J-08-187
ARBITRAGE – ACTION EN ANNULATION D’UNE CONVENTION D’ARBITRAGE – ACTION PENALE ET ACTION CIVILE ENTREPRISES SUR LA BASE DE FAITS IDENTIQUES – EFFET SUSPENSIF DE L’ACTION PENALE SUR L4ACTION CIVILE – CONTRARIETE A L’ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL (NON) – AUTONOMIE DE L’ACTION ARBITRALE.
REJET DE L’ACTION EN ANNULATION DE LA SENTENCE ARBITRALE.
L’article 4 du Code de Procédure Pénal français, qui oblige le juge civil à surseoir à statuer lorsque, procédant des mêmes faits, l’action civile et l’action publique sont exercées séparément ou que la décision à intervenir au pénal est susceptible d’influer sur celle à rendre par la juridiction civile, est sans application pour l’arbitre statuant en matière internationale, en raison de l’autonomie de cette procédure qui obéit à des règles propres.
Considérant, cependant, que rien n’interdit au tribunal arbitral d’estimer qu’une procédure pénale est de nature à influer sur la solution du litige dont il est saisi et d’ordonner pour ce motif un sursis a statuer dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité.
Considérant que le juge de l’annulation n’a pas le pouvoir d’apprécier le bien ou le mal-jugé de la sentence dont il contrôle la régularité;qu’il n’est pas démontré que la solution apportée heurterait l’ordre public international, le recours en annulation contre la sentence intérimaire doit être rejeté.
Cour d’Appel de PARIS, 1ère Chambre, section C. Arrêt du 1er mars 2001, numéro d’inscription au répertoire général : 1999/20093 (Pas de jonction). Revue Camerounaise de l’Arbitrage n 13. Avril Mai Juin 2001, p. 23.
Recours en annulation d’une sentence arbitrale (CCI 9899/AC/DB). rendue le 28 juin 1999 à Paris par la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale, le Tribunal arbitral étant composé de MM. André BRUYNEEL, Charles CHOUCROY et Jean-Michel DARROIS
Date ordonnance de clôture : 21 septembre 2000. Nature de la décision : CONTRADICTOIRE. Décision : REJET
Demanderesses au recours en annulation :
La REPUBLIQUE DU CONGO, représentée par son Ministre des Finances et du Budget, élisant domicile à la CAISSE CONGOLAISE D’AMORTISSEMENT ayant son siège BP 2090 BRAZZAVILLE, République du Congo.
La CAISSE CONGOLAISE D’AMORTISSEMENT dont le siège social est BP 2090 BRAZZAVILLE, République du Congo.
Représentées par la S.C.P. BERNABE – BERNABE, CHARDIN CHEVILLER, Avoués;Assistées de Maître Jean-Yves GARAUD et de Renaud THOMINETTE, Avocats à la Cour (J.21).
Défenderesse au recours en annulation :
La S.A. COMMISIMPEX dont le siège social est Boulevard Lyautey, B.P. 2082 BRAZZAVILLE, République du Congo.
Représentée par la S.C.P. GAULTIER KISTNER, Avoué.
Assistée de Maître BREMOND, Avocat à la Cour (R.038).
Composition de la Cour (lors du délibéré) :
Président : Madame PASCAL.
Conseiller : Monsieur MATET.
Conseiller : Madame CHAUBON.
Cette dernière, appelée d’une autre chambre pour compléter la Cour, en remplacement des autres membres de cette chambre, légitimement empêchés.
GREFFIER lors des débats et du prononcé de l’arrêt : Mlle FERRIE.
MINISTERE PUBLIC représenté aux débats par Monsieur LAUTRU, Avocat Général, qui a été entendu en ses explications.
DEBATS :
A l’audience publique du 30 juin 2001, Monsieur MATET, Magistrat chargé du rapport, a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.
ARRET CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par Madame PASCAL, Président, qui a signé la minute avec Mlle FER RIE, Greffier.
La République du Congo a confié à la S.A. COMMISIMPEX, société d’import-export, de constructions et de génie civil, des projets de développement de l’économie de ce pays.
La S.A. COMMISIMPEX est restée créancière de l’Etat congolais, au titre de différents marchés exécutés entre 1983 et 1988, lequel a connu des difficultés financières et économiques imposant des mesures d’assainissement des finances publiques, notamment par rééchelonnement de ses dettes, sous l’égide du Fonds Monétaire International.
Aux termes d’un protocole d’accord dénommé « Protocole 566 », signé le 14 octobre 1992 entre la SA COMMISIMPEX et la République du Congo, cette dernière a reconnu être débitrice vis-à-vis de la société, au titre de marchés et fournitures dont elle a été adjudicataire, outre d’intérêts sur les sommes dues, des montants suivants :
a) 50.592 081,53 francs français.
b) 21.201.872,76 livres sterling.
c) 34.521.293,24 dollars US.
d) 1.426 623.801 francs CFA.
Le débiteur s’est engagé à les payer sur une durée totale de dix ans, en 120 mensualités égales et successives, les montants dus étant représentés par des billets à ordre souscrits par la Caisse Congolaise d’Amortissement à l’ordre de la S.A. Commisimpex et avalisés par le Ministère de l’Économie et des Finances et du Plan de la République du Congo.
Se plaignant de la défaillance du débiteur dans l’exécution de ses obligations, la S.A. Commisimpex, invoquant la clause compromissoire insérée dans le Protocole 566, a saisi le 13 mai 1998, le Secrétariat de la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale, d’une demande d’arbitrage. Elle a sollicité notamment, la condamnation de la République du Congo et de la Caisse Congolaise d’Amortissement au paiement du montant des billets souscrits ou avalisés par elles le 20 novembre 1992, arrivés à échéance le 28 février 1998.
Le 13 janvier 1999, la République du Congo et la Caisse Congolaise d’Amortissement ont déposé une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d’instruction du Tribunal de Grande Instance de Paris, pour faux et usage de faux, escroquerie et tentative d’escroquerie.
Puis, par mémoire du 26 février 1999, elles ont sollicité du tribunal arbitral, de surseoir à statuer dans l’attente d’une décision pénale à la suite de la plainte.
Suivant sentence intérimaire rendue le 28 juin 1999, le tribunal composé de MM. Choucroy, Darrois, arbitres, et de Bruyneel, président, a dit :
la S.A. COMMISIMPEX disposait de la capacité nécessaire pour introduire valablement sa demande d’arbitrage du 13 mars 1998.
la demande d’arbitrage a été régulièrement et valablement introduite par des avocats ayant reçu pouvoir spécial du représentant légal de la S.A. COMMISIMPEX.
la demande de sursis à statuer formée par la République du Congo et la Caisse Congolaise d’Amortissement est rejetée.
la République du Congo et la Caisse sont condamnées à titre provisionnel à payer à la S.A. COMMISIMPEX, la somme de USD 15 000 000.
il est donné acte à la République du Congo et à la Caisse, qu’elles se réservent le droit de poursuivre la S.A. COMMISIMPEX pour le remboursement de toutes sommes qui auraient été indûment payées.
il sera statué dans la sentence finale sur toutes autres demandes, défenses et prétentions des parties, en ce comprises les demandes d’indemnisation des honoraires et frais exposés par les parties ainsi que celles relatives aux frais d’arbitrage.
il échet de recourir à l’expertise, aux fins de déterminer le montant exact total et actualisé des créances entre, d’une part, la S.A. COMMISIMPEX, et d’autre part, la République du Congo et la Caisse au 31 octobre 1992.
Par ordonnance du 7 juillet 1999, le délégué du Président du Tribunal de Grande Instance de Paris a revêtu la sentence de l’exequatur.
La République du Congo et la Caisse Congolaise d’Amortissement ont déposé le 3 septembre 1999, un recours contre la sentence intérimaire du 28 juin 1999. Ils en demandent l’annulation sur le fondement des articles 1504 et 1502-5 du Nouveau Code de Procédure Civile, au motif que le tribunal a méconnu la règle d’ordre public international « le criminel tient le civil en l’état », et sollicitent la condamnation de la S.A. COMMISIMPEX à leur payer la somme de 50 000 FF au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La S.A.A COMMISIMPEX conclut à l’irrecevabilité de ce recours, au motif que le défaut de respect de l’article 4 du Code de Procédure Pénale par les arbitres statuant dans le cadre d’un arbitrage international n’est pas contraire à l’ordre public international.
Subsidiairement, elle soutient que le recours est mal fondé, car les arbitres ont eux-mêmes constaté l’absence de risque d’influence de la procédure pénale sur la décision à rendre.
La S.A. COMMISIMPEX demande la condamnation des recourantes au paiement de la somme de 20 000 FF sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sur ce, la Cour
Sur le moyen unique : reconnaissance ou exécution de la sentence contraire à l’ordre public international (article 1502-5 du Nouveau Code de Procédure Civile)
La République du Congo et la Caisse Congolaise d’Amortissement font grief au tribunal arbitral d’avoir méconnu la règle « le criminel tient le civil en l’état », d’ordre public international, en refusant de surseoir à statuer alors qu’elles ont déposé le 13 janvier 1999, une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d’instruction de Paris, pour des faits commis à leur préjudice, de faux, usage de faux, escroquerie et tentative d’escroquerie.
Considérant que les arbitres ont estimé que « l’application de la règle interne non seulement est inconciliable sur le plan des principes avec la nature de l’arbitrage international, mais encore risque d’en affecter substantiellement la rapidité et l’efficacité », puis examinant l’influence éventuelle de la procédure pénale sur l’arbitrage en cours, ont énoncé :
Que, sur les faits de faux et usage de faux, l’authenticité ou l’inauthenticitdes documents visés dans la plainte pénale ne saurait avoir une incidence sur la validité et la recevabilité de la demande introductive d’arbitrage.
Que, sur les reproches d’escroquerie et de tentative d’escroquerie, le tribunal arbitral obtiendra lui-même par la voie d’une expertise, les compléments lui permettant de statuer en connaissance de cause sur la validité du protocole et des billets à ordre.
Qu’en outre, le tribunal arbitral ne s’interdira pas de prendre en considération tout élément nouveau, même s’il résultait de l’instruction pénale.
Considérant que l’article 4 du Code de Procédure Pénale français, qui oblige le juge civil à surseoir à statuer lorsque, procédant des mêmes faits, l’action civile et l’action publique sont exercées sparément ou que la décision à intervenir au pénal est susceptible d’influer sur celle à rendre par la juridiction civile, est sans application pour l’arbitre statuant en matière internationale, en raison de l’autonomie de cette procédure qui obéit à des règles propres.
Considérant cependant que rien n’interdit au tribunal arbitral d’estimer qu’une procédure pénale est de nature à influer sur la solution du litige dont il est saisi et d’ordonner pour ce motif un sursis a statuer dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité.
Considérant que le juge de l’annulation n’a pas le pouvoir d’apprécier le bien ou le mal-jugé de la sentence dont il contrôle la régularité;qu’il n’est pas démontré ée heurterait l’ordre public international;que le recours en annulation contre la sentence intérimaire doit être rejeté.
Considérant qu’il convient de condamner la République du Congo et la Caisse Congolaise d’Amortissement