J-08-173
INJONCTION DE PAYER – OPPOSITION A ORDONNANCE – TENTATIVE DE CONCILIATION OBLIGATOIRE – DEFAUT DE TENTATIVE – NULLITE DU JUGEMENT A INTERVENIR.
ARBITRAGE – CLAUSE COMPROMISSOIRE – EXCEPTION D’INCOMPTENCE DU JUGE ETATIQUE SOULEVEE APRES ECHEC DE LA TENTTAIVE DE CONCILIATION – EXCEPTION SOULEVEE IN LIMINE LITIS (OUI).
SI la tentative de conciliation imposée par l’article 12 AUPSRVE avant le jugement à intervenir sur le fond de l’opposition n’est pas observée, le jugement encourt la nullité.
Ce n’est qu’après l’échec de la tentative de conciliation que la phase de contentieux s’ouvre si bien que les exceptions, dont celle de l’incompétence du juge étatique pour cause d’existence d’une clause d’arbitrage, peuvent être soulevées à ce moment.
Article 4 AUPSRVE
Article 12 AUPSRVE
Article 15 AUPSRVE
Article 4 AUA
Article 11 AUA
Article 13 AUA
Cour d’appel du Littoral à Douala, ARRET N 160 /CC DU 24 SEPTEMBRE 2004 AFFAIRE N 755/RG/2003. 2004, SOCIETE CICAM CI B.D.E.A.C. Revue Camerounaise de l’Arbitrage, N 35. Octobre. Novembre. Décembre 2006, p. 7, note Gaston Kenfack-Douajni.
Audience du 24 septembre 2004
LA COUR d’Appel du Littoral à Douala, siégeant comme Chambre des Appels Civils et Commerciaux en son audience publique tenue au Palais de Justice de ladite ville, le vingt quatre octobre deux mille quatre à huit heures du matin, et en laquelle siégeaient :
– Monsieur MOUCHINGAM ALASSAH, vice-Président de la Cour d’Appel du Littoral à Douala, Président;
– Madame NGOUNOU Justine Aimée, vice-Président de la Cour d’Appel du Littoral à Douala, Membre;
– Me MBARGA Rosalie, Conseiller à la Cour d’Appel du Littoral à Douala, Membre;
– Avec l’assistance de Maître Nestorin AFIA, Greffier tenant la plume.
A RENDU L’ARRET SUIVANT DANS LA CAUSE ENTRE :
La Société Cotonnière Industrielle du Cameroun S.A (CICAM), laquelle a pour Conseil la SCPA NGONGO OTTOU et NDENGUE KAMENI, Avocats au Barreau du Cameroun.
Appelante, comparant, concluant et plaidant par lesdits Conseils.
D’UNE PART.
ET :
La Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC), laquelle a pour Conseils Maîtres NOULOWE et TCHANGA, Avocats au Barreau du Cameroun.
Intimée, comparant, concluant et plaidant par lesdits Conseils.
D’AUTRE PART.
POINT DE FAIT :
Le 02 mai 2003, intervenait dans la cause pendante entre les parties, un jugement civil n 473 rendu par le Tribunal de Grande Instance de Douala, dont le dispositif est ainsi conçu :
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et commerciale et en premier ressort.
EN LA FORME
Déclare recevable l’opposition formulée par la Société Cotonnière Industrielle du Cameroun SA, en abrégé CICAM, contre l’ordonnance n 215/01/02/PTGI/W/DLA du 19 avril 2002 comme faite dans les forme et délai légaux.
SUR L’EXCEPTION D’INCOMPETENCE TIREE DE L’EXISTENCE D’UNE CLAUSE COMPROMISSOIRE ENTRE LES PARTIES ET SOULEVEE PAR LA CICAM
Vu les articles 75, 76 et 97 du Code de Procédure Civile et Commerciale.
Dit qu’une telle exception n’est recevable que si elle est soulevée In limine litis et avant conclusions au fond.
Constate que la CICAM, en débattant d’emblée du fond du présent litige, a tacitement renoncé à se prévaloir de la clause visée à la section 11 03 des conditions générales de l’accord de prêt du 10 mars 1986.
EN CONSEQUENCE :
Déclare irrecevable l’exception d’incompétence ainsi soulevée par la CICAM comme tardive.
AU FOND
Dit non fondée ladite opposition.
PAR CONTRE.
Dit certaine, liquide et exigible la créance de la BDEAC.
Condamne en conséquence, celle-ci à lui payer la somme globale de 854.657.295 (Huit Cent Cinquante Quatre Millions Six Cent Cinquante Sept Mille Deux Cent Quatre Vingt Quinze) FCFA en capital, intérêt et frais.
SUR L’EXECUTION PROVISOIRE
Vu l’ancienneté de la créance.
Vu son montant élevé.
Vu la conjonction économique.
Vu la situation financière de la CICAM.
Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision, nonobstant appel à concurrence de la moitié de la créance dont s’agit.
Condamne la CICAM aux entiers dépens dont distraction au profit de Maîtres NOULOWE et TCHANGA, Avocats aux offres de droit.
Par requête en date du _____adressée à Monsieur le Président de la Cour d’Appel du Littoral à Douala et enregistrée au Greffe de ladite Cour le 05 mai 2003, sous le numéro 741, la Société Cotonnière Industrielle du Cameroun SA (CICAM) au capital de 1.567 770 000 de FCFA N 2929 Douala, dont le siège social est à Douala, BP 7012 agissant poursuites et diligences de son Directeur Général, lequel fait élection de domicile à la SCPA NGONGO OTTOU et NDENGUE KAMENI, Avocats au Barreau du Cameroun, BP 8179 Yaoundé.
A L’HONNEUR DE VOUS EXPOSER.
Qu’elle interjette appel du jugement n 473 rendu le 02 mai 2003 par le Tribunal de Grande Instance de Douala-Bonanjo, en matière d’injonction de payer, dans la cause l’opposant à la Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC).
Que le dispositif de ladite décision est repris dans les qualités du présent arrêt.
C’est pourquoi, la CICAM S.A DEMANDE QU’IL VOUS PLAISE, MONSIEUR LE PRESIDENT.
Vu l’article 15 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUVE).
Lui donner acte du dépôt de la présente requête.
Fixer la date de production des défenses et celle où l’affaire sera appelée à l’audience.
Dire que du tout il sera donné avis aux parties par Monsieur le Greffier en Chef.
ADVENUE LAQUELLE AUDIENCE L’EXPOSANTE CONCLURA QU’IL PLAISE A LA COUR.
EN LA FORME
Attendu que l’appel a été fait dans les forme et délai prescrits.
AU FOND
Attendu que l’appel est fondé en fait et droit et que c’est à tort que le premier juge s’est déclaré compétent et a déclaré « non fondée » l’opposition de la CICAM, alors qu’au regard de l’Acte uniforme sur l’arbitrage, ledit juge était radicalement incompétent en présence d’une clause compromissoire et que par ailleurs, après s’être déclaré compétent, il a omis une étape cruciale de la procédure d’injonction de payer, qui est celle du préalable obligatoire de la conciliation (article 12 AUVE), dont il devait constater le non accomplissement, avant d’inviter les parties à conclure au fond, et que ce faisant, il a violé les droits de la défense en privant l’exposante de la possibilité d’exposer ses moyens de défense au fond.
SUR LES FAITS
Attendu qu’en date du 11 juillet 2002, la Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC) a cru devoir signifier à la requérante, une ordonnance d’injonction de payer n 215/01-02/PTGI/WOURI-Douala rendue en date du 9 avril 2002 par le Président du Tribunal de Grande Instance du Wouri à Douala, laquelle l’enjoint de payer, à tort, la faramineuse somme de FCFA 885.110.220 en principal, intérêt et frais.
Qu’aux termes d’un accord de prêt N 49/CAM-85-INDUSRIE daté du 10 mars 1986, la BDEAC aurait consenti à la CICAM un prêt de FCFA 1 000 000 000 (un milliard) remboursable en 10 ans dont 2,5 de différé.
Que ce prêt a été restructuré consécutivement en date des 29 juillet et 12 octobre 1993 et 28 juin 1995 et aurait conduit à un abandon de 25 % de la dette de la CICAM.
Mais attendu que la BDEAC omet sciemment de préciser qu’en date du 21 mars 2002, une mission conjointe de la BDEAC et de la CICAM parvenait à un accord transitoire à l’issue duquel il était temporairement convenu que la CICAM verserait des montants constants de FCFA 60 millions à dates fixées, en attendant l’établissement exact de la créance.
Qu’aux termes de cet arrangement amiable, la BDEAC a accepté séance tenante un chèque de la CICAM de FCFA 64.947.475 (encaissé le 1er avril 2002, qui correspond curieusement avec la date de la requête d’injonction de payer), puis un second chèque de FCFA 64.947.475 en date du 08 juillet 2002 (soit 09 jours avant la signification de l’injonction de payer).
Que c’est dans ce contexte amiable qu’intervient, à contre-courant, la notification le 11 juillet 2002, de l’injonction de payer, alors que les parties sont encore en pourparlers en vue d’arrêter définitivement les comptes et les modalités de paiement.
Que cette notification viole outrageusement les principes de loyauté en matière contractuelle et les règles de droit bancaire et de droit des obligations sur la certitude et l’exigibilité de la prétendue créance.
Attendu en effet qu’en date du 21 mars 2002, les parties ont engagé des pourparlers en vue de fixer l’existence de la créance de la BDEAC, et que sous la menace de la Banque, la requérante a promis de faire des versements en juin 2002 de FCFA 69 067.475, après avoir effectué, toujours sous la menace de saisie de ses avoirs, un versement de FCFA 64.947.475 en date du 22 mars 2002.
Qu’au moment où elle encaissait le chèque (le 1er/04/2002) de FCFA 64.946.475 émis le 22/03/2002, la BDEAC avait déjà introduit une requête aux fins d’injonction de payer, alors que les pourparlers continuaient entre elle et la CICAM, sur la réalité de la créance et son montant.
Qu’au moment de la notification de payer, le 11 juillet 2002, la BDEAC acceptait de la CICAM un second chèque de FCFA 64.947.475, en laissant croire à la CICAM qu’elle attendait toujours la décision des instances dirigeantes de la Banque.
Que ce comportement de la BDEAC traduit une mauvaise foi manifeste et un comportement déloyal.
Que face à un tel comportement qui fait fi des accords intermédiaires relatifs au montant incertain de la créance, et surtout des termes non équivoques de la section 11 03 des conditions générales de l’accord de prêt sus indiqué, qui disposent que « tout différend entre la banque et l’emprunteur ou le gérant, ainsi que toute revendication formulée par une partie à l’encontre de l’autre sera, s’il n’est réglé par voie de négociation amiable ou par tout autre mode de règlement agréé par les parties, soumis aux fins de règlement à l’arbitrage d’une commission composée de trois arbitres ».
Qu’il s’évince de cet accord de prêt, que tout différend entre les parties doit être réglé par la voie de l’arbitrage.
Que c’est fort de cette clause compromissoire, que le juge des référés, juge d’appui, va en date du 11 décembre 2002, ordonner l’expertise de la créance de la BDEAC, après avoir constaté son caractère incertain.
Que faisant fi de l’exception d’incompétence soulevée par l’exposante et de l’existence de la décision sus évoquée, le Tribunal de Grande Instance de Douala Bonanjo va néanmoins, contre toute attente, se déclarer compétent et vider sa saisine en déclarant non fondée l’opposition de la CICAM, et ce, en violation des règles découlant tant de l’accord des parties que celles du droit de l’arbitrage et de la procédure d’injonction de payer.
Qu’à ce jour, cette affaire connaît de décisions contradictoires.
SUR LE DROIT
I. SUR LA RECEVABILITE DE L’EXCEPTION D’INCOMPETENCE DU TRIBUNAL DE CEANS
Attendu que le premier juge, pour rejeter l’exception d’incompétence soulevée par la CICAM, a cru devoir affirmer que « cette exception était tardive, dès lors que la CICAM avait d’emblée conclu au fond » dans son opposition introductive d’instance.
Que cette argumentation est erronée, dès lors que le juge semble oublier les caractéristiques immuables de la procédure d’injonction de payer, qui veulent que le débiteur supposé s’oppose à l’ordonnance d’injonction de payer, en assignant le créancier devant la juridiction compétente et que l’instance n’est pas liée au fond qu’après le constat de la non conciliation des parties.
Que dès lors que l’opposant a soulevé l’incompétence du juge de l’injonction, la procédure se subdivise en trois phases :
1) le juge doit se déclarer compétent ou non.
2) au cas où il se déclare compétent, il doit obligatoirement procéder à la tentative de conciliation des parties (article 12 AUVE).
3) si la conciliation échoue, échec qui doit être constaté sans ambiguïté par le juge, alors et alors seulement l’instance est liée au fond par l’invitation faite aux parties de conclure au fond.
Que le fait pour l’opposant d’assigner le créancier en exposant les faits de la cause, ne signifie pas que l’opposant a conclu au fond, dès lors que ledit opposant, comme en l’espèce, sait qu’aux termes de la loi, l’instance au fond ne commence qu’après le constat de la non conciliation.
Qu’ainsi, l’exception d’incompétence soulevée après l’opposition, qui en matière d’injonction de payer ne peut contenir de manière générique et automatique, que griefs prévus par la loi, à savoir l’incertitude, l’illiquidité de la créance.
Que l’on ne saurait reprocher à la C1CAM d’avoir dit que la créance n’était pas certaine, liquide et exigible, alors qu’elle relate les faits en citant au passage les critères prévus par la loi.
Qu’au demeurant, une jurisprudence constante et une doctrine assise considèrent que l’exception d’incompétence soulevée avant le constat de la non conciliation est faite In limine litis et que par ailleurs, s’agissant d’une exception d’ordre public tirant son fondement de l’existence d’une clause compromissoire internationale, elle peut être soulevée en tout état de cause.
Que dans le cas d’espèce, la CICAM a soulevé l’exception d’incompétence avant le constat de la non conciliation, donc avant tout débat au fond.
Que ce n’est qu’après constat de l’échec de cette tentative de conciliation que le contentieux sera lié au fond.
Attendu qu’il est de doctrine et de jurisprudence constantes et unanimes que « lorsque la procédure débute obligatoirement par une tentative de conciliation, un déclinatoire de compétence est encore recevable ».
– Montpellier, 17 juin 1960, GAZ. PAL 1060 2.316, REV, TRI. DRT.CIV.1961, 178, Obs. HEBRAUD (en matière d’accident de circulation).
– Bordeaux, 4 déc. 1962, sem. Jur. 1963 II. 13025,. Revue. TRIM. DRT. CIV. 1963, 403 (en matière d’injonction de payer).
Qu’il est de règle que les déclarations d’un plaideur dans la phase conciliatoire ne peuvent pas lui être opposées ultérieurement au cours du débat contentieux.
(Droit judiciaire privé. SOLUS et PERROT, II, la compétence, Sirey, 1973, p. 704 et suivants, N 653).
Attendu qu’en l’espèce, pour respecter le délai de 15 jours prévu pour s’opposer à l’injonction de payer et d’emblée, contrairement à ce que prétend le 1er juge dans sa toute première conclusion, soulever l’incompétence du juge étatique sans plus jamais faire référence au fond.
Que tout le débat qui suivra portera uniquement sur l’incompétence du juge étatique.
Qu’à aucun moment, jusqu’au prononcé de la décision intervenue, il n’y a eu un commencement de la phase conciliatoire.
En revanche, s’il se déclare compétent, c’est alors seulement que le préalable de la conciliation est mis en mouvement.
– la BDEAC n’a pas pu juridiquement saisir le Président du TGI, du fait de l’existence de la clause compromissoire, en raison de l’irrévocabilité de l’option de l’arbitrage.
Attendu qu’il est de doctrine et de jurisprudence constante « qu’il n’est plus aujourd’hui discuté en droit camerounais, que la convention d’arbitrage a pour effet principal d’entraîner l’incompétence du juge étatique.
– Roger SOCKENG, Les effets de la convention d’arbitrage en droit camerounais;Revue Camerounaise de l’Arbitrage N 4, Janvier-Fevrier-Mars 1999, P 10 et suiv.).
Que cette incompétence du juge étatique est la conséquence de la force obligatoire de la convention qui s’impose aux parties.
Que cette convention entraîne les conséquences suivantes : l’obligation de respecter ce qu’on a voulu dans le contrat. Ce contrat devient irrévocable au sens de l’article 1134 du Code Civil;les parties à une convention d’arbitrage se sont entendues sur un fait majeur : ne pas soumettre leur litige au juge étatique, mais plutôt aux juges privés.
Que par ailleurs, même la jurisprudence ayant autorité en matière d’arbitrage est dans ce sens, car « lorsque les parties insèrent une clause d’arbitrage dans leur contrat, on doit présumer que leur intention a été d’établir un mécanisme efficace (an effective machinery) pour le règlement des litiges par clause d’arbitrage ».
Sentence CCI N 1434 (1975) JDJ, 1976 978, obs. Y. Derains).
Attendu que précédant le 1er juge, la BDEAC prétend, sans coup férir, « que précisément, la saisine d’une juridiction étatique par une partie à un contrat dans lequel est stipulée une clause compromissoire, implique nécessairement que cette partie a renoncé à s’en prévaloir ».
Qu’il est constant que si la BDEAC avait eu l’honnêteté de prévenir le Président du Tribunal de Grande Instance du Wouri qu’il existait une clause compromissoire dans la convention de prêt, ce dernier aurait de facto renvoyé la BDEAC à se mieux pourvoir.
Attendu que la BDEAC ne saurait affirmer avec un aplomb indicible, qu’il lui est loisible de violer ses engagements contractuels, sans mettre alors en évidence sa mauvaise foi manifeste et ce, au mépris de la force obligatoire des contrats (article 1134 du Code Civil).
Qu’il serait, enfin, superfétatoire d’en rajouter aux propos du magistrat SOCKENG, qui ne fait que reprendre la position assise de la jurisprudence et de la doctrine qui fait autorité.
Qu’il y a une sorte de parallélisme des formes en matière de convention : les parties ne peuvent défaire ce qu’elles avaient fait d’un commun accord.
Que dès lors, l’exception d’incompétence soulevée par la CICAM a été faite dans les délais et qu’il échet d’infirmer le jugement entrepris et de rétracter l’ordonnance d’injonction de payer, en se déclarant incompétent ratione materiae.
II. SUR DE DEFAUT DE QUALITE DE LA BDEAC DU FAIT DE PRESENCE DE DEUX CREANCIERS
Attendu que suivant une lettre n SDREC/MMR/NL/63 du 08 février 2003, la Société de Recouvrement de Créances du Cameroun informe la CICAM de ce que « la Société de Recouvrement des Créances du Cameroun assure les opérations de recouvrement des créances de la Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale au Cameroun, conformément à la convention de mandat datée du 02 septembre 2002 signée entre l’Etat du Cameroun et la BDEAC.
Qu’il suit de ce qui précède que depuis septembre 2002, la BDEAC a cédé le recouvrement de cette créance à la SRC, élément qu’elle a toujours caché au premier juge, et c’est, encore en fraude de ses engagements vis-à-vis de l’Etat du Cameroun via la SRC qu’elle continue à ester en justice pour son compte.
Que dès lors, en l’absence d’une révocation expresse de la cession, la BDEAC n’a pas qualité pour ester en recouvrement contre CICAM.
Que ce défaut de qualité est confirmé non seulement par la BDEAC elle-même, dans une lettre circulaire du 10 décembre 2002, où elle affirme que « l’interlocuteur pour le recouvrement des créances de la BDEAC est désormais la SRC, mais également par le Gouvernement camerounais, dans une lettre n 04113/MINFI/DCEC/IB4 du 17.12/2002 adressée par le Ministre des Finances au Secrétaire Général de la Présidence ».
Qu’il s’ensuit que la continuation du recouvrement par la BDEAC est faite en dehors de toute qualité, dès lors que la cession qu’elle a faite à la SRC reste en vigueur.
III. SUR LA CONTRARIETE DES DECISIONS
Attendu que par ordonnance n 171 du 11 décembre 2002, le juge des référés, après avoir constaté l’incertitude criarde de la créance de la BDEAC, a ordonné une expertise.
Que le jugement entrepris, qui constate la certitude de la créance de la BDEAC entre en contradiction flagrante avec l’ordonnance de référé, dont le juge qui l’a rendue est le seul juge étatique compétent en présence d’une clause compromissoire.
Que l’expert désigné a déjà pris ses fonctions et a commencé son travail et qu’il est le seul à ce jour capable de déterminer avec exactitude le montant de la créance supposée, compte tenu de la variation des chiffres invoqués par la BDEAC.
Que pour une bonne administration de la justice, il sera indiqué de laisser l’expertise suivre son cours et que l’ordonnance à injonction de payer soit rétractée.
Qu’il échet d’infirmer le jugement entrepris.
SUR LA VIOLATION DE LA PROCEDURE D’INJONCTION DE PAYER
1) Irrecevabilité de la requête tirée de l’absence de production au Greffe, des pièces en originaux ou en copies certifiées conformes :
Attendu qu’aux termes de l’article 4 al. 3 de l’Acte uniforme sus évoqué, « à peine d’irrecevabilité », la requête est accompagnée des documents justificatifs en originaux ou en copies certifiées conformes.
Que l’on ne sait donc sur quelle base le 1er juge s’est appuyé pour dire certaine, liquide et exigible la créance contestée, alors et surtout que la BDEAC n’a jamais produit de pièces attestant sans conteste de la certitude de la créance.
Que c’est en vain que l’on recherche au Greffe, les documents justificatifs en originaux ou en copies certifiées conformes.
Que l’on ne sait donc sur quelle base le 1er juge s’est appuyé pour dire certaine, liquide et exigible la créance contentée, alors et surtout que la BDEAC n’a jamais produit de pièces attestant sans conteste de la certitude de la créance.
2) Le juge s’est déclaré compétent, mais n’a pas procédé à la tentative de conciliation, d’où la violation des règles de procédure d’injonction de payer :
Aux termes de l’article 12 de l’AUVE, « la juridiction saisie sur opposition procède à une tentative de conciliation. Si celle-ci aboutit, le Président dresse un procès-verbal de conciliation signé par les parties, dont une expédition est revêtue de la formule exécutoire;si la tentative de conciliation échoue, la juridiction statue immédiatement sur la demande en recouvrement, même en l’absence du débiteur ayant formé opposition, par une décision qui aura les effets d’une décision contradictoire ».
Il découle de ce qui précède, que la tentative de conciliation est un préalable qui s’impose au juge, et le non accomplissement de cette formalité indispensable vicie la procédure et entraîne inéluctablement la réformation de la décision du juge.
Cette réformation tire sa source du caractère impératif des termes de l’article 12 susvisé et des principes généraux des règles de procédure qui sont d’ordre public.
Que cette position est la traduction également des motifs qui ont présidé à la survenance du droit OHADA, qui privilégié l’arrangement amiable et l’arbitrage, au détriment du contentieux, auquel les parties ne doivent faire recours qu’après avoir épuisé les voies de négociations pacifiques, desquelles relève justement la conciliation.
Que le juge qui passe outre la tentative de conciliation ne donne pas de base légale à sa décision.
Qu’il échet de constater que le Tribunal de Grande Instance de Douala-Bonanjo a omis de procéder à la tentative de conciliation, et que dès lors, sa décision doit être réformée.
Subsidiairement.
Au cas où par extraordinaire, la Cour de céans viendrait à retenir sa compétence, il conviendrait de surseoir à statuer.
SUR LE SURSIS A STATUER
Attendu que la créance dont le recouvrement est poursuivi a fait l’objet, en date du 11/12/2002, d’une ordonnance d’expertise n 171.
Que l’expert a déjà été notifié et a commencé son travail.
Que pour une bonne administration de la justice, il convient de surseoir à statuer jusqu’à l’issue du rapport de l’expert.
Très subsidiairement au fond, au cas où la Cour venait à passer outre l’exception d’incompétence et les exceptions ci-dessus excipées, il y a lieu constater que même au fond, la créance de la BDEAC n’est ni certaine, ni liquide ni exigible.
IV. SUR L’INCERTITUDE DE LA CREANCE DE LA BDEAC
Restructuration du prêt, abandon de 25 % de la créance, non prise en compte des versements de la CICAM, contradiction des chiffres de la BDEAC :
Attendu que le prêt ci-dessus a été restructuré consécutivement en date des 29 juillet et 12 octobre 1995 et 28 juin 1995 et a conduit à un abandon de 25 % de la dette de la CICAM.
Mais attendu que la BDEAC a toujours omis sciemment de préciser qu’en date du 21 mars 2002, une mission conjointe de la BDEAC et de la CICAM parvenait à un accord transitoire à l’issue duquel il a été convenu que la CICAM verserait des montants d’environ FCFA 60 millions à dates fixées.
Que c’est aux termes de cet accord transitoire que la BDEAC a accepté séance tenante un chèque de la CICAM de FCFA 64.947.475 (encaissé le 1er avril 2002), qui correspond curieusement à la date de la requête d’injonction de payer), puis un second chèque de FCFA 64.947.475 en date du 08 juillet 2002 (soit 03 jours avant la signification de l’injonction de payer).
Attendu que la CICAM est une entreprise manufacturière qui est loin de maîtriser les arcanes de la finance.
Que le créancier, professionnel averti de banques, affirme que sa prétendue créance née en 1986 a connu des avenants et des abandons en 1993 et 1995.
Que les livres internes de la requérante démontrent « qu’à ce jour, sur un prêt de FCFA 1 000 000 000 (un milliard), la CICAM a remboursé FCFA 1.276.993.760, alors que la BDEAC prétend (on ne sait sur quelle base) que la CICAM reste lui devoir FCFA 1.748.752.163 en principal et intérêts, et que par ailleurs, il y aurait des arriérés de FCFA 684 008.254 sur un total exigible de FCFA 856 078.943, et ce, nonobstant l’abandon de 25 % de la dette.
Que face à cette avalanche de chiffres injustifiés, qui ne tient pas compte des deux versements effectués le 22/03/2002 et le 08 juillet 2002 par la CICAM pour un total de FCFA 129.894.950, il est indéniable que la créance excipée par la BDEAC devient incertaine.
Absence de clôture juridique du compte et de dénonciation de l’accord de prêt et ses avenants, contradiction entre les dispositions de l’accord de prêt et celles des conditions générales :
Attendu que la BDEAC n’a pas cru, conformément à la section 7 01 des conditions générales, notifier à la CICAM une quelconque mise en demeure et encore moins l’inviter à une clôture juridique du compte de la CICAM, dans ses livres.
Que cette clôture juridique de compte préalable indispensable à l’exigibilité d’une créance bancaire inscrite, comme dans le cas d’espèce, dans un compte (voir point 7 des définitions et section 3 01 des conditions générales), devait être suivie d’un arrêté contradictoire aux fins de dégager un solde définitif accepté par les deux parties.
Que par ailleurs, à la lecture de l’accord de prêt du 10 mars 1986, il apparaît des contradictions flagrantes entre l’accord de prêt et les conditions générales de la BDEAC applicables aux accords de prêt telles qu’adoptées par le Conseil d’Administration de la BDEAC en date au 08 mars 1978.
Qu’il appert de la section 3 03 intitulée « COMMISSION D’ENGAGEMENT » de l’accord de prêt, que L’Emprunteur paiera une commission d’engagement le dernier jour le chaque semestre (30 juin et 30 décembre, calculée au taux de 1,25 % l’an sur les montants non décaissés du prêt à cette date, et valable pour le semestre suivant la date d’exigibilité.
Alors que la section 5 03 des conditions générales applicable aux accords de prêt intitulée Commission d’Engagement dispose par ailleurs que « l’emprunteur paie, sur le montant du prêt non encore décaissé, une commission d’engagement de 0,75 % par an à compter du jour de la signature de l’accord de prêt. Cette commission sera payable d’avance le 30 juin et le 31 décembre de chaque année.
Que conformément à l’article 1 section 1 01 de l’accord de prêt, « .. toutes les dispositions des conditions générales applicables aux accords de prêt adoptées par le Conseil d’Administration de la Banque lors de sa réunion du 8 mars 1978 (ci-après dénommées « LES CONDITIONS GENERALES » voir annexe n 1) ont la même valeur et produiront les mêmes effets que si elles étaient insérées intégralement dans le présent accord ».
Que ce faisant, les dispositions de l’accord de prêt ont la même force obligatoire que les dispositions des conditions générales;qu’en réalité, les deux textes forment un même et unique contrat.
L’obligation irrégulière de payer les frais et accessoires avant le principal prêt :
Attendu en outre, qu’en matière de droit des obligations, l’accessoire suit le principal.
Que l’on ne saurait exiger d’un débiteur, de payer d’abord l’accessoire avant le principal de la créance avec intérêts.
Que pourtant, à la lecture de la section 3 06 des conditions générales, il appert que « tous les versements effectués par l’emprunteur sont affectés dans l’ordre indiqué ci-après, au paiement de la commission d’engagement, des intérêts de retard, des intérêts normaux, des frais et accessoires et du principal ».
Que cette primauté du remboursement des frais et accessoires avant le principal et intérêts, explique à suffire que jusqu’à ce jour, après l’abandon de 25 % de la dette, après remboursement de 1.276.995.760 par la CICAM, que la BDEAC continue à réclamer à la CICAM 1.745.752.163.
Que cette imputation inédite viole les dispositions légales en matière d’imputation de paiement de créance.
Qu’elle participe d’une condition purement potestative et explique en outre l’évolution exponentielle de la créance de la BDEAC, en dépit de tous les efforts de la CICAM en vue de rembourser sa dette, nonobstant ses difficultés de trésorerie.
Qu’il découle de ce qui précède, que la créance de la BDEAC ne peut être recouvrée en l’état, sans un réexamen des comptes entre les parties.
La prise en compte irrégulière d’intérêts sur une période non échue :
Attendu que suite à la restructuration de la dette de la CICAM, un avenant à l’accord de prêt est signé le 12 octobre 1993 entre les parties.
Mais que curieusement, dans cet avenant, notamment en son article 3.1, la BDEAC inclut au nouveau capital à naître de la restructuration, « le montant cumulé des intérêts couvrant la période du 01/07/92 au 31/12/93, soit FCFA 239 071.390 ».
Que la prise en compte de la période du 01/07/92 au 31/12/93 est irrégulière, dès lors que l’avenant est signé le 12/10/93.
Qu’un tel calcul viole la règle comptable selon laquelle les intérêts sur un prêt sont calculés « prorata temporis », c’est-à-dire que l’intérêt est calculé sur une période échue.
Que l’on ne saurait admettre que des intérêts des débiteurs soient ca1culés jusqu’au 31/12/93, alors que l’avenant est signé le 12/10/93.
Que ce calcul jette un doute sérieux sur l’étendue de la créance de la BDEAC, et que dès lors, cette créance brille par son incertitude.
Qu’il échet d’infirmer le jugement entrepris.
PAR CES MOTIFS
Sur la recevabilité de l’exception d’incompétence
Constater que la procédure d’injonction de payer est une procédure particulière qui impose un préalable de conciliation.
Constater que le juge n’a pas procédé au préalable de conciliation.
Constater que l’exception d’incompétence soulevée par la CICAM l’a été avant le préalable de conciliation dont In limine litis.
Constater que d’après une jurisprudence constante, même en phase de conciliation, l’exception d’incompétence peut être encore soulevée.
Constater que les parties n’avaient pas encore été appelées à la conciliation.
Constater ce faisant, que l’exception d’incompétence soulevée en raison d’une clause compromissoire l’a été avant la phase conciliatoire.
Constater surabondamment que s’agissant d’une clause compromissoire insérée dans un contrat international, cette clause échappe aux lois nationales et que l’exception d’incompétence ratione materiae peut être soulevée en tout état de cause de la procédure, sauf le cas de la saisine du juge arbitral.
EN CONSEQUENCE :
Dire recevable l’exception d’incompétence soulevée.
Infirmer le jugement entrepris.
Évoquant et statuant à nouveau :
Se déclarer incompétent, renvoyer les parties à se mieux pourvoir.
Subsidiairement.
SUR LE SURSIS À STATUER
Constater que suivant ordonnance de référé n 171 du 11/12/2002, l’expertise de la créance de la BDEAC à été ordonnée.
Constater que l’expert a déjà été notifié le …… et a « commencé son travail ».
SURSEOIR A STATUER JUSQU’A L’ISSUE DE L’EXPERTISE.
SUR LE DEFAUT DE QUALITE DE POUVOIR DE LA BDEAC
Constater qu’aux tenues de la cession du 02 septembre 2002, la BDEAC a cédé sa créance à l’Etat du Cameroun via la SRC.
Constater que la BDEAC n’a plus qualité ni pouvoir pour ester en recouvrement contre la CICAM.
SUR LA CONTRARIETE DE DECISIONS
Constater qu’il y a autorité de la chose jugée par rapport à l’expertise de la créance de la BDEAC ordonnée par décision du juge des référés n 171 du 11/12/2002.
Constater que pour une bonne admin6istration de la justice, l’expertise doit suivre son cours.
DE LA VIOLATION DE LA PROCEDURE D’INJONCTION DE PAYER
Constater qu’en violation de l’article 4 alinéa 3 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution, la BDEAC n’a joint à sa requête les documents en originaux ou en copie certifiées conformes.
Constater que jusqu’à ce jour, la BDEAC n’a pas communiqué à la CICA, les pièces au soutien de sa demande, et a ainsi violé l’article 94 du Code de Procédure Civile et Commerciale.
Constater que le juge d’instance n’a pas procédé au préalable de conciliation imposé par l’article 12 de l’Acte uniforme suscité.
EN CONSEQUENCE.
Infirmer le jugement entrepris.
Évoquant et statuant à nouveau :
Rétracter l’ordonnance d’injonction de payer n 215/01/02/PTGI/WOURI/DOUALA.
Très subsidiairement au fond
Sur l’incertitude de la créance de la BDEAC
Constater que les rapports entre BDEAC et la CICAM nés en 1986 ont connu une sensible évolution qui a entraîné une modification profonde de l’étendue de la créance de la BDEAC sur la CICAM.
Constater la contradiction des chiffres émanant de la BDEAC.
Constater que la créance de la BDEAC ne prend pas en compte les paiements faits le 22 mars et le 08 juillet 2002, soit au total FCFA 129.894.930 et l’abandon, du propre aveu même de la requête de la BDEAC, de 25 % de la dette de la CICAM.
Constater la contradiction entre les dispositions de la section 3 03 de l’accord de prêt et les dispositions de la section 3 03 des conditions générales.
Constater que la créance réclamée par la BDEAC n’a pas été précédée de la clôture juridique du compte liant les deux parties.
Constater l’absence d’un arrêté contradictoire de compte entre les parties.
Constater que le fait d’imposer au débiteur, le paiement des frais accessoires avant le paiement du principal, viole les principes du droit des obligations, notamment le principe selon lequel l’accessoire suit le principal et que l’inverse dénature les rapports contractuels et contrarie le montant de la créance, en empêchant la diminution de la dette.
Constater que la BDEAC a obligé la CICAM à payer des intérêts sur une période non échue.
En conséquence :
Dire que la créance de la BDEAC n’est ni certaine, ni liquide ni exigible.
Infirmer le jugement entrepris.
Évoquant et statuant à nouveau :
Rétracter l’ordonnance d’injonction de payer n 215/01-02/PTGI/WOURI-WOURI.
Condamner la BDEAC aux dépens distraits au profit de la SCPA NGONGO OTTOU & NDENGUE KAMENI, Avocats aux offres de droit.
SOUS TOUTES RESERVES
L’affaire, régulièrement inscrite au rôle de le Chambre Civile nous le n 755/RG/2005-2004 fut appelée à l’audience du 25 juillet 2003, et après plusieurs renvois utiles, elle a été retenue à l’audience du 23 juin 2004.
Monsieur le Président a fait le rapport.
Les Conseils de l’appelante ont sollicité de la Cour, l’adjudication de leurs conclusions, dont le dispositif est ainsi conçu :
PAR CES MOTIFS
Et tous autres à ajouter, suppléer même d’office.
Adjuger à la concluante l’entier bénéfice de sa requête d’appel.
Sur le défaut de qualité de la BDEAC
Constater que par lettre circulaire du 10 décembre 2002, la BDEAC écrit à la CICAM, en des termes non équivoques, pour lui indiquer que depuis le 02 septembre 2002, la BDEAC a transféré sa créance à la SRC et que l’interlocuteur (de la CICAM) est désormais la SRC et que par conséquent, elle (la BDEAC) n’a plus qualité pour traiter de sa créance, qui relève désormais de la compétence exclusive de la SRC.
Constater qu’il s’évince de la lettre du 10 décembre 2002, que la BDEAC, de son propre aveu, n’est plus titulaire de sa créance.
Constater que l’opération ainsi conclue en septembre 2002 s’appelle en droit, cession de créance et que la lettre du 10 décembre 2002 procède, conformément à l’article 1690 du Code Civil, de la notification au débiteur du transport de la cession de créance.
Constater que même si par extraordinaire la cession de créance serait (on ne saurait l’imaginer) contestée, il reste que la BDEAC a, conformément aux articles 1689 et suivants du Code Civil, cédé à la SRC un droit relatif à sa créance.
Constater que du fait de cette cession et aux termes de l’article 1690 du Code Civil, « le cessionnaire (la SRC) est saisi (de la créance) à l’égard des tiers (et du débiteur – la CICAM) que par la signification (lettre de la BDEAC du 10 décembre 2002) du transport faite au débiteur.
Constater qu’en tout état de cause, la BDEAC n’a plus aucune qualité pour réclamer quelque créance que ce soit à la CICAM.
Infirmer la décision querellée.
Rétracter l’ordonnance d’injonction de payer.
SUR LA RECEVABILITE DE L’EXCEPTION D’INCOMPETENCE
Constater qu’en vertu de l’article 12 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution (AUVE), les parties en sont encore à la phase de conciliation.
Constater qu’il est de doctrine et de jurisprudence unanimes en matière d’injonction de payer, que « lorsque la procédure débute obligatoirement par une tentative de conciliation, un déclinatoire compétence est encore recevable ».
Constater qu’en phase de conciliation, tout doit être mis en œuvre pour parvenir autant que possible à un arrangement amiable.
Constater qu’il est de règle que les déclarations d’un plaideur dans la phase conciliatoire ne sauraient lui être opposées ultérieurement au cours du débat contentieux.
Constater que les règles de procédure sont d’ordre public.
Par conséquent :
Déclarer recevable l’exception d’incompétence soulevée par la CICAM, puisque le contentieux n’est pas encore lié sur le fond.
Constater surabondamment que s’agissant d’une clause compromissoire insérée dans un contrat international, cette clause échappe aux lois nationales et que l’exception d’incompétence ratione materiae peut être soulevée en tout état de cause de la procédure, sauf le cas de la saisine du juge arbitral.
Constater qu’aux termes de l’article 13 alinéa 1 et 2 de l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage, la loi n’indique pas à quel moment l’exception d’incompétence ratione materiae du juge étatique doit être soulevée.
SUR LA VALIDITE DE LA CLAUSE COMPROMISSOIRE
Constater qu’aux termes de l’article 11 de l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage, le juge arbitral a plénitude de juridiction pour apprécier la validité d’une clause compromissoire.
Constater qu’aux termes de l’article 4 de l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage, la clause compromissoire est indépendante tant du contrat qui la contient, que de toute référence à une loi étatique.
Constater que le contrat de prêt qui lie la CICAM à la BDEAC est un contrat international et que la clause compromissoire qui y est insérée est une clause compromissoire internationale.
Constater que contradictoirement à l’arrêt DALICO qui consacre le même principe d’indépendance de la clause compromissoire, l’article 4 suscité ne subordonne la validité de la clause compromissoire à aucun ordre public international.
Constater qu’aux termes de l’article 4 suscité, la convention d’arbitrage doit être appréciée « d’après la commune volonté des parties », c’est-à-dire dans le respect du consensualisme le plus largement entendu.
Constater qu’aux termes du même article 4, la convention d’arbitrage est appréciée sans référence à une loi étatique, c’est-à-dire que la clause compromissoire peut être validée même si elle ne satisfait pas aux conditions d’un droit étatique (que la technique conflictuelle aurait pu désigner pour régir ladite clause).
Constater que seule la commune intention des parties doit être prise en compte pour apprécier la validité de la clause compromissoire.
Constater que par la force obligatoire de la clause compromissoire, la commune intention des parties est de recourir à l’arbitrage en cas de litige.
Constater qu’aucun vice n’entache la mise en œuvre de la clause compromissoire.
Constater que même en face d’une clause ambiguë (ce qui n’est pas le cas en l’espèce), l’on doit toujours rechercher la commune intention des parties, conformément à l’article 4 de l’Acte uniforme sur l’arbitrage.
Constater que même à titre de droit comparé, les articles 1156 et 1157 du Code Civil vont dans le même sens.
Se déclarer incompétent à connaître de la demande d’invalidation de la clause compromissoire soumise par la BDEAC.
SUR L’INCOMPETENCE DU JUGE ETATIQUE
Constater qu’une clause compromissoire liant « la BDEAC à la CICAM enlève toute compétence au juge étatique à connaître du présent litige ».
Constater qu’aux termes de l’article 13 alinéa 2 de l’Acte Uniforme sur l’arbitrage, le juge étatique doit se déclarer incompétent en présence d’une clause compromissoire.
Constater qu’en vertu de cet article 4 des dispositions de l’article 13 al. 2 du même Acte uniforme, le juge étatique est radicalement incompétent pour connaître d’un litige que les parties ont entendu soumettre à un arbitrage.
Constater qu’aux termes des articles 10 du Traité OHADA, 4, 13 alinéa 2 et 35 de l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage, l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage est issu d’un traité international qui a primauté sur le droit national.
Constater que l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage évince toute loi nationale existante en la question.
Constater qu’en matière d’arbitrage international, l’exception d’incompétence ratione materiae peut être soulevée en tout état de cause de la procédure devant le juge étatique, puisque la clause compromissoire n’est subordonnée, pour sa validité, à aucune loi étatique.
Constater enfin, qu’à titre de droit comparé, s’agissant de l’article 97 du Code de Procédure Civile et Commerciale, l’incompétence ratione materiae peut également être soulevée en tout état de cause dans la loi interne.
Constater que même à ce niveau interne, la BDEAC ne saurait utiliser les règles nationales pour contredire un traité international.
SUR LA MAUVAISE FOI DE LA BDEAC
Constater que la BDEAC a caché l’existence de cette clause au Président du Tribunal de Grande Instance du Wouri, et que par conséquent, la BDEAC n’a pas pu juridiquement obtenir une ordonnance d’injonction de payer qui n’aurait pas dû être signée, si le juge avait eu connaissance de l’existence de la clause compromissoire.
Constater que la BDEAC fait également preuve de mauvaise foi, lorsqu’elle invoque la nullité de la clause compromissoire qu’elle-même a rédigée et imposée à la CICAM à titre de contrat d’adhésion.
Constater que la BDEAC est mal venue à contester une clause compromissoire qu’elle a elle-même élaborée, huit ans (en 1978) avant l’octroi du crédit à la CICAM (en 1986).
Constater qu’en matière contractuelle, il n’est pas admis de renonciation unilatérale.
Dire que la BDEAC fait preuve de mauvaise foi et de déloyauté dans l’exécution de la clause compromissoire.
En conséquence de ce qui précède.
Dire recevable l’exception d’incompétence soulevée par la CICAM.
EN CONSEQUENCE :
Infirmer la décision entreprise en rétractant l’ordonnance d’injonction de payer querellée.
Renvoyer les parties à se pourvoir devant le tribunal arbitral déterminé par la clause compromissoire.
SUR LA PRETENDUE RECONNAISSANCE DE LA CREANCE PAR LA CICAM
Constater que la BDEAC prétend, sans preuve, qu’au cours des réunions tenues à Yaoundé en novembre et décembre 2003, « les travaux de ce Comité ont conduit à la conclusion que l’exactitude des montants réclamés par la BDEAC ne souffrait d’aucune contestation ».
Constater la violation de la déontologie d’avocat par Maître NOULOWE, qui invoque et évoque des discussions intra muros intervenues entre avocats et entre parties, dont les conclusions sont tout autres que ce qu’il avance.
Constater que la BDEAC, par la plume de son Conseil, reconnaît, non pas que la CICAM a accepté les chiffres de la créance de la BDEAC, mais qu’un « Comité » aurait conclu à l’exactitude des montants réclamés par la BDEAC, et cette exactitude ne « souffrait d’aucune contestation ».
Constater le travestissement de la vérité par l’intimée.
Constater qu’à la suite des réunions sus évoquées, la CICAM, pour bien asseoir sa position par rapport aux discussions, a tenu en date du 24 novembre 2003, à adresser au Ministère des Finances et à la SRC, un courrier intitulé « LES RESERVES DE LA CICAM SUR LA CREANCE DE LA BDEAC ».
Constater que ce document finit en ces termes non équivoques : « A ce jour, la CICAM a remboursé FCFA 1.331 milliards, soit :
en capital FCFA 520 millions.
en intérêts FCFA 811 millions.
Or, la BDEAC réclame un solde de créance de FCFA 2,442 milliards composé de :
capital abandonné FCFA 250 millions.
intérêts abandonnés FCFA 390 millions.
capital restant dû FCFA 469 millions.
intérêts capitalisés et recapitalisés FCFA 1,117 milliard.
pénalités FCFA156 millions.
Or, la BDEAC réclame encore FCFA 719 millions en capital et FCFA 1,725 milliards en intérêts, en dépit des règlements de la CICAM de FCFA 1,331 milliards.
Dès lors, le taux effectif réel est à ce jour de 30 % (pour un taux de départ de 13 % corrigé à 11,5 % dans le premier avenant de 1993.
Par ailleurs, les intérêts cumulés et capitalisés avec les pénalités, soit FCFA 2,535 milliards représentent 4,5 fois le montant des intérêts dont la CICAM était contractuellement redevable.
EN CONSEQUENCE :
Infirmer le jugement entrepris.
SUR LA CONTRARIETE DES DECISIONS
Constater que la contrariété de décisions est plus qu’évidente, dès lors que le 1er juge, en rendant sa décision le 02 mai 2003, a passé outre le fait en date du 11 décembre 2002;le juge des référés a ordonné une expertise de la créance de la BDEAC, alors et surtout que les arguments qui ont présidé à la décision d’expertise sont les mêmes que ceux excipés devant le juge de l’injonction de payer.
Constater que le fait que la décision d’expertise soit l’objet de défense à exécution n’enlève rien à la contrariété de décision, dans la mesure où ladite expertise est actuellement pendante devant la Cour de céans pour l’audience du 09 juin 2004.
SUBSIDIAIREMENT
SUR L’INCERTITUDE DE LA CREANCE
Constater qu’on ne saurait jamais comprendre comment un créancier peut, entre autres, réclamer à un débiteur des intérêts sur une période non échue, en intégrant la somme calculée dans un montant arrêté à une date antérieure à la date de l’échéance des intérêts.
Constater que la créance de la BDEAC brille par son incertitude, en raison des motifs suivants développés dans la requête : la non prise en compte des versements de la CICAM et de l’abandon de 25 % de la créance, la contradiction des chiffres de la BDEAC, l’absence de clôture juridique du compte (la CICAM disposait d’un compte courant dans les livres de la BDEAC et de dénonciation de l’accord de prêt et ses avenants, la contradiction entre les dispositions de l’accord de prêt et celle des conditions générales, l’obligation irrégulière de payer les frais et accessoires avant le principal du prêt, la prise en compte irrégulière d’intérêts sur une période non échue.
EN CONSEQUENCE.
Infirmer la décision entreprise.
Rétracter l’ordonnance d’injonction de payer.
Condamner la BDEAC aux entiers dépens au profit de la SCPA NGONGO OTTOU & NDENGUE KAMENI, Avocats aux offres et affirmations de droit.
SOUS TOUTES RESERVES
Le Conseil de l’intimée a également sollicité de la Cour, l’adjudication de ses conclusions, dont le dispositif est ainsi conçu :
PAR CES MOTIFS
SUR LE DEFAUT DE QUALITE
Constater que la BDEAC a donné mandat à la SRC via l’Etat du Cameroun, de recouvrer pour son compte, sa créance sur la CICAM.
Constater ce faisant, que la BDEAC ne s’est pas départie de la propriété de sa créance et que cela est inconciliable avec la cession de créance.
Constater dès lors, que recouvrement pour le compte de la BDEAC, la SRC agit par représentation dans le cadre du mandat, et la BDEAC ne lui a cédé aucun droit relatif à sa créance sur la CICAM.
EN CONSEQUENCE.
Rejeter la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité de la BDEAC.
SUR LA PROCEDURE D’INJONCTION DE PAYER
Constater que l’article 12 de l’Acte uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution n’exigeant pas du juge un formalisme particulier pour l’ouverture, la tenue de la conciliation et le constat de non conciliation, il n’était nullement indispensable au juge d’instance de faire consigner ces étapes dans le plumitif des audiences.
SUR LA CONTRARIETE DE DECISIONS
Constater que de par la combinaison des effets dévolutifs et suspensifs de l’appel contre l’ordonnance de référé du 11 décembre 2002, la certitude de ce qu’il y aurait contrariété de décisions en la cause n’existe même plus, dans la mesure où rien n’assure plus que le sens de deux décisions soit finalement contraire.
Constater cependant que la contrariété de décisions ne peut être hypothéquée et future, mais actuelle et réelle, et doit concerner deux décisions insusceptibles de recours ordinaire mais inconciliables, parce que ne pouvant être exécutées en même temps.
Constater que telle n’est pas la situation de la présente cause, et que la demande de sursis à statuer de la CICAM est mal fondée et inopportune, car reposant sur un fait non établi.
SUR LES PRETENDUES « RESERVES »
Constater que les prétendues réserves de la CICAM annoncées dans sa fameuse correspondance du 24 novembre 2003 se limitaient à une présentation du montant de la créance réclamée par la BDEAC, et à une présentation du montant de la dette dont elle s’estime redevable, sans plus ample démonstration.
Constater que la CICAM n’apporte la preuve d’aucune erreur de calcul, aucune application défectueuse des taux d’intérêts de la créance, aucune capitalisation des intérêts indue et non convenue entre les parties, ou encore la moindre absence de prise en compte d’un paiement fait.
Constater qu’a contrario, l’on constate que la CICAM se plaint essentiellement que le cumul des intérêts et les capitalisations successives pourtant prévues par la convention des parties, et essentiellement occasionnées par son inobservation des termes et remboursement, aient élevé le montant de la dette.
Constater que la CICAM ne peut se prévaloir de sa propre turpitude et n’a à s’en prendre qu’à elle-même.
Constater qu’en tout état de cause, ces prétendues « réserves », malheureusement inconsistantes, sont essentiellement destinées à atténuer l’effet de l’inconditionnelle et spontanée reconnaissance de légitimité et exactitude de la créance de la BDEAC par la CICAM, dans le mémorandum indiqué par les parties à l’issue des rencontres tenues les 21 et 22 mars 2002 entre elles, laquelle n’a jamais été remise en doute par la concluante.
Constater de ce fait, que les fameuses « réserves » du 23 novembre 2003 n’ont aucune consistance, au regard de tout ce qui a été ci-dessus développé.
SUR L’ARTICLE 13 DE L’ACTE UNIFORME OHADA SUR L’ARBITRAGE
Constater que l’article 13 de l’Acte uniforme OHADA portant sur le droit de l’arbitrage prévoit lui-même que : « en tout état de cause, la juridiction étatique peut soulever son incompétence ».
Constater que seule une exception d’incompétence soulevée par les parties devant le juge étatique peut amener celui-ci à se dessaisir du litige, lorsque le tribunal arbitral n’est pas encore saisi.
Constater ce faisant, que destinée essentiellement à la préservation de l’intérêt des parties au litige qui peuvent par conséquent y renoncer, cette exception d’incompétence est essentiellement relative par opposition à une exception d’incompétence à l’ordre public, et que comme telle, elle ne peut être soulevée en tout état de cause, ce privilège étant réservée aux exceptions d’ordre public.
Constater, dès lors, que le juge camerounais, juge étatique, ne saurait appliquer des règles de procédure propres à l’arbitrage, alors qu’il n’arbitre pas.
Constater, en conséquence, que c’est à bon droit qu’ont été utilisés les articles du Code de Procédure Civile et Commerciale par le Tribunal de Grande Instance du Wouri.
SUR LE CARACTERE MANIFESTEMENT NUL DE LA CLAUSE COMPROMISSOIRE
Constater qu’en vertu de l’article 13 alinéa 2 de l’Acte uniforme de l’OHADA sur l’arbitrage, le juge étatique peut retenir sa compétence en présence d’une clause compromissoire manifestement nulle, au regard des principes généraux du droit de l’arbitrage international, lorsque le tribunal arbitral n’est pas saisi.
Constater en effet, que la clause compromissoire insérée à la section 11 03 des conditions générales de l’accord de prêt signé entre les parties, est une clause pathologique, en ce qu’elle viole les principes généraux du droit international de l’arbitrage, et présente un vice qui fait irrémédiablement obstacle au déroulement harmonieux de l’arbitrage.
Constater ensuite qu’elle viole le principe de compétence concurrente entre une juridiction étatique et un tribunal arbitral comme organe de règlement de litige.
Constater ensuite qu’elle consacre une négation absolue du principe de l’autorité de la chose jugée, qui doit être attachée à la sentence arbitrale qui constitue l’un des principes généraux centraux de l’arbitrage international.
Constater, enfin, qu’elle institue une juridiction de recours d’un litige connu par un tribunal arbitral.
Constater que la jurisprudence en matière de droit d’arbitrage international est intransigeante en présence de telles clauses pathologiques, et proclame fermement qu’elles sont nulles.
Constater dès lors, que la clause compromissoire dont se prévaut la CICAM est manifestement nulle, au regard de tout ce qui est développé ci-dessus.
Constater que les dénégations de la CICAM et le travestissement de son sens clair et sans équivoque par une interprétation des plus hérétiques, n’y changent rien.
EN CONSEQUENCE :
Se déclarer compétent à connaître du litige entre les parties.
Adjuger à la concluante, l’entier bénéfice de ses précédentes et présentes écritures.
SOUS TOUTES RESERVES
SUR QUOI, les débats ont été déclarés clos et l’affaire mise en délibéré pour arrêt être rendu le 24 septembre 2004.
Advenue ladite audience, la Cour, vidant son délibéré, a rendu à haute voix par l’organe de son Président, l’arrêt dont la teneur suit :
LA COUR :
Vu le jugement civil n 473 rendu le 2 mai 2003 par le Tribunal de Grande Instance du Wouri entre la Société Cotonnière Industrielle du Cameroun et la Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC), Maître KAMWA Gabriel et Monsieur le Greffier en Chef du Tribunal de Grande Instance de Douala.
Vu l’appel interjeté par requête enregistrée au Greffe le 5 mai 2003 sous le numéro 741 par la SCPA NGONGO OTTOU et NDENGUE KAMENI, Avocats au Barreau du Cameroun BP 8179 Yaoundé, agissant pour le compte de la Société Cotonnière Industrielle du Cameroun SA, dont le siège social est à Douala BP 7012.
Ouï Monsieur le Président en la lecture de son rapport.
Ouï les parties en leurs prétentions.
Vu les pièces du dossier de la procédure.
Après en avoir délibéré conformément à la loi.
EN LA FORME
Considérant que l’appel interjeté a été fait dans la forme et délai prévus par la loi;il y a lieu de la recevoir et d’examiner ses mérites.
Considérant que toutes les parties ont conclu, il convient de statuer contradictoirement à leur égard.
AU FOND
Considérant qu’aux termes d’un accord de prêt n 49/CAM Industrie, datant du 10 mars 1986, la BDEAC a consenti à la CICAM un prêt de FCFA 1 000 000 000 (un milliard) remboursable en 10 ans dont 2,5 de la dette de la CICAM.
Que ce prêt a été restructuré consécutivement en date des 29 juillet et 12 octobre 1993 et 28 juin 1995 et aurait conduit à un abandon de 25 % de la dette de la CICAM.
Que le 21 mars 2002, une mission conjointe de la BDEAC et de la CICAM verserait des montants constants de FCFA 60 millions à dates fixées en attendant l’établissement exact de la créance.
Que c’est aux termes de cet arrangement amiable que la BDEAC a accepté séance tenante un chèque de la CICAM de FCFA 64.947.475 (encaissé le 1er avril 2002), qui correspond curieusement avec la date de la requête d’injonction de payer, puis un second chèque de FCFA 64.947.475 en date du 6 juillet 2002 (soit 9 jours avant la signification de l’injonction de payer).
Que c’est dans ce contexte amiable qu’intervient à contre-courant, la notification, le 11 juillet 2002 de l’injonction de payer, alors que les parties sont en pourparlers en vue d’arrêter définitivement les comptes et les modalités de paiement.
Que cette notification viole les principes de loyauté en matière contractuelle et les règles de droit bancaire et de droit des obligations sur la certitude et l’exigibilité de la créance.
Considérant que la Société CICAM, sous la plume de la SCPA NGONGO OTTOU et NDENGUE KAMENI relève six griefs dans le jugement attaqué, notamment, la violation de la procédure d’injonction de payer, la recevabilité de l’exception d’incompétence du tribunal, le défaut de qualité de la BDEAC du fait de la présence de deux créances, la contrariété des décisions, le sursis à statuer et l’incertitude de la créance de la BDEAC.
Considérant, sur le premier motif consistant en la violation de la procédure d’injonction de payer soulevée par la Société CICAM, que la BDEAC estime que l’article 12 de l’Acte uniforme OHADA n 6 n’affecte pas une quelconque sanction en cas d’absence de la tentative de conciliation.
Qu’on ne saurait donc parler d’une quelconque violation de la loi.
Mais considérant qu’il ressort de l’article suscité de l’AUVE, que la tentative de conciliation est préalable pour l’évolution de la procédure d’injonction de payer.
Considérant que le préalable est une condition sine qua non qui doit être observée à peine de nullité.
Considérant que le jugement entrepris n’a pas observé cette formalité, il encourt ainsi la sanction d’annulation pour violation de la loi, sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les autres griefs soulevés tendant au même résultat.
Considérant que la partie qui succombe supporte les dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et commerciale en appel et en dernier ressort.
EN LA FORME
Reçoit l’appel interjeté.
AU FOND
Déclare nul le jugement entrepris.
Évoquant et statuant à nouveau :
Constate la violation de l’article 12 de l’Acte uniforme n 6.
Condamne la BDEAC aux dépens.
Ainsi jugé et prononcé en audience publique les jour, mois et an que dessus.
En foi de quoi, le présent arrêt a été jugé par le Président, les membres et le Greffier….
NOTE
L’arrêt rapporté mérite d’être approuvé, d’autant qu’il souligne le caractère d’ordre public du préalable de conciliation en matière d’injonction de payer (I). et offre l’occasion de rappeler quelques principes relatifs au déclinatoire de compétence en matière d’arbitrage (II).
I. Le caractère d’ordre public du préalable de conciliation en matière d’injonction de payer
Un rappel des faits de la cause (A). permet de mieux apprécier l’arrêt rapporté (B).
A). Les faits
La Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC). avait consenti un prêt à une société camerounaise dénommée Cotonnière Industrielle du Cameroun (CICAM).
Le contrat de prêt comporte une clause compromissoire ainsi conçue : « Tout différend entre la Banque et l’emprunteur ou le garant ainsi que toute revendication formulée par une partie à l’encontre de l’autre sera, s’il n’est pas réglé par voie de négociation amiable ou par tout autre mode de règlement, soumis à l’arbitrage d’une commission composée de trois arbitres ».
La CICAM n’honorant plus les échéances de remboursement convenues par les parties, la BDEAC obtint à son encontre une ordonnance d’injonction de payer du Président de Tribunal de Grande Instance de Douala.
Dans l’acte d’opposition formée par la CICAM, celle-ci contestait la liquidité de la créance alléguée par la BDEAC, puis invitait le Tribunal à rétracter l’ordonnance querellée et à se déclarer incompétent ratione materiae, en raison de la clause compromissoire liant les parties.
Au mépris de l’article 12 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, le Tribunal de Grande Instance de Douala ne procéda à aucune tentative de conciliation entre les parties et statua immédiatement sur la demande en recouvrement de la BDEAC, après avoir déclaré tardive l’exception d’incompétence soulevée par la CICAM et fondée sur la clause compromissoire liant les parties.
En effet, par jugement n 473 du 2 mai 2003, la juridiction suscitée retint sa compétence, déclara non fondée l’opposition de la CICAM, dit certaine, liquide et exigible la créance de la BDEAC sur la CICAM, puis condamna celle-ci à payer à celle-là la somme de FCFA 854.657.295 en capital, intérêts et frais, alors que l’expert nommé par le juge des référés de Douala à la demande de la CICAM pour déterminer le montant exact de la créance de la BDEAC, n’avait pas encore produit son rapport.
Suite à l’appel interjeté par la CICAM, la Cour d’Appel de Douala annula le jugement n 473 du 2 mai 2003 pour non respect par le premier juge, du préalable de conciliation institué par l’article 12 de l’Acte uniforme sus évoqué.
B). La substance de l’arrêt
L’originalité de la procédure d’injonction de payer dans l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution résulte du caractère obligatoire du préalable de conciliation à laquelle doit procéder la juridiction saisie sur opposition du défendeur.
En effet, cette phase de conciliation obligatoire n’existait ni dans les législations antérieures des Etats parties à l’OHADA, ni dans les législations étrangères dont s’est inspiré le législateur OHADA (Anne-Marie ASSI-ESSO, commentaires sous l’article 12 de l’Acte uniforme.. in « OHADA Traité et actes uniformes commentés. », Juriscope 2002, p. 708).
L’article 12 de l’Acte uniforme sus évoqué dispose que « la juridiction saisie sur opposition procède à une tentative de conciliation ».
Le caractère obligatoire de la tentative de conciliation résulte de l’impérativité du texte même, qui ne peut nullement être compris comme accordant à la juridiction saisie sur opposition la faculté de procéder à une telle tentative, mais affirme de manière péremptoire que la juridiction « procède » à ladite tentative.
Malgré cette affirmation péremptoire de la loi et les critiques de la doctrine (Gaston Kenfack Douajni, cette. Revue n 24, p. 7 et s.), les juridictions ont assez souvent omis de procéder à cette tentative de conciliation entre les parties, pourtant conçue comme un élément de flexibilité et de rapidité de la procédure d’injonction de payer. (Voir, en sens contraire, Marie Andrée Ngwe, « L’application des actes uniformes de l’OHADA au Cameroun » in Recueil Penant n 850 p. 92).
En effet, l’on perçoit ici avec quelle rapidité un créancier peut obtenir un titre exécutoire contre un débiteur, lorsque la juridiction saisie de l’opposition du défendeur procède effectivement comme le prévoit la loi, car, « en cas d’aboutissement de la tentative de conciliation, le Président de la juridiction dresse un procès-verbal de conciliation signé par les parties, dont une expédition est revêtue de la formule exécutoire » (art. 12 al.1 de l’Acte uniforme).
En tout état de cause, la Cour d’Appel de Douala sanctionne cette violation répétée de l’article 12 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution en rappelant, d’une part, que « le préalable de conciliation est une condition sine qua non qui doit être observée à peine de nullité. » puis, en affirmant, d’autre part, que « le jugement entrepris n’a pas observé cette formalité, il encourt ainsi la sanction d’annulation pour la violation de la loi, sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les autres griefs soulevés tendant au même résultat »;sur quoi, la Cour d’Appel « déclare nul le jugement entrepris ».
Par cette annulation du jugement querellé, et compte tenu du caractère définitif de l’arrêt, la Cour d’Appel statuant en dernier ressort, les parties se trouvent au même et semblable état où elles étaient avant ledit jugement et, normalement, l’invocation par la CICAM de la clause compromissoire contenue au contrat de prêt litigieux devra entraîner l’incompétence des juridictions étatiques à connaître des litiges relatifs audit prêt.
Devant le premier Juge (le Tribunal de Grande Instance du Wouri), la CICAM avait vainement plaidé l’incompétence sus évoquée, ledit juge ayant déclaré irrecevable, comme tardive, l’exception d’incompétence ainsi soulevée par la CICAM.
Bien que la Cour d’Appel n’ait pas expressément pris position relativement à la recevabilité de l’exception d’incompétence que la CICAM invoquait comme autre motif d’appel du jugement entrepris, l’annulation dudit jugement pour violation de l’obligation légale de procéder à une tentative de conciliation des parties permet de conclure, au moins implicitement, que le déclinatoire de compétence n’a pas été soulevé tardivement par la CICAM, contrairement à l’opinion du premier juge.
Quoi qu’il en soit, il ne semble pas superflu ici de rappeler quelques règles relatives au déclinatoire de compétence en matière d’arbitrage.
II). Le déclinatoire de compétence en matière d’arbitrage
Un bref rappel de quelques principes en la matière (A). mènera à la détermination du moment précis auquel doit être invoquée la clause compromissoire dans le cadre d’une procédure comportant une tentative de conciliation (B).
A). L’incompétence matérielle de principe des juridictions étatiques en présence d’une clause compromissoire
Il est de principe que les juridictions étatiques sont incompétentes ratione materiae pour connaître des litiges contractuels contenant une clause compromissoire, et plus généralement prévus par une convention d’arbitrage, à moins que ladite convention soit manifestement nulle.
Toutefois, malgré l’existence de la convention d’arbitrage, le juge étatique peut, sans contrevenir à celle-ci, ordonner des mesures provisoires ou conservatoires avant la constitution du tribunal arbitral et même après, sauf convention contraire des parties.
Ces règles d’ordre public international sont reprises par l’article 13 de l’Acte uniforme OHADA relatif à l’arbitrage, dont l’alinéa 3 précise que « la juridiction étatique ne peut relever d’office son incompétence ».
Il en résulte que les plaideurs, ou mieux, la partie qui y a intérêt, doit nécessairement soulever l’incompétence du juge étatique en invoquant la convention d’arbitrage.
La règle générale en la matière est que ce déclinatoire de compétence doit intervenir In limine litis. Mais qu’est-ce à dire ? A quel moment situe-t-on le « In limine litis », notamment lorsque, comme en l’espèce, une procédure comporte une tentative de conciliation ? Ce moment se situe-t-i1 avant la phase de la tentative de conciliation ou après celle-ci ?.
B). Moment précis auquel doit être invoquée la clause compromissoire dans le cadre d’une procédure comportant une tentative de conciliation
Le droit comparé enseigne que sauf en matière de divorce, la phase de la conciliation est considérée comme extérieure à l’instance et que l’obligation de déposer le déclinatoire In limine litis n’est effective que devant le juge du fond et non au cours de la phase de conciliation (Montpellier, 17 juin 1960, gaz Pal. 1960 II-316 et Bordeaux, 4 décembre 1962, Sem. Jur. 1963, 13025, cités par Hébraud in. Revue. Trim. de droit civil, 1961, p. 178 et 1963, p. 403).
La transposition au droit OHADA des règles ci-dessus rappelées conduit à la conclusion inéluctable que contrairement à l’affirmation du premier juge dans l’affaire rapportée, le déclinatoire de compétence formulé par la CICAM n’était pas tardif.
A cet égard, il faut bien avoir présent à l’esprit que lorsque la CICAM a formé opposition à l’ordonnance d’injonction de payer qui lui a été signifiée par la BDEAC, elle s’attendait à ce que, conformément à l’artic1e 12 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, le Tribunal de Grande Instance de Douala procède à une tentative de conciliation entre elle et la BDEAC.
Malheureusement pour elle, la juridiction sus évoquée a statué directement sur les mérites de l’opposition de la CICAM, sans tenter de concilier les parties. Et c’est dans ces circonstances que ladite juridiction a cru devoir constater que la CICAM, en débattant d’emblée du fond du litige, a tacitement renoncé à la clause compromissoire contenue au contrat de prêt litigieux.
Cette constatation du premier juge est d’autant erronée que l’on voit mal comment un plaideur peut former opposition contre une ordonnance d’injonction de payer sans contester le principe de la créance qui est alléguée à son encontre.
En effet, ce n’est pas, à proprement parler, débattre du fond de l’affaire que de contester le principe de la créance dans l’opposition, car n’est-ce pas la nature même d’une opposition que de contenir une contestation ?.
Ce n’est pas parce que l’opposition de la CICAM n’a pas produit l’effet normal prévu par la loi, à savoir l’organisation par le Tribunal de Grande Instance d’une tentative de conciliation entre les parties, que l’on doit oublier que l’on n’était pas encore dans la phase de l’instance devant le juge du fond.
Quoi qu’il en soit, au plan séquentiel du déroulement de la procédure, l’on était encore au cours de la phase de conciliation, que la CICAM a déclenché par son opposition.
Or, d’une part, et comme mentionné plus haut, sauf en matière de divorce, la phase de conciliation est considérée comme extérieure à l’instance.
D’autre part, et aux termes de l’article 12 alinéa 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, c’est lorsque la tentative de conciliation échoue que la juridiction doit statuer sur les mérites, sur le bien-fondé de l’opposition.
Autrement dit, la juridiction saisie sur opposition doit impérativement tenter de concilier les parties suite à l’opposition du défendeur à l’ordonnance d’injonction de payer. Et c’est seulement en cas d’échec de la tentative de conciliation que l’instance au fond débutant alors, l’opposant peut, sur le fondement de la clause compromissoire contenue au contrat litigieux, décliner la compétence matérielle du juge étatique.
On le voit, le « In limine litis » dans le cadre d’une procédure comportant une tentative de conciliation se situe après l’échec de ladite tentative. Si comme en l’espèce, le juge a omis de procéder à cette tentative de conciliation, il ne peut, sans exposer sa décision à la censure de la juridiction supérieure, rejeter l’exception d’incompétence soulevée par l’auteur de l’opposition, au motif erroné que cette exception a été soulevée tardivement.
Au regard des développements qui précèdent, l’on peut conclure que si la Cour avait dû se prononcer sur l’exception d’incompétence soulevée par la CICAM, elle aurait probablement jugé recevable ladite exception, car cette exception avait été soulevée au moment approprié à cet effet.
Dr Gaston KENFACK DOUAJNI. Magistrat Spécialiste en Contentieux Économique (E.N.M. Paris).
Ancien Membre de la Cour Internationale d’Arbitrage de la C.C.I. – Paris.
Membre Correspondant de l’Institut pour l’Arbitrage International (Paris).
Président de l’Association pour la Promotion de l’Arbitrage en Afrique (APAA).
Sous-Directeur de la Législation Civile, Commerciale, Sociale et Traditionnelle.
Ministère de la Justice Yaoundé – CAMEROUN.