J-08-179
CONVENTION D’ARBITRAGE – DEMANDE D’EXPERTISE – COMPETENCE DU JUGE ETATIQUE DES REFEERES (OUI).
Le juge étatique des référés est compétent pour désigner un expert même en présence d’une convention d’arbitrage.
Cour Suprême, Chambre Judiciaire Audience publique du 04 décembre 1997 Arrêt n 317/97. Revue Camerounaise de l’Arbitrage n 5. Avril Mai Juin 1999, p. 16.
Pourvoi n 97-382/CIV en date du 14 juillet 1997
LA COUR Suprême, Chambre Judiciaire, Section Civile, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé le 14 juillet 1997 par la société TOYOTA SERVICES AFRIQUE dite T.S.A, Société Anonyme de droit ivoirien au capital de 3 000 000 FCFA, immatriculée au Registre du Commerce d’Abidjan sous le n l92778, dont le siège social est sis à Abidjan, Immeuble JECEDA, cage D.01 B.R 3983 Abidjan 01, ayant également un bureau provisoire Immeuble OPERA Zone 4, rue Chevalier de Clieu, agissant aux poursuites et diligences de son Président Directeur Général, Monsieur Peter FITZSIMON, de nationalité britannique, demeurant à Abidjan, IBIS Marcory.
Pour laquelle domicile est élu en l’Étude de ses Conseils, la SCPA KONATE-MOISE-BAZIE et KOYO, Avocats Associés près la Cour d’Appel d’Abidjan, y demeurant, 30, boulevard Carde, résidence LES HARMONTES, rez-de-chaussée, 01 BP 3926 Abidjan 01, Tél. : 22.77.53 / 22.75 02.
DEMANDERESSE AU POURVOI.
En cassation d’un arrêt n 912 rendu le 1er juillet 1997 par la Cour d’Appel d’Abidjan au profit de la société Promotion de Représentation Automobiles dite PREMOTO, Société Anonyme de droit ivoirien au capital de 1 000 000 000 FCFA, dont le siège social est sis à Abidjan Marcory, Boulevard Giscard d’Estaing, 15 BP 630 Abidjan 15, agissant aux poursuites et diligences de son Directeur Général, Monsieur Sidy DIALLO, de nationalité ivoirienne, demeurant en cette qualité à Abidjan Marcory, Boulevard Giscard d’Estaing, 15 BP 360 Abidjan 15, domicilié à Abidjan Cocody, rue Les HORTENSIAS.
Laquelle a élu domicile en l’Étude de Maîtres KONE Mamadou et NGUESSAN Kouassi Paul, Avocats Associés à la Cour, y demeurant avenue Lambua, Immeuble BELLERIVE, 01 BP 6421 Abidjan 01, Tél. : 33.22.45 / 33.14.75.
DEFENDERESSE AU POURVOI.
LA COUR, en l’audience publique de ce jour.
Sur le rapport de Monsieur le Conseiller Bamba LANCINE et les observations des parties.
Et après en avoir délibéré conformément à la loi.
LACOUR
Vu les mémoires produits.
SUR LE MOYEN UNIQUE DE CASSATION
Pris en sa première branche, et tiré de la violation de la loi, erreur dans l’application ou l’interprétation de la loi :
Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt confirmatif attaqué (Cour d’Appel d’Abidjan, Chambre Civile et Commerciale, 1er juillet 1997), que la société PREMOTO, distributeur exclusif jusqu’en 1996, des produits de la firme japonaise TOYOTA MOTORS COMPANY (TMC), a signé le 29 août 1996 avec la société TOYOTA SERVICE AFRIQUE dite TSA, créée en 1996, un contrat de concession commerciale, comportant une clause compromissoire sous réserve de référer dans certaines conditions;qu’en avril et mai 1997, PREMOTO a commandé à TSA, puis payé au comptant, suivant les exigences de la Convention des Parties, plus de deux cents véhicules, pour un montant supérieur à deux milliards;que s’étant heurtée au refus de livraison de ces produits, elle assigna le concédant devant le juge des référés, en délivrance desdits véhicules, sous astreinte comminatoire.
Attendu que par ordonnance n 2653 du 2 juin 1997, la juridiction des référés a ordonné la délivrance à PREMOTO, de l’ensemble des véhicules commandés par elle, sous astreinte comminatoire de 5 000 000 de francs par jour de retard.
Attendu que la Cour d’Appel a confirmé cette décision en ce qu’elle a ordonné la restitution par la société TSA, des 226 véhicules détenus par elle, mais a reformé ladite ordonnance en relevant le montant de l’astreinte à la somme de 50 millions de francs par jour de retard.
Attendu que pour faire grief aux juges d’appel d’avoir, en statuant ainsi, violé l’article 106 du Nouveau Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative, en ce qu’ils n’avaient pas obtenu au préalable, les réquisitions du Ministère Public, alors que l’intérêt du litige était supérieur à 25 millions de francs, en tenant compte de la valeur des véhicules réclamés et du montant de l’astreinte.
Mais attendu que le litige portait non pas sur le paiement de somme d’argent, qui n’est pas de la compétence du juge des référés, mais sur la livraison des véhicules achetés par PREMOTO, c’est-à-dire sur une obligation de faire, l’astreinte prononcée n’étant qu’un moyen de coercition du débiteur de cette obligation;que dès lors, au sens du texte susvisé, la cause n’était pas obligatoirement communicable au Ministère Public;d’où il suit que la Cour d’Appel n’a violé aucun texte;que cette branche du moyen n’est pas fondée.
SUR LA DEUXIEME BRANCHE DU MOYEN
Attendu qu’il est encore fait grief à la Cour d’Appel d’avoir, en statuant comme elle l’a fait, violé les articles 2 alinéa 3 de la Convention de New York sur l’Arbitrage, 111 du Contrat de Concession Commerciale, 221 et 226 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative, alors, d’une part, qu’elle aurait dû se dessaisir au profit de la juridiction arbitrale et, d’autre part, qu’il y avait contestation sérieuse, dans la mesure où, selon le pourvoi, il a été démontré que le compte de PREMOTO était débiteur dans les livres de TSA, et que le juge des référés ne pouvait statuer sans analyser au préalable les conditions d’application du contrat de concession, c’est-à-dire sans porter préjudice au principal.
Mais attendu qu’il est constant que le contrat de concession stipulait en son article 8.5 que « les parties peuvent, avant la remise du dossier à l’arbitre et exceptionnellement après, demander à toute autorité judiciaire, des mesures provisoires ou conservatoires, sans pour cela contrevenir à la convention d’arbitrage qui les lie et sans préjudice du pouvoir réservé à l’arbitre à ce titre ».
Attendu que « les mesures provisoires ou conservatoires » dons il est fait mention sont les critères traditionnels de compétence du juge des référés, tel que spécifié à l’article 221 du Code de Procédure Civile Commerciale et Administrative, c’est-à-dire, en clair, que le contrat de concession comportait une clause de référé, de sorte qu’il n’est pas exact de soutenir que les textes visés en cette branche de moyens ont été violés, et que le juge des référés aurait dû se dessaisir au profit de la juridiction arbitrale.
Attendu qu’en réalité, il s’agissait de savoir si le juge des référés n’a pas outrepassé ses pouvoirs.
Attendu que la société PREMOTO, faut-il le rappeler, sollicite la délivrance des véhicules dont elle était devenue juridiquement propriétaire, pour en avoir acquitté le prix, d’un montant total de plus de 2 milliards de francs CFA, étant entendu que la non-exécution de cette obligation par TSA pouvait entraîner l’asphyxie et conséquemment, la faillite du concessionnaire;que sur ce plan, il a été démontré que beaucoup de ses clients, impatients d’attendre, ont annulé leurs commandes et que les autres menaçaient de le faire s’ils n’obtenaient pas satisfaction;que la mesure sollicitée était donc urgente;qu’elle était en plus, provisoire, en attendant la décision de la Cour arbitrale.
Attendu qu’à l’appui de sa demande, PREMOTO a produit tous les documents justificatifs, en particulier des correspondances par lesquelles le concédant reconnaissait avoir reçu le prix des voitures commandées et promettait de les livrer, et le procès-verbal de constat de Maître BOUEDY, Huissier de justice à Abidjan, en date du 07 mai 1997;que du reste, dans son pourvoi formé par exploit d’huissier en date du 14 juillet 1997, TSA reconnaît que PREMOTO a acheté « plus de 200 véhicules ainsi que des lots de pièces de rechange en avril et mai 1997, pour les montants facturés de 2.758.143.551 FCFA (et pas 2.404.628.619 FCFA).
Attendu sans doute, que la société TSA affirme dans le même document, avoir livré lesdits véhicules, alors que précisément, les pièces ci-dessus énumérées démontrent le contraire.
Attendu que tous ces faits résultent de l’évidence sur laquelle le juge des référés s’est fondé pour asseoir sa décision, de sorte qu’il n’est pas juste d’affirmer qu’il a préjudicié au principal.
Attendu que TSA a encore soutenu que PREMOTO était débitrice dans ses livres, tantôt de plus de 5 milliards de francs, tantôt de 2.144.240.128 francs;que d’une part, TSA ne rapporte là encore, la moindre preuve et que, d’autre part, il est constant que le paiement au comptant était une condition sine qua non des échanges commerciaux entre PREMOTO, et TSA;et que les contestations de celles-ci étaient loin d’être sérieuses, parce qu’il ne pouvait y avoir ni dette à la charge de PREMETO, ni donc retard de paiement, ni violation du contrat, étant fait remarquer que pour TSA, chaque retard de paiement constitue une violation de contrat.
Attendu dès lors, qu’il n’y a eu violation d’aucun texte de loi par la Cour d’Appel;que cette branche du moyen n’est pas davantage fondée et doit être rejetée.
SUR LA TROISIEME BRANCHE
Attendu qu’il est enfin reproché aux juges d’appel d’avoir violé l’article 1253 du Code Civil, en ce qu’ils ont donné à PREMOTO le droit absolu de régler à son gré l’imputation des paiements, alors que si « le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer, lorsqu’il paie, quelle dette il entend acquitter », c’est à la condition de ne pas porter atteinte aux prérogatives du créancier.
Mais attendu que le litige ne porte pas sur une demande de paiement de créance;qu’il en résulte que cette branche du moyen n’est pas fondée.
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi formé par la société TSA contre l’arrêt n 912 en date du 1er juillet 1997 de la Cour d’Appel d’Abidjan, Chambre Civile et Commerciale.
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.
Ordonne la transcription du présent arrêt sur les registres du Greffe de la Cour d’Appel d’Abidjan ainsi que sur la minute de l’arrêt entrepris.
Ainsi jugé et prononcé par la Cour Suprême, Chambre judiciaire, Section Civile, en son audience publique du 14 décembre mil neuf cent quatre vingt dix-sept.
Où étaient présents Messieurs : Bamba LANCINE, Conseiller à la Chambre Judiciaire, Président Rapporteur;Bouaffon MONNEY, Yao ASSOMMA, Conseillers;Mensah KOUAN, Secrétaire.
NOTE
L’arrêt rendu par la Cour Suprême de Côte d’Ivoire en date du 4 décembre 1997, est conforme à une jurisprudence africaine sur l’un des effets principaux de la convention d’arbitrage, à savoir, la compétence du juge des référés pour ordonner des mesures provisoires ou conservatoires malgré l’existence de la convention d’arbitrage.
En effet, bien que cette jurisprudence établie ait été parfois contredite, elle vient d’être consacrée par l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, dont l’article 13 al. 4 énonce que « l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle à ce que à la demande d’une partie, une juridiction, en cas d’urgence reconnue et motivée, ou lorsque la mesure devra s’exécuter dans un Etat non partie à l’OHADA, ordonne des mesures provisoires ou conservatoires, dès lors que ces mesures n’impliquent pas un examen du litige au fond pour lequel seul le tribunal arbitral est compétent ».