J-08-171
ARBITRE – INDEPENDANCE – DEVOIR D’INFORMATION – ETENDUE – APPRECIATION – FINALITE DE CE DEVOIR D’INFORMATION – LIEN DE CONFIANCE ENTRE L’ARBITRE ET LES PARTIES – DEFAUT D’INFORMATION – DEMANDE DE RECUSATION – ARBITRE NOMME DE MANIERE REPETEE PAR L’UNE DES PARTIES – CIRCONSTANCE DE NATURE A FAIRE NAITRE UN DOUTE RAISONNABLE SUR L’OBJECTIVITE DUDIT ARBITRE – RECOURS EN ANNULATION.
L’arbitre a le devoir d’informer les parties sur sa situation depuis l’époque de sa nomination jusqu’à la fin de la procédure. Cette obligation d’information qui pèse sur l’arbitre, afin de permettre aux parties d’exercer leur droit de récusation, doit s’apprécier au regard à la fois de la notoriété de la situation critiquée et de son incidence raisonnablement prévisible sur le jugement de l’arbitre aux yeux des parties.
Cette obligation d’information vise à établir et à maintenir un lien de confiance entre l’arbitre et les parties, mais tout manquement n’entraîne pas automatiquement l’annulation de la sentence, dans la mesure où ce devoir d’information s’étend au-delà des causes de récusation. Il s’ensuit que les effets d’une éventuelle réticence doivent être appréciés par le juge de l’annulation, pour mesurer si, à elle seule, ou rapprochée d’autres éléments de la cause, elle constitue une présomption suffisante du défaut d’indépendance allégué.
S’agissant de juger des litiges du commerce international, il est parfaitement compréhensible qu’une partie roumaine s’adresse à un arbitre roumain expérimenté, dans le contexte d’un pays en voie de transition, où les compétences professionnelles de ce -type sont nécessairement limitées.
COUR D’APPEL DE PARIS (1ère CH. C.). 17 février 2005 Société Myltilineos Holdings c/ The Authority for Privatization and State Equity Administration. Revue Camerounaise de l’Arbitrage, N 33. Avril. Mai. Juin 2006, p. 12.
La société de droit grec Myltilineos Holdings SA (« Myltilineos ») a introduit le 3 octobre 2003, un recours en annulation à l’encontre d’une sentence arbitrale ad hoc rendue à Paris d’après le règlement d’arbitrage de la CNUDCI le 8 juillet 2002 par MM. A, Président, et B. et C, arbitres, qui ont :
Ordonné à l’Autorité pour la Privatisation et l’Administration des Sociétés Publiques (ex fonds de propriété d’Etat) (« l’Autorité ») de payer à la Société Myltilineos le montant de 1.204.387 USD en tant que dommages et intérêts.
Dit que l’Autorité doit également payer à la Société Myltilineos, des intérêts sur la somme de 1.204.387 USD à un taux de 6 % par an, à partir de la date de publication de cette sentence et jusqu’à l’acquittement total de cette somme.
Rejeté les autres sommes demandées par la Société Myltilineos.
Ajourné la décision concernant les dépenses engagées par les parties lors de cet arbitrage jusqu’au règlement de la demande reconventionnelle, ainsi qu’à l’encontre d’une seconde sentence rendue par ces mêmes arbitres, le 21 avril 2003, qui a :
Ordonné à la Société Myltilineos, de verser à l’Autorité, la somme de 1.990.200 USD à titre de pénalités pour manquement à l’exécution des obligations d’investissements pour l’année 1999.
Rejeté la demande de l’Autorité pour obliger la Société Myltilineos à payer des pénalités, faute d’avoir exécuté les obligations d’investissements pour l’année 2000.
Jugé que l’échéance concernant la demande de pénalités de l’Autorité pour l’année 2001 a expiré.
Pris note du dessaisissement par l’Autorité, de l’argument de la demande reconventionnelle sur l’accomplissement du gage.
Rejeté les demandes de la Société Myltilineos sur la demande reconventionnelle.
Ordonné à l’Autorité de payer à la Société Myltilineos, la somme de 301 114 USD pour les dépenses d’arbitrage.
A l’appui de son recours, la Société Myltilineos soulève un unique moyen d’annulation tiré de l’absence d’indépendance de M. B, l’arbitre qu’elle avait elle-même désigné (art. 1502-2 NCPC) Elle conclut enfin à la condamnation de l’Autorité, outre aux dépens, à lui payer une somme de 6 000 Euros au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
L’Autorité demande de rejeter le recours, en raison de la parfaite objectivité du tribunal, de condamner la Société Myltilineos, outre aux dépens, à lui verser la somme de 6 000 Euros sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
SUR CE LA COUR :
La Société Myltilineos dit qu’il n’est nul besoin de prouver le défaut d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, dès lors qu’il existe des éléments faisant naître dans l’esprit de la recourante, un doute raisonnable, ce qui est le cas en raison des désignations effectuées par l’Autorité, de M.B. dans plusieurs arbitrages courant 2001, et dont ce dernier n’a pas jugé utile de l’informer. La Société Myltilineos se plaît à rappeler que l’indépendance et l’impartialité sont appréciées plus sévèrement depuis un arrêt de la Cour de Cassation du 6 décembre 2001, qui commande d’annuler la sentence, dès lors que l’un des arbitres, contrairement à son obligation de transparence, n’a pas informé l’une des parties qu’il avait été désigné par la partie adverse dans d’autres instances d’arbitrage antérieures ou concomitantes. Elle demande donc de sanctionner la pratique qui consiste pour l’une des parties, à désigner systématiquement le même arbitre, si bien que son indépendance n’est plus assurée.
Considérant que M.B, désigné arbitre le 23 février 2000 par la Société Myltilineos, demanderesse à l’arbitrage, a, ainsi qu’il ressort des mentions de la sentence du 8 juillet 2002 (p. 25), accepté cette nomination et attesté de son indépendance, dans un message envoyé le 14 septembre 2000 aux arbitres et aux parties.
Considérant qu’à partir du moment où la sentence finale a été rendue par le tribunal arbitral, la Société Myltilineos s’est préoccupée de l’indépendance de l’arbitre qu’elle avait nommé, en s’adressant au Secrétariat de la Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI, le 5 juin 2003, pour s’enquérir des désignations de M.B. par l’Autorité, à l’occasion des procédures ouvertes devant cette Institution d’arbitrage;puis, en raison du refus du Secrétaire de la Cour tenu par une obligation de confidentialité, de donner des informations, en interrogeant directement l’arbitre qui, le 4 juillet 2003, répondait :
« Veuillez noter qu’après avoir accepté votre désignation dans votre arbitrage, j’ai été désigné – à la fin 2000 et en 2001 – en qualité de co-arbitre dans d’autres procédures d’arbitrage dans lesquelles SOF était partie (soit en qualité de demandeur, soit en qualité de défenseur).
Après avoir accepté ces nouvelles nominations, j’ai informé par écrit le Secrétariat de la CCI et, verbalement, les conseils des parties, que j’avais précédemment été désigné dans un autre dossier par la partie adverse de SOF (une société grecque) Aucune objection n’a été soulevée dans aucun de ces arbitrages. Le Secrétariat de la CCI n’a pas non plus émis d’objection et la Cour a confirmé les désignations respectives. Il serait peut-être utile d’ajouter que, sur les trois procédures d’arbitrage mentionnées ci-dessus, dans deux cas, le tribunal a tranché contre SOF (dans la troisième, les parties ont transigé).
Enfin, je voudrais ajouter que cette année, j’ai été désigné presque concomitamment dans deux autres arbitrages dans lesquels SOF est partie (demandeur), sur proposition de la SOF dans l’un des arbitrages, mais sur proposition de la société étrangère demanderesse, dans l’autre arbitrage. Cette information a fait l’objet d’une communication similaire et aucune objection n’ayant été soulevée, la désignation a été confirmée par la Cour ».
Que les parties ne disputent pas que la SOF désigne bien l’Autorité.
Considérant que l’arbitre a le devoir d’informer les parties sur sa situation depuis l’époque de sa nomination jusqu’à la fin de la procédure;que cette obligation d’information qui pèse sur l’arbitre afin de permettre aux parties d’exercer leur droit de récusation doit s’apprécier au regard à la fois de la notoriété de la situation critiquée et de son incidence raisonnablement prévisible sur le jugement de l’arbitre aux yeux des parties.
Considérant que cette obligation d’information vise à établir et à maintenir un lien de confiance entre l’arbitre et les parties, mais que tout manquement n’entraîne pas automatiquement l’annulation de la sentence dans la mesure où ce devoir d’information s’étend au-delà des causes de récusation, qu’il s’ensuit que les effets d’une éventuelle réticence doivent être appréciés par le juge de l’annulation pour mesurer si, à elle seule, ou rapprochée d’autres éléments de la cause, elle constitue une présomption suffisante du défaut d’indépendance allégué.
Considérant qu’avec les seules nominations par l’Autorité dans les conditions évoquées ci-dessus, de l’arbitre qu’elle avait désigné, dans les litiges qui, au surplus, ne présentaient aucun lien avec celui qui l’opposait à l’Autorité, la Société Myltilineos n’apporte aucun élément concret permettant de déduire le manque d’indépendance de situation et d’esprit de M. B.
Que s’agissant par ailleurs de juger des litiges du commerce international, il est parfaitement compréhensible qu’une partie roumaine s’adresse à un arbitre roumain expérimenté comme M. B. dans le contexte d’un pays en voie de transition, où les compétences professionnelles de ce type sont nécessairement limitées.
Considérant que le recours est rejeté.
Considérant que la Société Myltilineos supporte les dépens sans pouvoir prétendre à une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au titre duquel l’équité commande à payer à l’Autorité, une somme de 6 000 Euros.
PAR CES MOTIFS
Rejette les recours en annulation à l’encontre des sentences UNC29/HGN/DB rendues à Paris les 8 juillet 2002 et 21 avril 2003.
Condamne la Société Myltilineos Holdings SA à payer la somme de 6 000 Euros en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à l’Autorité pour la Privatisation et l’Administration des Sociétés Publiques.
Rejette toute demande.
M.M. prés.;MATET, HASCHER, cons.;Mme ROUCHEREAU, av. gén.;Mes HERTZFELD, MEYRE, av.
Note :
Voir l’article du Dr Gaston KENFACK DOUAJNI intitulé « De la nécessite pour les arbitres originaires des pays en développement et en transition, de participer à la mondialisation de l’arbitrage », à la page 3 du présent numéro de la. Revue.