J-08-180
ARBITRAGE INTERNATIONAL – INSTITUTION PERMANENTE D’ARBITRAGE – MISSION – RELATIONS JURIDIQUES AVEC LES PARTIES – NATURE CONTRACTUELLE – RESPONSABILITE.
INSTITUTION PERMANENTE D’ARBITRAGE – CCI – LOI APPLICABLE – LOI DU SIEGE DE L’INSTITUTION – CONDITIONS ET LIMITES DE LA RESPONSABILITE.
CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME. ART. 6. DELAI RAISONNABLE. MECONNAISSANCE (NON). APPLICATION A UNE ASSOCIATION NE CONSTITUANT PAS UNE JURIDICTION (NON).
LA COUR Internationale d’Arbitrage n’est qu’un service, sans personnalité juridique, de la Chambre de Commerce Internationale (CCI), laquelle jouit de la personnalité juridique.
Les obligations mises à la charge de la Cour Internationale d’Arbitrage engagent juridiquement la CCI, qui par son intermédiaire, doit fournir une structure propre à permettre un arbitrage efficace, c’est-à-dire intervenant avec la célérité escomptée, élaboré conformément aux règles choisies et susceptible de recevoir exécution.
Les parties, ayant clairement manifesté leur volonté commune de faire leur le Règlement de la CCI, ne sauraient critiquer la délimitation de la fonction juridictionnelle du tribunal arbitral qui en résulte, ni le rôle qu’elles ont, par leur convention, confié à la Cour Internationale d’Arbitrage. La communication du projet de sentence à cette dernière s’explique par l’objectif d’efficacité recherché par les parties à l’arbitrage et le désir de leur délivrer une sentence susceptible d’être exécutée;il n’y a pas ingérence dans la mission de l’arbitre ni modification de sa sentence, mais essentiellement fourniture d’un conseil rédactionnel.
La Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui a été signée entre les gouvernements membres du Conseil de l’Europe, s’impose aux Etats signataires et non pas à une association qui ne constitue pas une juridiction. Toute partie, fût-elle une association chargée d’organiser un arbitrage, engage sa responsabilité dès lors qu’elle manque aux obligations contractées.
Cour d’Appel de Paris (1ère Ch. A), 15 septembre 1998 Société Cubic Defense Systems Inc. c/ Chambre de Commerce Internationale.. Revue Camerounaise de l’Arbitrage n 7. Octobre Novembre Décembre 1999, p. 14.
Le 23 octobre 1977, la société de droit américain Cubic Defense Systems Inc. (ci-après dénommée « société CUBIC ») a conclu deux contrats avec le Ministère Délégué de la Guerre pour l’Armement du Gouvernement d’Iran :
un contrat de vente d’un système ACMR.
un contrat de services.
dans lesquels est insérée la même clause compromissoire : « toute controverse, tout différend ou toute réclamation découlant du présent contrat ou y relatif, ou toute violation de ce contrat sera tranché par arbitrage ayant lieu dans la ville de Zurich, Suisse, selon les lois de l’Etat d’Iran en vigueur à la date du présent contrat ».
Au début de l’année 1979, du fait des événements survenus en Iran, l’exécution de ces contrats a alors été interrompue.
Le 25 septembre 1991, la Chambre de Commerce Internationale (ci-après dénommée « CCI »), en référence à cette clause, a reçu une demande d’arbitrage émanant du Ministère de la Défense et du Soutien aux Forces Armées de la République Islamique d’Iran (ci-après dénommée « la partie iranienne ») dirigée contre la société CUBIC.
Par lettre du 3 octobre 1991, le Secrétariat de la Cour Internationale d’Arbitrage (ci-après dénommée CIA), émanation de la CCI, a informé la société CUBIC, de la demande d’arbitrage formulée par le gouvernement iranien, et lui a indiqué que l’article 4-1 du Règlement de la CCI lui accordait un délai de 30 jours pour répondre à cette demande.
A cette lettre, étaient joints le Règlement de Conciliation et d’Arbitrage de la CCI, et les nouvelles règles et usages relatifs aux frais et au paiement de l’arbitrage CCI. Par télécopie, un membre du Cabinet d’Avocats Arent Fox Mc Garrahan & Heard, agissant pour la société CUBIC, confirmait une conversation téléphonique du 10 octobre 1991 par laquelle la CCI avait été informée de la désignation de Monsieur HEARD en tant que représentant de la société CUBIC et sollicitait une prorogation de 45 jours du délai de réponse, délai que le Secrétariat de la CIA lui accordait par courrier du 26 novembre 1991.
Après la désignation des arbitres, celle du Président du tribunal arbitral, le Docteur A, l’ayant été, faute d’accord entre les parties, par la CIA, l’acte de mission a été signé le 14 juillet 1993. Le 11 aoûtt 1993, le Président du tribunal arbitral a notifié aux parties, une ordonnance établissant notamment un calendrier de la procédure.
Le 6 avril 1995, le tribunal arbitral a rendu l’ordonnance de procédure n 6 sur la prescription, décision qualifiée de provisoire et devant être confirmée par une sentence motivée formelle. Cette ordonnance mentionne l’opinion dissidente d’un des arbitres.
Le 17 avril 1995, la société CUBIC a adressé au Secrétariat Général de la CIA, une lettre critiquant cette décision et contenant le passage suivant :
« la décision du Tribunal tourne en dérision cette 6procédure, ainsi que le temps et l’argent que CUBIC s’est vue obligée de dépenser pour se défendre contre une demande vieille de 15 ans et prescrite.
Il n’est pas exagéré pour CUBIC de dire que la Décision et Ordonnance du 6 avril, qui est objectivement insuffisante, non motivée et ultra petita, risque de gravement mettre en cause la crédibilité de la Cour de la CCI au sein de la communauté commerciale et juridique aux Etats-Unis ».
Elle demande dans ce courrier, que les docteurs A. et B. (ce dernier étant l’arbitre désigné par l’Iran) soient remplacés. Le 17 mai 1995, la CIA a décidé de ne pas entreprendre de procédure de remplacement.
Diverses ordonnances sont ensuite intervenues :
l’ordonnance de procédure n 8 du 27 septembre 1995, repoussant la motion déposée par la société CUBIC, en vue d’exclure de nouveaux arguments avancés par la partie iranienne.
l’ordonnance de procédure n 9 du 12 octobre 1995, qui a organisé l’audience prévue pour le 7 novembre 1995.
l’ordonnance de procédure n 10 du 1er décembre 1995, par laquelle des mémoires supplétifs ont été sollicités.
Avant même que le tribunal arbitral ait rendu, le 5 mai 1997, la sentence finale retenant que la société CUBIC devra payer à la République Islamique d’Iran, 2’808’519 $ US, par exploit du 15 janvier 1997, la société CUBIC a assigné, à jour fixe, la CCI, en demandant au Tribunal de Grande Instance de Paris, de :
juger privé de cause et/ou d’objet le rapport contractuel entre la société CUBIC et la CCI, le déclarer nul.
En conséquence.
condamner la CCI à restituer à la société CUBIC, la contre-valeur en francs français, au jour de la demande, de la somme de 185’000 $ US.
la condamner également à lui verser la contre-valeur en francs français, au jour de la demande, de la somme de 1’815’975 $ US, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice matériel.
Subsidiairement.
juger que la CCI n’a pas exécuté les obligations essentielles qu’elle prétendait avoir contractées auprès de la société CUBIC, de telles inexécutions lui étant par ailleurs manifestement imputables.
prononcer la résolution du rapport contractuel entre la société CUBIC et la CCI.
condamner la CCI à restituer la contre-valeur en francs français, au jour de la demande, de la somme de 185’000 $ US.
la condamner également à lui verser la contre-valeur en francs français, au jour de la demande de la somme de 1’815’975 $ US, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice matériel.
Plus subsidiairement.
juger que la CCI n’a pas exécuté les obligations qu’elle prétendait avoir contractées auprès de la société CUBIC, de telles inexécutions lui étant par ailleurs manifestement imputables.
prononcer la résiliation du rapport contractuel entre la société CUBIC et la CCI.
condamner la CCI à verser à la société CUBIC, la contre-valeur en francs français, au jour de la demande, de la somme de 2’000’975,56 $ US, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice matériel de la société CUBIC.
Infiniment subsidiairement.
juger que la CCI n’a pas exécuté ses obligations pré contractuelles envers la société CUBIC, de telles inexécutions lui étant par ailleurs manifestement imputables.
condamner la CCI à verser à la société CUBIC, la somme de 2’000’975,56 $ US, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice matériel ainsi causé.
En tout état de cause.
faire interdiction à la CCI d’intervenir, en quelque façon, dans l’organisation de l’arbitrage opposant la société CUBIC à la République d’Iran, sous astreinte de 5 000 francs par jour de retard dans l’exécution de cette obligation d’abstention, à compter du premier jour suivant la notification du jugement.
Par jugement du 21 mai 1997, le Tribunal de Grande Instance de Paris, après avoir constaté que la loi française était applicable au litige, a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la CCI, a retenu qu’il ne saurait être fait grief à la CCI d’avoir manqué à ses obligations, et a débouté la société CUBIC de ses demandes.
La société CUBIC a interjeté appel de cette décision. Elle reprend devant la Cour, les demandes formulées en première instance.
Après avoir indiqué qu’elle n’a formé aucun recours direct en annulation de la sentence du 5 mai 1997 devant une juridiction helvétique, et qu’elle se réserve la faculté de s’opposer à son éventuel exequatur aux Etats-Unis, elle soutient :
1) Sur la formation du contrat
Le système complexe auquel elle avait adhéré ne faisait peser aucune obligation véritable sur son cocontractant, la CCI, ce qui caractérise le défaut d’objet. En conséquence, les obligations qu’elle avait elle-même consenties se trouvaient sans cause.
Le tribunal a raisonné comme s’il était en présence non pas d’une nullité absolue, insusceptible de confirmation pour absence d’objet et donc de cause, mais d’une nullité relative pour erreur substantielle.
Si l’on étudie le Règlement d’Arbitrage de la CCI, qui forme la matière même du contrat, il en résulte que l’objet des obligations acceptées par la CCI au sens des articles 1108, 1126 et suivants du Code Civil, est essentiellement constitué de prestations fournies par la seule CIA.
De plus, les obligations qui semblent peser sur la CIA, aux termes du Règlement d’Arbitrage, ne sont pas juridiquement contraignantes, celle-ci échappant à toute espèce de contrôle dans l’exécution de ses devoirs. Les prestations promises demeurent en réalité à la discrétion de la CCI. Le débiteur n’a donc contracté qu’une obligation sans objet, contrairement aux dispositions de l’article 1126 du Code Civil, ou, ce qui revient au même, une obligation sous condition purement potestative, nulle en vertu des dispositions de l’article 1174 du même Code.
2) Sur le système d’arbitrage
Le tribunal a fait sienne la conception pernicieuse de l’arbitrage institutionnel, qui inspire le Règlement d’Arbitrage de la CCI. En effet, le système contredit un principe fondamental qui impose la séparation des fonctions juridictionnelles, confiées aux arbitres sur la base d’un compromis et des tâches d’organisation dont un centre d’arbitrage comme la CCI peut être chargée dans les termes d’un simple contrat de services.
Ce principe de séparation des fonctions est consacré par les articles 1451 et 1455 du Nouveau Code de Procédure Civile et inspire directement la jurisprudence française.
Malgré les stipulations de l’article 2 alinéa 1 du Règlement d’Arbitrage, selon lesquelles « la Cour d’Arbitrage ne tranche pas elle-même les différends », le Règlement d’Arbitrage méconnaît, en fait, le principe fondamental intéressant l’ordre public, de séparation des fonctions juridictionnelles et des tâches d’organisation;qu’ainsi, la faculté reconnue à la CIA de statuer sur les demandes en récusation ou remplacement d’arbitres et la possibilité de révision de sentence conduisent à empiéter sur le rôle des arbitres.
En tout état de cause, cette faculté qui s’exerce dans le secret, sans le respect de la contradiction, suffit, par application de l’article 6 du Code Civil, à fonder la nullité absolue du contrat qui la prévoit et qui est, par-là même, vicié dès sa formation.
Le respect rigoureux du règlement litigieux a conduit le tribunal à écarter les reproches faits à la CIA pour avoir refusé, d’une part, de remplacer deux arbitres, et d’autre part, de contrôler l’ordonnance de procédure n 6;le tribunal a méconnu, de la sorte, le droit de la société CUBIC « à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi », droit fondamental garanti à « toute personne » (physique ou morale) par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme du 4 novembre 1950.
3) Responsabilité de la CCI
A supposer que le contrat d’arbitrage ne soit pas nul, la CIA de la CCI n’a strictement effectué aucune diligence quant à la durée de l’arbitrage, qui s’est prolongé sur plus de cinq ans. Elle s’est refusée à vérifier la nature de l’ordonnance de procédure n 6, à ouvrir une procédure de remplacement des arbitres. Elle a ainsi engagé sa responsabilité contractuelle, les inexécutions relevées justifiant le prononcé de la résolution du contrat et l’allocation des dommages-intérêts sollicités sur le fondement des articles 1142 et 1184 du Code Civil.
Les mêmes dommages-intérêts pourraient d’ailleurs être attribués à la société CUBIC, sans qu’il faille prononcer la résolution du contrat litigieux. Il est, en effet, de principe que la responsabilité délictuelle d’une partie à un contrat peut être engagée envers l’autre partie, lorsque celle-ci a été victime d’agissements antérieurs à la formation du contrat – mais s’y rapportant – et qui ont conduit à la conclusion d’une convention dommageable, dont pourtant l’annulation n’est pas décidée. La société CUBIC, qui n’avait pas l’expérience des arbitrages de la CCI, mais qui était liée par une clause d’arbitrage « blanche », a été fortement incitée à adhérer au Règlement d’Arbitrage de la CCI, dans « des conditions certainement fautives », la CCI s’étant gardée d’avertir la société CUBIC de la possibilité, pour elle, de se soustraire au contrat proposé et de lui signaler les particularités du Règlement d’Arbitrage. La CCI doit donc réparation des dommages causés à la société CUBC par « la formation et la déplorable exécution du contrat arraché dans ces conditions ». Elle est en droit d’obtenir la restitution des sommes versées à ce jour à la CCI, au titre des provisions pour frais, soit 185’000 $ US. A défaut de résolution, ce même montant devra lui être versé à titre de dommages-intérêts. Il faut ajouter à ces sommes, les frais, notamment les frais d’avocats, d’experts, de voyages, de retranscription des débats, exposés pour la procédure qui, au 31 janvier 1996, avaient été arrêtés à la somme de $ 1’875’975 et ont sensiblement augmenté.
La Chambre de Commerce Internationale réplique :
1) La recevabilité de l’action en nullité
Les obligations de la CCI ont pour contrepartie celles conjointes des deux parties à l’arbitrage. L’inexistence d’une condition essentielle à l’équilibre de cette convention synallagmatique ne peut donc être appréciée que conjointement à l’égard de la société CUBIC et de la République d’Iran. Dès lors, la nullité invoquée par la société CUBIC, seule, ne saurait être opposable à l’autre partie et ne peut donc être que relative. Le contrat la liant à la société CUBIC ayant été formé, au plus tard, le 20 décembre 1991, la nullité invoquée pour la première fois dans l’assignation de janvier 1997, l’a été hors du délai de 5 ans imparti par l’article 1304 du Code Civil.
2) Le système CCI
La CCI a pour objet, en sa qualité d’Organisation internationale non gouvernementale, de favoriser le développement du commerce mondial, et à ce titre, exerce son activité dans tous les domaines susceptibles de participer à cet essor, avec le concours de toutes les entreprises ou les particuliers qui adhèrent à ses statuts.
La CIA n’exerce aucune mission juridictionnelle;les mesures qu’elle prend ne font que participer à l’administration de la procédure arbitrale, mesures dès lors non susceptibles de contrôle en tant que telles, mais participant de l’exécution – conformément à son règlement –, de la mission impartie.
LA COUR Internationale d’Arbitrage, qui ne tranche pas elle-même les différends (article 2 du Règlement) et n’a donc, comme la plupart des institutions d’arbitrage, aucune fonction juridictionnelle, a été ainsi conçue comme organisme autonome et indépendant, pour qu’elle puisse remplir la mission qui lui est dévolue;ses décisions n’ont, par nature, aucune autorité de la chose jugée et, dans la mesure où elles participent de la sentence qui sera rendue, leur validité pourra être examinée lors du contrôle éventuel des juges étatiques sur la sentence ou l’exécution de celle-ci. Le système d’arbitrage institué par la CCI ne va pas à l’encontre de la séparation des fonctions juridictionnelles et des tâches d’organisation;il ne limite pas la garantie procédurale d’indépendance et d’impartialité des arbitres dont bénéficient les parties.
Les décisions de la CIA, rendues sur les demandes de récusation/remplacement d’arbitres, étant du domaine de la mise en place du tribunal arbitral, relèvent des tâches d’administration de l’arbitrage. Le contrôle de la CIA sur les projets de sentence, conformément à l’article 21 du Règlement, n’a pour but que d’assurer à la sentence rendue, une plus grande efficacité.
La CIA n’étant pas un tribunal, n’est pas soumise aux dispositions de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
L’objet du contrat conclu avec la CCI est la fourniture d’un règlement permettant d’organiser un arbitrage. Il lui impose de mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour faire respecter ledit règlement par les parties et par les arbitres, sans pour autant s’immiscer dans le processus de résolution du litige arbitré. De ce fait, le règlement met à la charge de la CIA, des obligations juridiquement contraignantes. Un manque d’indépendance ou une inertie préjudiciable à la procédure d’arbitrage pourrait, en principe, lui être justement reproché.
La CCI est responsable des mesures prises par la CIA et en répondrait, si elles n’avaient pas été prises en conformité avec le Règlement. Il ne saurait donc être question d’obligation sans objet ou sous condition purement potestative.
Les observations de la société CUBIC relativement à la durée de l’arbitrage, ne sont pas pertinentes, la CIA ayant régulièrement prorogé le délai de l’arbitrage, chaque fois que celui-ci venait à terme sans qu’aucun motif ne lui soit imputable.
Pas davantage, on ne saurait lui reprocher d’avoir refusé de contrôler l’ordonnance de procédure n 6, comme constituant une sentence soumise à l’article 21 du Règlement, la CCI n’ayant aucune qualité pour se substituer aux arbitres ou aux juridictions de contrôle, pour qualifier les décisions prises en toute indépendance.
Le refus d’ouvrir une procédure de remplacement des arbitres est une simple décision d’administration d’arbitrage, prévue comme telle par le Règlement et la commune intention des parties.
La société CUBIC, qui est la mieux à même de connaître la portée des contrats qu’elle a signés, ne saurait se plaindre de ce que la CCI n’ait pas attiré son attention sur le fait que la convention d’arbitrage ne comportait pas l’indication de la CCI comme institution d’arbitrage. Ayant répondu à la demande d’arbitrage, participé à la désignation des arbitres, payé la quote-part de l’avance des frais, elle est mal venue à prétendre que son consentement n’a pas été acquis quant au choix de l’arbitrage de la CCI.
La CCI demande de déclarer la société CUBIC irrecevable en sa demande en nullité du contrat arbitral, à raison de la prescription acquise;de déclarer cette dernière, en tout cas, mal fondée en ses demandes de nullité, résolution, résiliation du contrat arbitral, comme en sa demande en responsabilité pré contractuelle.
Les parties sollicitent réciproquement l’allocation d’une somme, sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
SUR CE, LA COUR
Considérant qu’il convient de constater qu’en cause d’appel, les parties sont d’accord pour admettre que le droit français est applicable au présent litige.
Sur la nullité pour défaut de cause
Considérant, selon l’article 1304 du Code Civil, que dans tous les cas où l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
Considérant que, pour rejeter l’application de ce texte, sollicitée par la CCI, les premiers juges ont retenu que la nullité pour absence de cause qui sanctionne l’inexistence d’une condition essentielle à l’équilibre des conventions synallagmatiques, est une nullité absolue relevant, non des dispositions de l’article 1304 du Code Civil, mais de la prescription trentenaire prévue par l’article 2262 du même Code.
Mais, considérant que seul l’intérêt patrimonial de la société CUBIC est susceptible d’être affecté par la prétendue absence de cause des obligations qui lui incombent en vertu du contrat litigieux;qu’il s’ensuit que la prescription de l’action en nullité de celui-ci obéit à la règle édictée par le texte précité.
Considérant que le contrat d’arbitrage ayant été conclu le 20 décembre 1991, l’action en nullité formée par la société CUBIC, le 9 janvier 1997, est prescrite.
Sur la nullité pour illicéité
Considérant que l’examen de ce reproche commande que soit préalablement analysée la nature des relations existant entre la société CUBIC et la CCI.
Considérant qu’en adressant son mémoire en réponse contenant la demande reconventionnelle, la société CUBIC, qui avait reçu le 03 octobre 1991, le Règlement de Conciliation et d’Arbitrage de la CCI et les nouvelles règles et usages relatifs aux frais, a ainsi donné son accord pour qu’un arbitrage soit organisé par la CCI.
Qu’en effet, la lecture de l’article 7 du Règlement d’Arbitrage portait à sa connaissance que, si elle ne répondait pas dans le délai de trente jours ou déclinait l’arbitrage, la partie iranienne serait informée que l’arbitrage ne pouvait avoir lieu.
Considérant que du fait de l’acceptation de l’arbitrage par la société CUBIC, celle-ci a accepté le Règlement de la CCI, qui met à sa charge, notamment :
1) le règlement des provisions.
2) le respect des délais et des formes (nombre d’exemplaires de chaque mémoire) pour formuler la réponse à la demande et la demande reconventionnelle.
Que ce même Règlement met à la charge de la CIA, de :
1) nommer ou confirmer les arbitres (article 2.1).
2) nommer le troisième arbitre (article 2.4).
3) se prononcer sur la recevabilité et sur le bien-fondé de la demande de récusation (article 2.9).
4) procéder au remplacement d’un arbitre (article 2.11).
5) obtenir une décision de l’arbitre dans le délai de 6 mois, sauf prorogation (article 18).
5) revoir la forme du projet de sentence définitive de l’arbitre.
7) notifier la sentence.
Considérant, selon ledit Règlement (article 1er), que la CIA est un organisme international d’arbitrage, dont les membres sont nommés par le Conseil de la CCI, et qui a pour mission de procurer une solution arbitrale à des différends intervenant dans le domaine des affaires.
Que la CIA qui, à la différence de la CCI, ne jouit pas de la personnalité juridique, n’est qu’un service de cette dernière, affecté à une certaine finalité – le règlement arbitral des litiges – et dont l’indépendance résulte de ses statuts.
Que les obligations mises à la charge de la CIA engagent donc juridiquement la CCI, qui par son intermédiaire, doit non pas trancher le litige – ce qui est exclu par l’article 2 du Règlement et relève de la mission spécifique de l’arbitre ou du tribunal arbitral –, mais fournir une structure propre à permettre un arbitrage efficace, c’est-à-dire intervenant avec la célérité escomptée, élaboré conformément aux règles choisies et susceptible de recevoir exécution.
Considérant que la société CUBIC soutient que le contrat d’arbitrage est illicite pour porter atteinte à la distinction des fonctions juridictionnelles et d’organisation d’un arbitrage.
Considérant que s’il importe que la sentence définitive soit l’opinion exacte de l’arbitre, la voie à suivre pour parvenir à l’élaboration de celle-ci doit essentiellement correspondre à la volonté commune des parties, qui sont maîtresses de leurs droits et de la façon de les exercer.
Qu’en l’espèce, cette volonté commune s’est clairement manifestée pour faire sien le Règlement de la CCI;que par suite, les parties ne sauraient critiquer la délimitation de la fonction juridictionnelle du tribunal arbitral qui en résulte, ni le rôle qu’elles ont, par leur convention, confié à la CIA.
Que s’il est vrai que la CIA doit faire preuve en toutes circonstances d’une prudence particulière et œuvrer avec équité à la réalisation de son objet, il n’est pas démontré qu’elle ait manqué à cette obligation;que de surcroît, il convient de noter que la communication du projet de sentence à la CIA s’explique par l’objectif d’efficacité recherché par les parties à l’arbitrage et le désir de leur délivrer une sentence susceptible d’être exécutée;qu’il n’y a pas ingérence dans la mission de l’arbitre ni modification de sa sentence, mais essentiellement, fourniture d’un conseil rédactionnel.
Considérant que la société CUBIC prétend que le contrat d’arbitrage méconnaît les droits garantis par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Mais, considérant que cette société n’établit nullement que sa cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable, eu égard à la complexité de l’affaire, par un tribunal impartial et indépendant des parties;qu’au surplus, ladite Convention du 4 novembre 1950, qui a été signée entre les gouvernements membres du Conseil de l’Europe, s’impose aux Etats signataires et non pas à une association qui ne constitue pas une juridiction.
Considérant, dans ces conditions, que les premiers juges ont retenu à bon droit la validité du contrat d’arbitrage.
Sur la faute dans l’exécution du contrat
Considérant que toute partie à une convention, fût-elle une association chargée d’organiser un arbitrage, engage sa responsabilité dès lors qu’elle manque aux obligations contractées;qu’en l’espèce, aucune clause de non responsabilité n’est invoquée par la CCI, celle figurant dans son nouveau Règlement, édicté postérieurement à la conclusion du contrat litigieux – à la supposer même efficiente – n’étant pas applicable au présent litige.
Considérant que la société CUBIC reproche à la CCI, d’une part, de n’avoir strictement effectué aucune diligence quant à la durée de l’arbitrage – qui s’est prolongé sur plus de 5 ans, d’autre part, de n’avoir pas vérifié la nature de l’ordonnance n 6, enfin, de s’être refusée à ouvrir une procédure de remplacement des arbitres.
Considérant, sur le premier grief, qu’il ne suffit pas pour engager la responsabilité de l’intimée, que la société CUBIC regrette que l’arbitrage, prévu pour durer 6 mois, ait perduré pendant 5 ans;qu’il lui incombe de démontrer que la CIA de la CCI, en accordant – comme le prévoit le Règlement – telle ou telle prorogation de délai, a commis un manquement aux obligations contractées par la CCI.
Que ne formulant à ce sujet aucune critique précise, la société CUBIC doit être déboutée de sa contestation de ce chef, alors, au surplus, qu’il résulte des pièces versées aux débats, que les prorogations accordées, d’ailleurs pour certaines à la demande de la société CUBIC elle-même, étaient justifiées par la complexité de l’affaire et le souci d’un débat loyal.
Considérant, sur le deuxième grief relatif à la qualification de l’ordonnance n 6, que la société CUBIC n’indique pas de quel texte la CIA tiendrait le pouvoir de qualifier cette ordonnance rendue par les arbitres, alors que ni les dispositions de l’article 21 du Règlement d’Arbitrage, ni celles de l’article 17 du Règlement Intérieur ne l’autorisaient à substituer sa propre appréciation à celle du tribunal arbitral;que, dès lors, la CIA ne pouvait qu’inviter, comme elle l’a fait le 19 juin 1995, les arbitres à vérifier si l’ordonnance devait être considérée comme une sentence en vertu de la loi applicable.
Considérant, sur le troisième grief, qu’il n’est pas contesté que la CIA a refusé d’ouvrir une procédure en remplacement des arbitres;que la société CUBIC ne démontre pas en quoi ce refus de la CIA a été fautif, alors que la volonté commune des parties à l’arbitrage, en adhérant aux statuts de la CCI, a été que la CIA prenne sa décision sur une telle demande, comme elle l’a fait le 17 mai 1995, au vu des seules explications écrites des parties à l’arbitrage, sans recours (article 2.13) et sans que les motifs de sa décision ne soient communiqués.
Sur la responsabilité extracontractuelle de la CCI
Considérant que la société CUBIC, qui soutient qu’elle n’avait pas l’expérience des arbitrages de la CCI, affirme qu’elle a été « fortement incitée à adhérer au Règlement d’Arbitrage de la CCI, dans des conditions certainement fautives », la CCI jouant de sa réputation et s’étant gardée de l’avertir de la liberté dont elle disposait de se soustraire au contrat proposé, comme de lui signaler les particularités de ce Règlement.
Considérant que, même à supposer que la société CUBIC n’ait pas l’habitude des arbitrages, ce qui est douteux eu égard à son activité, il convient de remarquer qu’elle a été, dès l’origine, destinataire du Règlement d’Arbitrage et de ses annexes, texte complet, suffisamment court et clair pour être compris par tout entrepreneur, et de la lecture duquel il résultait qu’elle pouvait ne pas répondre, ce qui aurait pour effet de ne pas saisir la CCI;qu’au surplus, son acceptation de l’organisation de l’arbitrage par la CIA s’est faite par l’intermédiaire d’un spécialiste du droit, le Cabinet d’Avocats Arent Fox Mc Garrahan & Heard.
Considérant que la société CUBIC, qui n’invoque pas le dol, n’établit pas que la CCI ait manqué à son obligation d’information;que sa réclamation en ce qu’elle est fondée sur leur faute extracontractuelle doit donc être rejetée.
Considérant qu’il s’ensuit que la CCI doit être déboutée de toutes ses demandes, en ce compris, celle fondée sur l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Qu’en revanche, il y a lieu d’allouer, sur ce même fondement, la somme de 20 000 francs à la CCI.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf celle rejetant la fin de non-recevoir soulevée par la CCI.
Le réformant de ce chef.
Déclare irrecevable l’action de la société CUBIC tendant à faire juger nul le contrat, pour défaut de cause et d’objet.
Y ajoutant.
Condamne la société CUBIC à payer à la Chambre de Commerce Internationale (CCI), la somme de 30 000 francs en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
MM. CHARRUAULT, prés.;GARBAN, LE DAUPHIN, cons.;Mme GIZARDIN, subst.;Mes VAISSE, MOREAU, av.
NOTE
L’arrêt rapporté a le mérite de rappeler le rôle de la Chambre de Commerce Internationale, de même que les obligations de la Cour Internationale d’Arbitrage en tant que centre d’arbitrage, et d’une manière générale, les fonctions d’une institution d’arbitrage en matière d’administration des arbitrages.
Après avoir clairement exposé les faits de la cause, la Cour d’Appel de Paris, pour rejeter le grief de la société CUBIC, fondé sur la longueur anormale de l’arbitrage, énonce « qu’il ne suffit pas pour engager la responsabilité de l’intimée, que la société CUBIC regrette que l’arbitrage prévu pour durer six mois, ait perduré pendant 5 ans;qu’il lui incombe de démontrer que la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale, en accordant – comme le prévoit le Règlement – telle ou telle prorogation de délai, a commis un manquement aux obligations contractées par la Chambre de Commerce Internationale ».
LA COUR de Paris relève, ensuite, que les prorogations accordées, d’ailleurs pour certaines à la demande de la société CUBIC elle-même, qui dénonce la longueur anormale de la procédure, étaient justifiées par la complexité de l’affaire et le souci d’un débat loyal;sur quoi, ladite juridiction conclut à la non existence d’une faute imputable à la Cour Internationale d’Arbitrage dans la conduite de la procédure arbitrale en cause.
Il résulte de cette motivation de la Cour d’Appel de Paris, que les parties ayant convenu d’enfermer la durée de la procédure arbitrale dans un délai de six mois, ce délai peut être prorogé par l’institution d’arbitrage, à la demande et parfois avec l’accord des parties. C’est d’ailleurs ce que prévoient, tant l’ancien Règlement que le nouveau Règlement d’Arbitrage de la CCI. Il résulte, en effet, de l’article 18 du Règlement 1988, en vigueur à l’époque des faits, que « le délai dans lequel l’arbitre doit rendre sa sentence est fixé à six mois (art18.1); » la Cour peut, sur demande motivée de l’arbitre et au besoin d’office, prolonger ce délai, si elle l’estime nécessaire » (art. 18.2).
Quant au nouveau Règlement de 1998, il indique que « le tribunal arbitral rend sa sentence dans un délai de six mois. » (art. 24.1); » la Cour peut, sur demande motivée du tribunal arbitral ou au besoin d’office, prolonger ce délai, si elle l’estime nécessaire » (art. 24.2).
Cette règle de prorogation du délai dans lequel la sentence arbitrale doit être rendue existe également dans le Règlement d’Arbitrage de la toute nouvelle Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (art 15.4), de même que dans l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage dans le cadre du Traité OHADA (art 12 2). La même règle se retrouve d’ailleurs dans la plupart des règlements d’arbitrage.
La prorogation est ordonnée, soit à la demande du tribunal arbitral, soit d’office par le centre d’arbitrage, en arbitrage institutionnel, lorsque ledit centre estime que les circonstances l’exigent. C’est dire que le centre d’arbitrage dispose d’un pouvoir d’appréciation dans la prorogation du délai dans lequel la sentence doit intervenir.
Il importe que ce pouvoir de prorogation soit utilisé avec un maximum de circonspection, dans le souci de ne pas allonger inutilement la procédure arbitrale, car la rapidité est l’une des caractéristiques de l’arbitrage, et constitue l’une des raisons pour lesquelles les parties lui préfèrent la justice étatique.
Dans l’espèce rapportée, la Cour d’Appel de Paris justifie la longueur de la procédure arbitrale par la complexité de l’affaire et le souci d’un débat loyal. Elle précise que certaines des prorogations avaient été sollicitées par la société CUBIC, qui se plaignait ensuite de la longueur anormale de la procédure. La Cour de Paris en arrive à la conclusion qu’une institution d’arbitrage qui s’engage à faire rendre une sentence arbitrale dans le délai de six mois, ne commet aucune faute, si la sentence n’intervient que 5 ans plus tard, les prorogations de délai ayant, d’une part été sollicitées par la partie plaignante, et étant, d’autre part, justifiées par la complexité de l’affaire et le souci d’un débat loyal.
Loin d’encourager les arbitres et centres d’arbitrage à autoriser systématiquement des extensions de délais, la décision de la Cour d’Appel de Paris devrait plutôt inviter à la prudence, car des plaideurs vicieux peuvent, comme en l’espèce, solliciter des extensions et, ensuite, si tel est leur intérêt, soutenir que l’arbitre ou l’institution d’arbitrage ont commis une faute en accédant à leur demande de prorogation.
Dans ces conditions, même si l’on comprend que le souci d’un débat loyal et la complexité d’une affaire puissent justifier des prorogations de délai, il importe de ne pas perdre de vue qu’à l’opposé de la Cour d’Appel de Paris, une autre juridiction étatique pourrait juger qu’un centre d’arbitrage commet une faute en prorogeant régulièrement les délais de production de la sentence, même lorsque lesdites prorogations sont sollicitées par les parties, et alors même qu’un règlement d’arbitrage auquel les parties ont souscrit autorise la prorogation.
Face aux critiques de plus en plus nombreuses formulées contre les lenteurs des procédures arbitrales, il convient que les arbitres et centres d’arbitrage n’oublient pas que la célérité doit demeurer l’un des attraits de l’institution arbitrale.
Gaston KENFACK DOUAJNI.