J-08-184
Sentences arbitrales – Exécution – Ordonnances d’exequatur – DECISIONS ORDONNANT L’EXECUTION PROVISOIRE – ACCORD DE COOPERATION FRANCO-CAMEROUNAIS DU 21 FEVRIER 1974 EN MATIERE DE JUSTICE.
Article 30 AUA ET SUIVANTS
Ordonnance n 955 du Président du Tribunal de Première Instance de Douala. Revue Camerounaise de l’Arbitrage n 10. Juillet-Août-Septembre 2000, p. 7, note Tchakoua Jean-Marie.
Nous, PRESIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE DOUALA
Vu la requête à l’appui.
Vu la sentence arbitrale rendue au deuxième degré par la Chambre Arbitrale des Café et Poivres du Havre, le 19 décembre 1990 dans le litige opposant la société A, dont le siège social est à Paris, 18 Avenue Matignon, et B à Douala.
Attendu que ladite sentence a été rendue suivant les formes prescrites, et qu’elle ne contient rien de contraire à l’ordre public.
Vu l’article 286 du Code de Procédure Civile et Commerciale.
Vu l’article 36 de l’Accord de Coopération franco-camerounais du 21 février 1974 en matière de justice.
Vu l’article 32 de la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques.
Ordonnons que la sentence arbitrale du 19 décembre 1990 sera exécutée sur tout le territoire du Cameroun, selon ses formes et teneur.
Ordonnons l’exécution provisoire de la présente ordonnance sur minute et avant enregistrement.
Fait en notre Cabinet, à Douala, le 23 février 1998.
Le PRESIDENT DU TRIBUNAL
2). Ordonnance n 1271 du Président du Tribunal de Première Instance de Yaoundé
Nous, PRESIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE YAOUNDE, JUGE DES REQUETES
Vu l’original de la sentence arbitrale rendue le 10 mars 2000.
Vu la police d’assurance contenant la clause d’arbitrage en son article 9.
Vu les articles 30 et suivants de l’Acte uniforme OHADA relatif au droit de l’arbitrage.
Vu l’article 13.2 de l’ordonnance n 72/04 du 26 aoûtt 1972 portant organisation judiciaire modifiée.
Autorisons Monsieur le Greffier en Chef de notre tribunal à apposer la formule exécutoire sur la sentence arbitrale rendue le 10 mars 2000 par le tribunal arbitral composé de Monsieur X, Madame Y et Monsieur Z, dans l’affaire opposant A à B et dont la teneur est la suivante :
« PAR CES MOTIFS, Après avoir entendu les parties et après en avoir délibéré.
Sur l’exception d’irrégularité soulevée par A :
Reçoit la défenderesse en ses exceptions.
Mais, l’y dit non fondée.
Les rejette en conséquence.
Sur les demandes de B :
Reçoit la requérante en ses demandes.
Condamne A à lui payer la somme de 5.842.500 répartie comme suit :
– Montant fixé par l’ordonnance n 2224 : 2.342.500.
– Frais de procédure : 500 000.
– Dommages-intérêts : 300 000.
Déboute la demanderesse du surplus de sa demande comme non fondé, notamment :
– les honoraires d’arbitres.
– les honoraires d’avocats.
Arrête les frais de la présente procédure à la somme de 200 000 francs.
Accorde l’exécution provisoire de la présente sentence.
Disons la présente ordonnance exécutoire sur minute et avant enregistrement.
Fait en notre Cabinet sis au Palais de Justice de Yaoundé, le 29 mars 2000.
NOTE
Ces deux ordonnances feront sans doute date dans les annales judiciaires au Cameroun. Elles devraient cette considération particulière, entre autres, au moment où elles ont été rendues, à savoir à l’aube du développement de la justice arbitrale au Cameroun et en Afrique. Le cadre juridique de l’arbitrage a été depuis peu rénové, mais on s’inquiétait un peu que la pratique ne suive pas.
Ces ordonnances doivent être situées dans le cadre du rôle que le juge étatique joue dans le développement de la justice arbitrale. Faut-il le rappeler, l’arbitrage est un mode privé de règlement des litiges, fondé sur la convention des parties;il se caractérise par la soumission d’un litige à de simples particuliers choisis par les parties. Mais, justement parce que les arbitres sont des juges privés, ils ne disposent pas d’imperium, qui est le pouvoir de contraindre, et ne peuvent donc prononcer des injonctions. Leurs décisions ne peuvent pas faire l’objet d’exécution forcée. C’est une tare dont la sentence peut être relevée, si elle bénéficie d’une décision d’exequatur de la part du juge étatique délégataire de la souveraineté.
Dans le cadre particulier de l’espace juridique de l’OHADA, la nécessité de l’exequatur des sentences de l’arbitrage traditionne1 est rappelée par l’article 30 de l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage : « La sentence arbitrale n’est susceptible d’exécution forcée qu’en vertu d’une décision d’exequatur rendue par le juge compétent dans l’Etat partie ».
Cependant, et comme le montre bien l’Ordonnance du Président du Tribunal de Première Instance de Douala ci-dessus, avant l’adoption de l’Acte uniforme de l’OHADA, le droit camerounais offrait déjà des possibilités d’obtenir l’exequatur des sentences arbitrales. Outre les dispositions du Code de Procédure Civile et Commerciale sur l’arbitrage, on pouvait recourir aux conventions internationales. L’Acte uniforme de l’OHADA n’ignore pas ces textes conventionnels, qui sont en vérité assez disparates. Il pose au contraire, que les sentences arbitrales rendues sur le fondement des règles différentes de celles qu’il prévoit, sont reconnues, dans les Etats Parties, dans des conditions prévues par les conventions internationales éventuellement applicables, et à défaut, dans les mêmes conditions que celles qu’elle prévoit. Le principe est donc le respect des conventions présentes et à venir. Il en résulte que le droit de l’exequatur se présente en un bloc homogène qui constitue le droit commun, et un autre bloc fait d’éléments divers qui constituent autant de régimes particuliers que des différences peuvent être relevées.
Cependant, ni ces conventions, ni l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage ne donnent suffisamment d’indications sur le régime de l’exequatur. La notion d’exequatur même n’est pas définie par le législateur, ce qui peut expliquer un certain nombre de difficultés. Les définitions qu’en donnent les auteurs montrent toutes les équivoques ou les malentendus que recèle le droit de l’exequatur. Guillien et Vincent définissent l’exequatur en matière d’arbitrage, comme un « Ordre d’exécution, donné par l’autorité judiciaire, d’une sentence rendue par une justice privée ». Autrement dit, si l’on utilise une formule imagée, on dirait que l’exequatur est un « bon pour exécution ».
Si cette définition n’est pas erronée, elle met beaucoup l’accent sur l’imperium du juge de l’exequatur, sans doute au détriment de la fonction juridictionnelle, qui est ainsi ignorée et au mieux, éclipsée. Or, l’ordre d’exécution est donné à l’issue d’un examen par le juge, cet examen fût-il essentiellement formel. L’ordre d’exécution n’est que l’objet de la décision qui est prise par le juge de l’exequatur. Gérard CORN fait bien cette nuance, lorsqu’il définit l’exequatur en matière d’arbitrage, comme la « Décision par laquelle le Tribunal de Grande Instance donne force exécutoire à une sentence arbitrale;désigne aussi bien l’objet ou l’effet de la décision d’ordre d’exécution. La présentation a l’avantage de montrer qu’en l’exequatur, sont réunis tous les attributs de la fonction du juge étatique : la jurisdictio, qui est le pouvoir de dire le droit, et l’imperium, qui est le pouvoir de commander que la solution retenue soit respectée.
Ces précisions sur la notion d’exequatur éclairent un certain nombre d’options, qui étaient offertes aux juges dans les ordonnances ci-dessus. Les solutions adoptées ne sont pas toujours approuvées. Mais, dans le contexte de nouveauté qui était le leur, et dans une matière qui est loin d’être d’appréhension évidente, les ordonnances commentées ont l’indéniable mérite de fournir quelques précieuses précisions sur le régime de l’exequatur. En particulier, chacune des ordonnances permet de se faire une idée sur le juge compétent (I), le contrôle à effectuer pour l’exequatur (II). et la décision que peut prendre le juge saisi d’une demande d’exequatur (III).
I. Le juge compétent en matière d’exequatur
L’interrogation sur le juge compétent en matière d’exequatur des sentences arbitrales n’est pas nouvelle au Cameroun. Mais, son intérêt a accru avec l’adoption de l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage, qui a renvoyé la question de la détermination de ce juge à la compétence des Etats Parties.
La question recouvre deux aspects : la compétence d’attribution (A). et la compétence territoriale (B).
A. La compétence d’attribution en matière d’exequatur
On ne peut résoudre la question de la compétence d’attribution en matière d’exequatur, si on ne se rappelle pas la définition de l’exequatur, et plus précisément, le rôle du juge de l’exequatur. Celui-ci donne un ordre d’exécution après s’être assuré, prima facie, que la sentence qui lui est présentée est régulière.
La délivrance de l’ordre d’exécuter suppose donc un contrôle de régularité, mais un contrôle formel, c’est-à-dire un contrôle qui ne tend pas à réexaminer le fond de l’affaire déjà tranchée par l’arbitre. On souligne utilement que le contrôle à effectuer est un contrôle d’apparence de régularité.
C’est, en considération de ce caractère particulier du contrôle d’exequatur, qu’il faut réfléchir sur le juge compétent en matière d’exequatur. Les compétences qui s’offrent a priori au premier degré sont : les Tribunaux de Première et Grande Instances, le Président du Tribunal de Première Instance dans sa double fonction de juge des référés et de juge des requêtes, voire le Tribunal du premier degré ou le Tribunal coutumier.
Il semble que pour des raisons pratiques, il faille très rapidement écarter la compétence des juridictions de droit traditionnel. Leur composition ne les prédispose pas à s’acquitter convenablement de la tâche de contrôle de régularité des sentences arbitrales.
Il reste à trancher entre les juridictions de droit dit moderne, qui offrent a priori leur compétence. Deux démarches se présentent, qui conduisent fort heureusement au même résultat. Tout d’abord, on peut partir du caractère de la procédure d’exequatur, pour identifier le juge compétent. On le souligne assez, l’examen de la demande d’exequatur n’est pas l’occasion d’un débat contradictoire sur la régularité de la sentence arbitrale. La voie qui permet sûrement d’éviter un débat contradictoire est celle de l’ordonnance sur requête. Si l’on admet l’idée de rechercher l’exequatur par ordonnance sur requête, la suite de l’analyse devient assez simple : le juge compétent est le juge des ordonnances sur requête. Quel est ce juge en droit camerounais ? La réponse est fournie par la loi n 89/019 du 29 décembre 1989 modifiant et complétant certaines dispositions de l’ordonnance n 72/04 du 26 aoûtt 1972 portant organisation judiciaire. Cette loi a fait du Président du Tribunal de Première Instance, le juge de droit commun des ordonnances sur requête. En effet, l’article 13 alinéa 2 de l’ordonnance sur l’organisation judiciaire telle que modifiée, dispose que le Président du Tribunal de Première Instance ou le juge qu’il délègue à cet effet, rend des ordonnances sur requête. Certes, dans des procédures particulières les présidents d’autres juridictions peuvent rendre des ordonnances sur des objets précis. Mais, hors de ces solutions particulières clairement dégagées par le législateur, on doit s’adresser au Président du Tribunal de Première Instance pour des ordonnances sur requête.
Ensuite, on peut déterminer le juge compétent en procédant à une lecture audacieuse des textes. La démarche consisterait à soutenir la survivance de l’article 593 du Code de Procédure Civile et Commerciale désignant, pour accorder l’exequatur des sentences arbitrales, le Président du Tribunal de Première Instance ou de la juridiction y tenant lieu, lequel rend une ordonnance.
Certes, il est tentant d’écarter rapidement ce texte, au motif qu’il est abrogé depuis l’adoption de l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage. En effet, l’article 35 de cet Acte dit que celui-ci tient lieu de loi sur l’arbitrage dans les Etats Parties, et l’article 10 du Traité OHADA dispose que les Actes uniformes abrogent dans les Etats, toutes les dispositions antérieures ou postérieures contraires. Mais, pour deux raisons, les dispositions du Code de Procédure Civile et Commerciale sur la compétence en matière d’exequatur, pourraient demeurer applicables : d’une part, elles concernent avant tout l’organisation judiciaire, nullement comprise dans le domaine de l’unification des règles;d’autre part, elles ne sont, ni dans la lettre, ni dans l’esprit, contraires à l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage.
Sans doute, l’article 593 du Code de Procédure Civile et Commerciale est dans une certaine mesure, dépassé par l’organisation judiciaire. Mais, il a le mérite d’indiquer que la voie appropriée pour l’exequatur est celle de l’ordonnance sur requête. Et par une heureuse coïncidence, il désigne pour l’exequatur, le Président du Tribunal de Première Instance, résultat auquel on aboutit en réfléchissant à partir du caractère de la procédure d’exequatur.
Les Présidents des Tribunaux de Première Instance de Douala et de Yaoundé ont donc pu, très judicieusement, rendre sur requête des ordonnances d’exequatur.
Cependant, on peut se rendre compte que le Président du Tribunal de Première Instance de Douala ne vise pas l’article 593 du Code de Procédure Civile et Commerciale. Ce silence peut se comprendre dans deux sens alternatifs. Tout d’abord, il peut se fonder sur l’argument que les dispositions du Code de Procédure Civile et Commerciale sur l’arbitrage ne visent que les sentences rendues au Cameroun, et ne peuvent donc être utilisées pour les sentences rendues à l’étranger.
L’argument a déjà été développé dans une instance en exequatur devant le Tribunal de Grande Instance de Douala. Mais, il est gênant, en particulier lorsque n’existe aucun autre texte auquel on peut avoir recours. La gêne est à peine atténuée par la Convention de New York sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, ratifiée par le Cameroun. Ce texte règle essentiellement les conditions de l’exequatur et renvoie au droit interne, la détermination des modalités d’exequatur.
Au juste, en cas de carence, on pouvait étendre aux sentences rendues à l’étranger, les dispositions du Code de Procédure Civile et Commerciale, au besoin en les adaptant. C’est la solution qui était plausible avant l’adoption de l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage. Elle a été appliquée en France avant l’adoption de dispositions spécifiques à l’arbitrage intemationa1.
Ensuite, le silence gardé sur l’article 593 du Code de Procédure Civile et Commerciale peut s’expliquer par l’idée que rendue en France, la sentence arbitrale est soumise, pour son exequatur, à l’Accord de Coopération Judiciaire franco-camerounais du 21 février 1974. Cet Accord règle la question de l’exequatur des sentences arbitrales par emprunt des solutions adoptées, en ce qui concerne les jugements étrangers. Cette analyse paraît d’autant plus plausible que le Président du Tribunal de Première Instance de Douala cite au visa de sa décision, l’Accord franco-camerounais, plus précisément son article 36, qui dispose que « L’exequatur est accordé à la demande de toute partie par l’autorité compétente d’après la loi de l’Etat où il est requis ».
Cependant, comme on peut s’en apercevoir à la lecture de cet article 36, l’Accord franco-camerounais ne règle pas complètement les modalités de l’exequatur. En particulier, il laisse au droit interne, le soin de désigner l’ » autorité compétente » à cet effet.
Le juge s’est alors vu obligé de recourir à l’article 286 du Code de Procédure Civile et Commerciale, qui prévoit que les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers ne seront susceptibles d’exécution au Cameroun, qu’autant qu’ils auront été déclarés exécutoires par un tribunal camerounais. S’il est désormais certain que l’autorité compétente est judiciaire, demeure la question de savoir quel juge en particulier est compétent.
Au juste, malgré la technique d’emprunt de solution évoquée ci-dessus et par laquelle l’Accord franco-camerounais règle les conditions d’exequatur des sentences, on doit être réservé sur l’assimilation qui est ici faite par le juge, en ce qui concerne les modalités de l’exequatur des sentences : une sentence rendue à l’étranger n’est pas un jugement étranger. Il était donc préférable de rester dans l’esprit de la vieille jurisprudence française demeurée pertinente au Cameroun, qui réglait la question de l’efficacité des sentences rendues à l’étranger, par emprunt des solutions applicables aux sentences locales. Un tel raisonnement aurait commandé qu’on retrouve dans les visas de la décision du juge, l’article 593 du Code de Procédure Civile et Commerciale.
Néanmoins, on doit juger favorable que le Président du Tribunal de Première Instance de Douala ait eu une lecture assez audacieuse de l’article 286 du Code de Procédure Civile et Commerciale, en comprenant notamment que le mot « tribunal » utilisé par le texte n’implique pas forcément qu’on doive recourir à une procédure contradictoire. Le terme fut au contraire entendu comme synonyme de « juridiction » ou de « juge ». L’Accord franco-camerounais offrait à cet égard, une bonne issue en parlant d’ » autorité ». Le juge de l’ordonnance sur requête, qui est le Président du Tribunal de Première Instance, a donc pu juridiquement se reconnaître la compétence pour accorder l’exequatur. Cette lecture de la loi que nous préconisions déjà en ce qui concerne l’exequatur des jugements, est la seule à mesure de garantir l’examen prima facie des sentences arbitrales. En effet, une solution différente conduirait à autoriser un débat contradictoire, qui pousse forcément le juge à procéder à un examen approfondi de la cause, ne serait-ce que pour répondre aux conclusions du défendeur.
B. La compétence territoriale
La question de la compétence territoriale est sans doute moins cruciale que celle de la compétence d’attribution, car en principe, les règles de compétence territoriale sont d’intérêt privé et peuvent donc accepter des dérogations.
Dans les ordonnances commentées, rien ne permet de dire avec certitude, pourquoi on a saisi le Président du Tribunal de Douala ou de Yaoundé, plutôt que le Président du Tribunal de Première Instance d’une autre localité.
Un point est cependant hors de doute : on ne peut ici réfléchir en fonction de l’article 8 du Code de Procédure Civile et Commerciale. Ce texte fixe la compétence territoriale à partir des références comme le défendeur ou le contrat. Or, dans le cadre d’une ordonnance d’exequatur qu’on sollicite, il n’y a point de défendeur, et dans l’exequatur, on ne réfléchit pas à partir d’un contrat, mais d’une sentence qui est rendue.
Les seules compétences raisonnables sont celles du juge du domicile du demandeur, du lieu où la sentence est rendue, ou du lieu de situation des biens sur lesquels on entend procéder à l’exécution forcée. La compétence de la juridiction du domicile du demandeur ne doit être envisagée que pour des raisons de commodité pour ce dernier : pourquoi faudrait-il qu’il aille plus loin solliciter une ordonnance, quand la procédure est unilatérale ?.
La compétence de la juridiction du lieu où la sentence est rendue ne peut quant à elle, s’expliquer que par un souci de rattacher l’arbitrage dont résulte la sentence, au ressort d’une juridiction étatique. C’est la solution que prévoit expressément l’article 593 du Code de Procédure Civile et Commerciale. Dans la logique de cette solution, ce Code oblige les arbitres à déposer, dans les trois jours, la minute de leur sentence au greffe du tribunal dans le ressort duquel elle a été rendue. Mais, cette obligation de dépôt n’a pas été reprise par l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage. Elle ne pouvait pas être reprise dans le contexte actuel où le droit de l’arbitrage est arrivé à quelques certitudes : entre autres, on sait que l’arbitrage n’a pas besoin d’être rattaché au ressort d’une juridiction étatique, pas plus qu’il n’a de for.
Mieux, dans bien des cas, la sentence dont on demande l’exequatur est rendue à l’étranger, de sorte qu’on ne peut raisonner en termes de ressort territorial, lorsqu’on veut introduire au Cameroun, une demande d’exequatur. Le problème des sentences rendues à l’étranger;ou plus précisément, des sentences rendues en vertu des règles différentes de celles prévues par l’Acte uniforme de l’OHADA, a été résolu par l’article 34 de l’Acte : « Les sentences rendues sur le fondement des règles différentes de celles prévues par le présent Acte sont reconnues dans les Etats Parties, dans les conditions prévues par les conventions internationales éventuellement applicables, et à défaut, dans les mêmes conditions que celles prévues aux dispositions du présent Acte ».
Le droit de l’arbitrage OHADA – qui ne distingue pas de surcroît entre l’arbitrage interne et l’arbitrage international – ne peut donc pas imposer, ni même préférer pour l’exequatur, la compétence du tribunal du lieu où la sentence est rendue.
La compétence de la juridiction du lieu où on entend procéder à l’exécution paraît plus défendable encore, qu’elle soit basée sur une analyse par pronostic. L’étape qui suit l’exequatur peut poser des problèmes en termes de difficultés d’exécution. Il paraît alors plus aisé de se situer dans le même ressort territorial, pour résoudre les difficultés d’exécution nées de la décision d’exequatur.
Cependant, à partir du moment où les règles de compétence territoriale sont en principe d’intérêt privé, il faut admettre suffisamment de libéralisme dans le choix du tribunal compétent. La procédure étant unilatérale, il semble qu’il faille laisser au requérant, le soin de choisir quelle juridiction saisir.
II. Quel contrôle exerce le juge de l’exequatur
S’agissant non pas de statuer au fond d’une prétention, mais de dire si telle décision déjà rendue est régulière, la procédure d’exequatur appelle un contrôle prima facie. Le dispositif est conçu pour que l’exequatur soit le principe, et le rejet l’exception. L’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage fait sur ce point, preuve d’un libéralisme remarquable. La solution qu’il adopte se démarque non seulement de celle de beaucoup de législations dans le monde, mais de celle du système d’arbitrage de la CCJA et des textes particuliers où les points de contrôle sont plus nombreux. Dans le cadre de ce commentaire, nous ne nous intéresserons qu’à l’Accord de Coopération Judiciaire franco-camerounais, qui était applicable à l’Ordonnance du Président du Tribunal de Première Instance de Douala.
Évoquons le contrôle en droit commun (A). avant le contrôle dans le régime de l’Accord franco-camerounais (B).
A. Le contrôle en droit commun
L’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage limite le contrôle du juge de l’exequatur à deux conditions. Une condition matérielle : l’existence de la sentence (1);et une condition juridique : la sentence ne doit pas être manifestement contraire à l’ordre public international des Etats Parties (2).
1). Le contrôle de l’existence de la sentence
La nécessité de s’assurer de l’existence de la sentence arbitrale dont on demande l’exequatur va de soi : comment le juge peut-il accorder l’exequatur à une sentence inexistante ?.
Cependant, ce contrôle pose des problèmes en termes de preuve de l’existence de la sentence. La charge de cette preuve pèse naturellement sur le requérant. L’article 31 alinéa 2 de l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage, dispose à cet effet, que l’existence de la sentence arbitrale est établie par la production de l’original accompagné de la convention d’arbitrage ou des copies de ces documents réunissant les conditions requises pour leur authenticité. L’alinéa 3 du texte ajoute que si ces documents ne sont pas rédigés en langue française, la partie qui s’en prévaut devra en produire une traduction certifiée par un traducteur inscrit sur la liste des experts établie par les juridictions compétentes.
Les prévisions de la loi posent deux problèmes d’inégale acuité. D’une part, on se demande, dans un rapport de droit international, selon quelle loi l’authentification de l’original ou la certification de la copie doit se faire;d’autre part, on se demande si l’on peut, devant les juridictions camerounaises, exiger une traduction en français, des documents produits en anglais.
Le législateur ne résout pas la question de la loi applicable à l’authentification et à la certification;sans doute parce qu’il veut laisser au juge, la liberté de choisir la loi applicable à ces questions. Cependant, on ne peut raisonnablement pronostiquer que l’application de la loi du pays où la sentence a été rendue, et plus sûrement, la loi du juge saisi. Mais rien ne permet d’exclure systématiquement d’autres solutions.
Dans la logique de cette attitude libérale, le législateur ne désigne pas une autorité précise pour l’authentification. Il ne semble pas judicieux de détacher cette question de celle de loi applicable à l’authentification.
L’exigence de production, en français, de tous les documents nécessaires à l’examen de la demande, s’explique bien. Regroupant pour l’essentiel les pays d’expression française, l’OHADA s’est donné pour langue de travail, le français. Certes, à partir du moment où le législateur africain n’a pas pris dans sa compétence, la question de la procédure d’exequatur, il pouvait s’abstenir d’indiquer qu’il faut produire en français, les documents à l’appui de la demande d’exequatur, quitte à exiger une traduction des documents plus tard, si l’affaire évolue jusqu’à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.
Dans le cadre particulier du Cameroun, l’exigence de production des documents en français heurte les dispositions de l’article premier de la Constitution de la République, désignant à égalité le français et l’anglais comme langues officielles du Cameroun. Comment admettre alors, qu’un requérant soit obligé de produire devant le juge camerounais, une traduction en anglais d’un document rédigé en français ? L’exigence paraîtrait même insolite si, comme il pourrait bien arriver au Cameroun, le juge et le requérant sont anglophones de culture.
En vérité, il s’agit là d’une question générale à toute l’institution OHADA au Cameroun. Et fort heureusement, elle peut, sur le plan pratique, se résoudre assez facilement en matière d’exequatur. En effet, la production des documents traduits est une simple formalité destinée à aider le juge à exercer son contrôle, et est donc indifférente à l’égard de la sentence elle-même. L’absence des documents n’affecte pas donc la validité de la sentence;celle-ci peut être rendue exécutoire. Le juge de l’exequatur apprécierait donc éventuellement, s’il est utile ou raisonnable d’exiger une traduction en français des documents produits en anglais.
2). La sentence n’est pas contraire à l’ordre public international des Etats Parties
On comprend aisément que le juge ne puisse permettre que s’exécute sur le territoire de l’Etat, que des titres non contraires à l’ordre public. Le juge est, en effet, le gardien de son ordre juridique. Et son contrôle sera d’autant plus utile dans le cadre du droit camerounais, que la procédure d’exequatur est unilatérale. Le juge devra donc agir en quelque sorte comme un contradicteur.
Cependant, si l’exigence du contrôle de la non-contrariété de la sentence arbitrale à l’ordre public international va de soi, son application n’est pas évidente, au moins parce que la notion d’ordre public même est d’appréhension difficile. Dans le cadre particulier de l’exequatur des sentences arbitrales suivant l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage, le législateur vise plus précisément « l’ordre public international des Etats Parties ». La difficulté est alors plus grande, puisqu’à la difficulté traditionnelle s’ajoute celle de compréhension de la notion « d’ordre public international des Etats Parties ».
Un point est cependant hors de doute : il est question de l’ordre public international, par opposition à l’ordre public interne. L’ordre public international se distingue de l’ordre public interne, parce que le premier a un contenu plus léger que le second. L’ordre public international protège les conceptions les plus fondamentales de l’ordre juridique, c’est-à-dire les valeurs dont l’ordre juridique ne peut souffrir la méconnaissance, même dans des situations internationales.
La difficulté véritable consistera à faire assurer par le juge national, le contrôle de l’exequatur à partir de la notion d’ordre public international des Etats Parties à l’OHADA. Existe-t-il un ordre public international des Etats Parties à l’OHADA, à l’aune duquel le juge camerounais devra vérifier la régularité des sentences, ou faudra-t-il qu’il le fasse à l’aune de l’ordre public international camerounais ? La lettre du texte semble indiquer qu’il existe un ordre public international des Etats Parties à l’OHADA. Et l’articulation des dispositions sur le contrôle de la régularité des sentences montre bien que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage peut être plus tard saisie de la question de la régularité de la sentence. On imagine que dans le cadre de ce contrôle, la Cour communautaire, qui assure un rôle d’uniformisation dans l’interprétation des textes, ne peut pas agir par référence à l’ordre public d’un Etat. Elle ne peut se fonder que sur l’ordre public communautaire.
Il reste qu’il ne sera pas aisé de dégager un concept d’ordre public international des Etats Parties. S’agira-t-il de faire une somme des « ordres publics internationaux » des Etats, ou faudra-t-il au contraire, ne retenir que les points communs de ces ordres publics ? Dans la logique du droit de l’arbitrage international et dans l’esprit de l’Acte uniforme, la solution de la somme des ordres publics ne peut être retenue, puisqu’elle aboutirait à une situation paradoxale où l’ordre public international des Etats Parties est plus dense que l’ordre public international de chaque Etat, et sans doute aussi plus dense que l’ordre public interne. Il faut pencher pour la solution des points d’intersection entre les ordres publics internationaux des Etats Parties. Sans doute, assiste-t-on alors, avec plusieurs almées de retard, à une véritable consécration législative du concept d’ » ordre public réellement international » repéré par la doctrine.
En tout état de cause, la CCJA devra, dans son rôle d’unification de l’interprétation des textes, donner un contenu précis à la notion d’ » ordre public international des Etats Parties » à l’OHADA. Il est simplement gênant, que cela doive prendre du temps, non seulement parce que la Cour procèdera cas par cas, mais aussi parce qu’elle ne peut intervenir que si elle est saisie. Plus quotidiennement, ce sont les juges nationaux qui auront à manier la notion d’ » ordre public international des Etats Parties », ce qui expose à des appréciations trop différentes.
Certains n’apprécieront pas forcément que la régularité d’une sentence rendue dans un arbitrage qui, en tous points est local, ne se fasse qu’au regard de l’ordre public international – et non de l’ordre public interne. Mais, l’option est clairement prise par le législateur et ne sera pas discutée dans le cadre de ce commentaire. Il faut au contraire, souligner que la contrariété à l’ordre public international des Etats Parties à l’OHADA, ne peut justifier un refus d’exequatur, que si elle est manifeste, c’est-à-dire si elle apparaît sans examen. Le rejet suppose donc que la sentence est fortement choquante. On ne peut se risquer que dans des exemples de sentences qui prononcent l’emprisonnement d’une personne ou condamnent une partie à céder une fonction publique qu’elle exerce. D’un point de vue de la régularité de la procédure suivie pour rendre la sentence, on peut, semble-t-il, envisager aussi le cas de la violation manifeste des droits de la défense, encore que dans le cadre de l’arbitrage autonome de la CCJA, le non-respect de la procédure contradictoire soit un motif d’irrégularité des sentences différent de la contrariété à l’ordre public international.
B. Le contrôle sous le régime de l’Accord franco-camerounais
Comme dans le cadre du contrôle en droit commun, le juge a ici besoin de s’assurer de l’existence de la sentence arbitrale. On ne reviendra plus sur cet élément;on se contentera à ce niveau, de souligner les particularités. Tout d’abord, l’ordre public à l’aune duquel la sentence doit être examinée, est l’ordre public du Cameroun. Le texte de l’article 34 (f). de l’Accord de Coopération franco-camerounais ne précise pas s’il s’agit de l’ordre public interne ou de l’ordre public international. S’agissant de voir dans quelles conditions des droits acquis à l’étranger peuvent être efficaces au Cameroun, il faut souhaiter que le juge s’en tienne à l’ordre public international.
Pour le reste, le juge doit contrôler que la sentence est intervenue au terme d’une procédure fondée sur une convention d’arbitrage, et régulière au regard des droits de la défense, que d’après le droit français, la sentence ne peut plus être l’objet de recours, que le même litige au fond entre les mêmes parties, fondé sur les mêmes faits et ayant le même objet, n’a pas donné lieu à une décision ou n’est pas pendant devant une juridiction au Cameroun, n’a pas donné lieu à une décision dans un autre pays, et réunissant les conditions nécessaires à son exequatur au Cameroun, et, enfin, que la sentence n’est pas contraire à une décision rendue au Cameroun et ayant à son égard, l’autorité de la chose jugée.
En vérité, le contrôle à effectuer est particulièrement difficile, les rédacteurs de l’Accord franco-camerounais ayant traité avec certaine désinvolture, des sentences arbitrales. La technique de renvoi aux conditions d’efficacité internationale des jugements utilisée, était à peine compréhensible au moment où le droit de l’efficacité internationale des sentences arbitrale était vu comme une sorte d’appendice du droit de l’efficacité internationale des jugements. Elle doit être abandonnée, dans un contexte mondial où c’est le droit de l’efficacité internationale des sentences arbitrales, qui fait figure de tête de proue.
Au demeurant, les rédacteurs de l’Accord franco-camerounais de 1974 n’ignoraient pas que les conditions d’exequatur établies pour les jugements étrangers ne seraient pas forcément applicables aux sentences arbitrales;mais ils ont laissé au juge, le soin de déterminer dans quelle mesure ces conditions seront applicables. Dans la pratique, les appréciations peuvent être divergentes.
III. La décision sur la demande d’exequatur
La décision sur la demande d’exequatur nous intéresse sous deux aspects étroitement liés à l’efficacité de la justice arbitrale : sa présentation (A). et les recours dont elle peut être l’objet (B).
A. La présentation de la décision sur la demande d’exequatur
L’intérêt du choix d’une formule appropriée pour la présentation de la décision sur la demande d’exequatur, se situe au double niveau du caractère de l’examen à effectuer dans le cadre de l’exequatur (1). et de la confidentialité de l’arbitrage (2).
1). L’enjeu du caractère de l’examen à effectuer
La question a été déjà évoquée au sujet de l’étendue du contrôle à effectuer avant la décision sur la demande d’exequatur. Il est acquis que le juge de l’exequatur procède à un examen sommaire de la sentence arbitrale. Mais, on pourrait ne rester qu’au stade de simples affirmations, si on ne veille pas à la formule de présentation de la décision. C’est donc de façon bien voilée que se pose le problème à ce niveau. En effet, selon qu’on choisit de rédiger une décision d’exequatur – qui se substitue en quelque sorte à la sentence – ou qu’on se limite à déclarer la sentence exécutoire, l’étendue de l’examen peut en fait changer.
Au juste, le juge de l’exequatur ne rend pas une décision au fond;il ne condamne pas;il se contente d’accorder ou de refuser l’exequatur. Sa décision vient donc se greffer à la sentence arbitrale et donne à celle-ci, la force d’exécution qui jusque-là lui faisait défaut.
On a même pensé que le juge de l’exequatur pouvait ne rédiger aucun acte séparé, et se contenter de faire apposer la formule exécutoire sur la sentence arbitrale qui lui est présentée. C’est la solution applicable en droit français. On tire ainsi une conséquence pratique de l’idée que l’exequatur est un ordre d’exécution. D’ordinaire, les ordres sont laconiques, écrits ou verbaux, mais jamais motivés.
La formule a un avantage évident, d’un point de vue de la simplicité et de la garantie, que le juge de l’exequatur ne dépassera jamais son office pour se substituer aux arbitres. Elle traduirait aussi une présomption de la régularité de la sentence arbitrale, et pourrait même être facilement mise en œuvre en droit commun de l’exequatur. En effet, l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage n’admet aucun recours contre la décision qui accorde l’exequatur. On ne craint pas donc, que faute d’un support séparé de la sentence arbitrale, la partie intéressée n’ait des difficultés à exercer son recours.
Mais, d’un point de vue de la lisibilité du droit et de la prévisibilité des décisions, la solution a un inconvénient. Elle permet à l’exequatur, d’échapper à l’exigen6ce de motivation très chère à notre droit. Il faut bien se rappeler l’article 5 de l’ordonnance n 72/04 du 26 aoûtt 1972 portant organisation judiciaire, qui oblige les juges à motiver leurs décisions. Rien ne permet de penser que le juge de l’exequatur est dispensé du respect de cette disposition. Et comme on l’a souligné, l’exequatur est bien une décision de justice en laquelle se retrouvent aussi bien l’imperium que la jurisdictio. La jurisdictio n’est point un pouvoir qui s’exerce dans l’arbitraire;et le juge rend compte du sérieux de son acte à travers la motivation. Par ailleurs et en ce qui concerne les sentences arbitrales rendues en France, l’Accord de Coopération Judiciaire franco-camerounais oblige le juge à constater dans sa décision, le résultat du contrôle.
D’un point de vue de l’opportunité, dans un contexte africain où l’Etat de droit n’est pas encore enraciné et où au contraire, la tentation de l’arbitraire reste très forte, il faut éviter les solutions susceptibles de camoufler l’arbitraire. La simplicité qu’on pourrait rechercher par le détour d’une formule d’exequatur très allégée, pourrait paradoxalement desservir la justice arbitrale, si elle facilite l’arbitraire.
Mieux vaudrait donc penser que le juge de l’exequatur doit rédiger un acte séparé de la sentence. En tant que décision de justice, cet acte doit renfermer les motifs propres à le justifier. En matière d’ordonnance sur requête plus précisément, on s’attachera à bien rédiger les visas, le reste de l’exposé de motifs ne pouvant être des affirmations traduisant l’intime conviction du juge. A cet égard, les deux ordonnances d’exequatur sont rédigées avec un soin remarquable. L’ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Première Instance de Douala vise non seulement la sentence arbitrale, mais aussi tous les textes qui fondent sa décision. Il indique ensuite, que la sentence a été rendue suivant les formes prescrites et qu’elle n’est pas contraire à l’ordre public. Certes, on aurait aimé que l’ordonnance vise également la convention d’arbitrage.
La partie décisoire de l’ordonnance se contente de rendre exécutoire sur tout le territoire camerounais, la sentence arbitrale. L’indication du territoire dans lequel la sentence est exécutoire est une précision qui n’est pas indispensable. Le juge est délégataire de la souveraineté, laquelle s’exerce sur tout le territoire du souverain.
– le Président;du Tribunal de Première Instance de Yaoundé vise la sentence, la convention d’arbitrage, les dispositions de l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage, et l’article 13 alinéa 2 de l’ordonnance n 72/04 du 26 aoûtt 1972 lui donnant compétence pour les ordonnances sur requête. Dans la partie décisoire, le Président autorise simplement le Greffier en Chef du tribunal, à apposer la formule exécutoire sur la sentence arbitrale. Cette formule équivaut, dans ses effets, à celle choisie par le Président du Tribunal de Première Instance de Douala.
2). L’enjeu de la confidentialité
La justice arbitrale est souvent vantée pour sa confidentialité. En effet, même si les parties peuvent, devant le juge étatique, demander d’être jugées en Chambre de Conseil, le jugement doit toujours être rendu en audience publique. Or, cette publicité est souvent gênante. L’OHADA met un point d’honneur à la confidentialité de l’arbitrage. Certes, l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage se contente de dire que les délibérations du tribunal arbitral sont sécrètes. A titre comparatif, le Règlement d’Arbitrage de la CCJA applicable à l’arbitrage autonome de la CCJA, dispose : « La procédure arbitrale est confidentielle. Les travaux de la Cour relatifs au déroulement de la procédure arbitrale sont soumis à cette confidentialité, ainsi que les réunions de la Cour pour l’administration de l’arbitrage. Elle couvre les documents soumis à la Cour, ou établis par elle à l’occasion des procédures qu’elle diligente ».
« Sous réserve d’un accord contraire de toutes les parties, celles-ci et leurs conseils, les arbitres, les experts et toutes les personnes associées à la procédure d’arbitrage, sont tenus au respect de la confidentialité des informations et documents qui sont produits au cours de cette procédure. La confidentialité s’étend, dans les mêmes conditions, aux sentences arbitrales ». Il faut penser que malgré le laconisme de l’Acte uniforme, ces éléments de confidentialité lui sont applicables.
Si la sentence arbitrale doit demeurer confidentielle, il serait regrettable que par le jeu de l’exequatur, on parvienne à contourner la confidentialité prescrite. C’est malheureusement le résultat auquel conduit la formule choisie par l’Ordonnance d’exequatur rendue par le Président du Tribunal de Première Instance de Yaoundé. Elle reprend in extenso le dispositif de la sentence arbitrale à laquelle elle accorde l’exequatur. Certes, il faut relativiser le mal, dans la mesure où la voie suivie est celle de l’ordonnance sur requête, laquelle est en principe soustraite au regard des personnes étrangères à la procédure. Mais, dans le principe, l’Ordonnance reste une décision de justice qui peut éventuellement faire l’objet de commentaires, même dans les journaux à sensation.
La question de la présentation de la décision de rejet de la demande d’exequatur ne doit pas être oubliée. Le choix à opérer est d’un intérêt pratique évident, au regard des habitudes du palais. En effet, habituellement, le Président qui décide de ne pas répondre favorablement à une requête garde le silence ou rédige un papillon qu’il colle sur la requête, à l’attention du requérant. On explique dans une formule, tout aussi assurée qu’injustifiée, qu’on ne rédige pas les rejets des demandes d’ordonnance.
La pratique était contestable au regard de la loi. En effet, l’article 5 de l’Ordonnance de 1972 suscité, oblige les juges à motiver leurs décisions sans aucune exception. Une telle obligation ne peut être satisfaite que si le juge se donne la peine de rédiger sa décision. La pratique des rejets implicites est plus contestable aujourd’hui, au regard des dispositions de l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage. En effet, la décision de refus d’exequatur pouvant faire l’objet de recours, il importe que le requérant malheureux ait à sa disposition, une décision présentée dans les formes habituelles des décisions de justice.
B. Les voies de recours contre la décision sur la demande d’exequatur
Les voies de recours sont un domaine où les régimes d’exception pourraient, contre toute attente, se confondre avec le droit commun de l’exequatur. Mais, c’est en des termes parfois prospectifs, qu’il faut envisager la question des voies de recours sous le régime de l’Accord de Coopération franco-camerounais qui nous préoccupe ici. Après avoir envisagé le droit commun (1), on s’intéressera à l’Accord franco-camerounais (2).
1). Les voies de recours en droit commun
En droit commun, le régime des voies de recours contre la décision sur la demande d’exequatur est simple : il résulte de l’article 32 de l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage. Le texte dispose, d’une part, que la décision qui refuse l’exequatur n’est susceptible que de pourvoi en cassation devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, et d’autre part, que la décision qui accorde l’exequatur n’est susceptible d’aucun recours.
L’admission du seul pourvoi en cassation contre la décision qui refuse l’exequatur se comprend bien. L’instance en exequatur ne visant à assurer qu’un contrôle sommaire, il eût été gênant qu’on multiplie les voies de recours contre la décision du juge. La solution va dans le sens de l’esprit de célérité, si cher à l’arbitrage. Cet esprit trouverait un prolongement dans l’instance en exequatur, même si rigoureusement parlant, celle-ci relève d’une phase post-arbitrale.
La formule péremptoire du texte indique que les voies de recours exclues sont non seulement l’appel, l’opposition et la tierce opposition, mais aussi, puisque la voie appropriée pour l’obtention de l’exequatur est celle de l’ordonnance sur requête, la rétractation. N’est donc pas envisageable en matière d’exequatur la voie prétorienne de la rétractation de l’ordonnance.
L’exclusion de tout recours contre la décision qui accorde l’exequatur pourrait s’expliquer par l’idée que le refus d’exequatur est conçu comme solution exceptionnelle. Mais, il faut surtout souligner le souci de concentrer entre les mains d’un seul juge, le contentieux de la régularité de la sentence arbitrale, cette régularité pouvant être discutée également par la voie du recours en annulation. Dans cet esprit, l’alinéa 3 de l’article 32 de l’Acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage, dispose que le recours en annulation de la sentence arbitrale emporte de plein droit, dans les limites de la saisine du juge compétent de l’Etat Partie, recours contre la décision ayant accordé l’exequatur. Dans la logique de la solution, le rejet du recours en annulation emporte de plein droit validité de la sentence arbitrale, ainsi que de la décision ayant accordé l’exequatur.
Le régime du pourvoi devant la CCJA contre la décision qui refuse l’exequatur, peut poser quelques difficultés. On sait en effet, que lorsque la CCJA casse une décision, elle évoque et statue au fond. Rien ne permet de penser que le pouvoir d’évocation est retiré à la CCJA dans le cadre du pourvoi contre la décision de refus d’exequatur. La difficulté reste pourtant de savoir quels sont les pouvoirs de la CCJA relativement au fond du litige. Il faut déjà savoir que le fond sur lequel la CCJA doit statuer après évocation, est non pas le fond du litige tranché par les arbitres, mais le fond du contentieux de l’exequatur. Or, il faut se rappeler que le contrôle de l’exequatur, même devant le premier juge, est un contrôle formel. Ne pouvant aller plus loin que le juge dont la décision est contestée, la CCJA devrait procéder, pour accorder ou refuser l’exequatur, à un contrôle prima facie.
Dans l’hypothèse où la CCJA accorde l’exequatur sur pourvoi, cet exequatur ne doit pas être confondu avec l’exequatur communautaire du système d’arbitrage de la CCJA, fondé sur l’article 25 du Traité OHADA, et dont le trait marquant est la portée régionale. Cependant, les conséquences juridiques d’un exequatur rendu par la CCJA, qui a exercé son pouvoir d’évocation, ne sont pas différentes de celles de l’exequatur fondé sur l’article 25 du Traité OHADA. En effet, il ne faut pas perdre de vue l’article 20 du Traité OHADA, qui dispose que les arrêts de la CCJA ont l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire sur l’ensemble des territoires des Etats Parties. Ici également, l’exequatur a une portée régionale.
Il a fallu résoudre la difficulté théorique liée au rattachement de l’imperium à une souveraineté. Faut-il avancer, pour justifier l’exequatur communautaire, que les Etats ont transféré leur souveraineté à la CCJA ? La doctrine assure que l’idée d’un tel transfert n’est pas juridiquement admissible. On ne pourrait concevoir pour une organisation internationale, et donc sans nul doute pour la CCJA – qui est une institution de l’OHADA –, qu’un transfert de compétences, forcément limité.
C’est certainement en considération d’une telle analyse, que les rédacteurs du Traité OHADA ont morcelé l’opération en deux : le contrôle de régularité et l’apposition de la formule exécutoire. Si le contrôle de régularité en cas d’évocation, relève de la CCJA, l’apposition de la formule exécutoire qui est une conséquence implacable d’un examen satisfaisant relève des autorités nationales dans les Etats Parties. La formule exécutoire, parce que dressée au nom du souverain, ne peut déployer ses effets que dans le cadre du territoire de l’Etat dont la formule est apposée. L’article 46 du Règlement de Procédure de la CCJA dispose clairement que la formule exécutoire est apposée sur les décisions de la CCJA, par l’autorité nationale que le Gouvernement de chacun des Etats Parties désigne à cet effet, et dont il donnera connaissance à la CCJA. Dans le contexte actuel où aucune autorité n’a encore été désignée pour apposer la formule exécutoire sur les décisions de la CCJA, il faut sans doute penser qu’en ce qui concerne les sentences arbitrales, la formule exécutoire pourrait être sollicitée au greffe de la juridiction dont la décision a été cassée. A cette fin, le dossier devrait retourner au greffe de cette juridiction, à savoir, au Cameroun, le greffe du Tribunal de Première Instance. La formule exécutoire doit alors être apposée sans autre contrôle que celui de la vérification de l’authenticité du titre. La solution est posée par l’article 46 du Règlement de Procédure de la CCJA.
On pourrait rencontrer ici, les difficultés pratiques qu’on redoute dans le système de l’arbitrage autonome de la CCJA, avec la formule de l’exequatur communautaire suivi de l’apposition de la formule exécutoire par les autorités nationales : l’autorité nationale peut, par abus ou par ignorance, élargir son contrôle ou simplement perdre du temps.
2). Les voies de recours dans le régime de l’Accord franco-camerounais
La solution du législateur OHADA sur la question des voies de recours rappelle bien un arrêt de la Cour d’Appel de Douala, rendu le 10 octobre 1990, c’est-à-dire bien avant le Traité OHADA, et dans lequel la Cour affirmait que les décisions sur l’exequatur ne peuvent faire l’objet que d’un pourvoi en cassation. La décision était rendue en matière de jugement étranger, mais dans le cadre de l’exequatur suivant l’Accord franco-camerounais du 21 février 1974, cette solution valait également pour les sentences arbitrales.
L’arrêt de la Cour d’Appel du Littoral était d’une audace remarquable, puisqu’il s’était fondé certes, sur l’Accord franco-camerounais applicable, mais aussi, cumulativement, sur la Convention de Tananarive entre les pays de l’OCAM, à laquelle la France n’était pas partie. Si la Convention de Tananarive prévoit expressément que la décision du Président du Tribunal de Première Instance sur la demande d’exequatur n’est susceptible que du pourvoi en cassation, l’Accord franco-camerounais, en revanche, est muet sur la question des voies de recours.
Mais, il ne faut pas oublier qu’appliquée à une décision en provenance de la France, la solution de l’admission du seul pourvoi en cassation était à la fois souhaitable et difficile à justifier. On ne sait pas quelle aurait été la réaction de la Cour Suprême, si un pourvoi était fait contre cet arrêt qui applique expressément une Convention à un pays qui n’en est pas partie. Mais, en tout état de cause, il faut penser que la Cour d’Appel aurait gagné en cherchant à élaborer une solution prétorienne.
En l’état actuel du droit, il faut réfléchir à partir de l’Acte uniforme de l’OHADA, qui offre désormais le droit commun des voies de recours contre les décisions d’exequatur des sentences. S’appliquant au Cameroun en tant que loi relative à l’arbitrage, l’Acte uniforme doit voir son système de voies de recours s’appliquer aux sentences en provenance des pays avec lesquels le Cameroun n’a pas de convention prévoyant une solution dérogatoire.
Il reste que pour les sentences rendues hors de l’espace de l’OHADA, l’exclusion de tout recours contre la décision accordant l’exequatur pose des problèmes, puisqu’on ne peut la compenser avec le recours en annulation de la sentence devant le juge camerounais. En effet, la combinaison des articles premier et 25 alinéa 2 de l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage portant respectivement sur le champ d’application de l’Acte et le recours en annulation, permet de penser que ce recours n’est pas possible contre une sentence rendue hors de l’espace de l’OHADA. Faut-il alors penser qu’il faut admettre le pourvoi en cassation contre l’exequatur de ces sentences ? Rien n’est moins sûr, à la lecture du texte.
L’exclusion de tout recours contre l’exequatur et, simultanément, l’impossibilité de faire un recours en annulation de la sentence arbitrale, pourraient être jugées excessives. Certes, certains y verraient plutôt une forte présomption de régularité de la sentence. On pourrait simplement trouver troublant qu’une telle présomption s’applique non pas aux sentences rendues en application des règles de l’OHADA, mais aux sentences rendues en application des règles différentes. Charité mal ordonnée ? Non, plutôt raisonnement habituel en droit international, où il est parfois plus aisé de faire valoir un droit acquis à l’étranger, que d’acquérir le même droit chez nous. Mais, le forum shopping pourrait ainsi se faire un succédané.
Ces quelques points d’incertitude montrent que le droit de l’exequatur est loin d’être entièrement construit. Par ailleurs, le rapprochement entre les conditions d’exequatur, selon l’Accord franco-camerounais et les mêmes conditions en droit commun, révèle un flagrant décalage dans un sens défavorable à l’Accord franco-camerounais. La même observation pourrait se faire, si on rapprochait le droit commun d’autres Accords de Coopération Judiciaire qui traitent des sentences arbitrales. Le temps est passé, où les sentences arbitrales rendues à l’étranger étaient à la traîne des jugements étrangers. Tout le projet d’harmonisation du droit des affaires en Afrique montre clairement le sens de l’évolution. La justice arbitrale sert aujourd’hui de terrain d’essai, et sans doute demain, de locomotive à la justice judiciaire.
On doit souligner, pour terminer, que certains des Accords de Coopération Judiciaire évoqués lient les pays membres de l’OHADA. Or, il n’est pas absolument sûr que dans les rapports de ces pays, les dispositions de l’Acte uniforme de l’OHADA remplacent celles des Accords.Il faut souhaiter que très rapidement, des clarifications et adaptations soient faites.
Jean Marie TCHAKOUA.
Docteur d’Etat en droit.
Chargé de cours à la FSJP de l’Université de Yaoundé II.