J-08-175
CONVENTION D’ARBITRAGE – DESIGNATION D’EXPERT – COMPETENCE DU JUGE ETATIQUE DES REFERES (OUI).
Lorsque les parties à un contrat ont prévu dans ce dernier l’arbitrage pour tout différend éventuel qui ne recevrait pas entre elles une solution amiable, le recours à la procédure de référé n’est pas pour autant exclu, s’il y a urgence. Spécialement, peut être sollicitée par cette voie, la désignation d’un expert, mesure de pure information, qui ne préjudicie nullement au principal.
Ainsi, lorsque le demandeur (une société d’Études et de Réalisations pour l’Industrie Caféière). s’est rendu acquéreur d’un incinérateur chaudière pour brûler les déchets provenant du décorticage, lequel ne donne pas entière satisfaction, alors que son exploitation se trouve insérée dans un programme d’action, il appartient au juge des référés de procéder à la désignation de l’expert sollicité, afin qu’il puisse être remédié dans le plus bref délai aux insuffisances constatées.
Cour d’Appel d’Abidjan, Chambre civile et commerciale, 15 juillet 1977 Arrêt n 484. Société Wanson c/ Société d’Études et de Réalisations pour l’Industrie Caféière et Cacaoyère, dite SERIC. Revue Camerounaise de l’Arbitrage n 1. Avril Mai Juin 1998, p. 10.
LA COUR
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale, en référé, en dernier ressort, sur l’appel régulier interjeté le 12 janvier 1977 par la Société Wanson, société anonyme française dont le siège est 39 avenue Jean Jaurès à Arcueil, ayant élu pour domicile en Côte d’Ivoire en l’Étude de Me Mariani, 23 avenue Chardy à Abidjan, de l’ordonnance de référé rendue le 31 décembre 1976 par le Président de la Section du Tribunal de Toumodi, lequel, saisi par la Société d’Études et de Réalisations pour l’Industrie Caféière et Cacaoyère (SERIC), dont le siège social est au Ministère de l’Agriculture, BP 21165 à Abidjan, en référé, en désignation d’expert pour accomplir une mission aux fins de sauvegarder ses droits, lui a donné gain de cause.
Considérant qu’en cause d’appel la Société Wanson, qui sollicite la réformation de la décision entreprise, expose que la mission confiée à l’expert désigné, demeurant à Paris, démontre d’une manière patente que le juge des référés a outrepassé sa compétence;qu’en effet, l’expert devra, est-il dit, vérifier les réserves formulées par la Société SERIC.. ainsi que toute autre défectuosité de l’installation, 6 / rechercher les vices de construction et les malfaçons éventuelles;3 / dire si la construction réalisée par Wanson répond aux exigences des documents contractuels;9 / dire si la réception définitive est actuellement possible ou non;10 / dire quels seraient les améliorations, adjonctions, fournitures ou travaux complémentaires qu’il serait nécessaire d’entreprendre, afin de remédier aux troubles invoqués par la demanderesse.
Considérant qu’elle invoque que le juge des référés n’a pas non plus répondu sur le moyen de défaut d’urgence;que de plus, elle fait remarquer qu’il résulte de l’article 17 du marché, qu’il a été prévu l’arbitrage pour tout différend éventuel qui n’aurait pas eu une solution amiable entre les parties;qu’en conséquence, cette clause d’arbitrage impose en l’état de la procédure à la Cour, de réformer la décision entreprise, et de dire que le juge des référés est incompétent. Qu’elle conclut de reformer la décision entreprise et, statuant à nouveau, de déclarer incompétent le juge des référés, et de condamner la SERIC aux dépens dont distraction au profit de Me Mariani, avocat aux offres de droit.
Considérant que la SERIC, sollicitant la confirmation de l’ordonnance entreprise, expose que le 17 juillet 1972, elle avait passé commande à la Société Wanson, d’un lot incinérateur chaudière, conformément aux spécifications définies dans le cahier d’appel d’offres;qu’à la suite de l’installation de cette machine, elle s’aperçut que les installations n’avaient pas la qualité d’exploitation convenue, car au lieu de brûler 6 000 kg de coque, elles n’en brûlent que 2.800 kg;que, sommée d’y remédier, la société Wanson ne fit rien, et finit par lui proposer une résiliation amiable du contrat en 1976;que, pour lui permettre de mieux se pourvoir sur le fond, par la procédure d’arbitrage prévue, elle avait sollicité, pour sauvegarder ses droits, la désignation d’un expert pour examiner les travaux et les fournitures effectués;qu’il y a urgence, étant donné le temps écoulé par suite de l’inertie de la société Wanson et le fait que l’installation ne donne pas le rendement escompté;que, de plus, cette ordonnance de référé est une mesure provisoire, qui n’aurait pas échappé au collège arbitral, avant toute décision au fond;qu’elle sollicite la confirmation pure et simple de l’ordonnance entreprise, et la condamnation de la société Wanson en tous les dépens, dont distraction au profit de Me N’Dia Koffi Yves, Avocat à la Cour, aux offres de droit.
Considérant, sur la compétence du juge des référés, que la mesure sollicitée par la SERIC, qui consistait à désigner un expert, est une mesure de pure information et qu’elle ne préjudicie nullement au principal;qu’en effet, il est établi qu’à la suite des relations des parties, l’installation de l’engin par la société Wanson en 1974 à Yamoussoukro dans l’usine de la SERIC, et son exploitation adéquate, posent des difficultés de rendement non contestées;que, dès lors, la machine installée ne donnant pas entière satisfaction, alors que son exploitation se trouve insérée dans un programme d’action de la SERIC, il importe d’y remédier dans le plus bref délai;qu’il y a donc urgence et qu’il y a lieu de confirmer purement et simplement l’ordonnance déférée.
Considérant que la société Wanson succombe à la suite de cette procédure;qu’il y a lieu de la condamner aux dépens, dont distraction au profit de Me N’Dia Yves, Avocat à la Cour, aux offres de droit.
PAR CES MOTIFS
EN LA FORME :
Reçoit l’appel de la société Wanson.
AU FOND :
Le dit mal fondé et l’en déboute.
Confirme purement et simplement l’ordonnance entreprise ….
NOTE
Traitant de l’un des effets de la clause compromissoire, l’arrêt Wanson, rendu le 15 juillet 1977 par la Cour d’Appel d’Abidjan (Côte d’Ivoire), énonce que si ladite clause doit être observée (I), elle ne fait pas obstacle, cependant, à la saisine du juge des référés pour l’obtention des mesures provisoires ou conservatoires (II).
I. La clause compromissoire entraîne l’incompétence des juridictions étatiques ordinaires. Il en résulte que ladite clause doit être respectée, spécialement lorsque, après l’avoir conclue, l’une des parties tente d’y renoncer en portant le litige né devant la juridiction étatique et que la partie adverse, invoquant la clause dont il s’agit, décline la compétence de la juridiction étatique ainsi saisie : c’est une conséquence de la force obligatoire du contrat, qui se justifie d’autant que « … le simple engagement pris, dans un contrat commercial, de soumettre à l’arbitrage tout différend pouvant en découler, suffit à contraindre les parties, une fois la contestation née, à exécuter cette promesse ».
La règle ci-dessus rappelée existe en droit camerounais, de même que dans les autres Etats africains ayant ratifié le Traité OHADA. Il résulte, en effet, dudit Traité (art. 23), que « tout tribunal d’un Etat Partie, saisi d’un litige que les parties étaient convenues de soumettre à l’arbitrage se déclarera incompétent si l’une des parties le demande, et renverra le cas échéant à la procédure d’arbitrage. ».
II. Il convient, toutefois, de relever que le juge étatique sollicité uniquement pour accorder des mesures provisoires ou conservatoires, ne viole nullement la clause compromissoire lorsque (comme en l’espèce). le tribunal arbitral n’est pas encore constitué, alors d’une part, qu’il est urgent que la mesure requise intervienne et que, d’autre part, ladite mesure fait partie des « mesures préparatoires ».
LA COUR d’Appel d’Abidjan ne dit pas autre chose quand, après avoir relevé que la SERIC avait sollicité la désignation d’un expert « pour lui permettre de mieux se pourvoir sur le fond, par la procédure d’arbitrage prévue. », elle affirme que « … la mesure sollicitée.. est une mesure de pure information et qu’elle ne préjudicie nullement au principal ».
Malgré l’existence d’une convention d’arbitrage, il est donc possible de recourir au juge étatique, précisément au juge des référés, pourvu qu’il y ait urgence et que la décision prise par ce juge ne porte pas préjudice au principal, car dans une telle hypothèse, le jugement du fond de l’affaire relève du tribunal arbitral.
Admise en droit international de l’arbitrage, la règle ci-dessus évoquée est tout à fait applicable en droit camerounais. En effet, l’article 182 du Code de Procédure Civile et Commerciale en vigueur au Cameroun indique que le juge des référés est compétent pour statuer « dans tous les cas d’urgence, ou lorsqu’il s’agira de statuer provisoirement. », tandis que l’article 185 dudit Code précise que « les ordonnances sur référés ne feront aucun préjudice au principal ». Or, lorsque la loi vise « tous les cas d’urgence », elle n’exclut pas le cas dans lequel une clause compromissoire existe. Par ailleurs, que le tribunal arbitral ait déjà été constitué ou non, il peut être urgent que des mesures provisoires ou conservatoires interviennent, mesures qu’accorde le juge des référés sans pour autant violer la clause compromissoire.
En attendant qu’une modification du droit camerounais de l’arbitrage intègre une disposition indiquant expressément que la convention d’arbitrage ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés pour l’obtention des mesures provisoires ou conservatoires, les textes ci-dessus évoqués, relatifs à la juridiction des référés, permettent au juge camerounais d’intervenir dans le domaine de l’arbitrage, dans un esprit de coopération et de complémentarité.
Gaston KENFACK DOUAJNI.