet de conclure qu’elle s’est accaparé la clientèle constituée par la requérante.
Attendu qu’à l’analyse des faits, l’argument tiré par la société RENAULT du fait que le contrat la liant à STAR était non exclusif ne peut prospérer, du fait que la société RENAULT aurait pu pendant qu’elle travaillait encore avec la STAR, conclure d’autres contrats avec la CFAO ou avec d’autres sociétés;que si elle ne l’a pas fait en ce moment, c’est parce que tout allait pour le mieux;que si elle a rompu son contrat avec la STAR avant de confier l’importation et la distribution de ses produits à CFAO, c’est que dans son entendement, elle voulait travailler exclusivement avec la société STAR;qu’il convient de conclure que cette rupture intervenue unilatéralement sans discussion, en vue de reprendre le matériel, les pièces d’échanges, la situation du personnel et des investissements faits, notamment la formation du personnel, le renouvellement des équipements ainsi que la clientèle, démontre son intention de nuire;qu’il échet de conclure à une rupture abusive.
Attendu que la Société Française du Commerce Européen, qui importait et distribuait les produits RENAULT au BENIN, a profité de la rupture du contrat aux dépens de la STAR pour transférer ses droits d’importation au TOGO avec son partenaire la CFAO-TOGO;qu’en le faisant, cette société savait qu’il y avait une grande clientèle sur place et en a profité pour s’enrichir, sans songer à celui grâce à qui cette clientèle existe sur place;que l’on ne saurait dans ces conditions, dire qu’il n’y a pas l’intention de nuire, de la part de SFCE.
Attendu que de tout ce qui précède, il ressort que la CFAO-TOGO, la société RENAULT et la SFCE ont réfléchi, planifié et enfin exécuté un projet consistant à arracher la clientèle que la société STAR a constitué pendant plus de 10 ans, la mettant ainsi dans l’incapacité de revendre les pièces de recharge, d’amortir les investissements faits et de s’occuper de son personnel ainsi mis au chômage;qu’il échet de déduire que la requérante a subi de lourds préjudices du fait des sociétés requises;que toutefois, le montant de 21.545.987,86 FF réclamé est exagéré;qu’il échet de le ramener à une proportion raisonnable.
SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES
Attendu que les sociétés CFAO et SFCE ont présenté des demandes reconventionnelles;qu’elles ont été faites dans les forme et délai de la loi;qu’il y a lieu de les déclarer recevables.
Attendu qu’au fond, il résulte de ce qui précède que l’action initiée par la STAR n’est ni abusive ni vexatoire;qu’au contraire, elle est fondée, étant entendu qu’elle a subi d’énormes préjudices dus au comportement des requis;qu’il y a lieu de rejeter ces demandes reconventionnelles comme non fondées.
Attendu que depuis la rupture de ce contrat, la société STAR éprouve d’énormes difficultés pour faire face aux salariés mis au chômage;que pour lui permettre de faire face à ces difficultés, il y a lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision à concurrence de 25 %.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes le parties en matière civile et en premier ressort.
EN LA FORME :
Rejette l’exception d’incompétence soulevée par les requises.
Se déclare compétent pour connaître du présent litige.
Rejette l’exception de nullité soulevée par les requis.
Déclare valable l’acte d’assignation attaquée.
Reçoit l’action initiée par la requérante.
AU FOND :
La déclare fondée.
Déclare la CFAO-TOGO, la société RENAULT et la Société Française de Commerce Européen solidairement responsables du dommage causé à la requérante, du fait de la résiliation de son contrat de représentation.
Les condamne solidairement à payer à la requérante, la somme de HUIT CENT MILLIONS (800 000 000) DE FRANCS CFA à titre de dommages-intérêts, pour toutes causes de préjudice confondues.
Reçoit en la forme les demandes reconventionnelles présentées par les requises.
AU FOND :
Les rejette comme non fondées.
Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement à concurrence de 25 % nonobstant toutes voies de recours.
Condamne les requises aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par le Tribunal de Première Instance de Première Classe de LOME (TOGO) en son audience publique des vacations du vendredi 4 juillet 2003, à laquelle siégeait Monsieur Tchoyidé KOUYOU, Président dudit Tribunal, PRESIDENT;assisté de Maître Abre Mivessé KPODAR, Greffier;en présence de Monsieur Garbo KODJO GNAMBI, Procureur de la République.
Et ont signé : le Président et le Greffier.
POUR EXPEDITION CERTIFIEE CONFORME.
LOME, LE 31 juillet 2003.
NOTE
Le jugement ci-dessus rapporté offre l’occasion de rappeler quelques règles gouvernant l’efficacité de la convention d’arbitrage (II). Il importe, avant tout, d’exposer les faits de la cause (I).
I. Les faits
Par exploit du 12 décembre 2001, la Société Togolaise d’Automobile et de Représentation (STAR). domiciliée à Lomé (TOGO), a assigné la Compagnie Financière de l’Afrique de l’Ouest (CFAO TOGO). dont le siège est à Lomé, devant la Chambre Civile et Commerciale du Tribunal de Première Instance de Lomé, pour s’entendre condamner à lui payer la somme de 21.454.987,86 FF à titre de dommages-intérêts.
Par un autre exploit du 02/07/2002, la STAR a assigné en intervention forcée, la Société Française de Commerce Européen (SFCE), laquelle a son siège social en France et la société RENAULT, ayant également son siège social en France, pour s’entendre condamner solidairement avec la société CFAO-TOGO, à lui payer la somme visée dans son assignation du 12 décembre 2001.
Au soutien de son action, la STAR alléguait que depuis mars 1998, elle avait déployé tout son talent pour développer au TOGO, la marque RENAULT, de sorte que malgré la crise que traverse ce pays depuis une décennie, le chiffre d’affaires relatif aux veines de cette marque est en constante progression. La STAR ajoute :
que pour satisfaire aux exigences de la société RENAULT et de la clientèle, elle a effectué de gros investissements et a rénové entièrement son équipement et son outillage.
que cependant, contre toute attente, la CFAO TOGO s’est substituée à elle dans la distribution des véhicules RENAULT, en « pillant » toute sa clientèle, sans indemnité et sans reprendre son stock de pièces détachées;qu’il en est résulte pour elle, un préjudice qui doit être réparé.
Pour sa défense, la société RENAULT a invoqué, entre autres, l’article 21 du contrat d’importation et de distribution passé entre STAR et elle, disposition qui contient une clause d’arbitrage. Elle en a déduit que le tribunal étatique saisi est incompétent pour statuer sur les demandes de STAR.
Invoquant la présence dans le procès, aux côtés des deux parties qui ont signé la convention d’arbitrage, de deux autres parties étrangères à ladite convention, la STAR a soutenu que le juge étatique saisi est compétent. Épousant cette thèse, le tribunal a rejeté l’exception d’incompétence et a condamné les trois défendeurs à payer solidairement à la Sic STAR, la somme de 800 000 000 FCFA à litre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues, avec exécution provisoire de son jugement nonobstant toute voie de recours à concurrence de 25 %.
Ainsi, malgré l’exception d’incompétence soulevée par l’une des parties sur la base d’une clause d’arbitrage contenue dans le contrat et la liant à l’une des autres parties au procès, le juge étatique s’est déclaré compétent pour juger toutes les parties et a statué sur le fond de la contestation.
A notre avis, cette décision a violé le sacro-saint principe de la force obligatoire des conventions d’arbitrage, dont il semble opportun de rappeler l’efficacité.
II. – L’efficacité de la convention d’arbitrage
Cette efficacité résulte de la force obligatoire de la convention d’arbitrage (A). qui connaît, toutefois, des limites à travers une exception que l’on rappellera (B).
a) La force obligatoire de la convention d’arbitrage
LE TRIBUNAL de Première Instance de Lomé a jugé que la présence, dans la procédure, des parties non signataires de la convention d’arbitrage l’autorisait à statuer sur l’ensemble du litige. C’est à tort qu’il a statué ainsi, d’autant que la convention d’arbitrage s’impose aussi bien aux parties qu’au juge.
L’obligation pour les parties de déférer aux arbitres les litiges définis par la convention d’arbitrage découle du principe selon lequel : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » (art. 1134 C. Civ).
Cette obligation découle également de l’article 13 de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage.
A cet égard, il doit être relevé que c’est à tort que le juge de Lomé évoque l’article 23 du Traité OHADA, texte qui fait référence à l’arbitrage CCJA, alors qu’il n’est nullement précisé ici que la clause d’arbitrage invoquée par la société RENAULT renvoie à l’arbitrage CCJA.
C’est donc uniquement l’article 13 de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage qui aurait dû être visé par le Tribunal de Première Instance de Lomé. Par ailleurs, en raison du caractère obligatoire de la clause d’arbitrage liant RENAULT à la STAR, le Tribunal de Lomé aurait dû se fonder sur l’article 13 de l’Acte uniforme sus évoqué pour se déclarer incompétent en ce qui concerne la société RENAULT, signataire ladite clause, qui l’avait pourtant invoquée.
En effet, l’article 13 al. 1er de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage subordonne son application à la condition que la partie qui l’invoque ait été assignée à titre principal, non pas en intervention forcée devant le juge étatique, comme le laisse apparaître le jugement rapporté.
Cette obligation faite aux parties de respecter les conventions d’arbitrage serait vaine si une obligation similaire n’était pas imposée au juge étatique. C’est la raison pour laquelle l’article 13 al. 1er de l’Acte uniforme OHADA sur le droit de l’arbitrage énonce que « lorsqu’un litige – dont un tribunal arbitral est saisi en vertu d’une convention arbitrale – est porté devant une juridiction étatique, celle-ci doit, si l’une des parties en fait la demande, se déclarer incompétente ».
L’alinéa 2 du même article précise que le juge étatique doit également se déclarer incompétent, même si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, « à moins que la convention d’arbitrage ne soit manifestement nulle ».
Dans l’espèce rapportée, le tribunal arbitral n’était certes pas encore saisi;cependant, seule la nullité de la clause compromissoire invoquée par RENAULT aurait pu autoriser le Tribunal de Lomé à décider comme il l’a fait.
Si, après un examen prima facie, le juge étatique saisi constate que la convention.
B). Exception à la force obligatoire des conventions d’arbitrage
Si, après un examen prima facie, le juge étatique saisi constate que la convention d’arbitrage dont se prévaut l’une des parties est « manifestement nulle », il doit se déclarer compétent pour connaître du litige.
LE TRIBUNAL de Lomé aurait donc dû se déclarer incompétent en ce qui concerne la RENAULT, d’autant qu’elle est partie à la convention d’arbitrage signée avec la STAR.
Par ailleurs, le jugement rapporté ne dit pas que la clause d’arbitrage invoquée par RENAULT est nulle. Dès lors, il est malaisé de comprendre pourquoi le juge a retenu sa compétence pour statuer contre la société RENAULT, alors, pourtant, que ladite société a expressément soulevé son incompétence sur le fondement de la clause sus évoquée.
Malgré ce déclinatoire de compétence, le Tribunal de Première Instance de Lomé a condamné la RENAULT aux motifs, d’une part, que le litige dont il est saisi est principalement initié contre une partie qui n’a pas signé la convention d’arbitrage et, d’autre part, que l’article 23 du Traité OHADA ainsi que l’article 13 de l’Acte Uniforme relatif à l’arbitrage n’ont nullement prévu la possibilité d’opposer ladite convention d’arbitrage aux tiers.
En statuant ainsi, le Tribunal de Première Instance de Lomé a rendu une décision difficilement conciliable avec la loi.
A cet égard, il doit être rappelé que le fait de soustraire le litige de l’arbitrage initialement convenu par les signataires d’un contrat est susceptible d’entraîner la rupture de l’équilibre qui a prévalu au moment de la signature dudit contrat. C’est certainement cette rupture que la société RENAULT et la société STAR ont voulu éviter, en insérant dans le contrat devenu litigieux, une convention d’arbitrage. Le juge était tenu de respecter ladite convention.
Maître Pierre BOUBOU.
Docteur en Droit – Avocat.
Enseignant Associé à l’Université de Douala, Cameroun.