J-08-250
Voir Ohadata J-09-104.
Observations Bakary Diallo
ARBITRAGE – Recevabilité d’un recours en contestation de validité d’une sentence lorsque les parties ont expressément convenu que tous différends les opposant seront définitivement tranchés par un tribunal arbitral : oui.
ARBITRAGE Violation de sa mission par l’arbitre qui a statué en amiable compositeur, alors que les parties ne lui ont pas conféré ledit pouvoir : annulation.
La convention d’arbitrage conclue par les parties, bien qu’ayant prévu que « tous différends découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci … seront tranchés définitivement suivant le Règlement d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA. », ne saurait interdire le recours en contestation de validité de sentence initié par la Société NESTLE SAHEL, dès lors que comme indiqué à l’article 29.2 du Règlement précité, il ne ressort pas de ladite convention, une renonciation expresse audit recours;la locution adverbiale « définitivement », qui est purement usuelle, ne saurait impliquer à elle seule la renonciation au recours en contestation de validité spécialement prévu par le Règlement d’Arbitrage susvisé, recours auquel les parties ne peuvent renoncer que par une disposition expresse de la convention d’arbitrage;tel n’étant pas le cas en l’espèce, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la SCIMAS.
Il ressort des énonciations de la sentence arbitrale attaquée, en ce qui concerne le préjudice causé par la Société NESTLE SAHEL à la SCIMAS, que celle-ci, dans ses écritures et plaidoirie orale, envisage ledit préjudice au regard de 23 années de collaboration avec le groupe NESTLE;toutefois, le tribunal arbitral, « tout en estimant légitime une telle vision », n’a pas suivi la SCIMAS, aux motifs que sa compétence était déterminée par la clause compromissoire;il affirme avoir seulement pris en considération les relations de près de deux années civiles intervenues, selon lui, entre la SCIMAS et sa co-contractante, la Société NESTLE SAHEL;dès lors, en condamnant, nonobstant les affirmations sus évoquées, la Société NESTLE SAHEL à payer à la SCIMAS, toutes causes de préjudice confondues, la somme de cinq milliards de francs CFA, aux motifs que « le rôle important joué par la Société NESTLE SAHEL en bout de la chaîne des sociétés du groupe NESTLE, dans la mise à l’écart brutale de la Société SCIMAS, est pris en considération pour l’évaluation du préjudice subi par la Société SCIMAS », le Tribunal arbitral a fondé ladite condamnation sur la période de vingt-trois années, pourtant contestées, résultant de la collaboration antérieure entre la SCIMAS et le groupe NESTLE au sein duquel la Société NESTLE SAHEL est une entité autonome;en statuant ainsi, sans par ailleurs fournir des éléments d’appréciation fondés sur le droit ivoirien devant régir ladite procédure, le tribunal arbitral a usé des pouvoirs d’amiable compositeur que les parties ne lui ont pas conférés, l’amiable composition se définissant de manière négative, comme le pouvoir des arbitres, de ne pas s’en tenir à l’application stricte des règles de droit, ce qui permet aussi bien de les ignorer que de s’en écarter, en tant que leur sentiment de l’équité l’exige;il s’ensuit que la sentence arbitrale attaquée encourt les reproches visés au moyen et doit, en conséquence, être annulée.
Article 4-1 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 14 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 22-1 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 29 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 29-2 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 29-5, alinéa 2 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), Arrêt n 028/2007 du 19 juillet 2007, Audience publique du 19 juillet 2007, Recours en contestation de validité de sentence arbitrale n 64/2005/PC du 07 décembre 2005, Affaire : Société NESTLE SAHEL (Conseil : Maître MEDAFE Marie Chantal, Avocat à la Cour). contre Société Commerciale d’Importation AZAR et SALAME dite SCIMAS (Conseil : Maître Frank Didier TOE, Avocat à la Cour). Recueil de Jurisprudence n 10. Juillet / Décembre 2007, p. 62. Le Juris Ohada n 1/2008, p. 16.
LA COUR Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A.), a rendu en Assemblée plénière, l’Arrêt suivant, en son audience publique du 19 juillet 2007, où étaient présents :
– Messieurs, Ndongo FALL, Président;
– Antoine Joachim OLIVEIRA, Second vice-Président;
– Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge;
– Boubacar DICKO, Juge, rapporteur;
– Biquezil NAMBAK, Juge;
– Et, Maître ASSIEHUE Acka, Greffier.
Sur le recours enregistré le 07 décembre 2005 au greffe de la Cour de céans, sous le n 064/2005/PC et formé par Maître MEDAFE Marie Chantal, Avocat à la Cour, demeurant à Abidjan, 8, boulevard Carde, immeuble La Résidence, ex Borg, 1er étage, 04 BP 30 Abidjan 04, agissant au nom et pour le compte de la société NESTLE SAHEL, dont le siège social est à Abidjan Cocody, rue du Lycée Technique, 08 BP 2612 Abidjan 08, dans la cause qui l’oppose à la Société Commerciale d’Importation AZAR et SALAME dite SCIMAS, sise à Ouagadougou (Burkina Faso), 862, avenue Yennenga, 01 BP 724 Ouagadougou 01, ayant comme Conseil, Maître Frank Didier TOE, Avocat à la Cour, 01 BP 1026 Ouagadougou 01, en contestation de validité de la sentence arbitrale rendue le 13 octobre 2005 par le tribunal arbitral, dans l’Affaire n 002/2003/ARB du 19 décembre 2003, et dont le dispositif est le suivant :
« 1 ) se déclare incompétent pour examiner la demande formulée le 24 novembre 2004 par Maître Olivier WEBER, Avocat à Marseille (à l’unanimité).
2) déclare que l’examen de la demande incidente objet de la sentence partielle du 08 décembre 2004 est rendu inutile par la présente sentence (à l’unanimité).
3) donne acte à la société SCIMAS, de ce qu’elle reconnaît sa dette, et dans le principe et dans le quantum de la demande principale de la société NESTLE SAHEL (à l’unanimité).
4) condamne la société SCIMAS à payer à la société NESTLE SAHEL, la somme de FCFA : un milliard cinq cent deux millions cent soixante quinze mille cinq cent quarante-trois (1.502.175 543), outre les intérêts de droit, pour compter du prononcé de la sentence (à l’unanimité).
5) condamne également la société SCIMAS à payer à la société NESTLE SAHEL, à titre de dommages-intérêts, la somme de cent vingt millions (120 000 000) de FCFA (à l’unanimité).
6) déclare que l’installation d’un nouveau distributeur au Burkina Faso et la résiliation du contrat du 1er février 2002, engage la responsabilité contractuelle de la société NESTLE SAHEL (à l’unanimité).
7) condamne en conséquence, la société NESTLE SAHEL à payer à la société SCIMAS, toutes causes de préjudices confondues, la somme de FCFA cinq milliards (5 000 000 000) (à la majorité).
8) liquide les frais à la somme totale de 123.295.116 FCFA.
9) condamne les deux parties aux frais d’arbitrage dans la proposition de deux tiers (2/3) à la charge de la société NESTLE SAHEL S.A, soit quatre-vingt deux millions cent quatre-vingt seize mille sept cent quarante-trois (82.196.743) FCFA et d’un tiers (1/3) à la charge de la société SCIMAS soit, quarante et un millions quatre-vingt dix-huit mille trois cent soixante-treize (41 098.373) FCFA (à l’unanimité) ».
La requérante invoque à l’appui de son recours, les deux moyens d’annulation en neuf branches, tels qu’ils figurent à la « requête aux fins d’annulation et d’évocation » annexée au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur le Juge Boubacar DICKO :
Vu les articles 21 à 26 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu les dispositions des articles 29 et 30 du Règlement d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Vu le Règlement de Procédure de ladite Cour.
Attendu que la Société NESTLE SAHEL, requérante, sollicite de la Cour de céans, l’annulation de la sentence arbitrale sus indiquée, en ce qu’elle l’a condamnée à payer à la SCIMAS, sur demande reconventionnelle de celle-ci, la somme de 5 000 000 000 (cinq milliards) francs CFA;qu’au soutien de sa demande, la société NESTLE SAHEL énonce, d’une part, que les arbitres ont statué sans se conformer à la mission qui leur avait été conférée, en ce que :
1) lesdits arbitres ont statué ultra petita : la Cour notera à cet égard, que le point c) de la sentence arbitrale, intitulé « violation de la clause d’exclusivité », ne correspond pas à une demande formulée par la SCIMAS, qui n’a en aucun moment, sollicité une quelconque indemnisation du fait de la violation de la clause d’exclusivité;il s’est agi d’un moyen invoqué par la société NESTLE SAHEL et combattu par la SCIMAS, au même titre que le moyen tiré des infiltrations et celui du surstockage, mais en aucune façon d’une demande expresse formulée par la SCIMAS, la preuve étant faite par l’analyse des questions soumises au tribunal;que celui-ci, en transformant un moyen de défense en demande, a incontestablement statué ultra petita et, de ce fait, la sentence querellée, qui a condamné la société NESTLE SAHEL, « toutes causes de préjudices confondues », encourt l’annulation.
2) les arbitres ont violé la confidentialité : il résulte de l’aveu écrit du tribunal arbitral, que Maître Olivier WEBER, Avocat non constitué de la SCIMAS et étranger à la présente procédure, détenait non seulement l’adresse personnelle de chaque arbitre, mais aussi connaissait le déroulement de la procédure, d’autant que les arbitres ont reçu son courrier la veille des audiences des 25 et 26 novembre 2004;que seule l’annulation de la sentence permet de sanctionner équitablement cette faute grave qui viole les dispositions de l’article 14 du Règlement d’Arbitrage de la Cour de céans.
3) le défaut d’indépendance d’au moins un arbitre composant le tribunal arbitral est avéré : le Conseil de la SCIMAS, Maître TOE, ayant affirmé solennellement ne pas être à l’origine de la remise de documents confidentiels à Maître Olivier WEBER, dénégation que le tribunal arbitral a semblé accepter, il va de soi que dans ces circonstances, à l’exclusion de l’Avocat ayant nié être l’auteur de la violation de la confidentialité, seul un arbitre a pu remettre les écritures de la société NESTLE SAHEL à Maître Olivier WEBER;que dès lors, la déclaration d’indépendance d’au moins un des arbitres s’avère être « un leurre », dont la société NESTLE SAHEL s’aperçoit à la rédaction de la sentence, ayant cru de bonne foi, que les arbitres, dont l’attention avait été attirée sur la gravité des faits, en auraient tiré les conséquences de droit lors de la prise de décision, ainsi qu’ils s’y étaient engagés;que l’indépendance affirmée par les arbitres, par déclaration, se révélant inexistante face à l’attitude incontestablement complaisante du tribunal arbitral, au regard d’une faute aussi grave, l’annulation de la sentence devra être prononcée pour violation de l’article 4.1 du Règlement d’Arbitrage susvisé.
4) le tribunal arbitral a statué infra petita : la société NESTLE SAHEL fait observer qu’en omettant de statuer sur la violation de la confidentialité expressément relevée par son Conseil lors des audiences des 25 et 26 novembre 2004, le tribunal arbitral ne s’est pas conformé aux dispositions du Règlement d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.
5) l’absence manifeste de collégialité est établie : selon la société NESTLE SAHEL, l’opinion dissidente de l’arbitre minoritaire est si éloignée de la sentence arbitrale qu’elle traduit l’absence manifeste de concertation sur la demande reconventionnelle de la SCIMAS;il s’ensuit que les arbitres ne se sont pas conformés à la mission qui leur a été conférée, laquelle était de statuer de manière collégiale sur toutes les questions à eux soumises.
5) le tribunal arbitral a violé sa mission, en jugeant en amiable compositeur, alors que l’obligation lui était faite d’appliquer la loi ivoirienne : selon la société NESTLE SAHEL, en retenant sa responsabilité dans la rupture du contrat de distribution le liant à la SCIMAS et pour fixer le montant de cinq milliards de francs CFA à titre de condamnation contre elle, le tribunal arbitral ne s’est fondé sur aucun texte de droit;bien au contraire, il est incontestable qu’il a jugé en équité, lorsqu’il affirme que « la société SCIMAS, dans ses écritures et sa plaidoirie orale, envisage à juste titre, son préjudice au regard des 23 années de collaboration avec le groupe NESTLE;le tribunal, tout en estimant légitime une telle vision, ne peut suivre la société SCIMAS, la compétence du tribunal étant déterminée par la clause compromissoire. »;la subjectivité du tribunal arbitral, telle que résultant des deux phrases précitées, a pris le dessus sur l’application stricte de la loi, puisque, en même temps qu’il affirme que « seule la non-arbitralité des relations de la société SCIMAS avec le groupe NESTLE SAHEL, antérieures au 1er février 2002, fait obstacle à la prise en considération par le tribunal, de ladite période », il conclut de façon tout à fait inattendue, que « toutefois, le rôle important joué par la société NESTLE SAHEL, en bout de la chaîne des sociétés du groupe NESTLE, dans la mise à l’écart brutale de la société SCIMAS, est pris en considération pour l’évaluation du préjudice subi par la société SCIMAS »;une telle décision, qui ne fait référence à aucun texte de droit, n’est fondée que sur l’équité, puisque le tribunal arbitral passe outre le droit qui limitait son appréciation aux 18 mois de relations contractuelles, pour prendre en compte la situation de la société NESTLE SAHEL dans le groupe NESTLE, avec lequel la SCIMAS a travaillé pendant 23 ans;il apparaît donc, que NESTLE SAHEL a été condamnée en considération des 23 ans de collaboration antérieure dont se prévalait la SCIMAS et qui, légalement, ne lui sont pas opposables, puisque le tribunal arbitral avoue « avoir pris en considération sa position en bout de la chaîne des sociétés du groupe NESTLE »;il apparaît qu’en se déterminant ainsi, le tribunal arbitral a statué en équité, alors que celle-ci, comme moyen de rendre une décision, n’est admise que lorsque l’arbitre a reçu des parties, le pouvoir de statuer en amiable compositeur;que ce faisant, ledit tribunal a violé la mission qui lui avait été conférée, telle qu’elle résulte de la clause compromissoire rappelée dans le procès-verbal du 29 juillet 2004, et qui était de statuer selon la loi ivoirienne;que la violation de la mission étant flagrante, la sentence querellée encourt annulation.
Attendu que NESTLE SAHEL relève, d’autre part, que la sentence arbitrale attaquée est contraire à l’ordre public international et viole l’article 22.1 du Règlement d’Arbitrage susvisé, en ce qu’elle n’est pas motivée, ledit article disposant que « sauf accord contraire des parties et sous réserve qu’un tel accord soit admissible au regard de la loi applicable, toutes les sentences doivent être motivées »;que par ailleurs, la loi applicable en l’espèce étant la loi ivoirienne, l’article 142, alinéa 4, du Code de Procédure Civile, dispose que « tout jugement doit contenir les motifs en droit et en fait, précédés d’un résumé des prétentions des parties. »;qu’à cet égard, force est de constater les lacunes dans la motivation d’une sentence aussi lourde de conséquences financières;qu’ainsi, la Cour de céans prononcera l’annulation de ladite sentence, pour trois motifs essentiels :
a) l’absence de motifs de droit pour conclure à la survivance de la clause d’exclusivité : pour conclure que « la clause d’exclusivité, comme l’entier contrat, est demeurée en vigueur jusqu’à la résiliation intervenue », le tribunal n’a évoqué le moindre argument de droit, ainsi qu’il s’était engagé à le faire;pis, le tribunal avoue avoir renoncé6 à rechercher la portée juridique du Règlement n 00212002/CM/UEMOA, « trouvant cette démarche non pertinente », alors même que la démarche juridique appropriée aurait consisté à exercer le recours préjudiciel auprès de la Cour de Justice de l’UEMOA, pour obtenir une réponse fondée en droit;force est de constater qu’aucun texte de droit, aucune argumentation juridique rigoureuse, ne sont appliqués au fond de la sentence qui a été rendue sur la base d’affirmations gratuites, qui ne sont étayées par aucun élément sérieux;une telle sentence, qui n’est donc absolument pas fondée en droit, viole assurément l’ordre public international.
b) la contrariété des motifs dans l’argumentaire du tribunal arbitral pour entrer en voie de condamnation contre la société NESTLE SAHEL : en effet, d’une part, ledit tribunal prétend ne pas prendre en compte les relations antérieures de la SCIMAS avec le groupe NESTLE, lorsqu’il affirme que « seule la non-arbitralité des relations de la SCIMAS avec le groupe NESTLE, antérieurement au 1er février 2002, fait obstacle à la prise de considération par le tribunal, de ladite période », d’autre part, ledit tribunal arbitral affirme le contraire, puisqu’il condamne la société NESTLE SAHEL en raison de sa position au sein des sociétés du groupe NESTLE, lorsqu’il énonce que « le rôle important joué par la société NESTLE SAHEL, en bout de la chaîne des sociétés du groupe NESTLE, dans la mise à l’écart brutale de la société SCIMAS, est pris en considération pour l’évaluation du préjudice subi par la société SCIMAS »;ainsi, en disant une chose et son contraire, le tribunal arbitral a violé l’ordre public international, du fait de la contrariété des motifs;que par suite, la sentence querellée encourt l’annulation.
c) l’absence de motivation dans la fixation du montant de la condamnation : en violation de l’article 142 du Code de Procédure Civile ivoirien, la condamnation de la société NESTLE SAHEL au paiement de la somme de cinq milliards de francs CFA ne repose sur aucun fondement d’ordre juridique ou comptable;en effet, le tribunal arbitral ne dit pas en quoi ladite somme constitue une « juste proportion » pour 18 mois de relations contractuelles, sans aucune référence au chiffre d’affaires et à la marge bénéficiaire réelle du demandeur;le caractère vague à souhait du terme « juste proportion » équivaut à une absence totale de motivation;il est indéniable qu’une condamnation non motivée, dont les conséquences financières sont lourdes, viole l’ordre public international, la disproportion entre la légèreté de l’argumentaire et l’importance de la condamnation rendant encore plus intolérable cette violation et justifiant l’annulation de cette sentence totalement infondée.
Attendu que pour sa part, dans son mémoire en réponse en date du 12 janvier 2006 reçu à la Cour de céans le 16 janvier 2006, la SCIMAS, sous la plume de son Conseil Maître TOE Frank Didier, Avocat à la Cour, soulève « In limine litis » à titre principal, l’irrecevabilité de la requête en annulation de la société NESTLE SAHEL, aux motifs que la convention d’arbitrage qui lie les parties, ayant prévu que « tous différends découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci.. seront tranchés définitivement suivant le Règlement d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA. », et qu’il résulte de cette énonciation, que les parties ont renoncé à toute voie de recours et donc, à la possibilité de contester la validité de la sentence, dès lors que celle-ci est rendue à titre définitif par le tribunal arbitral;que la Cour devra donner à l’adverbe « définitivement », tout son sens;que de la mention de cet adverbe dans la convention d’arbitrage précitée, il doit être tiré les conséquences du choix des parties, de donner aux arbitres, le pouvoir de statuer de manière définitive, conformément à l’article 29.2 du Règlement d’Arbitrage susvisé, aux termes duquel le recours en contestation de validité d’une sentence n’est recevable que si, dans la convention d’arbitrage, les parties n’y ont pas renoncé;que dès lors, la Cour de céans, en application dudit article, doit déclarer irrecevable la requête en annulation formée par la société NESTLE SAHEL;que, subsidiairement et dans le cas où, par extraordinaire, la requête de la société NESTLE SAHEL serait déclarée recevable, la SCIMAS sollicite le rejet, tant du recours en annulation de la sentence arbitrale introduit le 07 décembre 2005 par la société NESTLE SAHEL, que de la demande d’évocation formulée par celle-ci;qu’elle sollicite en outre, l’exequatur de la ladite sentence et la condamnation de la société NESTLE SAHEL aux dépens.
Sur la recevabilité du recours
Attendu que la SCIMAS allègue « In limine litis » qu’en convenant que tous différends seront tranchés définitivement par un tribunal arbitral, les parties ont expressément renoncé au recours en contestation de validité prévu par l’article 29 du Règlement d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, de sorte que la présente requête de la société NESTLE SAHEL est irrecevable.
Mais, attendu que la convention d’arbitrage conclue par les parties, bien qu’ayant prévu que « tous différends découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci.. seront tranchés définitivement suivant le Règlement d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA. », ne saurait interdire le recours en contestation de validité de sentence initié par la société NESTLE SAHEL, dès lors que, comme indiqué à l’article 29.2 du Règlement précité, il ne ressort pas de ladite convention, une renonciation expresse audit recours;que la locution adverbiale « définitivement », qui est purement usuelle, ne saurait impliquer à elle seule, la renonciation au recours en contestation de validité spécialement prévu par le Règlement d’Arbitrage susvisé, recours auquel les parties ne peuvent renoncer que par une disposition expresse de la convention d’arbitrage;que tel n’étant pas le cas en l’espèce, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la SCIMAS.
Sur le premier moyen pris en sa sixième branche
Attendu qu’il est reproché au tribunal arbitral, d’avoir violé sa mission en jugeant en amiable compositeur, alors que l’obligation lui était faite d’appliquer la loi ivoirienne;qu’en effet, selon la requérante, pour retenir sa responsabilité dans la rupture du contrat de distribution la liant à la SCIMAS, ledit tribunal, en fixant à cinq milliards de francs CFA le montant de la condamnation prononcée contre elle, ne s’est fondé sur aucun texte de droit;qu’en affirmant notamment, que « ..le rôle important joué par la société NESTLE SAHEL, en bout de la chaîne des sociétés du groupe NESTLE, dans la mise à l’écart brutale de la société SCIMAS, est pris en considération pour l’évaluation du préjudice subi par la société SCIMAS », le tribunal arbitral passe outre le droit qui limitait son appréciation aux 18 mois de relations contractuelles, pour prendre en compte la situation de la société NESTLE SAHEL dans le groupe NESTLE, avec lequel la SCIMAS a travaillé pendant 23 ans;qu’ainsi, il apparaît que la société NESTLE SAHEL a été condamnée en considération des 23 ans de collaboration antérieure dont se prévalait la SCIMAS et qui, légalement, ne lui sont pas opposables, puisque le tribunal avoue « avoir pris en considération sa position en bout de chaîne des sociétés du groupe NESTLE »;qu’en statuant ainsi, le tribunal arbitral a jugé en équité, alors que celle-ci, comme moyen de rendre une décision, n’est admise que lorsque l’arbitre a reçu des parties, le pouvoir de statuer en amiable compositeur;que ce faisant, ledit tribunal a violé la mission qui lui avait été conférée, telle qu’elle résulte de la clause compromissoire rappelée dans le procès-verbal du 29 juillet 2004, et qui était de statuer selon la loi ivoirienne;que la violation de la mission étant flagrante, la sentence querellée encourt annulation.
Attendu qu’il ressort des énonciations de la sentence arbitrale attaquée, en ce qui concerne le préjudice causé par la société NESTLE SAHEL à la SCIMAS, que celle-ci, dans ses écritures et plaidoirie orale, envisage ledit préjudice au regard de 23 années de collaboration avec le groupe NESTLE;que toutefois, le tribunal arbitral, « tout en estimant légitime une telle vision », n’a pas suivi la SCIMAS, aux motifs que sa compétence était déterminée par la clause compromissoire;qu’il affirme avoir seulement pris en considération, les relations de près de deux années civiles intervenues, selon lui, entre la SCIMAS et sa co-contractante, la société NESTLE SAHEL;que dès lors, en condamnant, nonobstant les affirmations sus évoquées, la société NESTLE SAHEL à payer à la SCIMAS, toutes causes de préjudice confondues, la somme de cinq milliards de francs CFA, aux motifs que « le rôle important joué par la société NESTLE SAHEL, en bout de la chaîne des sociétés du groupe NESTLE, dans la mise à l’écart brutale de la société SCIMAS, est pris en considération pour l’évaluation du préjudice subi par la société SCIMAS », le tribunal arbitral a fondé ladite condamnation sur la période de vingt-trois années, pourtant contestées, résultant de la collaboration antérieure entre la SCIMAS et le groupe NESTLE, au sein duquel la société NESTLE SAHEL est une entité autonome. Qu4en statuant ainsi, sans par ailleurs fournir des éléments d4appréciation fondés sur le droit ivoirien devant régir ladite procédure, le tribunal arbitral a usé des pouvoirs d’amiable compositeur, que les parties ne lui ont pas conférés, l’amiable composition se définissant de manière négative, comme le pouvoir des arbitres, de ne pas s’en tenir à l’application stricte des règles de droit, ce qui permet aussi bien de les ignorer que de s’en écarter, en tant que leur sentiment de l’équité l’exige;qu’il s’ensuit que la sentence arbitrale attaquée encourt les reproches visés au moyen et doit, en conséquence, être annulée.
Sur l’évocation
Attendu que la Société NESTLE SAHEL sollicite qu’il plaise à la Cour de céans, après avoir annulé la sentence arbitrale attaquée, d’évoquer et, statuant à nouveau, de condamner la SCIMAS au paiement des sommes suivantes :
1) 502.175 543 francs CFA au titre de la créance formellement reconnue par la SCIMAS.
1) 20 000 000 francs CFA à titre de dommages-intérêts.
et en outre, aux entiers dépens de l’instance.
Attendu que dans son « mémoire en réponse à la requête aux fins d’annulation » reçu à la Cour de céans le 16 janvier 2006, la SCIMAS, sous la plume de son Conseil, Maître TOE Frank Didier, Avocat à la Cour, s’oppose à l’évocation sollicitée par la Société NESTLE SAHEL;qu’elle estime que cette demande d’évocation n’est pas fondée et devrait être purement et simplement rejetée, dès lors que les parties ont convenu que tout litige qui résulterait du contrat de distribution du 1er février 2002 « sera tranché exclusivement et définitivement, par arbitrage ».
Attendu qu’aux termes de l’article 29.5, alinéa 2 du Règlement d’Arbitrage susvisé, la Cour « évoque et statue au fond, si les parties en ont fait la demande ».
Attendu qu’il s’infère des dispositions de l’article 29.5, alinéa 2, sus énoncé du Règlement d’Arbitrage susvisé, que l’évocation doit résulter de la volonté commune clairement exprimée des parties;qu’en l’espèce, en raison de l’opposition marquée de la SCIMAS qui se fonde, à juste titre, à cet égard, sur les stipulations du contrat de distribution précité la liant à la société NESTLE SAHEL, lequel n’a pas prévu l’évocation, il convient de conclure que les conditions d’application dudit article ne sont pas réunies;qu’il y a lieu, en conséquence, de rejeter la demande d’évocation de la Société NESTLE SAHEL.
Attendu qu’aux termes de l’article 29.5, alinéa 3 du Règlement précité, « si les parties n’ont pas demandé l’évocation, la procédure est reprise, à la requête de la partie la plus diligente, à partir, le cas échéant, du dernier acte de l’instance arbitrale reconnu valable par la Cour ».
Attendu que le dernier acte de l’instance arbitrale devant être considéré comme valable est, en l’occurrence, le mémoire en date du 08 avril 2005 de la SCIMAS pris en réplique au mémoire en réponse en date du 25 mars 2005 de la société NESTLE SAHEL.
Attendu qu’il y a lieu de décider que chaque partie supporte ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré.
Déclare recevable, le recours en contestation de validité de sentence arbitrale formé par la Société NESTLE SAHEL.
Annule ladite sentence arbitrale.
Rejette la demande d’évocation de la Société NESTLE SAHEL.
Dit que la procédure arbitrale pourra être reprise à la requête de la partie la plus diligente, à partir du dernier acte reconnu valable par la Cour de céans, à savoir le mémoire en date du 08 avril 2005 de la SCIMAS, pris en réplique au mémoire en réponse en date du 25 mars 2005 de la Société NESTLE SAHEL.
Dit que chaque partie supporte ses propres dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus, et ont signé :
– le Président;
– le Greffier.