J-08-186
CONVENTION D’ARBITRAGE – MESURES D’URGENCE – MESURES CONSERVATOIRES – JUGE ETATIQUE – COMPETENCE (OUI).
Le juge étatique est compétent pour décider des mesures d’urgence telles que des mesures conservatoires en dépit de l’existence d’une procédure d’arbitrage.
Arrêt n 81/REF du 15 mai 2000. Affaire n 333/RG/99-00. CONTRADICTOIRE. SOCIAA SA BAD & Me GUY EFON. DECISION DE LA COUR (voir le dispositif). Revue Camerounaise de l’Arbitrage n 12. Janvier Février Mars 2001, p. 14.
LA COUR d’Appel du Littoral à Douala, siégeant en matière civile et commerciale en son audience publique tenue au Palais de Justice de ladite ville, le quinze mai de l’an deux mil à huit heures trente et en laquelle siégeaient :
Messieurs :
– BIAKAN à NGON Jeannot, vice-Président de la Cour d’Appel de Douala, Président;
– TONFACK Jean. BENG GUENG Antoine, Conseillers à la Cour d’Appel de Douala, membres;
– Assisté de Madame POUTH Elise, GREFFIER.
A rendu l’arrêt suivant dans la cause entre :
SOCIAA SA, laquelle fait élection de domicile en l’Étude de Maître NDOKY, Avocat à Douala.
Appelante comparant par ledit Avocat.
d’une part.
ET.
BAD & Me GUY EFON, lesquels ont fait élection de domicile en l’Étude de Maître NOULOWE, Avocat à Douala.
Intimés comparant par ledit Avocat.
d’autre part.
POINT DE FAIT
Le 07 juillet 1998, intervenait dans la cause pendante entre les parties, une ordonnance de référé n 1128 rendue par le Tribunal de Première Instance de Douala, et dont le dispositif est ainsi conçu :
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes les parties, en matière de référé, en premier ressort, et après en avoir délibéré conformément à la loi.
Au principal, et sur la demande d’expertise financière :
Nous déclarons incompétent en l’espèce, et renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront.
Mais dès à présent, par provision.
Déboutons la SOCIAA de sa demande de rétractation non justifiée.
Rejetons la demande de délai de grâce comme non justifiée en l’état.
Recevons la demande reconventionnelle de la BAD, et vu l’urgence.
Ordonnons le retour à quai sous astreinte de 50 000 FCFA par jour de retard, pour compter de la signification de notre ordonnance, des chalutiers concernés.
Mettons les dépens à la charge de la SOCIAA.
En foi de quoi, la présente ordonnance a été signée par le juge qui l’a rendue, et le Greffier.
Par requête d’appel en date du 06/10/1998/END, la SOCIAA, laquelle domicile est élu au Cabinet de Me NDOKY, Avocat à Douala.
A L’HONNEUR DE VOUS EXPOSER :
Qu’elle interjette formellement appel de l’ordonnance de référé n 1128 rendue le 07/07/1998 par un juge du TPI de Douala.
C’EST POURQUOI, L’EXPOSANTE SOLLICITE QU’IL VOUS PLAISE, MONSIEUR LE PRESIDENT :
Vu les dispositions des articles 185, 190, 191et suivantes du Code de Procédure Civile et Commerciale.
Lui donner acte de la présentation de requête.
Fixer la date à laquelle l’intimée devra produire ses défenses et celles à laquelle l’affaire sera appelée à l’audience.
Dire que du tout, il sera donné avis aux parties par Monsieur le Greffier en Chef, contre récépissé.
Et advenue cette audience, l’exposante conclura qu’il plaise à la Cour :
EN LA FORME
Attendu que l’appel ainsi formulé est recevable parce que survenu dans les forme et délai légaux.
AU FOND
Il est fondé et il échet d’infirmer l’ordonnance entreprise.
Qu’en effet, la motivation du premier juge ayant abouti à la décision querellée, manque de fondement juridique et résulte d’une appréciation erronée des faits de la cause.
Que préalablement à toute critique de cette décision, qui pêche par ses nombreuses violations de la loi, il convient de rappeler tout d’abord, les circonstances de la cause.
SUR LES FAITS
Attendu que les parties ont signé un accord de prêt de USD 3.500 000, soit 1 080 000 000 en francs de l’époque, et lequel a permis à la SOCIAA d’acquérir quatre chalutiers.
Qu’en raison des effets néfastes de la dévaluation survenue entre temps, le montant dudit prêt a doublé et celui-ci est passé de 1 080 000 000 francs à 2.160 000 000 francs.
Qu’en outre, les ressources en crevettes ayant baissé considérablement, la SOCIAA n’a plus de captures importantes, ce qui l’a contrainte de pêcher essentiellement du poisson, qui ne peut se vendre que localement.
Que poursuivant sa logique, la BAD a saisi le juge des requêtes qui, par ordonnance n 2105 du 22/9/97, autorisa la saisie de ses chalutiers, pour sûreté et avoir paiement de la somme de 849.868.110 francs en principal, augmentée de celle de 80 000 000 francs à titre de frais.
Que malgré la pertinence des arguments développés au soutien de ce recours et de la demande additionnelle formulée à juste titre, le juge des référés a plutôt rendu une décision bizarre, où il soutient juridiquement, une chose et son contraire.
Qu’à l’examen du dossier, la Cour de céans ne manquera certainement pas de l’infirmer, car en dépit des difficultés, la SOCIAA a déjà payé à la BAD, la somme de 923.748 000, soit près du principal du prêt avant dévaluation.
EN DROIT
Qu’il ajoute en l’espèce, que la convention des parties ne soumet pas à la compétence exclusive du juge arbitral, les mesures conservatoires qui sont justifiées par l’urgence.
Qu’il soutient en outre, que la saisie conservatoire, mesure d’urgence, ne remet pas en cause l’existence d’une clause compromissoire, et n’implique pas un examen au fond.
Qu’une telle motivation essentiellement contradictoire et insuffisante, conforte la requérante dans sa position.
Que le juge des référés affirme une chose et son contraire.
Qu’en effet, il est surprenant qu’il retienne la compétence des juridictions étatiques, après avoir admis l’existence de la convention des parties, qui pourtant, exclut toute compétence concurrente.
Que cette convention est claire et précise et ne souffre d’aucune dérogation.
Qu’elle mentionne en effet, dans les dispositions de sa section 12-30 relative au règlement du litige, que « tout litige entre les parties au contrat de prêt ou toute revendication qui n’a pas été réglée à l’amiable, est soumis à un tribunal arbitral ».
Qu’il appert que la thèse de la compétence concurrente des arbitres et des juridictions étatiques, retenue par le juge des référés, est infondée, ce d’autant qu’il ressort à la lecture de l’ouvrage de Mrs FOUCHARD, GOLDMAN et GAILLARD, que « le principe de ladite compétence n’est pas d’ordre public, et les parties peuvent, comme il en est dans le cas d’espèce, s’interdire conventionnellement, de recourir aux juridictions étatiques pour prendre des mesures conservatoires pendant toute la durée de l’arbitrage »;Cass. 1ère Civ. 18 nov. 1986 JDI 125, note de E. GAILLARD.
Que telle a toujours été la position de la jurisprudence du TPI de Douala;voir : TPI Douala, Ord. n 1203 du 30 sept. 1997 Affaire. FLUCAM c/ VITCAM.
Que dans cette ordonnance, le juge des référés de Douala écrit : « Attendu que la convention comporte en elle une clause compromissoire, laquelle s’entend comme un contrat par lequel les parties s’engagent avant toute contestation, à soumettre à l’arbitrage, les différends qui viendront s’élever entre elles, à l’occasion de ce contrat.
Attendu que l’existence de cette clause compromissoire a été cachée au juge des requêtes.
Attendu que l’argument tiré de ce qu’il s’agit d’une mesure exécutoire, ne résiste non plus à l’examen, la règle étant que pour tout différend, il faille saisir les arbitres ».
Qu’il échet d’infirmer l’ordonnance entreprise.
Qu’il soutient en outre, que s’agissant d’une saisie conservatoire, la seule exigence consiste à vérifier si la créance est fondée dans son principe.
Qu’une telle motivation est sans fondement.
Que toute violation de cette décision équivaut à un défaut, qui constitue un motif de cassation.
Que l’ordonnance de saisie querellée n’indiquant pas la loi en vertu de laquelle la saisie a été ordonnée, manque donc de base légale.
Qu’il y a lieu de rétracter l’ordonnance de saisie n 2105 du 22 aoûtt 1997, car elle est sans fondement juridique.
Que telle motivation est curieuse et est de nature à semer la confusion dans les esprits.
Qu’il est constant qu’une expertise constitue une mesure d’instruction souple et provisoire ne préjudiciant pas au principal.
Qu’il a été admis par la jurisprudence, que la nomination d’experts, lorsqu’elle constitue un simple moyen d’information, est une mesure provisoire qui entre dans la compétence du juge des référés, dès lors qu’il n’est pas tenu de prendre parti sur l’existence des droits revendiqués, que les juges appelés à connaître du fond du litige auraient à apprécier ».
Qu’elle énonce en outre, que « le juge des référés ne préjudicie pas au principal » en chargeant l’expert, comme en l’espèce, d’établir les comptes entre les parties, une telle mission n’impliquant nullement approbation préalable desdits comptes qui seront dressés, et laissant toute latitude à l’expert, de s’expliquer à cette occasion, sur tous dires et observations des parties, ainsi que le prévoit également sa mission;Paris, 12 février 1966, JCP 66, IV éd. GL éd. A, 4863 cf. ouvrage précité n 157.
Que par ailleurs, le juge des référés n’est pas clair dans sa démarche et essaie de dénaturer la convention des parties, lorsqu’il affirme que ladite convention exclut la compétence du juge étatique.
Que dès lors, toute compétence concurrente entre les juridictions étatiques et le tribunal arbitral est exclue, celle-ci n’étant reconnue que dans la phase d’exécution de la sentence arbitrale.
Que cette contradiction dans les motifs de l’ordonnance attaquée équivaut à un défaut de motifs, qui justifie son infirmation.
Qu’une telle allégation est fausse, car il ressort des pièces versées au dossier, que la SOCIAA a effectué pour le compte de la Banque, plusieurs règlements en 1997, un règlement de 120 millions de francs en 1998, entre les mains de Me NOULOWE.
Qu’en outre, la saisie conservatoire en matière arbitrale n’est pratiquée que pour préparer l’exécution de la sentence, et lorsqu’il y a risque de disparition de la garantie.
Que c’est pourquoi, elle a sollicité du juge des référés, qu’il accorde un délai de grâce de 5 ans, conformément aux dispositions de l’article 1244 alinéa 3 et 4 du CC, délai au cours duquel elle prend des dispositions nécessaires pour payer la BAD.
Qu’il échet donc d’infirmer sur ce point, l’ordonnance attaquée, en ordonnant la discontinuation des poursuites à l’encontre de la SOCIAA.
Que nul n’ignore que l’immobilisation des navires contribue à leur détérioration et cause la perte de leur valeur.
Que cette immobilisation ne peut donc être profitable à la SOCIAA, appelée à gérer au moins 300 emplois générés par le projet, et à supporter différentes charges relatives à l’exploitation des bateaux.
Qu’il convient donc d’infirmer l’ordonnance rendue par le premier juge, pour motifs de manque de base légale et mauvaise appréciation des faits de la cause.
PAR CES MOTIFS
EN LA FORME
Recevoir la requérante en son appel, comme intervenu dans la forme et délai légaux.
AU FOND
Infirmer donc, l’ordonnance attaquée.
ÉVOQUANT ET STATUANT A NOUVEAU.
Constater que les parties sont liées par une convention d’arbitrage, qui interdit de recourir aux juridictions étatiques, et qui donne compétence exclusive aux arbitres.
Constater la violation de l’accord de prêt par la saisie des chalutiers, ainsi que celle des dispositions de l’article 1134 du CC, qui stipulent que « toute convention passée entre les parties tient lieu de loi à celles-ci ».
Constater que les dispositions du Code de la Marine Marchande ne trouvent pas leur application ici, car la saisie conservatoire mentionnée dans l’ordonnance est relative aux poursuites par voies judiciaires.
Constater que la créance n’est pas certaine et n’obéit pas aux critères de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952.
Constater l’absence de l’urgence et du péril en la demeure, conditions justifiant la compétence concurrente des juridictions étatiques et des arbitres.
Constater en outre, que l’ordonnance de saisie a été obtenue sur des bases mensongères, car la SOCIAA paie quand elle peut, elle est toujours en relation avec la BAD, avec qui elle négocie, discute, comme l’attestent les différentes missions de la Banque à la SOCIAA et des voyages de la SOCIAA sur Abidjan, notamment celui du mois d’avril 1998.
Constater que la demande additionnelle de la SOCIAA est recevable et fondée.
Constater que la demande reconventionnelle de la BAD est sans objet.
EN CONSEQUENCE
Au principal
Rétracter l’ordonnance n 2105 du 22 aoûtt 1997, qui est sans fondement juridique.
Subsidiairement :
Au cas où le juge des requêtes est compétent pour ordonner une saisie en l’espèce.
Recevoir la SOCIAA en ses demandes additionnelles qui sont fondées.
Lui accorder donc, au vu des difficultés réelles, un délai de grâce de 5 ans, conformément aux dispositions de l’article 1244 du CC.
Ordonner la discontinuation des poursuites à son encontre pendant cette période.
Désigner un expert financier, aux fins de clarification de la situation des parties, avant et après la dévaluation.
Rejeter la demande reconventionnelle comme non fondée.
La condamner aux dépens dont distraction au profit de Me NDOKI, Avocat aux offres et affirmations de droit.
SOUS TOUTES RESERVES
Par ordonnance de fixation de date d’audience en date du 5 février 1999 sous le n 201/RG 798-99, le Président de la juridiction saisie donnait acte à la SOCIAA, de la présentation de sa requête d’appel;disait qu’avis desdites requêtes d’appel et ordonnance sera donné aux parties par le Greffier en Chef de la Cour;fixait au 2 février 1999, la date limite de production de défense par l’intimé, et au 15 février 1999, celle de l’audience à laquelle la cause sera appelée.
La cause, sur cette notification régulièrement inscrite au rôle de la Chambre Civile, sous le n 337 RG/99-2000, fut appelée à l’audience fixée, et après plusieurs renvois utiles.
Le Conseil des intimés a sollicité de la Cour, l’adjudication de ses conclusions, et dont le dispositif est ainsi conçu :
PAR CES MOTIFS
Adjuger à la concluante, l’entier bénéfice de ses précédentes écritures.
SOUS TOUTES RESERVES
Le Conseil de l’appelant a sollicité de la Cour, l’adjudication de ses conclusions, et dont les dispositifs sont ainsi conçus :
PAR CES MOTIFS
Constater que les conditions de la renonciation implicite ne sont pas réunies ici.
Constater que le principe de l’incompétence des juridictions étatiques en présence d’une clause compromissoire est acquis.
Constater que les juges étatiques peuvent prendre des mesures conservatoires, telles celles autorisant la saisie des navires, dont le régime est spécial.
Constater que même lorsque certaines mesures provisoires ou conservatoires pourraient être prises, celles-ci sont conditionnées par une urgence motivée, et pourvu qu’elles n’empiètent par sur le droit au fond.
EN CONSEQUENCE
Constater que c’est à tort, que le juge des requêtes de Douala a ordonné la saisie des chalutiers appartenant à la SOCIAA.
Infirmer en conséquence, l’ordonnance entreprise.
ÉVOQUANT ET STATUANT A NOUVEAU :
Rétracter l’ordonnance sur requête n 2105 du 22/ 8/97.
Condamner la BAD aux entiers dépens distraits au profit de Me NDOKY, Avocat aux offres et affirmations de droit.
SOUS TOUTES RESERVES
PAR CES MOTIFS
Vu les dispositions de la Convention de Bruxelles de 1952 produite aux débats.
Constater que, en présence de la clause compromissoire liant les parties, le juge des requêtes n’aurait pas dû autoriser la saisie conservatoire querellée, le juge de fond étant incompétent pour la validité.
ÉVOQUANT ET STATUANT A NOUVEAU :
Rétracter l’ordonnance sur requête n 2105 du 22/8/97.
Condamner la BAD aux entiers dépens distraits au profit de Me NDOKY, Avocat aux offres et affirmation de droit.
SOUS TOUTES RESERVES
SUR QUOI, l’affaire a été mise en délibéré, pour arrêt être rendu le 15 mai 2000.
Advenue ladite audience, la Cour, vidant son délibéré, a rendu par l’organe de son Président, à haute voix, l’arrêt dont la teneur suit :
LA COUR
Vu l’ordonnance de référé n 1128 rendue le 7 juillet 1998 par le Président du Tribunal de Première Instance de Douala.
Vu l’appel interjeté contre ladite ordonnance.
Ouï Monsieur le Président en son rapport.
Ouï les parties en leurs prétentions.
Vu les pièces du dossier de la procédure.
APRES AVOIR DELIBERE CONFORMEMENT A LA LOI :
Considérant que par requête écrite enregistrée le 6 octobre 1998 au Greffe de la Cour d’Appel de céans sous le n 13, la Société Camerounaise des Industries Agro-Alimentaires (SOCIAA) SA, ayant pour Conseil Me NDOCKY, Avocat au Barreau du Cameroun, a interjeté appel contre l’ordonnance n 1128 rendue le 7 juillet 1998 par le Président du Tribunal de Première Instance de Douala, statuant en matière de référé, dans la cause l’opposant a la Banque Africaine de Développement (BAD) et Maître Guy EFON, représentés par Maître NOULOWE, Avocat à Douala.
EN LA FORME
Considérant que l’appel susvisé relevé avant toute signification de l’ordonnance n 1128 du 7 juillet 1998, est régulier et recevable pour l’avoir été dans les forme et délai de la loi;qu’il y a lieu de le recevoir.
Considérant que toutes les parties sont représentées et ont conclu par l’organe de leurs conseils respectifs.
Qu’il convient de statuer contradictoirement à leur égard.
AU FOND
Considérant qu’il est fait grief au juge des référés, d’avoir apprécié les faits de la cause de manière erronée;que la SOCIAA soutient avoir signé une convention de prêt de 1 080 000 000 francs pour l’acquisition des chalutiers;que la dévaluation du FCFA étant survenue, la dette s’est élevée finalement à 2.160 000 000 francs;qu’à cause de celle-ci et de la baisse des ressources en crevettes, la SOCIAA n’a pu respecter le calendrier de remboursement;qu’elle a saisi son partenaire pour lui faire part de ses difficultés et de la nécessité de réaménager la dette;que la BAD a refusé d’accéder à sa demande, malgré les démarches entreprises et les missions dépêchées à Douala.
Qu’ainsi, la BAD a saisi le juge des requêtes qui, par ordonnance n 2105 du 22 aoûtt 1997, a autorisé la saisie de ses chalutiers, pour sûreté et avoir paiement de la somme de 849.668.110 francs en principal, augmentée de celle de 80 000 000 francs à titre de frais;qu’elle a donc assigné la BAD devant le juge des référés, aux fins de rétractation de l’ordonnance de saisie querellée;que le juge a rendu l’ordonnance dont appel.
Que pour retenir la compétence du juge des requêtes dans cette cause, le juge des référés a soutenu qu’il est de doctrine et de jurisprudence constante, que les juridictions étatiques sont compétentes pour ordonner des mesures conservatoires, et que leur compétence, concurremment à celle des arbitres, ne peut être limitée que par des termes exprès de la convention d’arbitrage;qu’il a ajouté que la convention des parties ne soumet pas à la compétence exclusive du juge arbitral, les mesures conservatoires qui sont justifiées par l’urgence;qu’enfin, il a relevé que la saisie conservatoire – mesure d’urgence – ne remet pas en cause l’existence d’une clause compromissoire et n’implique pas un examen au fond.
Qu’elle relève que le premier juge ne pouvait retenir la compétence des juridictions étatiques, après avoir admis l’existence de la convention des parties, qui pourtant exclut toute compétence concurrente;que cette convention est claire et précise, et ne souffre d’aucune dérogation;qu’en sa section 12-3 relative au règlement du litige, il est mentionné que « tout litige entre les parties au contrat de prêt ou toute revendication qui n’a pas été réglée à l’amiable, est soumis à un tribunal arbitral »;que dès lors, toute appréciation contraire, comme en l’espèce, est viciée et constitue une violation flagrante des dispositions de l’art. 1134 du Code Civil, donc du principe de la force obligatoire d’une convention;que la thèse de la compétence concurrente des arbitres et des juridictions étatiques retenue par le juge des référés, est infondée;que la doctrine tirée de l’ouvrage de FOUCHARD, GOLDMAN et GAILLARD énonce que « le principe de ladite compétence n’est pas d’ordre public, et les parties peuvent, comme il en est dans le cas d’espèce, s’interdire conventionnellement de recourir aux juridictions étatiques, pour prendre des mesures conservatoires, pendant toute la durée de l’arbitrage »;que la jurisprudence a estimé que « le pouvoir du juge étatique d’ordonner les mesures conservatoires, ne pouvait être écarté que par une convention expresse des parties, ou par une convention explicite résultant de l’adoption d’un règlement d’arbitrage qui comporterait une telle dénonciation »;qu’elle prétend que l’existence de la clause compromissoire a été cachée au juge des requêtes;que l’argument tiré de ce qu’il s’agit d’une mesure provisoire, ne résiste pas à l’examen, la règle étant que pour tout différend, il faille saisir les arbitres;que la jurisprudence du Tribunal de Première Instance de Douala est constante sur ce point, et le brusque revirement doit être sanctionné par la Cour;qu’elle conclut à l’infirmation de l’ordonnance querellée.
Qu’elle reproche également au juge des référés de s’être déclaré incompétent à connaître de la demande tendant à la désignation d’un expert financier, après avoir retenu la compétence du juge étatique à ordonner une saisie conservatoire;que cette mesure relève pourtant de sa compétence habituelle;que pour ce faire, il a allégué que deux conditions devaient être réunies, à savoir : l’urgence et le fait que le litige auquel se rapporte l’expertise sollicitée soit de la compétence des tribunaux étatiques;qu’il a estimé que ces deux conditions n’étaient pas réunies, la SOCIAA n’ayant pas établi l’urgence de ladite mesure, et le juge des référés n’étant pas compétent, dès lors que la clause compromissoire liant les parties exclut la compétence du juge du fond;que la SOCIAA soutient que pareille motivation est curieuse et de nature à semer la confusion dans les esprits;qu’une expertise constitue une mesure d’instruction souple et provisoire ne préjudiciant pas au principal.
Qu’elle relève en outre, que le juge des référés essaie de dénaturer la convention des parties, lorsqu’il affirme que ladite convention exclut la compétence du juge étatique du fond;que la clause compromissoire liant les parties indique très clairement que seul le juge arbitral est compétent à connaître de tout litige né de la convention et non réglé à l’amiable;que dès lors, les juridictions étatiques ne peuvent intervenir que dans la phase d’exécution de la sentence arbitrale;qu’ainsi, en décidant que le juge étatique est compétent pour autoriser la saisie conservatoire, et en se déclarant en même temps incompétent pour ordonner une expertise financière, qui pourtant, constitue une mesure provisoire, le juge des référés s’est contredit dans sa motivation;qu’il échet d’infirmer l’ordonnance entreprise.
Qu’elle relève que la BAD, pour emporter la religion du juge des requêtes, a affirmé que la SOCIAA ne lui a rien payé depuis 1996, alors que plusieurs règlements effectués en 1997 et 120 millions en 1998 lui ont été versés par le couvert de Maître NOULOWE, son Conseil.
Qu’elle soutient que la saisie conservatoire en matière arbitrale n’est pratiquée que pour préparer l’exécution de la sentence, et lorsqu’il y a risque de disparition de la garantie;que la SOCIAA payant ce qu’elle peut et entendant rembourser le prêt accordé intégralement, l’ordonnance de saisie n 2105 du 23 août 1997 ne se justifie plus.
Qu’enfin, contrairement à l’opinion du juge des référés, la demande relative à l’octroi des délais de grâce est justifiée par l’article 1244 CC, du moment que la concluante a prouvé sa bonne foi et ses difficultés d’exploitation;qu’immobiliser ses chalutiers contribuerait à mettre son existence en péril;qu’elle souhaite l’infirmation de l’ordonnance attaquée, en ordonnant la discontinuation des poursuites à son encontre.
Qu’en faisant droit à la demande reconventionnelle formulée par la BAD portant sur le retour à quai, sous astreinte de 50 000 F par jour de retard, des chalutiers objet de la saisie, le premier juge a considéré l’argumentaire de celle-ci relative à la violation des articles 110 et 111 du Code de la Marine Marchande;que cette institution n’a pourtant pas apporté la preuve de manœuvres frauduleuses de la part de la SOCIAA, pour emporter la conviction du juge des requêtes;qu’il y a lieu d’infirmer ladite ordonnance, pour manque de base légale et mauvaise appréciation des faits de la cause.
Considérant que pour faire échec aux prétentions de la SOCIAA, Maîtres NOULOWE et TCHANGA, Conseils de la BAD, concluent à la confirmation de l’ordonnance querellée;que celle-ci est exempte de critique;que sur la prétendue incompétence du juge des requêtes à autoriser la saisie sollicitée par la BAD, ils soutiennent que c’est à juste titre que le premier juge a rappelé le principe fondamental consacré en la matière par le droit positif, à savoir que « la stipulation d’une clause compromissoire ne met pas obstacle à l’intervention du juge étatique pour prendre des mesures conservatoires ou provisoires »;que c’est ainsi que la SOCIAA, dans sa requête d’appel (pages 3 et 4), cite une doctrine et une jurisprudence qui confortent plutôt la position soutenue par la concluante et adoptée par le juge des référés;qu’ils expliquent que la seule stipulation d’une clause compromissoire dans un contrat ne fait pas obstacle à l’intervention du juge étatique pour prendre des mesures conservatoires ou provisoires;que ce pouvoir ne peut être écarté que par une disposition expressément stipulée, en plus de la clause compromissoire elle-même, ou par un règlement d’arbitrage qui comporte renonciation explicite des parties à recourir au juge étatique pour ces mesures;qu’enfin, les dispositions d’une clause compromissoire sont d’application littérale et doivent s’interpréter restrictivement;qu’en outre, ils relèvent qu’en sollicitant des délais de grâce, la SOCIAA a ôté tout intérêt aux débats, d’autant plus qu’elle renonçait ainsi à se prévaloir de la clause compromissoire :
Qu’il s’agit d’un moyen de fond utilisé pour faire obstacle à une procédure de recouvrement et non d’une mesure conservatoire ou provisoire.
Que s’agissant du bien-fondé de la saisie, ils font valoir que le visa d’un texte de loi ne constitue pas une solution nécessaire à la régularité ou à la validité d’une décision de justice;qu’une décision est justifiée en droit, selon l’article 5 de l’ordonnance n 72/4 du 26 aoûtt 1972, lorsqu’elle est conforme au droit positif applicable au cas d’espèce, et non parce qu’elle s’est contentée de viser un texte de loi;qu’il est évident que c’est en application du Code de la Marine Marchande, pris en ses articles 112 et 113, qui reprennent les principes essentiels consacrés en matière de saisie conservatoire, que le juge des requêtes a rendu l’ordonnance entreprise;que l’article 5 de l’ordonnance 72/4 n’a donc pas été violé;qu’ils soutiennent également que, contrairement aux prétentions de la SOCIAA, l’article 1er alinéa 1 (9) de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 énumère l’hypothèque maritime parmi les catégories des créances maritimes;qu’en l’espèce, l’hypothèque a été constituée sur les chalutiers dont s’agit, par acte en date du 09 octobre 1993 de Maître MOUSSINGA, Notaire;que le moyen tiré du manque de base légal est inopérant.
Qu’ils relèvent que l’ordonnance sur requête n’a pas été obtenue sur la base des déclarations mensongères, comme le prétend la SOCIAA;qu’en réalité, les paiements dont elle se prévaut sont d’octobre 1997 et avril 1998, soit postérieurement à l’ordonnance du juge des requêtes;qu’en réalité, l’ordonnance avait été présentée le 21 aoûtt 1997, avant les paiements effectués par la SOCIAA;que celle-ci s’est engagée après le dernier paiement de 120 000 000 francs en avril 1998, à effectuer des versements de 30 000 000 francs chaque mois;que cet engagement n’a pas été tenu à ce jour;que c’est donc à bon droit que la demande de rétractation de la SOCIAA a été rejetée.
Qu’ils exposent, s’agissant de la demande reconventionnelle, que c’est à juste titre que le juge des référés a constaté la violation des articles 110 et 111 du Code de la Marine Marchande;qu’en effet, lorsqu’un navire a été saisi, l’autorisation de son appareillage pour un ou plusieurs voyages est subordonnée à la fourniture, par le débiteur, d’une garantie suffisante;qu’il échet de confirmer la décision du juge des référés et de condamner la SOCIAA aux dépens dont distraction au profit de Maîtres NOULOWE et TCHANGA, Avocats aux offres de droit.
Considérant que par d’autres écritures prises le 6 aoûtt 1999, la SOCIAA réitère qu’elle est de bonne foi;qu’elle soutient qu’un débiteur de mauvaise foi ne peut sans cesse clamer sa volonté de payer sa dette, à condition que l’on lui en donne les possibilités;que dans sa volonté de trouver une solution avec la BAD, la SOCIAA a dépêché plusieurs missions à Abidjan, au siège de cet organisme;que celui-ci n’a usé que de menaces et d’intimidation, au lieu de réajuster sa politique en fonction des réalités du terrain;qu’elle allègue que l’audit de ses comptes a démontré qu’elle ne pouvait supporter les semestrialités de l’accord initial, sans disparaître;que sa bonne foi se traduit donc par la recherche constante de solutions auprès de son partenaire;qu’elle a repris les facteurs ayant contribué à ses difficultés, à savoir : doublement du prêt du fait de la dévaluation, augmentation du prix du gasoil et la raréfaction des crevettes – qui étaient la denrée la plus prisée, et sur laquelle reposaient les ventes à l’étranger;qu’elle relève en outre, s’être acquittée de plus d’un milliard de sa dette, prouvant ses bonnes dispositions à payer sa dette.
Qu’elle répète que le juge des référés est incompétent à connaître de la moindre contestation entre les parties, du fait de l’existence d’une clause compromissoire dans la convention liant les parties;qu’ainsi, aucune autre solution n’est envisageable en dehors du tribunal arbitral visé par le contrat;que deux ans après la saisie pratiquée par la BAD, celle-ci n’a toujours pas saisi le tribunal arbitral, ni toute autre juridiction pour faire valider, signe qu’elle n’est pas plus intéressée par le remboursement de sa créance, que d’asphyxier son cocontractant;que la caducité de cette saisie non validée est évidente, et mainlevée doit être ordonnée;qu’en outre, contrairement aux prétentions de la BAD, la SOCIAA n’a pas renoncé à son exception d’incompétence, parce qu’elle a formulé une demande de façon subsidiaire;que cet argument constitue d’ailleurs, son élément majeur de défense;que le juge peut soulever d’office cette incompétence;qu’il y a lieu pour _____ retard dans la décision à intervenir risque de mettre en péril les intérêts d’une des parties (Paris, 3 mai 1917-D.P. 1917.2.113).
Que dans le cas d’espèce, c’est la pertinence de la demande qui est sujette à caution;qu’en effet, le montant du prêt est précis, et par le concours de la dévaluation, il a été porté au double;que les paiements n’étant pas nombreux, il est facile d’en tirer le reliquat à payer;que cette demande apparaît donc comme dilatoire et non pertinente.
SUR LES DELAIS DE GRACE ET LA BONNE FOI
Considérant que la SOCIAA sollicite les délais de grâce, conformément aux dispositions de l’article 1244 alinéa 2 CC, sa bonne foi étant manifestée par des paiements fréquents.
Mais, considérant que le fait de proclamer qu’on entend sa dette ne peut constituer une preuve de bonne foi;qu’en effet, les paiements de la SOCIAA ne sont ni suivis ni fréquents;que les arriérés se sont accumulés;qu’à la suite d’une saisie des mêmes bateaux, elle a payé la somme de 120 000 000 F et promis de verser chaque mois, celle de 30 000 000 F correspondant à son pouvoir réel;qu’elle n’a pas honoré ses engagements, cependant.
Considérant que la bonne foi ne saurait être reconnue à un débiteur qui paie sous la contrainte, et qui ne fait même pas d’offre réelle à son créancier;qu’il échet de rejeter les délais de grâce demandés par la SOCIAA.
SUR LA RENONCIATION DE LA SOCIAA
Considérant que la renonciation doit être expresse et non supposée;que le lien produit par la convention est essentiellement irrévocable et ne dépend pas du caprice ni de la volonté d’un seul des contractants.
Considérant que le fait pour la SOCIAA de solliciter des délais de grâce, ne peut valoir renonciation à la clause compromissoire;que cet argument a été utilisé comme moyen de défense subsidiairement à la demande d’incompétence du juge étatique;qu’elle ne saurait en conséquence, s’interpréter en une renonciation.
SUR LA CADUCITE DE LA SAISIE
Considérant que la saisie conservatoire ne peut être une mesure provisoire, que si elle est suivie d’une procédure permettant le recours aux arbitres institué par la convention signée entre les arbitres, ou à une instance au fond;qu’or, depuis l’ordonnance n 2105 du 22 aoûtt 1997, la BAD n’a rien entrepris pour saisir les arbitres;qu’elle a plutôt saisi le Président du Tribunal de Grande Instance du Wouri, qui lui a signé une injonction de payer;que cette ordonnance a été rétractée sur contredit de la SOCIAA, le juge estimant qu’il était incompétent en présence d’une clause compromissoire.
Considérant que le fait de se tromper de procédure équivaut à un défaut de procédure.
Considérant que le Code de la Marine Marchande est muet sur les délais pour poursuivre l’action après obtention d’une saisie conservatoire;que cependant, l’article 113 dudit Code dispose qu’elle « ne porte aucune atteinte aux droits du propriétaire »;qu’or, en maintenant le statu quo, le saisissant atteint irrémédiablement les intérêts du propriétaire, dont les chalutiers se trouvent immobilisés, sans perspective d’aboutissement de l’arbitrage souhaité en cas de conflit, lors de la signature de la convention liant les parties;que cette situation emporte un préjudice irréparable au propriétaire privé des outils, pour payer sa dette ou pour survivre, et met irrémédiablement en péril la créance.
Considérant que face au silence du Code de la Marine, l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution de l’OHADA, en son article 61, dispose que « si ce n’est dans le cas où la saisie conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier doit, dans le mois qui suit ladite saisie, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire. »;que force est de constater que depuis que la saisie a été ordonnée le 22 aoûtt 1997, la BAD n’a accompli aucun acte démontrant son intention de poursuivre son action vers l’aboutissement;qu’il y a lieu de déclarer en conséquence, cette autorisation de saisie conservatoire caduque, par infirmation de l’ordonnance entreprise;qu’il convient donc de rétracter l’ordonnance n 2105 du 22 aoûtt 1997 ayant autorisé la saisie conservatoire des chalutiers de la SOCIAA, et de rejeter les autres prétentions des parties, comme non fondées.
Considérant qu’il convient de mettre les dépens à la charge de la BAD, distraits au profit de Maître NDOKY, Avocat aux offres de droit.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard des parties, en matière civile et commerciale, en appel et en dernier ressort.
EN LA FORME
Reçoit l’appel.
AU FOND
Vu la clause compromissoire.
Se déclare compétente.
Infirme l’ordonnance entreprise.
STATUANT A NOUVEAU.
Rejette la demande d’expertise de la SOCIAA.
Rétracte l’ordonnance n 2105 du 22 aoûtt 1997.
Rejette les autres prétentions des parties.
Renvoie la BAD à mieux se pourvoir.
Met les dépens à la charge de la BAD distraits au profit de Maître NDOKY, Avocat aux offres de droit.
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique les mêmes jour, mois et an que dessus.
En foi de quoi, la présente ordonnance a été signée par le Président et le Greffier.
NOTE
Sur la base de faits simples et clairement exposés, la Cour d’Appel de Douala a rendu l’arrêt ci-dessus rapporté, qui mérite d’être approuvé pour deux raisons.
1). Alors que le juge camerounais des référés s’est toujours systématiquement déclaré incompétent pour ordonner des mesures provisoires ou conservatoires en face d’une clause compromissoire, cet arrêt consacre le revirement opéré par le juge des référés de Douala par ordonnance n 1128 du 7 juillet 1998, et dans lequel il est affirmé qu’ » il est de doctrine et de jurisprudence constantes que les juridictions étatiques sont compétentes pour ordonner des mesures conservatoires, et que leur compétence, concurremment à celle des arbitres, ne peut être limitée que par des termes expresses de la convention d’arbitrage ».
L’arrêt rapporté confirme cette thèse, en indiquant que « la stipulation d’une clause compromissoire ne met pas obstacle à l’intervention du juge étatique pour prendre des mesures provisoires ou conservatoires..;que dans l’espèce, aucune convention entre les parties contractantes n’interdit expressément ce recours (au juge étatique); ».
On peut, cependant, regretter que la Cour d’Appel de Douala ait omis de viser dans sa décision, l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, alors que ce texte, qui tient lieu de loi relative à l’arbitrage dans les Etats Parties à l’OHADA, et qui était déjà en vigueur au moment où est intervenu l’arrêt commenté, énonce en son article 13 alinéa 4, que « ..l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle à ce qu’à la demande d’une partie, une juridiction, en cas d’urgence reconnue et motivée, ou lorsque la mesure devra s’exécuter dans un Etat non partie à l’OHADA, ordonne des mesures provisoires ou conservatoires, dès lors que ces mesures n’impliquent pas un examen du litige au fond, pour lequel seul le tribunal arbitral est compétent ».
Bien que n’ayant pas visé ce texte, la Cour d’Appel de Douala a tout de même rendu une décision qui lui est conforme, et il faut espérer que la jurisprudence sera définitivement fixée dans ce sens.
2). En réalisation des garanties du prêt qu’elle avait accordé à la SOCIAA, la Banque Africaine de Développement (BAD). a obtenu du juge des requêtes de Douala, une ordonnance de saisies des chalutiers appartenant à la SOCIAA.
Lors de l’instance en rétractation de l’ordonnance sur requête sus évoquée, le juge des référés de Douala a, comme indiqué plus haut, reconnu la compétence des juridictions étatiques pour ordonner des mesures provisoires, malgré l’existence entre les litigants, d’une clause compromissoire.
Devant le juge des référés, la SOCIAA sollicitait non seulement la rétractation de l’ordonnance sur requête ayant ordonné la saisie de ses navires, mais aussi l’octroi des délais de grâce pour le paiement de sa dette vis-à-vis de la BAD.
Alors que cette institution financière internationale croyait déceler dans la demande des délais de grâce de la SOCIAA, une renonciation à la clause compromissoire, la Cour d’Appel de Douala réfute une telle affirmation, en rappelant opportunément que la renonciation à la clause compromissoire doit être expresse et non supposée.
Ensuite, expliquant que l’autorisation de saisie des navires donnée à la BAD par le juge des requêtes ne pouvait conserver sa nature de mesure provisoire, que si elle avait été suivie d’une procédure arbitrale introduite par la BAD, tel que convenu, en l’espèce, par les parties, la Cour de Douala constate que depuis l’ordonnance sur requête n 2105 du 22 aoûtt 1997 l’autorisant à saisir les navires de la SOCIAA pour sûreté de sa créance, « la BAD n’a rien entrepris pour saisir les arbitres;qu’elle a plutôt saisi le Président du Tribunal de Grande Instance du Wouri, qui lui a signé une injonction de payer;que cette ordonnance a été rétractée sur contredit de la SOCIAA, le juge estimant qu’il était incompétent en présence d’une clause compromissoire.
SUR QUOI, les juges d’appel ont infirmé l’ordonnance de référé entreprise, non pas parce qu’elle a reconnu au juge étatique la compétence pour octroyer des mesures provisoires ou conservatoires, malgré l’existence entre les parties, d’une clause compromissoire, mais en ce que la mesure provisoire ainsi accordée n’a pas été suivie de la mise en œuvre, par la BAD, de la clause compromissoire contenue dans le contrat de prêt, en vue de l’obtention d’un titre exécutoire contre sa débitrice. Sur ce point également, l’arrêt de la Cour d’Appel de Douala doit être approuvé, car il est conforme tant à la loi, qu’à la volonté des parties.
En effet, en ce qui concerne la conformité de cette décision à la loi, l’article 61 al. 1 de l’Acte uniforme OHADA portant recouvrement simplifié des créances et de voies d’exécution impartit un délai d’un moins, à peine de caducité, au créancier bénéficiaire d’une saisie conservatoire, comme l’était la BAD en l’espèce, pour introduire ou accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire.
Comme indiqué plus haut, la procédure que devait introduire la BAD pour obtenir un titre exécutoire, consistait dans la mise en œuvre de la clause compromissoire la liant à sa débitrice.
Or, la BAD a tenté de contourner la procédure arbitrale convenue avec la SOCIAA, car après avoir obtenu du juge des requêtes, la saisie conservatoire des navires de celle-ci, ladite BAD a saisi un autre juge étatique, à l’effet de se faire obtenir une ordonnance d’injonction de payer tenant lieu de titre exécutoire prévu par l’article 61 suscité. A cet égard, la Cour d’Appel précise que « .. le fait de se tromper de procédure équivaut à un défaut de procédure ».
A la suite de la notification, par la BAD à la SOCIAA, de l’ordonnance d’injonction de payer obtenue en violation de la clause compromissoire contenue dans l’accord de prêt la liant à cette dernière, la SOCIAA a formé opposition, et le juge étatique saisi par ladite opposition, a rapporté une ordonnance d’injonction de payer en question et s’est déclaré incompétent ratione materiae pour connaître de la demande de recouvrement de la BAD, en raison de la clause compromissoire liant les parties.
En déclarant caduque l’ordonnance sur requête ayant autorisé la BAD à saisir conservatoirement les navires de sa débitrice, la Cour d’Appel de Douala rappelle aux parties, que leur volonté avait été de soumettre à l’arbitrage, le fond de tout litige susceptible de s’élever entre elles;tel est le sens de l’article 12-03 de l’accord de prêt selon lequel « tout litige entre les parties au contrat de prêt ou toute revendication qui n’a pas été réglée à l’amiable est soumis à un tribunal arbitral ».
Dans ces conditions, au lieu de procéder comme elle l’a fait, n’était-il pas plus judicieux pour la BAD, dès le départ, de mettre en œuvre la clause compromissoire contenue dans l’accord de prêt la liant à sa débitrice ?.