J-08-166
SENTENCE – RECOURS EN INTERPRETATION – ARTICLE 1475 NCPC – ARBITRES AYANT APPLIQUE L’ART – 1153-1 C – CIV – RESPECT DE LEUR MISSION.
AMIABLE COMPOSITION – ARBITRE STATUANT EN APPLICATION DE L’ART – 1475 NCPC – DEMANDE D’INTERPRETATION – INSTANCE NOUVELLE (NON) – PERMANENCE DU POUVOIR D’AMIABLE COMPOSITION.
RECOURS EN ANNULATION – DEMANDE TENDANT A OBTENIR LE REMBOURSEMENT DES FRAIS D’ARBITRAGE – INCOMPETENCE DU JUGE DE L’ANNULALION POUR CE FAIRE – REJET.
La demande d’interprétation soumise au tribunal arbitral en vertu de l’article 1475 NCPC ne constituant pas une instance nouvelle, le tribunal arbitral a justement statué en amiable composition, comme la clause d’arbitrage le lui commandait.
Statue conformément à sa mission le tribunal arbitral qui, au visa de l’article 1475 NCPC, confirme le caractère indemnitaire de la sentence et en tire les conséquences en rappelant que selon l’article 1153-1 C. Civ, les intérêts courent à compter du prononcé du jugement, même en l’absente de demande ou de dispositions spéciales de celui-ci, et en observant que la sentence n’étant exécutoire qu’une fois revêtue de la formule exécutoire, il y avait lieu, en équité, de fixer à la date de l’ordonnance d’exequatur, le point de départ desdits intérêts.
Le juge de l’annulation n’a pas compétence pour condamner l’une des parties à rembourser à l’autre, les frais d’arbitrage avancés par elle.
Paris, 1ère Ch. C. 6 novembre 2003, affaire : S.A. Caisse Fédérale de Crédit Mutuel du Nord de la France c/ Société Banque DELUBAC et Compagnie. Revue Camerounaise de l’Arbitrage n 27. Octobre Novembre Décembre 2004, p. 27. note Kenfack-Douajni.
LA COUR
Selon un protocole du 7 mai 1993, la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel du Nord de la France devenue Caisse Fédérale du Crédit Mutuel Nord Europe (le CMNE) est devenue actionnaire de la Banque Delubac et Cie (la Banque) qui acquérait elle-même une partie du capital de la SA La Pérennité, détenue majoritairement par le CMNE.
Des difficultés étant survenues, les parties ont saisi le tribunal arbitral composé de MM. A. et B. arbitres, et de M. C, président, qui, statuant comme amiable compositeur, par sentence à Paris du 19 septembre 2000, a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par le CMNE, a condamné le CMNE à payer à la Banque, à titre indemnitaire, 129 000 000 F, a dit qu’en contrepartie du versement de cette somme, la Banque devra transférer au CMNE, ou à toute personne que ce dernier lui désignerait, la totalité des actions dont elle est propriétaire dans le capital de la SA La Pérennité, a débouté les parties de leurs autres demandes et a dit que chacune conservera la charge des frais et dépens par elle exposés.
Le recours en annulation contre cette sentence, revêtue de l’exequatur le 12 octobre 2000, a été rejeté par arrêt de cette Cour du 27 septembre 2001.
Saisi le 21 novembre 2001 par la Banque d’une demande d’interprétation de la sentence, le tribunal arbitral pareillement composé, statuant en amiable compositeur en dernier ressort, par sentence à Paris du 11 juillet 2002, vu les articles 1475 et 1486 du NCPC, 1153-1 du Code Civil et L 311-12-1 du Code de l’Organisation Judiciaire, vu la sentence arbitrale du 19 septembre 2000 et son exequatur du 12 octobre 2000.
a dit que la condamnation de 129 000 000 F prononcée par la sentence précitée a un caractère indemnitaire et entre dans le domaine d’application de l’article 1153-1 du Code Civil, les intérêts devenant exigibles à la date à laquelle la sentence a été revêtue de la formule exécutoire, soit le 12 octobre 2000.
pour le surplus, s’est déclaré incompétent au profit du juge de l’exécution du Tribunal de Grande Instance de Paris.
a rejeté toutes autres demandes des parties.
a fait masse des dépens, en ce compris les honoraires des arbitres, et a dit qu’ils seront supportés par moitié par chacune des parties.
Le CMNE a formé un recours en annulation contre cette sentence. Il fait essentiellement valoir que les arbitres ont statué par excès de pouvoir et violé une règle d’ordre public concernant la vente.
Il prie la Cour :
Vu la demande de report de la clôture prévue le 4 septembre 2003, vu la date du 2 octobre 2003 fixée pour le report de la clôture, vu la communication de pièces faite le jour même de la clôture prévue, vu l’article 16 NCPC, de rejeter des débats la communication de l’arrêt de la Cour de Cassation du 10 juillet 2003 faite le 2 octobre 2003.
Vu les articles 1486 et suivants NCPC.
de dire que le tribunal arbitral ne pouvait être compétent pour statuer sur la demande en interprétation présentée par la Banque :
– de dire que le tribunal arbitral, en rendant la sentence du 11 juillet 2002, a statué par excès de pouvoir;
– subsidiairement, de dire que la demande en interprétation est irrecevable faute de remplir les conditions imposées par l’article 461 NCPC;
– plus subsidiairement, de dire que la somme versée étant la contrepartie d’une cession, elle ne constitue pas une indemnité au sens de l’article 1153-1 du Code Civil;
– plus subsidiairement encore, vu l’article 1591 du Code Civil, de dire, en donnant acte à la concluante en ce que les présentes écritures ne portent pas préjudice au recours en cassation, qu’au regard de la sentence du 19 septembre 2000 et de l’article 1591 du Code Civil, la somme de 129 000 000 F ne peut correspondre à une indemnité;
– plus subsidiairement encore, de dire que la sentence du 19 septembre 2000 a fixé elle-même le point de départ de l’exigibilité de la créance de la Banque à la date du transfert des titres;
– de dire que le tribunal arbitral ne peut mettre à la charge des parties, les frais et honoraires imputables à une requête en interprétation qui serait recevable;
En conséquence :
– d’annuler en toutes ses dispositions, « l’ordonnance » rendue par le tribunal arbitral le 11 juillet 2002;
– et de condamner la Banque au paiement de la somme de 50 000 euros, sur le fondement de l’article 700 NCPC.
La Banque demande à la Cour de déclarer ses demandes recevables et fondées et y faisant droit, vu la sentence arbitrale du 19 septembre 2000, vu l’arrêt de la Cour du 27 septembre 2001, vu la sentence arbitrale du 11 juillet 2002, vu les articles 1442 et suivants NCPC :
– de dire le recours irrecevable et mal fondé;
– de débouter le CMNE de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions;
– de « confirmer » la sentence arbitrale du 11 juillet 2002 en toutes ses dispositions.
Y ajoutant, de condamner le CMNE à lui payer 53.820 Euros au titre des frais d’arbitrage avancés pour son compte, 15 000 Euros de dommages-intérêts pour procédure abusive et 50 000 Euros sur le fondement de l’article 700 NCPC.
SUR QUOI
Sur la demande de rejet des débats de l’arrêt de la Cour de Cassation du 10 juillet 2003
Le CMNE expose que la Banque, qui aurait obtenu « à son insu » le report de la clôture au 2 octobre 2003 a, la veille de cette clôture, versé aux débats l’arrêt de la Cour de Cassation du 10 juillet 2003, qui rejetait le pourvoi contre l’arrêt du 27 septembre 2001, alors que cette pièce pouvait être communiquée dès le mois de juillet.
Considérant que l’arrêt de la Cour de Cassation a été communiqué le 30 septembre 2003.
Que la clôture est intervenue le 7 octobre 2003.
Que le CMNE a conclu le 6 octobre 2003 et a donc pu faire librement valoir ses observations sur cette décision à laquelle au demeurant elle était partie.
Que la demande tendant à voir écarter cette pièce des débats, pour violation du principe de la contradiction est donc rejetée.
Sur la demande d’annulation de la sentence du 11 juillet 2002
Le CMNE prétend que la sentence est entachée d’une contradiction de motifs, en ce que le tribunal arbitral dit que la sentence initiale procède de termes clairs et l’interprète, alors qu’il aurait dû se déclarer incompétent, les termes clairs ne souffrant pas d’interprétation.
Il dit également que la demande présentée par la Banque sous le visa de l’article 1475 NCPC était en réalité une nouvelle demande, puisqu’aussi bien, dans son mémoire introductif, elle réclame, non l’interprétation de la sentence, mais la condamnation du CMNE à lui payer 1.651 033,38 Euros d’intérêts, leur capitalisation et l’application du taux légal et du taux majoré.
Il estime que le tribunal arbitral a statué par excès de pouvoir en prononçant une nouvelle condamnation, ainsi qu’il ressort du dispositif de la décision qui condamne mais n’interprète pas, et qui fait en outre référence à un événement postérieur à la sentence initiale, en fixant la date d’exigibilité des intérêts à la date où la sentence a été revêtue de la formule exécutoire, ce qui frappe intrinsèquement la sentence de nullité.
Il observe, en outre, que le tribunal arbitral a visé l’article 1486 NCPC, qui ne concerne que le recours en annulation, et l’article L 311-12-1 du Code de l’Organisation Judiciaire, qui détermine la compétence du juge de l’exécution et exclut la compétence du tribunal arbitral.
Il ajoute que la Banque savait que la décision initiale se suffisait à elle-même, puisqu’elle avait saisi le Premier président de la Cour de Cassation d’une requête en retrait du rôle, sur le fondement de l’article 1009-1 NCPC, qui a été rejeté, au motif que la sentence ne contenait aucune condamnation à des intérêts.
Il relève encore que dans l’arrêt du 10 juillet 2003, la Cour de Cassation a retenu que l’indemnité procédait du prix de cession des titres de La Pérennité.
Subsidiairement, à supposer la demande d’interprétation recevable, il dit qu’il n’y a pas lieu à interprétation.
Plus subsidiairement, il soutient que le tribunal arbitral n’a jamais eu pour mission d’ordonner la cession des titres de La Pérennité détenus par la Banque au profit du CMNE, alors qu’il résulte des motifs et du dispositif de la sentence du 19 septembre 2000, que la somme de 129 000 000 F, considérée comme indemnitaire dans le cadre de l’amiable composition, correspond à un prix à défaut de quoi la cession des titres de La Pérennité, dont la valeur d’inventaire est considérable, interviendrait sans prix;qu’une telle cession serait nulle et partant, la sentence qui ordonne cette cession, atteinte d’une nullité d’ordre public;qu’ainsi, à admettre la nécessité d’un contentieux d’interprétation, la Banque ne peut qu’être déboutée, la somme de 129 000 000 F correspondant à un prix et non à une indemnité.
Encore plus subsidiairement, il fait valoir que la Banque, qui conservait les titres par-devers elle, jouissait des droits et actions y attachés jusqu’à la date de leur remise, le 17 octobre 2001, ne pouvait prétendre à des intérêts de retard, faute d’avoir fait offre de remise des titres laissée à son initiative;que c’est bien à la date d’exigibilité prévue par la sentence que l’indemnité a été versée.
Infiniment subsidiairement, il dit que le tribunal arbitral ne pouvait pas statuer en amiable composition dans le cadre de la requête en interprétation;qu’il était tenu par la seule question posée et devait statuer en droit.
Enfin, il soutient que la décision arbitrale mérite l’annulation en ce qu’elle met les honoraires complémentaires des arbitres à la charge des parties, alors que le tribunal arbitral, dont les honoraires se sont élevés à 1.529.400 F, avait le devoir de rendre une décision claire, et défaillant dans cette obligation, ne pouvait faire supporter aux parties, les frais et honoraires supplémentaires liés à l’interprétation d’une sentence mal rédigée.
Considérant que 1a sentence du 19 septembre 2000 a été rendue par le tribunal arbitral statuant comme amiable compositeur.
Que selon l’article 1475 NCPC, « La sentence dessaisit l’arbitre de la contestation qu’il tranche. L’arbitre a néanmoins, le pouvoir d’interpréter la sentence, de réparer les erreurs et omissions matérielles qui l’affectent et de la compléter, lorsqu’il a omis de statuer sur les chefs de demandes (..) ».
Que, ne s’agissant pas d’une instance nouvelle, le tribunal arbitral jugeant en application de ce texte, a justement statué comme amiable compositeur, ainsi que la clause d’arbitrage le lui commandait.
Considérant que le CMNE qualifie à tort d’excès de pouvoir le reproche fait aux arbitres d’avoir, sous couvert d’interprétation, prononcé une nouvelle condamnation;que ce grief vise en réalité, le dépassement du cadre de la mission qui constitue un cas d’annulation prévu par l’article 1484-3’ NCPC.
Considérant que la Banque a saisi les arbitres d’une demande tendant à la condamnation du CMNE à lui payer 1.651 133,38 F d’intérêts de retard du 19 septembre 2000 au 7 octobre 2001, capitalisés, en soutenant que la somme de 129 000 000 F lui avait été accordée à titre d’indemnité et que les dispositions de l’article 1153-1 du Code Civil étaient donc applicables.
Que le tribunal, au visa de l’article 1475 NCPC, a confirmé le caractère indemnitaire de la sentence et en a tiré les conséquences en rappelant que selon l’article 1153-1 du Code Civil, les intérêts courent à compter du prononcé du jugement, même en l’absence de demande ou de dispositions spéciales du jugement, et en observant que la sentence n’étant exécutoire qu’une fois revêtue de la formule exécutoire, il y avait lieu, en équité, de fixer au 12 octobre 2000, date de l’ordonnance d’exequatur, le point de départ desdits intérêts.
Qu’en statuant ainsi, il s’est conformé à sa mission.
Considérant que les autres moyens visant, notamment, à voir déclarer irrecevable la demande en interprétation, à voir dire que la somme de 129 000 000 F ne constitue pas une indemnité mais un prix de cession, à voir dire que le tribunal ne pouvait pas fixer le point de départ des intérêts de retard à la date de l’ordonnance ayant accordé l’exequatur de la sentence interprétée, c’est-à-dire à la date d’un événement postérieur, ou encore à voir fixer le point de départ de l’exigibilité de la créance de la Banque à la date du transfert des titres, ou enfin, à voir dire que le tribunal arbitral ne pouvait mettre à la charge des parties, les frais et honoraires d’une requête en interprétation jugée recevable, tendent, sous couvert d’excès de pouvoir ou de violation des règles d’ordre public concernant la vente, à la remise en cause de la sentence interprétée qui a précédemment fait l’objet d’un recours en annulation rejeté par la Cour et à un contrôle au fond de la sentence, interprétation qui n’est pas de la compétence du juge de l’annulation.
Que le recours est donc rejeté.
Sur les autres demandes
Considérant que la Banque ne justifie pas de circonstances particulières qui auraient fait dégénérer en abus le droit d’agir en justice du CMNE.
Que sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive est rejetée.
Considérant que la sentence arbitrale a fait masse des dépens et honoraires des arbitres et a dit que chaque partie en supportera la moitié.
Que le juge de l’annulation n’a pas compétence pour condamner l’une des parties à rembourser à l’autre, les frais avancés par elle, comme le sollicite la Banque.
Considérant que l’équité commande de condamner le CMNE à payer à la Banque 50 000 Euros sur le fondement de l’article 700 NCPC et de la débouter de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
Déboute la Caisse Fédérale du Crédit Mutuel Nord Europe de sa demande de rejet des débats de l’arrêt de la Cour de Cassation du 10 juillet 2003.
Rejette le recours.
Rejette la demande de la Banque Delubac et Cie en paiement de la somme de 53.820 Euros au titre des frais d’arbitrage et sa demande de dommages-intérêts.
Condamne la Caisse Fédérale du Crédit Mutuel Nord Europe à payer à la Banque Delubac et Cie, 50 000 Euros, sur le fondement de l’article 700 NCPC et la déboute de sa demande à ce titre.
Rejette toute autre demande.
Condamne la Caisse Fédérale du Crédit Mutuel Nord Europe aux dépens, qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 NCPC.
MM. PERIE, prés.;MATET, HASCHER, cons.;GENAITAY, subst. gén.;Mes VATIER, DANET, av.
NOTE
L’intérêt de l’arrêt rapporté résulte des différents principes de l’arbitrage dont il fait application.
En effet, outre l’importante règle selon laquelle le contrôle au fond de la sentence n’est pas de la compétence du juge de l’annulation, l’arrêt rapporté rappelle que le tribunal arbitral a le pouvoir d’interpréter la sentence, principe que l’on retrouve dans les instruments OHADA relatifs à l’arbitrage.
A cet égard, il résulte de l’article 22 al. 1 de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage, que : « la sentence dessaisit l’arbitre du litige. L’arbitre a néanmoins le pouvoir d’interpréter la sentence ou de réparer les erreurs et omissions matérielles qui l’affectent ».
Par ailleurs, le règlement CCJA énonce en son article 26, que la sentence CCJA peut faire l’objet d’une rectification d’erreurs matérielles ou d’une interprétation.
Un autre enseignement dudit arrêt est relatif au point de départ des intérêts résultant du retard dans le paiement d’une créance, l’arrêt rapporté précisant que l’arbitre investi du pouvoir d’amiable compositeur peut fixer ce point de départ à la date de l’ordonnance d’exequatur, bien que certains droits nationaux le situent au jour de la demande en justice (Article 579 du Code de Procédure Civile du Gabon : « En matière extracontractuelle, les intérêts moratoires pourront courir à partir de l’assignation »), d’autres au jour de la décision de condamnation (article 11.53-1du Code Civil français). et d’autres encore, au jour de la signification commandement de la décision exécutoire (loi camerounaise n 2004/015 du 21 avril 2004 fixant le taux d’intérêt légal en matière d’exécution des décisions de justice et le taux d’intérêt conventionnel).
Gaston KENFACK DOUAJNI.