J-08-167
V. Ohadata J-04-108
OHADA – ARBITRAGE – RECOURS EN ANNULATION D’UNE SENTENCE ARBITRALE – VIOLATION DE L’ARTICLE 26 (3e tiret) – DE L’ACTE UNIFORME RELATIF AU DROIT DE L’ARBITRAGE – JURIDICTION COMPETENTE – RECEVABILITE DU RECOURS – BIEN-FONDE DU RECOURS.
VOIR ABSTRACTS ET SOMMAIRE DE OHADATA J-04-108
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), Arrêt n 010/2003 du 19 juin 2003 Pourvoi n 001-2002-PC du 28 mars 2002 Audience publique du 19 juin 2003. Affaire : Époux DELPECH c/ SOTACI. Revue Camerounaise de l’Arbitrage n 28. Janvier Février Mars 2005, p. 17, note Me Fénéon.
Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara Maïdagi :
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des Affaires en Afrique.
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure, qu’aux termes d’une « convention de cession de titres » conclue à Abidjan le 16 février 1998, les actionnaires de la Société de Transformation Industrielle de Lomé, dite STIL, société de droit togolais dont le siège est à Lomé, tous représentés par M. et Mme G. Delpech, avaient cédé à la société SOTACI la totalité des actions composant le capital social de la STIL;que le prix global de cession des actions avait été arrêté à la somme de 8.500 000 francs français, soit 850 000 000 FCFA;que les parties à la convention avaient décidé de déduire de ce montant, le passif de la société, provisoirement évalué à 3 000 000 francs français soit 300 000 000 de FCFA, de sorte que le prix net d’acquisition de actions s’était élevé à la somme de 5 550 000 francs français soit 550 000 000 FCFA;que compte tenu du caractère provisoire de l’évaluation du passif net au moment de la signature de la convention, l’article 3.1 de ladite convention stipulait que « le prix net ainsi que, par voie de conséquence, les échéances stipulées sont susceptibles de variation en fonction de la situation réelle du passif au 28 février 1998, et qu’en cas de variation du passif, celle-ci modifiera en priorité les échéances les plus éloignées »;qu’une fois la somme de 550 000 000 FCFA acquittée, les époux Delpech avaient estimé que la société SOTACI restait leur devoir encore la somme de 100.209.189 FCFA car, selon eux, le passif net de la STIL, tel qu’il apparaissait au bilan établi le 29 février 1998 par le Cabinet Afrique Audit et Consulting, s’élèverait à la somme de 199.790.811 FCFA et qu’il conviendrait de déduire ce montant du passif net provisoirement arrêté au moment de la signature de la convention de cession à la somme de 300 000 000 FCFA.
Attendu qu’après plusieurs rencontres infructueuses à l’effet de trouver une solution amiable à leur différend, les époux Delpech avaient saisi la Chambre d’Arbitrage de Côte d’Ivoire dite CACI d’une demande d’arbitrage aux fins de voir condamner SOTACI à leur payer la somme de 100.209.189 FCFA à titre de complément de prix, ainsi que des dommages et intérêts pour résistance abusive;que SOTACI avait, pour sa part, sollicité à titre reconventionnel, la condamnation des époux Delpech à lui payer la somme principale de 63.984.181 FCFA en application des dispositions de l’article 3.1 de la convention de cession de titres, en raison de l’alourdissement du passif net qui s’établissait à 363.984.181 FCFA et non à 300 000 000 FCFA, comme estimé dans la convention de cession du 16 février 1998.
Attendu que, par sentence arbitrale n CACI/02ARB/99 en date du 27 avril 2000, le tribunal arbitral a fait droit à la demande des époux DELPACH, en condamnant la SOTACI à :
1) 00.209.189 FCFA au titre de complément de prix de cession des actions de la société STIL.
8) 603.616 FCFA au titre des intérêts de retard conventionnels.
5) 393.616 FCFA au titre de frais de procédure.
Que sur recours en annulation formé par la société SOTACI contre cette sentence arbitrale, la Cour d’Appel d’Abidjan a rendu, le 27 février 2001, l’arrêt n 456 dont pourvoi.
Sur le troisième moyen pris en sa première branche
Vu l’article 26 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage.
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué une violation ou une erreur dans l’application ou l’interprétation de l’article 26 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, en ce que la Cour d’Appel a estimé que les arbitres ne se sont pas conformés à leur mission et qu’en application de l’article 26 de l’Acte uniforme sus indiqué, leur sentence encourt l’annulation, aux motifs que les parties avaient confié aux arbitres une mission d’amiable compositeur et que suivant la jurisprudence de la Cour de Cassation française acceptée par les parties, l’amiable compositeur a l’obligation de confronter les solutions légales à l’équité, à peine de trahir la mission qui lui est confiée;alors que, selon les requérants, s’il est vrai que l’article 26 sus indiqué prévoit que le recours en annulation est recevable si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée, encore faut-il, pour appliquer une telle disposition, que la mission qui aurait été méconnue par le tribunal arbitrai soit préalablement déterminée dans son étendue;que toujours selon les mêmes requérants, pour ce faire, il faut se reporter à l’article 10 de la convention et rien qu’à cet article, et sur ce point la Cour d’Appel s’est manifestement trompée, rien dans cet article ne permettant d’affirmer que les parties ont accepté la « jurisprudence de la Cour de Cassation française » sur l’amiable compositeur, « la Cour d’Appel a manifestement tronqué l’article 10 pour les besoins de sa décision »;de plus, la prise en compte intégrale de cet article impose de se référer, d’une part, à la disposition relative à l’amiable composition, et d’autre part, à la disposition relative à la loi applicable à la convention, l’interprétation de ces deux dispositions contractuelles ne permettant pas de dire que les arbitres avaient l’obligation de statuer en amiable compositeur;que leur mission était de statuer selon la loi ivoirienne applicable à la convention, cette mission leur donnant aussi la faculté de statuer en amiable compositeur, mais une faculté n’étant pas une obligation;qu’en statuant donc selon la loi ivoirienne et en ne décidant pas de statuer en amiable compositeur, le tribunal arbitral a par conséquent statué en se conformant à sa mission.
Attendu qu’aux termes de l’article 26 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, « le recours en annulation n’est recevable que dans les cas suivants :
(..).
si le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée.
(..) ».
Attendu que pour affirmer que « manifestement, les arbitres ne se sont pas conformés à leur mission et en application de l’article 26 de l’Acte uniforme précité, leur sentence encourt l’annulation », la Cour d’Appel s’est bornée à dire que « suivant l’article 10 de la convention des parties, tout différend les opposant sera soumis à la décision définitive de trois arbitres siégeant à Abidjan, et qui auront le pouvoir de statuer comme amiables compositeurs, en d’autres termes et suivant la jurisprudence de la Cour de Cassation française, acceptée par les parties, l’amiable compositeur a l’obligation de confronter les solutions légales à l’équité, à peine de trahir la mission qui lui est confiée.. que leur véritable mission en tant que professionnels de la comptabilité devait les amener à définir le « passif net », aucune indication n’étant fournie par les parties sur cette notion.. ainsi, il résulte de ce qui précède, que manifestement les arbitres ne se sont pas conformés à leur mission. », alors qu’elle devait non seulement indiquer préalablement l’étendue de la mission des arbitres eu égard notamment à la convention d’arbitrage, mais également spécifier en quoi les arbitres ont failli à leur mission, avant de tirer les conséquences;qu’en ne le faisant pas, la Cour d’Appel a fait une mauvaise application de l’article 26 de l’Acte uniforme sus indiqué;qu’en conséquence, il y a lieu de casser l’arrêt n 456 rendu le 27 avril 2001 par la Cour d’Appel d’Abidjan et d’évoquer, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les autres moyens.
Sur l’évocation
Attendu que par exploit en date du 6 juin 2000, la société SOTACI, représentée par Adham Khalil et ayant pour Conseils Maîtres Théodore Hoegah et Michel Ette, Avocats à la Cour, a initié une procédure d’annulation de la sentence arbitrale n CACI/02ARB/99 en date du 27 avril 2000, dont le dispositif est ainsi conçu :
« Les arbitres jugent que :
le passif net définitif de la société STIL au 28 février 1998 s’élève à FCFA 199.790.811 et que le complément de prix de cession à payer par la SOTACI aux époux Delpech est de 100.209.189 FCFA.
les intérêts de retard conventionnels à payer par la SOTACI aux époux Delpech, en application de l’article 3.4 de la convention s’élèvent à FCFA 8.603 360.
Et condamnent la SOTACI à payer aux époux Delpech :
au principal, la somme de 100.209.189 FCFA au titre du complément de prix de cession des actions de la société STIL SA.
au titre des intérêts de retard conventionnel, la somme de FCFA 8.603 360.
La condamnent également à rembourser aux époux Delpech, la somme de 6.393.616 FCFA, représentant les frais de la présente procédure exposés par ces derniers ».
Attendu qu’à l’appui de son action, la SOTACI soutient que les arbitres ont totalement méconnu les termes de la mission d’amiables compositeurs qui leur est confiée par l’article 10 alinéa 2 de la convention de cession de titres signée par les parties le 16 février 1998, repris au demeurant dans l’ » acte de mission »;que l’arbitre qui statue en amiable compositeur est celui qui a reçu des parties le pouvoir de rendre sa décision en équité, à savoir que la sentence qu’il prononce doit être à la fois logique, cohérente, mais aussi conforme à la morale et en l’espèce, à la morale des affaires;que les arbitres désignés avaient, en l’espèce, pour mission essentielle de dire, en tant que professionnels de la comptabilité, ce qu’il convenait d’entendre par « passif net », les parties à la convention n’ayant donné aucune définition à cette notion;que les arbitres, en affirmant qu’il résulte des échanges de correspondances intervenus entre les parties, que le passif net de la société STIL, au 28 février 1998, correspond à son actif net à la même date;confondent les deux notions, l’une étant l’inverse de l’autre.
Qu’en déterminant le montant du reliquat du prix tel qu’ils l’ont fait à la page 9 de la sentence arbitrale, les arbitres ont dénaturé la convention des parties, notamment son article 3.1, et méconnu les règles d’évaluation d’une entreprise.
Attendu qu’en plus de l’annulation de la sentence arbitrale, la société SOTACI demande la condamnation des époux Delpech à lui payer la somme de 63.984.181 francs représentant un trop-perçu au motif qu’une exacte application de l’article 3.1 de la convention des parties permet de chiffrer sur le plan comptable, la valeur de rachat de la société STIL, après valorisation des actifs immobilisés, comme suit :
Valorisation des actifs immobilisés : 850 000 000 F.
Actif circulant : 247.563.614 F.
Total : 1 097.563.614 F.
et en prenant en compte le passif total de 611.547 795 francs, la valeur de rachat s’établit à 486 013.813 francs, dégageant ainsi un trop-payé de FCFA 63.984.181, car au moment de la signature de la convention, la situation financière de la société ne s’était pas améliorée au point d’amener la concluante au paiement de somme supplémentaire.
Attendu que les époux Delpech, défendeurs, demandent à la Cour de déclarer irrecevable le recours en annulation formé par la société SOTACI, aux motifs, d’une part, que l’article 42 alinéa 2 de la loi n 93-671 du 9 août 1993 relative à l’arbitrage ne règle plus la matière de l’arbitrage en Côte d’Ivoire depuis l’avènement de l’Acte uniforme de l’OHADA relatif à l’arbitrage, notamment en application de son article 35;que c’est l’article 25 dudit Acte uniforme qui régit le recours en annulation formé par la société SOTACI et qui donne le pouvoir aux parties d’exercer un recours en annulation, mais ne stipule pas que les parties peuvent valablement y renoncer;que les parties peuvent donc dans leur convention, renoncer à ce recours et c’est ce qu’elles ont fait dans la convention de cession de titres et dans l’acte de mission, en stipulant que la sentence ne sera susceptible d’aucun recours;que mieux, les parties se sont soumises au règlement de la CACI dont l’article 35 dispose que « la sentence arbitrale est définitive et revêt un caractère obligatoire pour les parties.
Celles-ci s’engagent par leur adhésion au présent règlement, à l’exécuter sans délai et sont réputées avoir renoncé à toutes les voies de recours auxquelles elles peuvent renoncer » et, d’autre part, qu’à propos de la mission des arbitres, l’article 10 de la convention de cession de titres, en disposant que les arbitres auront le pouvoir de statuer comme amiables compositeurs, ne donne auxdits arbitres qu’une faculté, une possibilité, ce qui ne signifie nullement qu’ils sont tenus d’évincer les règles de droit au profit de l’équité;qu’enfin, le recours à la clause d’amiable composition comporte un effet particulier, à savoir la renonciation à l’appel, et qu’en disant dans la convention que « la sentence n’est susceptible d’aucun recours », les parties visent exclusivement le recours en annulation;que le recours en annulation exercé en violation des dispositions contractuelles excluant tout recours est irrecevable;que par ailleurs, les époux Delpech contestent la compétence de la Cour d’Appel et penchent plutôt pour la compétence du Tribunal de Première Instance.
Attendu que par conclusions en réplique en date du 18 octobre 2000, la société SOTACI fait remarquer que suivant l’article 25 de l’Acte uniforme, seule la Cour d’Appel est compétente pour statuer en annulation, les tribunaux ne rendant souvent pas de jugement en dernier ressort;que la convention de cession de titres prévoyant la clause compromissoire ayant été établie en février 1998, donc avant l’entrée en vigueur du Traité OHADA relatif à l’arbitrage, seule la loi ivoirienne du 9 août 1993 relative à l’arbitrage lui est applicable;que l’article 42 de cette loi précisant qu’ » un recours en annulation de l’acte qualifié de sentence arbitrale peut néanmoins être formé, malgré toute stipulation contraire », il en résulte que les parties ne peuvent valablement renoncer à cette voie de recours;que du reste, l’article 6 du code civil énonce que l’ » on ne renonce valablement qu’à un droit acquis et non à un droit futur »;que statuer en amiable compositeur consiste à trancher le litige en équité et l’arbitre qui appliquerait strictement les règles de droit pourrait être sanctionné, car suivant l’article 15 in fine de l’Acte uniforme, l’amiable composition pour un arbitre n’est pas un simple pouvoir, mais une véritable mission, et que la jurisprudence française, produite par la partie adverse, précise que « l’amiable compositeur a l’obligation de confronter les solutions légales à l’équité, à peine de trahir la mission qui lui a été confiée »;que non soumis à une règle unique pour trancher le litige, l’arbitre doit nécessairement recourir aux usages professionnels, rechercher un certain équilibre contractuel et solution juste, et tel n’a pas été le cas en l’espèce, où les arbitres ont confondu les notions comptables ou financières d’actif net et de passif net, pour parvenir à la condamnation de la concluante à un complément de prix, alors que la seule question à laquelle ils étaient tenus de répondre était celle de dire ce qu’il convient d’entendre au point de vue comptable ou financier par passif net.
Attendu que par conclusions en duplique en date du 28 novembre 2000, les époux Delpech reviennent sur quatre questions et selon eux, de manière chronologique, à savoir le fondement légal du recours en annulation, le juge compétent en matière du recours en annulation, la recevabilité du recours en annulation et les pouvoirs du juge du recours en annulation;que sur le fondement du recours, seul l’Acte uniforme du 11 mars 1999 relatif au droit de l’arbitrage est applicable, puisque ayant remplacé la loi du 9 août 1993 relative à l’arbitrage;que sur le juge compétent, c’est l’article 25 alinéa 2 de l’Acte uniforme sus indiqué qui régit la compétence dudit juge et non l’alinéa 3 du même article, mais que cet alinéa 2 ne précisant pas quel est ce juge compétent, c’est l’article 5 du Code ivoirien de Procédure Civile qui donne compétence au Tribunal de Première Instance pour connaître d’un tel recours.
Que sur la recevabilité du recours, l’article 10 de la convention de cession, le règlement d’arbitrage de la CACI et l’acte de mission confirment l’impossibilité de tout recours contre la sentence arbitrale;que sur le pouvoir du juge compétent, il n’a pas le pouvoir de trancher le fond du litige, s’il annule la sentence arbitrale, l’article 29 de l’Acte uniforme sus indiqué le lui interdisant.
Attendu que par conclusions en deuxième réplique en date du 26 décembre 2000, la SOTACI a, en réponse aux différents points abordés par les époux Delpech dans leurs écritures du 28 novembre 2000, essayé de démontrer en quoi les arbitres n’ont pas respecté leur mission d’amiables compositeurs, en quoi la Cour d’Appel est compétente pour connaître du recours en annulation, en quoi ledit recours est recevable par rapport au non-respect par les arbitres de leur mission, et enfin, en quoi elle n’a pas valablement renoncé au recours en annulation.
Sur la compétence de la Cour d’Appel
Attendu qu’aux termes de l’article 25 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, « elle (la sentence arbitrale) peut faire l’objet d’un recours en annulation, qui doit être porté devant le juge compétent dans l’Etat partie »;que l’Acte uniforme sus indiqué ne précisant pas ledit juge compétent, il y a lieu de se reporter à la loi nationale de l’Etat Partie concerné, pour déterminer le juge devant lequel le recours en annulation doit être porté;qu’aux termes de l’article 44 de la loi ivoirienne n 93-671 du 9 août 1993 relative à l’arbitrage, « l’appel et le recours en annulation sont portés devant la Cour d’Appel dans le ressort de laquelle la sentence arbitrale a été rendue »;qu’en l’espèce, la sentence arbitrale ayant été rendue à Abidjan, c’est bien la Cour d’Appel d’Abidjan qui était compétente pour connaître du recours en annulation.
Sur la recevabilité du recours en annulation
Attendu qu’aux termes des articles 25 alinéa 2 et 35 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, « elle (la sentence arbitrale) peut faire l’objet d’un recours en annulation qui doit être porté devant le juge compétent dans l’Etat partie » et « celui-ci (l’Acte uniforme) n’est applicable qu’aux instances arbitrales nées après son entrée en vigueur »;qu’en l’espèce, c’est bien l’Acte uniforme sus indiqué qui se trouve applicable à l’action engagée par la SOTACI, le 27 décembre 1999.
Attendu qu’au moment de la signature de la convention de cession de titres par les parties, c’était la loi ivoirienne n 93-671 du 9 août 1993 relative à l’arbitrage qui était applicable, laquelle loi disposait en son article 42, que « lorsque, suivant les distinctions faites à l’article 40, les parties ont renoncé à l’appel, ou qu’elles ne se sont pas expressément réservé cette faculté dans la convention d’arbitrage, un recours en annulation de l’acte qualifié sentence peut, néanmoins, être formé malgré toute stipulation contraire »;que la clause de renonciation à tout recours insérée par les parties dans la convention du 16 février 1998 doit être considérée comme non écrite en ce qui concerne le recours en annulation;que le recours en annulation étant prévu par l’Acte uniforme sus indiqué applicable en l’espèce, il y a lieu de déclarer recevable le recours en annulation introduit par la SOTACI.
Sur le bien-fondé du recours en annulation
Attendu qu’aux termes de l’article 10 alinéa 3 de la convention de cession de titres signée par les parties, « à défaut de parvenir à (un) accord, le différend sera soumis à la décision définitive de trois arbitres siégeant à Abidjan et qui auront le pouvoir de statuer comme amiables compositeurs ».
Attendu que pour condamner la SOTACI à payer aux époux Delpech différentes sommes d’argent au titre de complément de prix de cession des actions, des intérêts de retard conventionnel et des frais de procédure, les arbitres ont retenu que « le problème de droit réside dans la question de savoir sur quel mode de détermination du passif net les parties se sont accordées et plus précisément, si le passif net évoqué à l’article 3 de la convention correspond aux notions comptables d’actif net ou de besoin de fonds de roulement;que ce problème est d’abord juridique avant d’être comptable.
Qu’il s’agit ici d’appliquer les dispositions d’une convention;que si le tribunal peut écarter l’application de certaines dispositions de la convention, dans le cas où elles seraient contraires à l’ordre public, il ne se trouve pas en l’espèce dans cette situation, car la définition du passif net n’est pas une disposition d’ordre public;que pour la résolution de ce problème, le tribunal se doit de rechercher d’abord dans la convention, les éléments de réponse à la question posée, puis, dans le silence de la convention, il doit rechercher par tous les moyens la volonté des parties et enfin, si cette recherche est infructueuse, il doit appliquer les règles de détermination du passif net reconnues et acceptées par la profession comptable et/ou les analystes financiers »;que les arbitres, qui s’étaient fondés sur des solutions légales pour régler le différend qui oppose la SOTACI et les époux Delpech, et qui n’avaient pas l’obligation, comme le soutient la SOTACI, de statuer uniquement en amiable compositeur, sont restés dans le cadre de la mission qui leur est confiée;qu’il s’ensuit que la demande d’annulation de la sentence introduite par la SOTACI doit être rejetée.
Sur la demande en paiement de la SOTACI
Attendu que la SOTACI demande, après annulation de la sentence arbitrale, de condamner les époux Delpech à lui payer la somme de FCFA 63.984.181 représentant, selon elle, un trop-perçu, en application de l’article 3.1 de la convention de cession des titres.
Attendu que le recours en annulation de la sentence étant rejeté, il n’y a pas lieu de statuer sur cette demande de la SOTACI.
Attendu que la SOTACI ayant succombé, doit être condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré.
Casse l’arrêt n 456 du 27 avril 2001 rendu par la Cour d’Appel d’Abidjan.
Évoquant et statuant à nouveau.
Déclare recevable, en la forme, le recours en annulation formé par la SOTACI.
Rejette le recours en annulation de la sentence arbitrale n CACI/02ARB/99 en date du 27 avril 2000.
Dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande de la SOTACI tendant à la condamnation des époux Delpech au paiement d’un trop-perçu de FCFA 63.984.181.
Condamne la SOTACI aux dépens.
– le Président;.
NOTE
Cette très intéressante décision constitue à notre connaissance, le premier arrêt rendu par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA, en application de l’Acte uniforme sur l’arbitrage.
Il convient de rappeler que cet Acte uniforme est entré en vigueur depuis le 11 juin 1999 et constitue, depuis cette date, le Droit Uniforme de l’Arbitrage des seize Etats membres de l’OHADA.
Nous savons que le Traité de l’OHADA a réservé une place très importante au Droit de l’Arbitrage, tant par son unification dans le cadre d’un Acte uniforme, que par la mission de Centre d’Arbitrage donnée à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage d’Abidjan.
C’est uniquement dans le cadre de l’Acte uniforme qu’intervient la présente décision, qui n’en constitue pas moins à plusieurs titres, un arrêt de référence.
A l’origine des faits, les époux DELPECH, actionnaires d’une société de droit togolais dénommée STIL, avaient cédé la totalité des actions composant le capital de cette société à la SOTACI.
Le prix de cession avait été arrêté par référence à un montant fixe duquel devait être déduit le passif net de la société, dont le montant n’était évalué qu’à titre provisoire.
Les parties n’ayant pu s’accorder sur le montant définitif de ce passif net, décidèrent de mettre en œuvre la clause de la convention de cession d’actions renvoyant sur ce point à la décision de trois arbitres devant statuer conformément au règlement d’arbitrage de la Cour d’Arbitrage de la Côte d’Ivoire (CACI).
C’est dans ces conditions que les arbitres saisis déterminaient le montant du reliquat du prix et rendaient une sentence condamnant la SOTACI à verser un complément de prix de cession d’un peu plus de 100 millions de FCFA.
Suite à cette sentence CACI, la SOTACI saisit la Cour d’Appel d’Abidjan et en obtint l’annulation, ladite Cour d’Appel considérant qu’en déterminant le montant du reliquat du prix de cession, les arbitres avaient méconnu les termes de leur mission d’amiables compositeurs et dénaturé la convention des parties.
Ainsi s’est trouvée saisie la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, à qui les époux DELPECH demandaient de déclarer irrecevable le recours en annulation formé devant la Cour d’Appel d’Abidjan au visa de l’article 25 de l’Acte uniforme, et de la clause de la convention de cession stipulant une renonciation à l’appel.
La SOTACI s’opposait à cette demande et faisait plaider la confirmation de l’arrêt de la Cour d’Appel d’Abidjan, en ce qu’elle avait jugé que les arbitres, statuant en droit, auraient dépassé leur mission d’amiables compositeurs.
La CCJA a procédé à une analyse pertinente tant sur la question de la recevabilité que sur celle de la compétence en matière du recours en annulation, ainsi que sur son bien-fondé.
Ce sont ces différents points qu’il convient d’examiner.
I. SUR LA RECEVABILITE DU RECOURS EN ANNULATION ET LA COMPETENCE DE LA JURIDICTION SAISIE
I. 1 Sur la recevabilité du recours en annulation
Il convient de rappeler que l’annulation, ou refus de reconnaissance ou d’exécution d’une sentence arbitrale, constitue le recours de droit commun en matière d’arbitrage international.
L’article 34 de la loi CNUDCI définit ainsi :
« La demande d’annulation comme recours exclusif contre la sentence arbitrale ».
En droit français, l’article 1504 du Nouveau Code de Procédure Civile dispose en son alinéa 1, que « la sentence arbitrale rendue en France en matière d’arbitrage international peut faire l’objet d’un recours en annulation dans les cas prévus à l’article 1502 ».
Le Décret français du 12 mai 1981 a ainsi rompu avec la jurisprudence antérieure de la Cour d’Appel de Paris, qui déclarait irrecevable le recours en annulation formé à l’encontre des sentences « non françaises ». La législation africaine était, quant à elle, divisée sur la possibilité d’un recours en annulation.
Ainsi, le Décret du 15 mars 1982 portant Code de Procédure Civile au Togo, disposait en son article 30-6 que : « la sentence arbitrale, d’instance ou d’appel, n’est pas susceptible de recours en annulation ».
A contrario, la loi ivoirienne n 93-671 du 9 août 1993 relative à l’arbitrage, comportait une disposition validant ce recours, disposition à laquelle la CCJA fait d’ailleurs expressément référence.
On peut cependant s’interroger sur le sort qui aurait été réservé à ce recours en annulation, si la procédure arbitrale s’était déroulée au Togo, et non en Côte d’Ivoire.
Dans une telle hypothèse, la CCJA aurait-elle considéré la disposition du droit togolais comme contraire à l’Acte uniforme qui, lui, prévoit expressément en son article 25, la possibilité du recours en annulation ? Quelle procédure eût alors été applicable ? C’est poser là le problème de la nécessaire adaptation du droit national aux Actes uniformes de l’OHADA;adaptation qui est toujours attendue dans de nombreux Etats Parties.
I.2 Sur la compétence en matière de recours en annulation
Il convient de rappeler que l’article 25.2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, précise que le recours en annulation qui peut frapper la sentence arbitrale doit être porté « devant le juge compétent dans l’Etat Partie ».
En tout premier lieu, cette formule imprécise peut surprendre.
Cependant, ce vocable de « juge compétent dans l’Etat Partie » est une constante des actes uniformes de l’OHADA, justifiée tant par le texte du Traité que par des considérations pratiques. Le Traité a, en effet, limité le périmètre des textes à un certain nombre de matières, à l’exclusion du droit processuel et de l’organisation judiciaire, qui demeurent propres à chaque Etat.
Par ailleurs, il n’apparaissait pas envisageable, sur le plan pratique, sans alourdir considérablement le texte, de désigner pour chaque disposition la juridiction compétente dans chaque Etat.
Encore convient-il que soit précisée, par voie de renvoi dans la loi nationale, la juridiction compétente. Cette précision, qui aurait dû normalement faire l’objet d’un texte d’adaptation.
En l’espèce, les parties ont fait référence à l’article 44 de la loi ivoirienne du 9 août 1993 relative à l’arbitrage, laquelle prévoyait un recours en annulation devant la Cour d’Appel dans le ressort de laquelle la sentence arbitrale avait été rendue, soit en l’espèce la Cour d’Appel d’Abidjan. Ce renvoi était possible au regard de l’article 10 du Traité, lequel dispose que les dispositions nationales non contraires à l’Acte uniforme demeurent en vigueur.
La CCJA a validé sur ce point, l’interprétation donnée par la Cour d’Appel de sa propre compétence, ce qui nous apparaît tout à fait justifié au regard des textes visés.
II. SUR LE BIEN-FONDE DU RECOURS EN ANNULATION
II.1 Sur l’amiable composition
Il convient de rappeler que sur ce point, l’Acte uniforme dispose en son article 15 que les arbitres tranchent le fond du litige conformément aux règles de droit désignées par les parties, ou à défaut, choisies par elles comme les plus appropriées compte tenu des usages du commerce international;ils peuvent encore statuer en amiables compositeurs lorsque les parties leur ont conféré ce pouvoir.
Or, il a été reproché par la SOTACI aux arbitres, sur ce point, d’avoir dépassé le périmètre de la mission qui leur était confiée, en faisant référence aux notions comptables et financières d’actif net et de passif net, pour parvenir à la condamnation à un complément de prix, alors que la seule question, selon la SOTACI, à laquelle ils étaient tenus de répondre était de définir cette notion comptable de passif net.
LA COUR, sur ce point, a considéré que les arbitres, qui s’étaient fondés sur des solutions légales pour régler ce différend, n’avaient pas l’obligation de statuer en amiables compositeurs, comme le soutenait la SOTACI, et étaient restés dans le cadre de leur mission, en statuant sur le fond de la demande.
Il convient, à cet égard, d’observer que l’Acte uniforme OHADA sur l’arbitrage, de même d’ailleurs que le droit français, ne prévoit aucun contrôle de la manière dont les arbitres statuent au fond, sous la seule réserve du respect des exigences de la conception de l’ordre public des Etats Parties.
Le contrôle du respect par l’Arbitre de sa mission ne doit pas conduire à remettre en cause le principe essentiel de sa souveraineté.
Plus particulièrement, en matière d’amiable composition, on ne peut reprocher aux arbitres qui ont choisi d’appliquer une règle de droit parce qu’ils l’estimaient équitable, d’avoir dépassé leur mission.
Il en est de même lorsque les arbitres devant statuer en équité se réfèrent à des principes transnationaux parce que ceux-ci leur apparaissent justes et raisonnables.
C’est la raison pour laquelle il y a lieu d’approuver la pertinence de la décision de la CCJA rendue sur ce point.
II.2 Sur l’évocation
Il est remarquable de constater que par cette décision, les Juges de la CCJA ont utilisé pleinement leur pouvoir d’évocation qui leur est conféré par l’article 14 du Traité de l’OHADA.
Parmi les décisions rendues jusqu’alors par la CCJA, nombreux étaient les arrêts d’irrecevabilité, justifiés soit parce que les pourvois avaient été formés hors délai, ou que les pièces exigées n’étaient pas produites, ou encore pour n’avoir pas respecté les procédures préalables.
Aussi, c’est avec intérêt que l’on doit accueillir cet arrêt qui évoque l’affaire au fond;la CCJA constituant alors un troisième et dernier degré de juridiction, puisqu’elle statue sans renvoi.
Ainsi, le litige peut être transporté des Juges d’Appel aux Juges de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, avec toutes les questions de fait et de droit qu’il comporte.
Cet effet dévolutif doit être précisé avec soin;il commande des conséquences importantes quant au pouvoir et aux prérogatives du Juge de la CCJA.
On doit, en effet, considérer que la déclaration de pourvoi devant la CCJA provoque la saisine de la Cour;cette saisine qui a, pour la CCJA, un caractère impératif, accentue encore le dessaisissement du Juge d’Appel, qui est la conséquence du prononcé de l’arrêt.
A contrario, l’effet dévolutif est limité par les termes du pourvoi;celui-ci ne défère à la Cour que les chefs de l’arrêt qu’il critique expressément ou implicitement, et ceux qui en dépendent.
Il se peut, en effet, que le Juge d’Appel n’ait été saisi que d’une seule des questions tranchées en première instance;il peut aussi avoir été saisi de la totalité du litige;dans ce cas, le pourvoi aura un effet plus général.
Telles sont les limites de l’effet dévolutif qui interdit notamment la présentation de demandes nouvelles, sauf à expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes des défenses originaires.
Ainsi, les pouvoirs de la Cour sont très étendus, et l’on doit admettre qu’elle pourrait même ordonner une mesure d’instruction, voire admettre la présentation de nouvelles pièces.
Cette recherche ne s’est pas avérée nécessaire en l’espèce;la Cour s’estimant parfaitement satisfaite de la décision rendue par le Tribunal Arbitral, ce qui constitue à l’évidence un témoignage de confiance et de respect adressé au travail des Arbitres.
Me Alain FENEON.
Avocat au Barreau de Paris.