J-08-188
ARBITRAGE INTERNATIONAL – TRIBUNAL ARBITRAL SIEGEANT EN FRANCE – AUDIENCE DU TRIBUNAL – ARTICLE 41, ALINEA 3 DE LA LOI DU 29 JUILLET 1881 – IMMUNITE DE LA DEFENSE – RESPONSABILITE D’UN AVOCAT POUR DIFFAMATION A RAISON DES PROPOS TENUS AU COURS D’UNE AUDIENCE (NON).
PRINCIPE DE LA CONTRADICTION – LIBRE EXERCICE DE LA CONTRADICTION – IMMUNITE DE LA DEFENSE – ARTICLE 41 ALINEA 3 DE LA LOI DU 29 JUILLET 1881 – TRIBUNAL ARBITRAL INTERNATIONAL SIEGEANT EN FRANCE – TRIBUNAL AU SENS DE CE TEXTE – RESPONSABILITE DE L’AVOCAT POUR DIFFAMATION A RAISON DES PROPOS TENUS AU COURS D’UNE AUDIENCE (NON).
PROCEDURE ARBITRALE – AUDIENCE D’UN TRIBUNAL ARBITRAL INTERNATIONAL SIEGEANT EN FRANCE – IMMUNITE DE LA DEFENSE – ARTICLE 41 ALINEA 3 DE LA LOI DU 29 JUILLET 1881 – RESPONSABILITE DE L’AVOCAT POUR DIFFAMATION A RAISON DES PROPOS TENUS AU COURS D’UNE AUDIENCE (NON).
L’immunité attachée à la défense d’un justiciable devant une juridiction civile, immunité qui résulte de l’article 41 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, doit être étendue aux propos prononcés par l’avocat de l’une des parties à un litige, lors d’une audience devant un tribunal arbitral saisi de ce différend.
Tribunal d’Instance de Paris (8e arr.). 15 janvier 2001. Affaire : Sociétés X c/ M.A.. Revue Camerounaise de l’Arbitrage n 14. Juillet-Août-Septembre 2001, p. 12.
Par actes d’huissier des 13 avril et 19 octobre 1999, la société de droit allemand X a fait assigner M.A, aux fins de :
Dire que M.A. s’est rendu coupable envers la société X, de diffamation non publique au sens de l’article R.62.1-1 alinéa 1er du Code Pénal, pour avoir lors de l’audience du Tribunal arbitral du 20 juillet 1999 qui s’est tenue dans les locaux de la Chambre de Commerce Internationale sise 38, cours Albert 1er, 75008 Paris, fait les déclarations suivantes à propos des résultats des essais figurant dans le document intitulé « Protocol of 7 (seven) Day Taking Over test” du 19 août 1995 signé par la société X :
« Il n’y a aucune mention des produits mis au rebut, et c’est pour cette raison que le défendeur soupçonne fortement que les résultats de ces essais sur 7 jours ont été falsifiés, afin de montrer que les tests ont été passés avec succès ».
Subsidiairement :
Vu l’article 1382 du Code Civil :
Dire et juger que les propos tenus par M.A. constituent autant de fautes au sens de l’article 1382 du Code Civil.
En conséquence et en tout état de cause.
Condamner M.A. à payer à la société X, la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts.
Condamner M.A. à payer à la société X, la somme de 20 000 F au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ordonner l’exécution provisoire.
A l’appui de sa demande, la société X expose que :
Exerçant son activité dans l’ingénierie et la construction mécanique, la société X a conclu le 17 décembre 1990 avec la société de droit égyptien Y, un contrat d’un montant de 39,61 millions de DM et de 13,934 millions de EL portant sur la conception et la construction d’une usine de production de fertilisants de nitrate d’ammonium (concession de procédés techniques, livraison de différents équipements, surveillance des travaux de construction et formation du personnel).
La réception de l’installation a donné lieu à un litige entre les parties.
L’article 11.5 du contrat prévoyait qu’un procès-verbal de réception provisoire de l’installation serait signé par les 2 parties, à l’issue d’une période de 7 jours;ce procès-verbal conditionnait le règlement à la société X, du solde final représentant 10 % du prix contractuel, soit 3.961 000 DM.
Le protocole des essais de réception sur 7 jours (Protocol of 7 Days Taking Over test) a été signé le 19 août 1995 par 3 représentants de chacune des parties;il atteste que les essais ont été passés avec succès.
La signature du procès-verbal de réception et le règlement corrélatif du solde auraient dû intervenir dès août 1995.
Suite au refus de la société Y de signer le procès-verbal de réception et de régler le solde, la société X a initié une procédure d’arbitrage (Chambre de Commerce Internationale).
Dans le cadre de cette procédure, la société Y est assistée par Maître A, Avocat au Barreau du Caire.
Lors de l’audience du tribunal arbitral du 20 juillet 1999, M.A. a remis en cause la véracité et le caractère probant du protocole des essais de réception sur 7 jours, au motif qu’ils ne mentionneraient pas les produits mis au rebut.
Suivant la retranscription, Maître A a déclaré :
« Il n’y a aucune mention des produits mis au rebut, et c’est pour cette raison que le défendeur soupçonne fortement que les résultats de ces essais sur 7 jours ont été falsifiés, afin de montrer que les tests ont été passés avec succès ».
Maître A soutient ainsi que les résultats consignés dans ce Protocole ont été falsifiés et la société X a été désignée comme s’étant rendue coupable du délit de faux et usage de faux.
De telles imputations sont diffamatoires à l’égard de la société X.
Les conseils de la société X ont mis Maître A en demeure de revenir sur ses déclarations, faute de quoi, la société X engagerait toute procédure utile.
Par lettre du 3 août 1999, Maître A a répondu qu’il n’entendait pas rétracter ses propos.
Les représentants de la société X signataire du protocole, ont confirmé les résultats.
L’audience du tribunal arbitral n’est pas publique;les propos de M. A. sont constitutifs d’une diffamation non publique (article R.62.1-1 du Code Pénal).
Même si ses accusations proférées par Maître A ne constituent pas une telle infraction, elles constituent une faute au sens de l’article 1382 du Code Civil.
Maître A conclut ainsi :
Renvoyer la société X à se pourvoir devant le Tribunal de police de Paris.
Déclarer nulle l’assignation du 19 octobre 1999.
Plus subsidiairement :
Dire qu’en raison de la confidentialité de la procédure d’arbitrage, la contravention de diffamation n’est pas constituée.
Encore plus subsidiairement :
Dire et juger que les propos incriminés sont couverts par l’immunité de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881.
Déclarer la demande irrecevable.
Très subsidiairement :
Ordonner la réouverture des débats.
Dire et juger recevable et bien fondée la demande reconventionnelle de Maître A.
Condamner la société X à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, et celle de 30 000 F au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Il fait valoir que :
le Tribunal d’instance n’a pas compétence pour se prononcer sur l’existence d’une contravention de diffamation non publique.
Subsidiairement, le défendeur n’a pas eu la possibilité de prouver la vérité des faits diffamatoires dans le délai de 10 jours.
Plus subsidiairement, les arbitres sont liés par la confidentialité de la procédure arbitrale.
Encore plus subsidiairement, les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux sont protégés par une immunité, même lorsqu’ils ont été prononcés devant un tribunal arbitral, et ne peuvent donner lieu à une action en diffamation.
Très subsidiairement sur les faits, Maître A relève que les membres du tribunal arbitral n’ont fait aucune remarque particulière sur les propos qu’il a prononcés, et que par une ordonnance de procédure du 29 septembre 1999, le tribunal arbitral a jugé qu’interdire à une partie d’exprimer une suspicion dans une procédure d’arbitrage international, pourrait être considéré comme une limitation excessive de la liberté d’expression nécessaire aux parties.
Dans les conclusions en réplique, la société X conclut ainsi :
Rejeter l’ensemble des demandes de M.A.
Condamner M.A. à la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts, du fait de déclarations diffamatoires proférées par lui.
Condamner M.A. à payer à la société X, la somme de 70 000 F au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ordonner l’exécution provisoire.
Elle précise que :
L’assignation porte sur une demande en réparation.
La mention du délai de 10 jours n’est pas requise.
Le principe de confidentialité de l’arbitrage auquel se réfère Maître A ne résulte pas de la pratique et ne fait l’objet d’aucune consécration légale.
L’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur l’immunité des propos prononcés devant les tribunaux ne s’applique pas à une action en réparation et ne s’applique pas devant les arbitres.
MOTIFS DU JUGEMENT
a) Sur la compétence du Tribunal d’instance
L’étendue de la saisine du Tribunal est déterminée par le dispositif de l’assignation et les conclusions ultérieures du demandeur, qui le modifie ou le complète.
Aux termes de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé, est une diffamation.
L’article 41 alinéa 3 de la même loi prévoit que :
« Ne donne lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle, fait de bonne foi, des débats judiciaires, ni le discours prononcé ou les écrits produits devant les tribunaux ».
LE TRIBUNAL considère que cette immunité attachée à la défense d’un justiciable devant une juridiction civile, doit être étendue aux propos prononcés par l’avocat d’une des parties lors de l’audience du tribunal arbitral.
En effet :
En vue d’une jurisprudence constante (Cass. req, 29 octobre 1894. D, 1895 1 1861;Ch. Crim, 13 mai 1933, 1 D, 1933 I.172),1’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 a une portée extrêmement large et existe devant toutes les juridictions soumises au respect des droits de la défense et au principe du contradictoire.
Cette disposition permet de garantir que les droits de la défense s’exercent librement et non sous la menace de poursuites pénales, qui seraient de nature à intimider les parties ou leurs conseils.
L’avocat défenseur des intérêts d’un client devant une juridiction arbitrale ne saurait être traité différemment de l’avocat défenseur des intérêts d’un client devant une juridiction étatique;l’article 41 susvisé ne fait d’ailleurs pas de distinction fondée sur la nature de la juridiction devant laquelle l’avocat s’exprime.
L’assignation conclut en premier lieu à ce que le tribunal dise que « Maître A s’est rendu coupable envers la société X, de diffamation non publique au sens de l’article R.62.11 alinéa 1er du Code Pénal ».
LE TRIBUNAL d’instance n’a pas compétence pour se prononcer sur l’existence d’une infraction pénale, et il y a donc lieu de se déclarer incompétent de ce chef.
En revanche, la seconde partie du dispositif de l’assignation vise une action fondée sur l’article 1382 du Code Civil : le Tribunal d’instance est compétent pour statuer sur une action en dommages-intérêts fondée sur l’article 1382 du Code Civil, suite à des propos considérés comme diffamatoires;les conclusions en réplique du demandeur sont d’ailleurs clairement formulées en ce sens.
En effet, aux termes de l’article R.321-82 du Code de l’Organisation Judiciaire, le Tribunal d’instance connaît, à charge d’appel à quelque valeur que la demande puisse s’élever, des actions civiles pour diffamation ou injures publiques ou non publiques, verbales ou écrites, autrement que par voie de presse.
b) Sur la nullité de l’assignation
L’exception de nullité soulevée par Maître A s’appuie sur l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881, qui prévoit un délai de 10 jours en faveur du prévenu, dans les procédures pénales pour diffamation, et donc inapplicable à une procédure civile.
Par ailleurs, Maître A a eu tout le loisir, suite à une assignation délivrée régulièrement, de préparer sa défense, ce qu’il a fait de manière substantielle;il s’ensuit qu’il se prévaut à tort, de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme sur l’exigence de procès équitable.
Il pose un principe d’immunité de la défense, qui n’est qu’une expression du principe du respect des droits de la défense, auquel la Cour de Cassation a reconnu une valeur constitutionnelle (Cass. assemblée. plénière, 30 juin 1995, D, 1995 513) et qui doit s’appliquer avec la même rigueur aux instances arbitrales soumises au respect de ce principe, dans les mêmes conditions que les juridictions étatiques (voir l’article 1460 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile).
Ces droits à la défense ont pour limite les règles déontologiques propres à la profession d’avocat, qui s’appliquent aux relations d’un avocat avec un arbitre (article 4-5 du Code de Déontologie des Avocats de l’Union Européenne).
Il n’est ni établi ni même allégué que ces règles auraient été enfreintes en l’espèce, et le tribunal n’aurait pas compétence pour en connaître.
Il s’ensuit que les propos tenus par Maître A étaient couverts par l’immunité susvisée et ne peuvent donner lieu à l’octroi de dommages-intérêts.
Maître A ne caractérise pas l’abus qui justifierait l’octroi de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Pour les motifs exposés dans l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, la société X sera condamnée à payer à Maître A, la somme de 15 000 F pour l’indemniser des frais irrépressibles qu’il a été contraint d’engager pour faire valoir ses droits.
La société X, qui succombe au principal, sera déboutée de ses demandes annexes.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort :
Se déclare incompétent en ce qui concerne la demande portant sur la constatation d’une infraction pénale de diffamation.
Pour le surplus :
Rejette l’exception de nullité de l’assignation.
Constate que les propos de Maître A tenus le 20 juillet 1999 à Paris devant le tribunal arbitral de la Chambre de Commerce Internationale, située 38, cours Albert 1er à Paris (8e) sont couverts par l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881.
Déboute la société X de l’ensemble de ses demandes.
Condamne la société X à payer à Maître A, la somme de 15 000 F (quinze mille) francs, soit 2 286, 74 Euros (deux mille deux cent quatre vingt-six Euros et soixante quatre centimes), en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Déboute Maître A de sa demande en dommages-intérêts.
Condamne la société X aux dépens.
Mme BONGRAND. prés.;Me VALETTE, Me LEBOULANGER, av.
NOTE
Il n’est ni surprenant, ni rare qu’une partie au procès ou son Conseil, pour les propos tenus à l’audience, soit menacée d’être poursuivie pour diffamation, injures ou troubles d’audience.
Le caractère public des audiences des tribunaux étatiques permet de cerner les dérives d’un conseil ou d’une partie au procès, et le dépassement de la limite de la liberté de la défense, ainsi que du sacro-saint principe du contradictoire.
Il est plutôt exceptionnel que les propos tenus par une partie ou un conseil devant un tribunal arbitral soient taxés de diffamatoires, compte tenu du caractère essentiellement confidentiel de l’arbitrage et de l’antinomie entre le secret du dossier d’arbitrage et la publicité du dossier en diffamation. Il est vrai que l’on a parlé ici de « diffamation non publique ».
La « tentative » d’immixtion du droit pénal dans la sphère « d’intimité » de l’arbitrage n’est plus une simple vue de l’esprit;le tribunal d’instance de Paris juridiction civile, n’ayant pas compétence pour se prononcer sur l’existence d’une infraction pénale, a eu à connaître de cet imbroglio juridico-arbitral.
En effet, par exploit d’huissier, la société de droit allemand X a fait assigner M.A, Conseil de la société égyptienne Y, devant la juridiction sus indiquée, pour avoir, lors de l’audience du tribunal arbitral du 20 juillet 1999 qui s’est tenue dans les locaux de la Chambre de Commerce Internationale sise à Paris, fait des déclarations jugées diffamatoires par les conseils de la société X.
LE TRIBUNAL d’instance de Paris (8e Arrondissement). avait à se prononcer sur des 6questions subsidiaires et sur une question essentielle.
La responsabilité pénale d’un avocat peut-elle être engagée pour les propos tenus par cet auxiliaire de justice, lors d’une audience organisée par un tribunal international siégeant à Paris ?.
Le juge d’instance de Paris, ainsi que d’éminents doctrinaires ayant donné des réponses pertinentes à cette question complexe (I), il semble intéressant de savoir si la solution retenue en l’espèce est compatible avec l’arbitrage OHADA (II).
I. L’EXTENSION DE L’IMMUNITE JUDICIAIRE AUX INSTANCES ARBITRALES
L’immunité judiciaire protège les acteurs du débat judiciaire contre les poursuites en diffamation qui pourraient être engagées à leur encontre pour les propos, plaidoiries, discours et écrits produits devant les tribunaux. Mais, la diffamation ne peut être écartée (B). que si on est en présence d’une instance juridictionnelle (A).
A. Le caractère juridictionnel de l’instance arbitrale : fondement de l’application de l’immunité
Le juge a adopté une démarche assez logique pour appliquer au cas d’espèce, une solution initialement prévue pour les juridictions étatiques.
En effet, il s’est appuyé sur une vieille jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass. Req. 29 octobre 1894, D;1895, Ch. Crim. 13 mai 1933, D. 1933. 1 172), qui consacre l’application de l’immunité à toutes les juridictions soumises au respect des droits de la défense et au principe du contradictoire.
Or, le tribunal arbitral accomplit une mission juridictionnelle;du point de vue matériel, la sentence arbitrale est un acte juridictionnel au même titre qu’un jugement, car par son biais, l’arbitre tranche une situation contentieuse et dit le droit.
Du point de vue formel également, la sentence est un acte juridictionnel, puisque les arbitres se soumettent à certaines règles de procédure telle le principe du contradictoire, et sont tenus, comme les juges étatiques, au respect des droits de la défense.
Ce n’est qu’au point de vue organique que la sentence se démarque du jugement, puisqu’elle a besoin, pour devenir exécutoire, d’une ordonnance d’exequatur. Elle a néanmoins autorité de la chose jugée.
Le pouvoir de juger, dans le cadre de la justice étatique, prend sa source dans la décision du souverain qui a nommé le magistrat – ce même pouvoir de juger est dévolu aux arbitres, mais prend sa source dans un accord de volonté entre les parties.
Le caractère juridictionnel de l’arbitrage est donc incontestable, et c’est à juste titre que les propos tenus lors d’une audience d’un tribunal arbitral sont couverts par l’immunité qui couvre les propos avancés devant une juridiction étatique. Une opinion contraire est, il est vrai, soutenue dans certains arrêts (Crim. 6 juin 1902. S. 1905. 1. 56. 22 juin 1950 G.R. 1950.2 235).
B. Immunité judiciaire : obstacle à la poursuite pour diffamation
L’immunité attachée à la défense d’un justiciable s’applique tant au juge étatique qu’au tribunal arbitral.
Elle concerne les parties au procès, prévenu ou accusé, partie civile, tiers intervenant et leurs conseils, pour tous les propos, interventions ou plaidoiries qu’ils ont tenus au cours de l’audience, ainsi que pour tous les documents, notes, mémoires ou conclusions qu’ils ont soumis à l’appréciation des juges.
Pour ce qui est de cette immunité devant le juge étatique, la Cour Suprême du Cameroun a déjà eu à la rappeler.
Le législateur camerounais reconnaît également cette immunité, par les exceptions à la diffamation prévues aux articles 152 et 306 du Code Pénal, et par l’article 21 alinéa 2 de la loi n 90/059 du 19 décembre 1990 portant organisation de la profession d’avocat.
Toutefois, il faut préciser que l’immunité couvre les outrages, les injures ou les diffamations, et ne saurait s’appliquer au faux témoignage, aux cris séditieux ou à l’apologie du crime.
Le juge d’instance de Paris a étendu aux instances arbitrales, une immunité réservée initialement aux tribunaux étatiques.
La particularité de l’affaire vient du fait qu’il est difficile, au plan pratique, d’instruire un procès en diffamation sans violer la confidentialité, sacrée en matière d’arbitrage;c’est donc à juste titre que le Professeur FOUCHARD a relevé, à propos de cette affaire, qu’il s’agit d’une manœuvre qui vise à déstabiliser l’institution arbitrale, fortement ancrée dans le règlement des litiges du commerce international.
Complot contre l’arbitrage ou non, la liberté du justiciable commande de lui laisser la latitude du choix de ses moyens pour préserver ses droits. L’arbitrage OHADA est-il favorable à la solution du juge d’instance de Paris ?.
II. IMMUNITE JUDICIAIRE ET ARBITRAGE OHADA
La solution retenue par le juge d’instance de Paris et partagée par la majorité de la doctrine, semble compatible avec l’arbitrage OHADA, malgré le silence des instruments OHADA en la matière.
A. Le silence de l’Acte uniforme OHADA
D’après l’article 9 de l’Acte uniforme OHADA sur le droit de l’arbitrage, « les parties doivent être traitées sur un pied d’égalité, et chaque partie doit avoir toute possibilité de faire valoir ses droits ».
Il ressort de ce texte que le principe du contradictoire, l’égalité des parties et les droits de la défense doivent être sauvegardés. Les articles 9 à 18, qui traitent de l’instance arbitrale, ne font nullement mention des conséquences pénales ou autres, des dérives des parties ou de leurs propos diffamatoires tenus à l’audience.
Face à ce silence, chaque Etat Partie peut appliquer en la matière, sa législation interne non contraire (Art. 10 du Traité de l
En ce qui concerne le Cameroun et comme déjà mentionné, le législateur et la Cour Suprême ont posé le principe du respect de l
B. L’inapplicabilité de l’article 23 du Règlement de la CCJA à l’arbitrage
L’article 23 du Règlement de Procédure CCJA donne la possibilité à la Cour siégeant en matière juridictionnelle, d’exclure un avocat indigne dont le comportement devant ladite Cour est incompatible avec ses fonctions.
Cependant, le Règlement d’Arbitrage de la CCJA n’ayant pas traité de cette immunité devant un tribunal arbitral CCJA, on ne peut en déduire que la jurisprudence découlant du jugement rapporté est inapplicable ici.
Il est donc constant que les textes applicables en matière d’arbitrage OHADA n’ont pas prévu les hypothèses des propos diffamatoires. Il faudra, le cas échéant, s’inspirer des législations internes de chaque Etat Partie, pour combler le vide.
Quoi qu’il en soit, la solution retenue par le juge parisien semble bien compatible avec l’arbitrage OHADA.
Roger SOCKENG.
Docteur en Droit – Magistrat.
Enseignant Associé à l’Université de Douala.
1 A. DAMIEN, La liberté au prétoire, G.P. 22 mai 1980, p. 254.
2 Il s’agit d’un procès de type particulier ignoré jusque-là dans les milieux de l’arbitrage.
3 bien que mitigée, est également négative.
4 Tribunal d’instance de Paris, 8
e Arrondissement, 15 janvier 200l.
5 voir les opinions de Philippe FOUCHARD, Georges FLECHEUX, Emmanuel GAILLARD et Bertrand MOREAU sous la décision rapportée
in Rev. Arb. 2001, n l.
6 R. SOCKENG, Les Institutions judiciaires au Cameroun, Editions St-François, Douala, 200_, p. 74.
7 P.G. POUGOUE et A. FENEON, Droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA, p. 12.
8 .S. Arrêt du 3 novembre 1997. R.C.D. n 17 et 18, p. 188, observations MELONE.
9 Articles 152 et 306 alinéas 3 : « Ne constituent aucune infraction, les débats judiciaires, les discours prononcés ou les écrits produits devant les juridictions ».