J-08-185
CONVENTION D’ARBITRAGE – EXEPTION DE NULLITE DE LA CONVENTION D’ARBITRAGE – SAISINE DU JUGE DES REFEFRES POUR SUSPENDRE LA PROCDURE D’ARBITRAGE – COMPETENCE DU JUGE DES REFERES (OUI).
Le juge étatique des référés est compétent pour suspendre la procédure d’arbitrage pour cause de nullité de la convention d’arbitrage (solution discutée dans la note du commentateur ci-dessous).
Cour d’Appel du Littoral. Douala. Arrêt n 39/REF du 08 janvier 1997. Affaire Société REEMTSMA c/ Société SITABAC. Revue Camerounaise de l’Arbitrage n 11. Octobre Novembre Décembre 2000, p. 12.
LA COUR
Vu l’ordonnance de référé n 744/ADD, rendue le 09 mai 1995 par le Tribunal de Première Instance de Douala.
Vu les arrêts n 50/ADD/REF du 14 février 1996 et 841 ADD/REF du 08 mai 1996 rendus par la Cour d’Appel du Littoral.
Après en avoir délibéré conformément à la loi.
Considérant que par requête du 05 juin 1995, la société REEMTSMA CIGARETTEN FABRIKEN a interjeté appel contre l’ordonnance avant-dire-droit n 744 du 09 mai 1995 rendue par le Président du Tribunal de Première Instance de Douala statuant en matière de référé, dans la cause l’opposant à la société SITABAC.
Considérant que cet appel a été reçu par arrêt avant-dire-droit n 50/ADD du 14 février 1996 de la Cour d’Appel.
Considérant (..) que la société SITABAC a fait délivrer à l’étude de Maître ADA NNENGUE, plusieurs assignations destinées à la société REEMTSMA CIGARETTEN FABRIKEN, dont le siège social est à Hambourg, notamment celle en référé introduite devant la juridiction des référés de Douala, aux fins de suspension des effets d’un contrat de cession de marque et de son enregistrement, contrat passé le 23 janvier 1989 entre les deux sociétés;qu’In limine litis, la société REEMTSMA a soulevé devant cette juridiction, les exceptions d’incompétence ratione loci et ratione materie, ainsi que celle de nullité de l’exploit d’assignation en référé.
Considérant qu’au soutien de son appel, la REEMTSMA reproche au juge des référés d’instance :
premièrement, de s’être déclaré compétent ratione loci pour statuer sur la procédure engagée par SITABAC à son encontre et à l’encontre de l’OAPI, alors surtout qu’elle a son siège social à Hambourg et non à l’Étude de Maître ADA, et que l’OAPI, quant à elle, a le sien à Yaoundé.
Que l’article 9 du Code de Procédure Civile et Commerciale donne compétence au tribunal du domicile du défendeur, qui est Hambourg, et que par ailleurs, les parties aujourd’hui en procès ont expressément, au moment des rédaction et signature du contrat en cause, volontairement inséré l’article 7 audit contrat, qui attribue compétence à la Chambre de Commerce Internationale de Paris pour arbitrer tout litige pouvant naître entre elles, et ayant trait à l’interprétation ou à l’exécution dudit contrat;que selon elle, seule cette Chambre demeure compétente pour statuer en la cause.
Que toujours sur la compétence ratione loci, elle reproche au même juge de s’être fondé sur l’existence d’une élection de domicile à l’Étude de Maître ADA, de la société REEMTSMA, alors qu’elle n’a donné à cet avocat, qu’un pouvoir spécial ayant un objet bien spécifique, à savoir, s’opposer à la demande de renouvellement de la marque DELTA à l’OAPI, par la société SITABAC;qu’elle soutient que ce mandat spécial ne comporte aucune élection de domicile (..).
deuxièmement, d’avoir rejeté l’exception de nullité de l’exploit d’assignation (..).
troisièmement, d’avoir déclaré que l’exception d’incompétence ratione materiae serait jointe au fond, alors que la SITABAC devait d’abord saisir la Commission Supérieure de Recours de l’OAPI, conformément à l’article 14 de l’annexe 3 de la Convention de Bangui, qui attribue compétence à cette commission, d’une part, et que ledit juge devait tenir compte de la clause compromissoire insérée au contrat en cause par les parties, et qui attribue compétence à la Chambre de Commerce Internationale de Paris, d’autre part.
Considérant que la REEMTSMA conclut en définitive à l’incompétence ratione loci et ratione materiae du juge des référés de Douala, et à la nullité de l’exploit d’assignation servi à l’Étude de Maître ADA.
Considérant qu’en réplique, la société SITABAC affirme que la REEMTSMA avait bien élu domicile aux Études de Maîtres ADA et NGWE, et que l’article 14 du Code Civil applicable, qui déroge au principe de droit commun selon lequel le tribunal compétent est celui du domicile du défendeur.
(..) Que les clauses compromissoires, explique la SITABAC, sont d’interprétation littérale et stricte, et qu’en l’espèce, la clause ne se rapporte qu’aux litiges nés de l’interprétation ou de l’exécution du contrat de cession;que le contrat de cession en question n’ayant jamais été exécuté, les problèmes d’interprétation et d’exécution ne se posent pas;que l’existence de la clause compromissoire contenue dans l’article 7 ne rend absolument pas inopérant le privilège de juridiction de l’article 14 du Code Civil.
Considérant qu’en définitive, la SITABAC conclut au rejet de toutes les exceptions soulevées par REEMTSMA.
Considérant que l’OAPI n’ayant pas interjeté appel contre l’ordonnance entreprise, la REETSMA n’a pas qualité pour soulever l’exception d’incompétence ratione loci en ses lieu et place, en raison de son siège à Yaoundé.
Considérant que s’il est certain que la société REEMTSMA a élu domicile en l’Étude de Maître NGWE, motif pris des notifications reçues par cette société par l’entremise de cet avocat, il y a cependant lieu de souligner que cette élection de domicile n’emporte pas attribution de compétence juridictionnelle;qu’en effet, pour écarter ou mettre en concours la compétence du juge du domicile réel du défendeur, l’élection de domicile doit ressortir d’une manifestation de volonté sans équivoque dudit défendeur;que tel n’est pas le cas en l’espèce, la REEMTSMA ayant entendu donner compétence au tribunal de la Chambre Internationale de Commerce de Paris.
Mais, considérant que la clause compromissoire prévue à l’article 7 du contrat de cession n’a aucunement prévu le référé arbitral;qu’à supposer même que les parties aient prévu le référé arbitral dans leur convention, il y a lieu de relever cependant que le véritable problème posé au juge de référé ne concerne ni l’interprétation, ni l’exécution de ladite convention;qu’il a plutôt trait à la suspension des effets de cette convention, en attendant son annulation demandée au juge du fond.
Que cela explique que le juge des référés de Douala ait retenu sa compétence sur le fondement de l’article 14 du Code Civil, qui accorde un privilège de juridiction au demandeur camerounais, dans les termes suivants : « l’étranger – même non résident au Cameroun – pourra être cité devant les tribunaux camerounais pour l’exécution des obligations par lui contractées au Cameroun, avec un Camerounais, et même devant les tribunaux camerounais, pour les obligations par lui contractées à l’étranger envers les Camerounais ».
Considérant enfin, que le premier juge a sainement apprécié les éléments de la cause en joignant l’exception d’incompétence ratione materiae au fond du référé.
Considérant, compte tenu de tout ce qui précède, qu’il y a lieu de confirmer l’ordonnance.
PAR CES MOTIFS.
Déclare l’appel non fondé, confirme l’ordonnance entreprise, condamnant Reemtsma Cigaretten Fabriken aux dépens.
NOTE
Il n’est plus rare ni exceptionnel, que le juge camerounais soit saisi pour le règlement de litiges naissant de contrats internationaux. Ces litiges peuvent avoir un objet quelconque, mais parfois et de plus en plus, il s’agit des litiges relatifs à l’arbitrage.
Le juge saisi doit se prononcer par exemple, sur la capacité de l’Etat à compromettre, sur l’étendue des compétences de l’arbitre, etc. A travers ces contentieux, il est donné au juge camerounais, l’occasion d’apporter sa contribution à l’édification du droit camerounais de l’arbitrage, pour lequel les textes existants sont insuffisants. Cette contribution, le juge a été appelé à l’apporter une fois de plus, dans un arrêt de la Cour d’Appel du Littoral du 08 janvier 1997, à propos d’une affaire opposant la REEMTSMA CIGARETTEN FABRIKEN à la SITABAC.
Les faits de l’espèce auraient été assez simples, s’ils n’avaient donné lieu à une procédure assez complexe marquée surtout par de nombreux arrêts avant-dire-droit. Le 23 juillet 1989, les deux sociétés concluent un contrat de cession de marque. Entre autres clauses figurant dans ce contrat, il y a celle qui attribue compétence pour le règlement des litiges qui naîtront de l’exécution et de l’interprétation dudit contrat, à la Chambre de Commerce Internationale de Paris (CCI). Quelques temps après la signature du contrat – et pour des raisons qui ne ressortent pas de l’arrêt – la SITABAC, dont le siège social se trouve à Douala au Cameroun, assigne son cocontractant, la REEMTSMA, dont le siège social se trouve à Hambourg en Allemagne, devant le juge des référés du Tribunal de Première Instance de Douala, aux fins de suspension des effets de ce contrat et de son enregistrement, dont elle a par ailleurs demandé l’annulation devant le Tribunal de Grande Instance de Douala, en date du 11 avril 1995. In limine litis, la REEMTSMA soulève l’incompétence ratione loci et ratione materiae du juge saisi, ainsi que la nullité de l’exploit d’assignation. Par ordonnance ADD du 09 mai 1995, le juge des référés rejette l’exception d’incompétence ratione loci et l’exception de nullité de l’exploit d’assignation, et joint l’exception d’incompétence ratione materiae au fond du référé. Cette ordonnance fait l’objet de l’appel de la société REEMTSMA. Les arguments au soutien de l’appel peuvent être ainsi résumés. Le juge des référés de Douala n’est pas compétent, d’une part parce que la Reemtsma n’avait pas, au moment de l’assignation, de domicile élu au Cameroun, encore moins à Douala en l’Étude de Me ADA, et que son siège social est à Hambourg en Allemagne;d’autre part, parce que le contrat en cause contient une clause compromissoire ayant attribué compétence à la CCI de Paris, et enfin, parce que la SITABAC devait préalablement à la saisine du juge des référés, saisir d’abord la Commission Supérieure de Recours de l’OAPI, conformément à l’article 14 de la Convention de Bangui. La demanderesse en conclut en définitive, à l’incompétence ratione loci et materiae du juge des référés, et à la nullité de l’exploit d’assignation.
La SITABAC, quant à elle, après avoir sollicité vainement l’irrecevabilité de l’appel, conclura que l’appel doit être rejeté pour les raisons suivantes : la Reemtsma avait bien un domicile élu en l’Étude de Me ADA au moment de l’assignation;l’article 14 du Code Civil lui accorde un privilège de juridiction dérogatoire au principe de la compétence du tribunal du domicile du défendeur, et enfin, les clauses compromissoires sont d’interprétation stricte et ne se rapportent en ce qui concerne le contrat de cession, qu’aux litiges nés de l’interprétation et de l’exécution du contrat, et non à sa suspension, comme en l’espèce.
Les juges d’appel, quant à eux, après avoir mis hors de cause l’OAPI, concluront sur le premier point, que s’il y a eu effectivement élection de domicile en l’Étude de Me ADA, celle-ci n’a pas eu pour effet en l’espèce, d’écarter la compétence de principe du juge du domicile réel du défendeur, et sur le second point, que la clause compromissoire est valable, mais que celle-ci n’a pas prévu le référé pré-arbitral, et surtout, que le litige en question a trait à la suspension et non à l’interprétation et à l’exécution du contrat. Ainsi, l’exception d’incompétence soulevée par la Reemtsma sera rejetée.
Si l’on laisse de côté le problème de la validité de l’assignation, et dans une certaine mesure, celui du privilège de juridiction, pour ne s’intéresser qu’aux problèmes posés dans cette affaire par la clause compromissoire introduite dans le contrat, on constate que le juge a eu à se prononcer sur deux points qui, s’ils sont en principe indépendants l’un de l’autre, semblaient pourtant liés en l’espèce. Il s’agit, d’une part, de l’interprétation de la clause compromissoire, notamment en ce qui concerne les litiges que les parties à la clause décident de soumettre à l’arbitrage, et d’autre part, de la question de la compétence du juge des référés relativement au prononcé des mesures provisoires, lorsque le litige est soumis à la compétence des arbitres. Si la solution des juges sur le premier point, et dont il ressort que la clause compromissoire est d’interprétation stricte, est a priori satisfaisante (I), par contre, elle semble plus contestable eu égard au principe de la compétence du juge des référés, même en présence d’une clause compromissoire (II).
I. LE PRINCIPE DE L’NTERPRETATION STRICTE DE LA CLAUSE COMPROMISSOIRE QUANT AUX MATIERES SOUMISES A L’ARBITRAGE
La clause compromissoire introduite dans un contrat emporte des conséquences qui se résument essentiellement en deux propositions, qui sont d’une part, l’incompétence des tribunaux ordinaires, et d’autre part, l’obligation pour les parties, de recourir à l’arbitrage, une fois le litige né. Par rapport à la première proposition, son application est acquise en droit classique et en droit camerounais, et sa portée tient essentiellement en ce que le juge saisi doit refuser de statuer, en se déclarant incompétent, à condition que cette incompétence soit soulevée In limine litis. Quant à la seconde, elle oblige les parties à recourir à l’arbitrage, une fois le litige né. Si les parties sont ainsi obligées, c’est du fait de la force obligatoire de la convention d’arbitrage, avec son corollaire, la liberté contractuelle. En effet, il appartient aux parties de préciser ce à quoi elles s’engagent, et de se soumettre à ce à quoi elles se sont engagées.
Si cette volonté doit être exprimée sous peine de nullité de la convention, elle n’est pas toujours claire quant à sa portée, et des difficultés naissent alors concernant l’interprétation qu’il faut donner de cette volonté. Dans le contrat conclu entre la REEMTSMA et la SITABAC, l’existence même de la clause compromissoire ne faisait pas de doute;par contre, les parties ne semblaient pas, après coup, s’être mises d’accord sur son contenu. Il revenait alors au juge, d’interpréter leur volonté. Le rôle d’interprétation du juge est ici admis comme dans d’autres matières. Mais, comment doit-il interpréter la convention, et particulièrement, la clause compromissoire ? Il est communément admis, que les conventions d’arbitrage sont d’interprétation stricte, tout au moins quant aux matières soumises à l’arbitrage. C’est ce qu’ont affirmé les juges, dans l’espèce commentée (A). Cette affirmation nous donne opportunément l’occasion de nous interroger sur le fondement et la portée de ce principe (B).
A. L’affirmation du principe par les juges d’appel.
Il est important pour les parties, de déterminer clairement les litiges qu’elles souhaitent soumettre à la compétence des arbitres. Cette détermination fonde les pouvoirs des arbitres, c’est-à-dire leur compétence ratione materiae. En dehors de matières touchant à l’ordre public, toutes les autres matières peuvent être soumises à l’arbitrage, encore faut-il que celles-ci soient précisément définies.
La rédaction de la clarté joue dès lors, un rôle important. Plusieurs formules sont possibles et les parties peuvent s’inspirer de certaines clauses-types proposées par les centres d’arbitrage. La réaction peut être large, de sorte à inclure des différentes matières, notamment, les litiges délictuels et extracontractuels.
De même, les parties peuvent expressément exclure les matières qu’elles ne veulent pas soumettre à l’arbitrage. Enfin, la technique de rédaction peut consister à énumérer de manière limitative, les litiges à soumettre à l’arbitrage, car « rien n’impose aux parties (de). soumettre aux arbitres, tous les différends susceptibles de s’élever entre elles ». Telle semblait être la formule choisie dans le contrat de cession de marque conclu entre la REEMTSMA et la SITABAC, où les parties avaient soumis à l’arbitrage de la CCI, les litiges relatifs à l’interprétation et à l’exécution de leur convention. Mais, par la suite, des interprétations divergentes de cette clause devaient apparaître, d’où l’intervention du juge.
Le juge des référés, puis les juges d’appel, devaient rechercher si les parties avaient voulu soumettre aux arbitres, d’autres matières que celles relatives à l’interprétation et à l’exécution, ou encore, ce qu’elles avaient voulu inclure sous ces deux expressions. Autrement dit, la clause devait-elle être largement interprétée de manière à inclure d’autres matières, telles la validité du contrat, ou devait-elle être strictement entendue ? Il revenait ainsi aux juges, d’examiner l’objet du litige, puis de déduire de la convention d’arbitrage, si les parties avaient ou non l’intention de régler ce genre de litige par l’arbitrage.
« mais, considérant (..). que le véritable problème posé au juge des référés ne concerne ni l’exécution de ladite convention;qu’il a plutôt trait à la suspension des effets de cette convention ». Par cet entendu principal de l’arrêt, les juges d’appel optent clairement pour l’interprétation stricte de la convention d’arbitrage, suivant en cela les prétentions de la défenderesse, selon lesquelles « les clauses compromissoires sont d’interprétation littérale et stricte, et qu’en l’espèce, la clause ne se rapporte qu’aux litiges nés de l’interprétation et de l’exécution du contrat de cession (..). ».
La demanderesse quant à elle, soutenait plutôt que la suspension des effets du contrat avait trait à l’exécution de celui-ci, et donc, relevait de la compétence des arbitres.
A priori, la solution de la Cour semble au droit positif sur la question. Mais, au-delà de l’affirmation du principe, il faut en examiner la portée et le fondement, ce qui pourrait permettre de relativiser l’affirmation faite par les juges.
B. Le fondement et la portée du principe
L’unanimité qui se fait toujours autour du principe de l’interprétation stricte de la convention d’arbitrage (l). contraste avec la controverse qu’entretiennent la doctrine et la jurisprudence sur sa portée (2).
1). Le fondement du principe
Pour justifier l’interprétation stricte de la clause compromissoire et du compromis en général, il faut partir du principe que la compétence des arbitres est exclusivement déterminée par la convention d’arbitrage, c’est-à-dire qu’elle est « limitée à ce que les litigants ont, d’un commun accord, décidé de soustraire à la compétence judiciaire ». Par conséquent, les arbitres seraient incompétents pour trancher une question non prévue par la clause compromissoire ou le compromis. L’arbitrage serait alors une procédure exorbitante par rapport à la compétence naturelle du juge ordinaire. C’est ainsi qu’un auteur affirme que « la clause compromissoire, en ce qu’elle tend à déroger au droit commun, et notamment aux règles d’attribution de compétence des juridictions, est d’interprétation stricte ».
Ce principe d’interprétation stricte peut aussi s’expliquer historiquement par la réticence observée pendant de nombreuses années à l’égard de la clause compromissoire, notamment en droit interne.
2). La portée du principe
Les auteurs admettent de plus en plus aujourd’hui, que sans remettre totalement en cause le principe de l’interprétation stricte, il faudrait donner à celui-ci, une portée large;ce qui reviendrait en quelque sorte à admettre des exceptions à ce principe.
Ainsi, selon certains auteurs, « il est devenu classique d’affirmer que toute convention d’arbitrage, parce qu’elle retire au juge étatique le pouvoir de connaître d’un litige déterminé, doit être interprétée restrictivement (…). Mais, ni la pratique internationale, ni les droits nationaux ne se sont en général faits l’écho d’un formalisme étroit qui irait à l’encontre d’une bonne administration de la justice (..). S’il est vrai que l’objet du litige précisé par l’acte de mission fixe l’étendue de la compétence de l’arbitre, doit-on en conclure qu’il fige celui-ci au point de lui interdire de tirer les conséquences nécessaires d’une situation donnée ? ». Allant dans le même sens, M. BOISSESON, à propos de l’arbitre interne en droit français, affirme que « le principe d’interprétation stricte comporte des exceptions », et que « les arbitres doivent par exemple, résoudre toutes les questions dont la solution apparaît comme un préalable nécessaire à celle du litige ». De même, ils doivent statuer sur toutes les questions qui apparaissent comme l’accessoire ou la conséquence nécessaire de l’objet du litige qui leur est soumis.
Si le problème ne s’est pas posé exactement en ces mêmes termes dans l’arrêt commenté – car on ne peut pas dire qu’il s’agissait ici de savoir si le problème de la validité était accessoire ou préalable aux problèmes d’interprétation et d’exécution du contrat –, on doit néanmoins déduire de ces exceptions, que la doctrine admet la relativité du principe de l’interprétation stricte. Des auteurs l’ont d’ailleurs expressément démontré. « Il arrive trop fréquemment encore, que dans l’enthousiasme (..), les parties se contentent de soumettre à l’arbitrage, les litiges concernant l’interprétation et l’exécution du présent contrat. Les parties songent en effet volontiers, à ces deux aspects, sans suspecter que le contrat qu’elles s’apprêtent à signer puisse être entaché d’une cause de nullité, ou à tout le moins, argué de nullité. Or, une fois le litige né, il est facile à la partie qui n’a pas intérêt à voir l’arbitrage se dérouler rapidement, de prétexter qu’il existe une cause d’invalidité du contrat (..). Il est heureux que les juridictions arbitrales et étatiques, en France tout au moins, aient très généralement interprété ces clauses comme visant également de manière implicite, le contentieux de la validité de la convention en cause. On comprend assez bien que l’omission procède d’une inadvertance plutôt que de la volonté délibérée de limiter la compétence du tribunal arbitral ».
Ce raisonnement pouvait-il être appliqué au cas d’espèce ? Ceci amène à répondre à quelques interrogations.
En premier lieu, pouvait-on dire qu’il y avait eu inadvertance de la part de REEMTSMA et de SITABAC, au moment de la rédaction de leur contrat, et qu’elles avaient eu l’intention de soumettre tous leurs différends – y compris celui lié à la nullité de leur contrat – à l’arbitrage de la CCI ? La qualité de professionnel de l’une et l’autre parties, habituées à ce type de négociation, nous amène à être réservé quant à une réponse positive à cette question.
En second lieu, il semble ressortir de l’argumentation ci-dessus développée, que « l’une des parties à la convention d’arbitrage peut, lors de sa mise en œuvre, faire preuve de mauvaise foi. Y avait-il mauvaise foi en l’espèce ? Si oui, de la part de qui ? Cette mauvaise foi éventuelle peut être utilement rapprochée au principe d’exécution de bonne foi, qui est mise à la charge des parties, car celles-ci contractent un devoir de participation de bonne foi à l’instance ». Elles s’engagent à ne pas faire obstacle au déroulement de l’arbitrage. Par rapport au juge chargé d’interpréter le contrat, la règle signifie « l’obligation de faire prévaloir en cas de divergence, la volonté réelle sur la volonté déclarée ». L’interprétation stricte serait ainsi différente de l’interprétation littérale.
Pouvait-on déceler cette mauvaise foi de la part de SITABAC qui, en l’espèce, soutenait l’incompétence du tribunal arbitral, pour les litiges relatifs à la validité de l’arbitrage, ou de la part de REEMTSMA, qui essayait de démontrer que ce contentieux ne pouvait relever de la compétence des arbitres ? La Cour d’Appel conclut à la limitation de la compétence des arbitres, au seul contentieux de l’interprétation et de l’exécution du contrat, sans se prononcer sur la mauvaise foi de l’une ou l’autre partie.
On peut cependant, se demander si la volonté des parties a été suffisamment recherchée, c’est-à-dire, si les juges ont tenu compte des conséquences que les contractants ont raisonnablement et légitimement envisagées, en introduisant la clause compromissoire dans leur contrat. Si on opte pour une interprétation stricte de la convention, ces conséquences devraient être un « émiettement du contentieux » entre le juge étatique et le juge arbitral. On peut douter que ce soit la solution à laquelle les parties aient voulu aboutir. Si par contre, on adopte une interprétation plus ouverte de la convention, on dira que les parties ont en réalité, voulu soumettre tous leurs litiges – tout au moins contractuels – à la compétence des arbitres. Le caractère international du contrat justifie à notre avis, cette solution. En effet, autant on peut être réservé sur le choix de l’arbitrage comme mode de règlement des conflits en droit interne, autant en matière de contrat international, l’arbitrage apparaît de plus en plus comme la solution normale ».
Si on peut approuver sur le principe, la solution retenue par les juges, et qui est somme toute classique, on peut regretter qu’elle n’ait pas été davantage argumentée. En fin de compte, la solution du litige – c’est-à-dire le rejet de l’exception d’incompétence soulevée par la REEMTSMA – aurait-elle été si différente, si le juge avait admis en l’espèce, que le contentieux de la validité du contrat faisait partie des litiges soumis à l’arbitrage ? Nous ne le pensons pas, car à côté du principe de l’interprétation stricte des conventions d’arbitrage, il est aussi un principe qui veut que le juge des référés reste compétent, même en présence d’une clause compromissoire. L’application faite de ce principe dans l’arrêt, ne nous semble pas satisfaisante.
II. LA COMPETENCE DU JUGE DES REFERES MALGRE L’EXISTENCE DE LA CLAUSE COMPROMISSOIRE
Il ressort des conclusions de la demanderesse, que l’incompétence du juge des référés pouvait également se justifier par le fait que bien que la suspension du contrat demandée par la SITABAC soit en mesure d’urgence, ce juge ne pouvait être compétent, car « il a été prévu un référé arbitral au sein de cette institution (la CCI). dans les cas d’urgence ». A cette argumentation, la Cour d’Appel répond que la clause compromissoire conclue entre les parties n’a aucunement prévu le référé arbitral, et qu’à supposer même que les parties aient prévu le référé arbitral, le véritable problème posé au juge des référés ne concerne ni l’interprétation, ni l’exécution de ladite convention.
Il s’est ainsi posé le problème de la compétence du juge des référés relativement aux mesures provisoires, en présence d’une clause compromissoire. Il s’agit d’une question délicate sur laquelle il faut présenter la position de la doctrine et de la jurisprudence en général (A), avant d’analyser celle du juge camerounais, dont on est tenté de dire qu’il manifeste une certaine hostilité à ce principe (B).
A. La question des mesures d’urgence et de la compétence du juge des référés en doctrine et en jurisprudence
L’incompétence du juge étatique, en cas d’existence d’une clause compromissoire, qui constitue l’effet négatif de la convention d’arbitrage, admet classiquement quelques exceptions ou limites. Hormis l’hypothèse où l’intervention du tribunal est justifiée par la nullité de la convention d’arbitrage, ces exceptions concernent la mise en place du tribunal arbitral, le contrôle étatique de la sentence arbitrale et la prise des mesures provisoires. Si dans les deux premiers cas, l’intervention du tribunal étatique est généralement exclusive de celle des arbitres, il n’en est pas de même dans la dernière hypothèse, où cette intervention peut être concurrente de celle des arbitres. Certains auteurs y voient une atteinte à la compétence de principe de l’arbitre, alors que d’autres considèrent que c’est une assistance apportée aux arbitres;le tribunal serait dans ce cas, « un auxiliaire de l’instance arbitrale ».
En effet, les mesures provisoires relèvent en droit commun, de la compétence du juge des référés, juge de l’urgence. Cette solution doit-elle être également appliquée en présence d’une clause compromissoire, ou doit-on dans cette hypothèse, appliquer des règles particulières ? Les constructions doctrinales et jurisprudentielles sont remarquables sur la question. Elles permettent de faire la synthèse des solutions prévues par les législations – là où il y en a –, les règlements d’arbitrage, les conventions internationales et les lois-types.
La question de la compétence ne peut être réglée, que si une définition acceptable est donnée de la notion même de mesures provisoires. En l’absence de définition légale, les mesures provisoires qualifiées également de mesures conservatoires, peuvent être définies comme « les mesures qui sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit, afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs soumise au juge de fond ». La mesure provisoire est aussi « une mesure prise dans l’attente d’un jugement sur le fond et correspondant à la mise en place d’un statut protecteur ». Les mesures provisoires qui peuvent être demandées à l’occasion d’une procédure d’arbitrage sont diverses. Elles peuvent tendre à préserver une situation ou une preuve, à préparer l’exécution de la sentence, ou concerner l’administration de la preuve. Ces différentes mesures, lorsqu’elles sont demandées alors que les parties en cause ont par ailleurs soumis leur litige aux arbitres, doivent-elles relever ou non, de la compétence des arbitres et/ou des juges ? Les solutions actuelles peuvent être résumées en deux propositions, qui sont, d’une part, le principe de la compétence concurrente des juridictions étatiques et des arbitres, et d’autre part, la possibilité d’aménagements conventionnels.
1). Le principe de la compétence concurrente
Bien que des réticences aient été observées antérieurement, on constate que c’est la tendance qui se dégage aujourd’hui. La compétence concurrente signifie d’abord, que la compétence naturelle du juge des référés quant au prononcé des mesures provisoires ne devrait pas être remise en cause, lorsque les parties ont choisi l’arbitrage comme mode de règlement des litiges au fond. C’est le lieu de rappeler l’article 182 du Code de Procédure Civile camerounais, qui dispose : « Dans tous les cas d’urgence ou lorsqu’il s’agira de statuer provisoirement, le juge des référés pourra statuer ».
Cette disposition est elle-même complétée par l’article 185 du même Code, qui prévoit que dans une telle hypothèse, il ne doit pas être porté préjudice au principal.
L’admission de cette compétence des juges se justifierait par un souci de protection des parties à l’arbitrage. En effet, il ne serait pas opportun de priver les parties à la convention d’arbitrage, du bénéfice des procédures d’urgence existant devant les juridictions étatiques, jugées plus efficaces tant en raison de la possibilité de les saisir en cas d’urgence, qu’en raison du caractère exécutoire des décisions qu’elles sont susceptibles de rendre.
Mais, il ne suffit pas que la compétence de principe soit reconnue aux juges, il faut encore que celle-ci soit effective. On imagine par exemple, que l’une des parties puisse s’opposer à la saisine par l’autre partie, du juge des référés, en soulevant l’incompétence de celui-ci. Tenant compte de cette difficulté, les conventions et règlements d’arbitrage prévoient de manière expresse, que les mesures provisoires pourront être prononcées par l’arbitre ou par les tribunaux étatiques, et surtout, que la saisine du juge des référés en vue de l’obtention d’une telle mesure, ne doit pas être considérée comme une renonciation à l’arbitrage. Même en l’absence de disposition ou stipulation particulière, la jurisprudence en matière d’arbitrage international, notamment, admet qu’une demande de mesure provisoire ou conservatoire ne vaut pas renonciation à la convention d’arbitrage.
La compétence concurrente signifie aussi que l’arbitre est également compétent pour prendre des mesures conservatoires;ce qui peut lui être expressément reconnu ou implicitement admis, en l’absence de stipulation conventionnelle contraire. C’est dire que la compétence concurrente, qui est le principe, est dans certains cas écartée.
2). La possibilité d’aménagements conventionnels
La compétence concurrente peut être écartée en faveur, soit de l’arbitre, soit du juge étatique, car on reconnaît de plus en plus aux parties à une clause compromissoire à caractère international, le droit d’exclure par une disposition expresse, la saisine éventuelle du juge des référés, la compétence de celui-ci n’étant reconnue de manière résiduelle qu’en l’absence de telles dispositions. Le prononcé des mesures conservatoires peut d’abord être refusé expressément aux arbitres par les contractants, ce qui ne serait qu’une manifestation du principe qui veut que l’arbitre ne puisse statuer que sur les matières à lui confiées. De même, les parties peuvent réserver la compétence exclusivement aux arbitres. Dans d’autres cas, la compétence exclusive de l’un ou l’autre résulte des dispositions légales ou du Règlement d’Arbitrage, en ce sens que la soumission à tel règlement ou à telle loi emporte nécessairement adhésion à ses dispositions, relativement à ce point particulier.
Tout autre est le problème, lorsqu’un règlement d’arbitrage prévoit une procédure pré-arbitrale, c’est-à-dire que la compétence n’est plus reconnue exclusivement ou concurremment aux arbitres et/ou aux juges, mais à un tiers. L’exemple type est le référé arbitral de la CCI. Lorsque les parties introduisent une clause de référé arbitral dans leur convention, celle-ci vaut renonciation à recourir aux juges étatiques, pour les mesures résultant de la compétence du tiers. Si l’on s’en tient à ces principes, on se rend compte que les parties n’avaient rien prévu, en ce qu’elles n’ont expressément ni exclu la compétence du juge des référés, ni prévu la compétence de celui-ci. Tout au plus, l’une des parties soutenait qu’un référé arbitral avait été prévu, en l’occurrence, le référé arbitral de la CCI. Mais, les juges ont rejeté cet argument.
Ce rejet, et à travers lui, la position adoptée par la Cour d’Appel sur cette question, marque une certaine hostilité des juges camerounais à la compétence du juge des référés, en matière de mesures provisoires, lorsque, comme en l’espèce, les parties n’ont rien prévu dans le contrat.
B. L’hostilité des juges camerounais à la compétence du juge des référés, en cas de clause compromissoire
La question s’est posée de savoir si le juge des référés était compétent pour prononcer la suspension du contrat, demandée par la SITABAC, et qui constituait bien une mesure provisoire. Était-il possible de recourir au juge des référés, si les conditions de sa saisine étaient remplies ? L’une des parties n’était pas de cet avis, car selon elle, la convention étant soumise à l’arbitrage de la CCI, le référé arbitral prévu par le Règlement de cette Chambre était applicable, et par conséquent, le juge étatique était incompétent. Ces arguments ne sont pas retenus par la Cour, qui conclut au rejet de l’exception d’incompétence, et admet donc la compétence du juge des référés. Sans souscrire totalement à la solution adoptée par la Cour, tout au moins quant aux motifs, le raisonnement tenu par la REEMTSMA est en l’espèce, contestable, et ce, sur plusieurs points :
1). Si la procédure de référé arbitral à laquelle fait référence la société REEMTSMA existe effectivement, elle n’est entrée en vigueur que le 1er janvier 1990. En effet, avant cette date, la CCI n’avait organisé aucune procédure, et ce sont les règles précédemment évoquées qui s’appliquaient certainement. Or, le contrat de cession ayant été conclu le 23 janvier 1989, les parties ne pouvaient logiquement à cette date, prévoir dans leur contrat, une telle procédure. Et, à moins que le Règlement de la CCI l’ait prévu expressément – ce dont on peut douter, cette procédure ne pouvait s’appliquer aux conventions conclues avant son entrée en vigueur. Même dans l’hypothèse extrême où cette procédure aurait pu être appliquée, des réserves quant au fond du litige peuvent être également apportées.
2). L’appelant ne précise pas si les parties, lors de la conclusion de la convention, ont donné leur accord pour l’application de la procédure de référé pré-arbitral. Le seul fait que le Règlement de la CCI ait prévu un référé pré-arbitral, et que les parties aient opté pour l’arbitrage CCI, n’est pas suffisant. Il faudrait qu’en plus, les parties aient inséré dans leur contrat, une clause les obligeant à y recourir, car seule une clause contractuelle pourrait avoir force obligatoire à l’égard des parties.
LA COUR se contente d’affirmer sur ce point :
« mais, considérant que la clause compromissoire prévue à l’article 7 du contrat de cession n’a aucunement prévu le référé arbitral », on peut en déduire qu’il ne suffit pas, comme l’a dit l’appelant, que les parties aient inséré au contrat, une clause attribuant compétence à la CCI, mais qu’il aurait fallu encore que cette clause soit suffisamment explicite sur l’acceptation ou non par les parties, du référé arbitral organisé par cette institution, et sur l’exclusion de la compétence du juge étatique. Cette motivation des juges doit être approuvée à partir du moment où ils en déduisent l’incompétence du juge étatique. Mais, on peut se demander si en l’espèce, cet argument était nécessaire, et si l’incompétence du juge des référés ne pouvait pas être fondée sur d’autres éléments.
En effet, si la compétence exclusive ou concurrente du juge des référés doit être retenue relativement au prononcé des mesures provisoires, malgré l’existence d’une clause compromissoire, ce n’est qu’à la condition que soient réunies les conditions classiques d’intervention du juge des référés, que sont l’urgence et l’absence de contestation sérieuse, conditions qui ressortent des articles 182 et 185 précités du Code de Procédure Civile. Aucune dérogation n’est ici admise au droit commun. Le juge devait donc rechercher en l’espèce, si ces conditions étaient réunies, afin d’en déduire la compétence ou non de la juridiction des référés.
L’urgence découle de la nature de la mesure sollicitée, car « il y a urgence chaque fois qu’un retard dans la décision prise serait de nature à compromettre les intérêts du demandeur ». Si, comme il ressort de l’arrêt, l’annulation de la convention de cession avait été demandée au juge du fond, il apparaissait normal que la suspension de ses effets soit prononcée. On peut reprocher au juge de n’avoir pas recherché s’il y avait effectivement urgence, car « le juge des référés est habilité à prendre toutes mesures conservatoires que la situation paraît rendre nécessaires, ce qui implique qu’il relève l’urgence comme fondement de la prise de telles décisions ».
L’absence de préjudice au principal signifie quant à elle, que la mesure demandée au juge des référés ne doit pas l’amener à statuer sur le fond du litige, qui par hypothèse, est confié à la compétence des arbitres. L’ordonnance par laquelle le juge aurait porté préjudice au principal peut être sanctionnée par les juges suprêmes. Les tribunaux ont par exemple, décidé qu’il n’y avait pas préjudice au principal quant à la désignation d’un expert. Les juges devaient rechercher si la suspension du contrat pouvait porter préjudice au principal, c’est-à-dire à la nullité du contrat et de son enregistrement, demandés par la SITABAC. Comme pour l’urgence, les juges n’y ont pas procédé.
Cette attitude peut surprendre, mais elle reflète et confirme s’il en était besoin, l’hostilité du juge camerounais des référés à retenir sa compétence en présence d’une clause compromissoire. Ainsi, dans une affaire Allation Property c/ Sirpi Alusteel et Elf Serepca, où la société Allation avait sollicité la désignation d’un séquestre de fonds, celle-ci avait été refusée par le juge, au motif que « l’article C6 de cette convention énonce que tout litige relatif au présent accord de joint-venture sera réglé de façon définitive suivant les règles de conciliation et d’arbitrage de la CCI (..). Que c’est à tort que la société ALLATION a cru devoir saisir la juridiction de céans, bien qu’il s’agisse d’une mesure provisoire, la convention qui est la loi des parties ayant soumis la connaissance de tout litige sans exclusive à la juridiction arbitrale ». Le juge statue ainsi, comme dans la présente affaire, sans rechercher si la demande de désignation de séquestre remplissait les conditions d’urgence et d’absence de préjudice au principal.
Cette attitude est critiquable, mais révèle sans doute la difficulté d’appliquer en droit camerounais, des solutions prétoriennes dont la synthèse n’est pas aisée à faire. C’est en tenant certainement compte de tout cela, que 1’Acte uniforme OHADA récemment adopté, a entre autres innovations, intégré dans ses dispositions, les solutions de la doctrine et de la jurisprudence précitées. L’Acte dispose en son article 13 al. 3 : « Toutefois, l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle à ce que la demande d’une partie, une juridiction d’urgence reconnue ou motivée (..). ordonner des mesures provisoires, dès lors que ces mesures n’impliquent pas un examen du litige pour lequel le tribunal arbitral est compétent. Ce faisant, l’Acte a intégré en matière d’arbitrage, les articles 182 et 185 du Code de Procédure précités, et consacré la compétence concurrente du juge des référés et de l’arbitre quant au prononcé de ces mesures. Les parties n’auront plus le choix qu’entre admettre la « double compétence » ou écarter la compétence des arbitres. Les juges quant à eux, devront nécessairement rechercher, lorsqu’ils seront saisis, la réunion des deux conditions d’urgence et d’absence de préjudice au principal, avant de conclure au rejet ou à l’admission de leur compétence. Si cette recherche avait été suffisamment menée ici, les juges auraient pu en déduire la solution du litige qui leur était soumis, ce qui aurait par la même occasion, rendu inutile le recours au privilège de juridiction de l’article 14 du Code Civil.
Yvette KALIEU.
Chargée de Cours.
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Dschang.