J-08-170
ARBITRAGE – JURIDICTION ETATIQUE D’APPUI – DESIGNATION DU JUGE DES REFERES PAR LA LOI INTERNE.
ARBITRAGE – DESIGNATION DU TROISIEME ARBITRE.
Aux termes de l’article 2 de la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003, « le juge compétent visé parles articles 5, 7, 8, 12, 13 al. 4, 14 al. 7 et 22 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage est le Président du Tribunal de Première Instance du lieu de l’arbitrage ou le magistrat qu’il délègue à cet effet.
Aux termes de l’article 5 de l’Acte uniforme OHADA portant sur l’arbitrage, « si les deux arbitres ne s’accordent pas sur le choix du troisième arbitre dans un délai de trente jours à compter de leur désignation, la nomination est effectuée sur la demande d’une partie, par le juge compétent dans l’Etat-partie ». Le demandeur ayant entendu saisir la juridiction de céans aux fins de désignation d’un troisième arbitre pour préserver la neutralité de l’arbitrage, il y a lieu de désigner X …en qualité de troisième arbitre pour présider le tribunal arbitral ad hoc devant régler le litige opposant les parties.
Article 5 AUA
ORDONNANCE DE REFERE N 264 du président du Tribunal de première instance de Douala du 23 juin 2005 AFFAIRE : M. FARHAT Hassan, SOCOTRAC Sarl et SCATIA Sarl c/ Société Patrice Bois. Revue Camerounaise de l’Arbitrage n 31 Octobre. Novembre. Décembre 2005, p. 15, note Joseph KENFACK.
L’an deux mil cinq et le vingt trois juin.
Devant nous, René Lucien EYANGO, Président du Tribunal de Première Instance de Douala-Ndokoti, République du Cameroun, tenant audience publique des référés en notre Cabinet sis au Palais de Justice de ladite ville.
Assisté de Maître MENYE Justine, Greffier.
Ont comparu, Maîtres ACHU Julius et Abdoul Aziz, Avocats à Douala, Conseils des demandeurs Monsieur FARHAT Hassan, les Sociétés Soccotrac Sarl et Scatia Sarl, lesquels nous ont exposé que par son exploit en date du 07 juin 2005 de Maître Baleng Maah, Huissier de Justice à Douala, ses clients ont fait donner assignation en référé d’heure à heure à la Société Patrice Bois SA, défenderesse ayant pour Conseil Me Biyick, Avocat à Douala, d’avoir à se trouver et comparaître le 08 juin 2005 par-devant le Tribunal de Première Instance de Ndokoti statuant en matière de référé d’heure à heure pour, est-il dit dans cet exploit.
Attendu que les demandeurs ont attrait la défenderesse devant le Juge de céans aux fins d’ordonner la désignation d’un troisième arbitre.
A l’appel de la cause, toutes les parties comparaissent et l’affaire a connu plusieurs renvois utiles et retenue à celle du 23 juin 2005.
Advenue cette date, la juridiction des référés vidant son délibéré, a, par l’organe de son Président et à haute voix, rendu l’ordonnance dont la teneur suit :
Nous, Président, Juge des référés
Vu l’exploit introductif d’instance.
Vu les pièces du dossier de la procédure.
Et après en avoir délibéré.
Attendu qu’en vertu de l’ordonnance présidentielle n 385 rendue le 06 juin 2005 et suivant exploit en date du 07 juin 2005 non encore enregistré mais qui le sera en temps utile de Me Baleng Maah, Huissier de Justice à Douala, Sieur FARHAT Hassan, Président Directeur Général du groupe FARHAT HASSAN et les Société SOCCOTRAC Sarl, SOFAC Sarl et SCATIA Sarl, dont les sièges sociaux se trouvent à la base navale de Douala, agissant poursuites et diligences de leur représentant légal sieur FARHAT Hassan, ayant pour Conseils Mes ACHU Julius et Abdoul Aziz, Avocats au Barreau du Cameroun, BP 5742 Douala, ont fait donner assignation à la Société PATRICE BOIS SA, dont le siège est à Yaoundé, prise en la personne de son représentant légal ayant pour Conseil Me Biyick, Avocat au Barreau du Cameroun, BP 5902 Douala, d’avoir à se trouver et comparaître par-devant Monsieur le Président du Tribunal de Première Instance de Douala-Ndokoti statuant en matière de référé d’heure à heure pour, est-il dit dans cet exploit.
Vu l’article 5 de l’Acte uniforme de l’OHADA portant sur le droit de l’arbitrage;ensemble les article 2 et 3 de la loi n 2003/009 du 10 juillet portant désignation des juridictions compétentes visées à l’Acte uniforme relatif au Droit de l’arbitrage.
Vu la lettre du 23 mai 2005 adressée par sieur Kenfack Gaston, l’arbitre désigné par les requérants.
Bien vouloir constater que sieur Kenfack Gaston, l’un des arbitres désignés, n’entend pas participer à la désignation du troisième arbitre devant présider le tribunal arbitral ad hoc dans le cadre du litige opposant les requérants à la Société PATRICE BOIS SA.
En conséquence, bien vouloir procéder à la désignation d’un troisième arbitre en complément des deux autres déjà désignés par les parties, à savoir le Docteur Kenfack Gaston et le Professeur Paul Gérard Pougoue, devant présider le tribunal arbitral ad hoc.
Ordonner l’exécution par provision sur minute de l’ordonnance à intervenir nonobstant toutes voies de recours.
Attendu qu’au crédit de son action, le demandeur, par l’entremise de ses Conseils Mes ACHU Julius et Abdoul Aziz exposent :
Que dans le cadre d’un litige opposant les sociétés de sieur FARHAT à la Société PATRICE BOIS Sa, les parties, dans l’optique d’une procédure d’arbitrage, ont désigné chacune son arbitre, à savoir Sieur KENFACK Gaston, pour le requérant et sieur Paul Gérard POUGOUE, pour la Société Patrice Bois SA.
Que d’après la procédure prévue par l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage, les deux arbitres ainsi désignés doivent procéder au choix du troisième arbitre.
Qu’il résulte de la lettre du 23 mai 2005, que l’arbitre désigné par les requérants n’entend pas participer à la désignation du troisième arbitre, pour sauvegarder la neutralité de l’arbitrage.
Que les requérants sollicitent donc que le juge des référés procède à la désignation du troisième arbitre, conformément à l’article 5 de l’Acte uniforme de l’OHADA portant droit de l’arbitrage et aux articles 2 et 3 de la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003 portant désignation des juridictions compétentes visées à l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage.
Attendu qu’en réplique, la défenderesse, sous la plume de son Conseil Me Biyick, soulève l’exception d’incompétence de la juridiction de céans, motifs pris de ce que non seulement le siège social de la défenderesse se situe à Yaoundé, mais bien plus, le contrat et l’avenant du 12 juillet 2001-2003 prévoyant la clause compromissoire ont été signés à Yaoundé par les parties.
Attendu que réagissant à ces observations, les demandeurs, par le biais de leurs Conseils, font valoir qu’aux termes des articles 2 et 3 de la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003 portant désignation des juridictions compétentes visées à l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et fixant leur mode de saisine, le juge compétent visé par l’article 5 de l’Acte uniforme OHADA relatif au droit de l’arbitrage est le Président du Tribunal de Première Instance du lieu de l’arbitrage ou le magistrat qu’il délègue à cet effet, précisant par ailleurs qu’en saisissant le Tribunal de Première Instance de Douala-Ndokoti, les requérants, partie diligente, ont entendu déclencher la procédure arbitrale en portant leur choix sur Douala comme lieu de l’arbitrage.
Attendu que la défenderesse, par l’organe de son Conseil, rétorque que la loi étant muette sur le lieu de l’arbitrage, il reste au juge à se déterminer sur ce lieu, spécifiant, cependant, qu’il serait de bon ton que le troisième arbitre soit désigné par une juridiction de Yaoundé, les parties ayant signé le contrat et l’avenant à Yaoundé.
Attendu que pour asseoir leurs prétentions et moyens de défense, les parties ont versé aux débats nombre de pièces dont diverses correspondances portant sur le choix des arbitres, la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003 portant désignation des juridictions compétentes visées à l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et fixant leur mode de saisine, le protocole d’accord et l’avenant comportant la clause compromissoire.
SUR L’EXCEPTION D’INCOMPETENCE DE LA JURIDICTION DE CEANS
Attendu qu’aux termes de l’article 2 de la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003 susvisée, « le juge compétent visé parles articles 5, 7, 8, 12, 13 al. 4, 14 al. 7 et 22 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage est le Président du Tribunal de Première Instance du lieu de l’arbitrage ou le magistrat qu’il délègue à cet effet.
Attendu qu’aux termes de l’article 5 de l’Acte uniforme OHADA portant sur l’arbitrage, « en cas d’arbitrage par trois arbitres, chaque partie nomme un arbitre et les deux autres arbitres ainsi nommés choissent un troisième arbitre dans un délai de trente jours à compter de la réception d’une demande à cette fin émanant de l’autre partie, ou si les deux arbitres ne s’accordent pas sur le choix du troisième arbitre dans un délai de trente jours à compter de leur désignation, la nomination est effectuée sur la demande d’une partie, par le juge compétent dans l’Etat-partie ».
Attendu qu’il s’ensuit que le lieu de l’arbitrage n’est pas déterminé à l’avance et pour reprendre l’expression de la défenderesse, « la loi est muette en la matière »;c’est dire que c’est à la partie la plus diligente de donner le ton en saisissant la juridiction de son choix pour la désignation d’un troisième arbitre, étant entendu que le déclenchement de cette procédure arbitrale fixe le lieu de l’arbitrage.
Qu’au regard de ce qui précède, il y a lieu de nous déclarer compétent.
SUR LA DESIGNATION DU TROISIEME ARBITRE
Attendu qu’aux termes de l’article 5 de l’Acte uniforme OHADA portant sur l’arbitrage, « si les deux arbitres ne s’accordent pas sur le choix du troisième arbitre dans un délai de trente jours à compter de leur désignation, la nomination est effectuée sur la demande d’une partie, par le juge compétent dans l’Etat-partie ».
Attendu que le demandeur ayant entendu saisir la juridiction de céans aux fins de désignation d’un troisième arbitre pour préserver la neutralité de l’arbitrage, il y a lieu de désigner sieur Ngallé Eyoum, Magistrat hors Hiérarchie à la retraite (BP 3102 Douala Tél. 991.23 07) en qualité de troisième arbitre pour présider le tribunal arbitral ad hoc devant régler le litige opposant les parties.
Attendu que la défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé spécial prévu par la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003 portant désignation des juridictions compétentes visées à l’Acte uniforme relatif au droit d’arbitrage et fixant leur mode de saisine en premier et dernier ressort.
Nous déclarons compétent.
Recevons les demandeurs en leur action.
Les y disons fondés.
Désignons Sieur Ngallé Eyoum, Magistrat Hors hiérarchie à la retraite, BP 3102 Douala Tél. 991.23 07 en qualité de troisième arbitre pour présider le tribunal arbitral ad hoc devant régler le litige opposant les parties.
Disons notre ordonnance exécutoire, conformément aux dispositions de l’article 3 alinéa 2 de la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003 susvisée.
Condamnons la défenderesse aux dépens distraits au profit de Mes ACHU Julius et Abdoul Aziz, Avocats aux offres de droit.
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique les mêmes jours, mois et an que dessus.
Et signent sur la minute, le Président et le Greffier.
NOTE
Le lieu de l’arbitrage n’étant pas déterminé à l’avance et la loi étant muette en la matière, la partie la plus diligente fixe implicitement ce lieu en saisissant la juridiction de son choix pour la désignation d’un troisième arbitre.
Telle est, en substance, la position du juge des référés de Douala-Ndokoti dans un litige opposant des parties à un arbitrage ad hoc.
En l’espèce, face au refus d’un des arbitres de participer à la désignation du troisième arbitre, les sociétés Soccotrac Sarl et Scatia Sarl, dont les sièges sont à Douala, ont attrait par-devant le juge des référés de Douala-Ndokoti, la Société Patrice Bois S.A, dont le siège est à Yaoundé, aux fins de désignation du président du tribunal arbitral devant connaître du litige qui les opposait.
La défenderesse a soulevé In limine litis l’exception d’incompétence territoriale de la juridiction de Douala-Ndokoti au profit de celle de Yaoundé. Deux raisons sous-tendaient sa position : d’abord, son siège social est à Yaoundé;ensuite, le contrat principal liant les parties et son avenant du 12 juillet 2002 contenant la clause compromissoire ont été signés à Yaoundé.
En réaction à ces moyens, les demanderesses opposaient un argument de droit et un de fait.
En effet, d’une part, aux termes des articles 2 et 3 de la loi, le juge compétent visé à l’article 5 de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage est le Président du Tribunal de Première Instance du lieu de l’arbitrage ou le magistrat délégué à cet effet. D’autre part, les demanderesses précisaient qu’en saisissant le Tribunal de Première Instance de Douala-Ndokoti, elles ont entendu, en leur qualité de partie la plus diligente, porter leur choix sur la ville de Douala comme lieu de l’arbitrage.
Vidant sa saisine, le juge de Douala-Ndokoti a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la demanderesse et désigné le troisième arbitre.
Cette ordonnance du juge des référés de Douala-Ndokoti est importante, en ce qu’elle constitue l’une des premières applications de la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003 quant à la participation du juge étatique dans la formation du tribunal arbitral (II). Par ailleurs, au fond, elle apparaît comme étant un précieux instrument pédagogique, tant elle contribue à solutionner la difficulté majeure que peut soulever le choix du lieu de l’arbitrage (I).
I. LE CHOIX DU LIEU DE L’ARBITRAGE
L’arbitrage repose sur l’autonomie de la volonté des parties quant au choix du lieu de l’arbitrage. Si, dans l’arbitrage international, chaque partie pense que la loi de son pays sera facilement accessible et que le meilleur lieu de l’arbitrage est celui de sa résidence, dans l’arbitrage interne aussi les problèmes ne sont pas à exclure.
En effet, même en matière d’arbitrage interne, la constitution du tribunal arbitral n’est pas toujours aisée. Il y a parfois lieu de recourir à la juridiction compétente d’appui pour procéder à la constitution dudit tribunal.
La décision rapportée offre l’occasion de formuler quelques observations sur la notion de lieu de l’arbitrage et de préciser les modalités de choix dudit lieu.
a) La notion de lieu de l’arbitrage
Le lieu de l’arbitrage revêt une conception à la fois large et restrictive. Dans sa conception large, il est le lieu de la localisation de l’arbitrage, tandis que dans sa conception restrictive, de plus en plus admise, il se confond au siège de l’arbitrage.
1) Le lieu de l’arbitrage est le lieu de la localisation de l’arbitrage
Le choix du lieu de l’arbitrage permet d’assurer la localisation géographique des opérations de l’arbitrage. En théorie, c’est le lieu où se déroulent lesdites opérations. En ce sens, le lieu de l’arbitrage serait, certes, prévu à l’avance, mais engloberait également toute région géographique où les actes d’instruction ou le déroulement de la procédure, telle par exemple que la tenue des audiences, ont lieu.
Or, l’importance du lieu de l’arbitrage réside justement dans le fait qu’il permet de déterminer le juge étatique d’appui et celui compétent pour connaître des recours susceptibles d’être introduits ultérieurement contre la sentence.
Dans le cas d’espèce, le choix de Douala comme lieu de l’arbitrage donnait implicitement compétence au Président du Tribunal de Première Instance de cette ville comme juge d’appui et à la Cour d’Appel du Littoral comme juridiction susceptible de connaître du recours en annulation de la sentence à intervenir.
Cela étant, il y a lieu de relever qu’aujourd’hui, la notion de lieu de l’arbitrage n’est plus qu’une fiction juridique puisque, rarement, on verra le tribunal arbitral circonscrire ses opérations dans un seul endroit. C’est pourquoi on préfère la notion de siège de l’arbitrage à celle de lieu de l’arbitrage.
2) Le lieu de l’arbitrage est, en réalité, le siège de l’arbitrage
Le lieu de l’arbitrage tend à devenir une fiction sans lien matériel nécessaire avec le territoire sur lequel les opérations arbitrales se déroulent. Il s’agit, en réalité, du domicile légal du tribunal arbitral et non du lieu exclusif du déroulement des opérations d’arbitrage. Le tribunal arbitral peut donc siéger en tout autre lieu que celui désigné comme étant le lieu de l’arbitrage, pourvu que la sentence arbitrale soit rendue ou réputée rendue au lieu désigné comme étant le siège de l’arbitrage.
Les parties peuvent décider de déplacer le siège de l’arbitrage, à la condition que cette faculté soit exercée dans un acte formel, puisque le siège de l’arbitrage est un élément si important qu’il doit, n’importe comment, être précisé, si ce n’est dans la convention d’arbitrage, tout au moins, dans un acte procédural comme l’acte de mission.
b) Les modalités du choix du lieu de l’arbitrage
Le législateur OHADA ne semble pas s’être préoccupé outre mesure de la notion de lieu de l’arbitrage. A cet égard, l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, sans définir la notion de lieu de l’arbitrage, dispose simplement en son article 1er, que : « Le présent acte uniforme a vocation à s’appliquer à tout arbitrage lorsque le siège du tribunal arbitral se trouve dans l’un des Etats parties ».
L’article 13 du règlement d’arbitrage de la CCJA énonce, quant à lui, que : « Le siège de l’arbitrage est fixé par la convention d’arbitrage ou par un accord postérieur des parties. A défaut, il est fixé par une décision de la Cour prise avant la transmission du dossier à l’arbitre, après consultation des parties;l’arbitre peut décider de tenir des audiences en tout autre lieu. En cas de désaccord, la Cour statue ».
Il apparaît clairement que le choix du lieu de l’arbitrage relève de la volonté des parties. Il résulte, cependant, de la décision rapportée, que le choix du lieu de l’arbitrage peut dépendre de la volonté unilatérale d’une partie.
1) Le choix conventionnel des parties
Les parties peuvent fixer ou modifier le lieu de l’arbitrage dans la convention d’arbitrage ou dans un acte postérieur. Ce choix est généralement express. Par exemple, les parties décident que l’arbitrage aura son siège à Yaoundé, Dschang ou Douala. Dans ce cas, il n’y a pas de difficultés particulières.
Elles peuvent, de même, simplement convenir de ce que le choix du lieu de l’arbitrage se fera par le tribunal arbitral, une institution d’arbitrage ou une tierce personne.
En revanche, des difficultés sérieuses s’élèvent lorsque le choix du lieu n’a pas été réglé d’accord parties. Il semble que dans cette hypothèse, le choix soit opéré implicitement mais unilatéralement par l’une des parties.
2) Le choix unilatéral par l’une des parties
Contrairement aux autres questions qui peuvent être soumises au juge d’appui lorsque les parties n’ont pas pu s’entendre (formation du tribunal arbitral, récusation des arbitres désignés, prorogation du délai de l’arbitrage, obtention des preuves, rectification des erreurs matérielles..), la question de la détermination du lieu de l’arbitrage est laissée à la seule volonté de la partie la plus diligente.
Or, la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003 portant désignation des juridictions compétentes visées à l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et fixant leur mode de saisine n’a réglé que le problème de la compétence matérielle du juge d’appui.
II. L’INTERVENTION DU JUGE D’APPUI DANS LA FORMATION DU TRIBUNAL ARBITRAL
Comme souligné plus haut, l’autonomie de la volonté des parties, qui gouverne l’arbitrage, commande que la constitution du tribunal arbitral soit l’œuvre des parties. Mais cela ne va pas toujours sans difficultés. C’est pour cette raison que des palliatifs sont généralement prévus, soit par les parties elles-mêmes, soit par la loi, pour briser les éventuels blocages orchestrés par certaines parties.
Il convient d’examiner les cas de l’intervention du juge étatique dans le cadre de la constitution du tribunal arbitral, avant de préciser la nature de ses décisions.
A. Les cas d’ouverture à l’intervention du juge d’appui dans la constitution du tribunal arbitral
L’Acte uniforme relatif à l’arbitrage dispose en son article 5 : « Les arbitres sont nommés, révoqués ou remplacés conformément à la convention des parties. A défaut d’une telle convention d’arbitrage ou si la convention est insuffisante :
A). en cas d’arbitrage par trois arbitres, chaque partie nomme un arbitre et les deux arbitres ainsi nommés choisissent le troisième arbitre;si une partie ne nomme pas un arbitre dans le délai de trente jours à compter de la réception d’une demande à cette fin émanant de l’autre partie, ou si les deux arbitres ne s’accordent pas sur le choix du troisième arbitre dans un délai de trente jours à compter de leur désignation, la désignation est effectuée, sur la demande d’une partie, par le juge compétent dans l’Etat partie.
B). en cas d’arbitrage par un arbitre unique, si les parties ne peuvent s’accorder sur le choix de l’arbitre, celui-ci est nommé, sur la demande d’une partie, par le juge compétent dans l’Etat partie ».
Le législateur camerounais a, par sa loi n 2003/009 du 10 juillet 2003, désigné le président du Tribunal de Première Instance du lieu de l’arbitrage ou le magistrat que ce dernier désigne à cet effet comme juge matériellement compétent au Cameroun.
On notera que la loi ne précise pas la compétence ratione loci de ce juge, encore appelé juge d’appui, de telle sorte que c’est la partie la plus diligente (celle à laquelle fait référence la loi suscitée, en précisant « sur la demande d’une partie »). qui va implicitement, mais nécessairement, déterminer cette compétence ratione loci à travers la saisine du juge étatique matériellement compétent de son choix.
Quoi qu’il en soit, il ressort du texte suscité, que le juge d’appui intervient dans trois cas :
1). lorsque les parties n’ont pu s’entendre pour désigner l’arbitre unique ou lorsque l’une des parties refuse d’exercer sa prérogative de désignation d’un arbitre pour la formation du tribunal arbitral.
2). lorsque les arbitres désignés par les parties n’ont pu s’entendre pour choisir le troisième arbitre;c’est d’ailleurs le cas de figure traité par le juge d’appui de Douala.
Pour des raisons de convenance personnelle et afin de sauvegarder la neutralité de l’arbitrage, l’un des arbitres désigné a refusé de participer à la désignation du troisième arbitre. Il revenait, dès lors, à la partie la plus diligente, de saisir le juge d’appui pour pallier cette carence.
3). en cas de récusation ou de remplacement d’un arbitre défaillant.
b) La nature des décisions du juge d’appui
L’article 3 al. 1 de la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003 portant désignation des juridictions compétentes visées à l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et fixant leur mode de saisine dispose que : « Dans les cas prévus aux articles 5, 7, 12 et 22 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, le magistrat ci-dessus désigné est saisi comme en matière de référé ou par motion on notice ».
Toutefois, sa décision n’est susceptible d’aucun recours, sauf si celle-ci est une sentence additionnelle rendue conformément à l’article 22 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ».
De ce texte, il appert que les décisions du juge d’appui sont rendues comme en matière d’urgence, sont immédiatement exécutoires et ne sont susceptibles d’aucun recours.
1). Le juge d’appui est saisi comme en matière d’urgence et rend des ordonnances exécutoires
L’une des caractéristiques de l’arbitrage est la célérité. Les parties vont à l’arbitrage pour éviter la lourdeur et les lenteurs des procédures classiques;c’est bien pour cette raison que les interventions du juge d’appui doivent respecter cette logique;il est saisi comme en matière d’urgence. Ceci évite à la partie intéressée, d’attendre les longs délais d’ajournement, puisqu’il peut obtenir du juge leur abréviation.
Le juge d’appui rend des décisions sous forme d’ordonnances, lesquelles sont immédiatement exécutoires.
On notera, à cet égard, que dans l’ordonnance commentée, le juge de Douala-Ndokoti a bien précisé, d’une part, qu’il statuait « en matière de référé spécial prévu par la loi n 2003/ 009 du 10 juillet 2003 portant désignation des juridictions compétentes visées à l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et fixant leur mode de saisine » et, d’autre part, que son ordonnance est « exécutoire conformément aux dispositions de l’article 3 al. 2 de la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003 susvisée ».
Il s’agit donc d’un référé spécial, puisqu’aux termes de la loi suscitée, les décisions rendues en cette matière ne sont susceptibles d’aucun recours.
2). Les décisions du juge d’appui ne sont susceptibles d’aucun recours
C’est la spécificité la plus importante des décisions du juge d’appui, car classiquement, toutes les décisions de justice sont susceptibles de voies de recours.
En effet, les ordonnances de référé ne sont pas ouvertes à l’opposition mais sont susceptibles d’appel, les décisions intervenues en appel étant elles-mêmes susceptibles de pourvoi en cassation.
Or, s’agissant des décisions du juge d’appui, la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003 suscitée dispose péremptoirement que les décisions du juge d’appui ne sont susceptibles d’aucun recours. C’est dire que ni l’opposition, ni l’appel, ni la tierce opposition, ni même le pourvoi en cassation ne sont ouverts contre ces décisions.
Ici, la règle du double degré de juridiction, considérée comme une garantie de bonne justice, a simplement été ignorée, l’objectif recherché étant de préserver la célérité de la procédure arbitrale.
En effet, les parties ayant voulu que leur litige éventuel soit réglé par la voie de l’arbitrage, le législateur camerounais, par la loi n 2003/009 du 10 juillet 2003, a prévu, comme cela est de règle en droit comparé, que l’intervention du juge d’appui, dans le cadre d’un référé spécial, ne donne pas lieu à des recours dilatoires, susceptibles d’allonger inutilement le processus de constitution du tribunal arbitral et, par voie de conséquence, le délai de l’arbitrage;d’où la disposition de la loi camerounaise n 2003/009 du 10 juillet 2003 selon laquelle la décision par laquelle le juge d’appui désigne un arbitre n’est susceptible d’aucun recours;d’où également l’énonciation de l’ordonnance rapportée selon laquelle le juge de Ndokoti déclare son « ordonnance exécutoire ».
Il apparaît que le juge des référés de Douala-Ndokoti a rigoureusement appliqué la loi camerounaise n 2003/009 du 10 juillet 2003 (portant désignation des juridictions compétentes visées à l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage et fixant leur mode de saisine), et que sa décision rapportée mérite d’être approuvée.
Me Joseph NGUEFACK.
Avocat au Barreau du Cameroun.