J-08-253
VOIES D’EXECUTION – JUGEMENT DE CONDAMNATION ASSORTI D’EXECUTION PROVISOIRE – EXECUTION FORCEE – EXECUTION CONCERNANT UNE ADJUDICATION D’IMMEUBLE (NON) – SUSPENSION PARTIELLE DE L’EXECUTION FORCEE ENTREPRISE ALORS QUE LA REGULARITE DE LA SAISIE ATTRIBUTION N’A PAS ETE MISE EN CAUSE – VIOLATION DE L’ARTICLE 32 DE L’ACTE UNIFORME (OUI) – CASSATION – AUTORISATION DE POURSUIVRE L’EXECUTION FORCEE (OUI).
En suspendant le paiement intégral ordonné par le tribunal, le juge des référés a suspendu partiellement l’exécution forcée entreprise, alors même que la régularité de la saisie attribution pratiquée n’a pas été mise en cause. En confirmant une telle décision, la Cour d’Appel a violé l’article 32 AUPSRVE. Par conséquent, la décision encourt la cassation. Dès lors, il y a lieu d’infirmer l’ordonnance litigieuse et d’autoriser les ayants-droit à poursuivre l’exécution entreprise.
CCJA, 2e Chambre, arrêt n 8 du 9 mars 2006, Affaire : Ayants-droit de K.O.K. c/ 1). Société Ivoirienne d’Assurance Mutuelle dite SIDAM;2). Caisse de Règlement Pécuniaire des Avocats dite CARPA, Le Juris-Ohada, n 3/2006, p. 28. Revue Penant n 861. Octobre / Décembre 2007, p. 522. Note Bakary DIALLO.
Sur le pourvoi en date du 27 juillet 2004 enregistré au greffe de la Cour de céans sous le n 094/2004/PC du 04 août 2004 et formé par Maître Ouattara Adama, Avocat à la Cour, demeurant Plateau, immeuble Daudet, 1er étage porte 12 bis, 20 BP 107 Abidjan 20, agissant au nom et pour le compte des ayants-droit de K.O.K, dans une cause les opposant à la Société Ivoirienne d’Assurance Mutuelle dite SIDAM, ayant pour Conseils Maîtres René Bourgoin et Patrice K. Kouassi, Avocats à la Cour, demeurant, 44, Av. Lamblin, Résidence EDEN, 11e étage, 01 BP 8658 Abidjan 01, et à la Caisse de Règlement Pécuniaire des Avocats dite CARPA, dont le siège social est au Palais de Justice d’Abidjan Plateau, en cassation de l’arrêt confirmatif n 574 rendu le 4 mai 2004 par la Cour d’Appel d’Abidjan, et dont le dispositif est le suivant :
« Déclare mal fondés en leur appel, les ayants-droit de K.O.K.
Les en déboute.
Confirme l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions.
La condamne aux dépens ».
Les requérants invoquent à l’appui de leur pourvoi, les deux moyens en cassation tels qu’ils figurent à l’acte de pourvoi annexé au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur le Juge Biquezil Nambak
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu les dispositions du Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure, que par jugement n 07/2002 du 28 mai 2002, la section du Tribunal de Bongouanou avait condamné solidairement la SIDAM et son assuré, à payer aux ayants-droit de K.O.K, décédé des suites d’un accident de la circulation, la somme de 7.622.588 F à titre de dommages-intérêts, et ordonné l’exécution provisoire dudit jugement;que munis de ce titre exécutoire, les ayants-droit de K.O.K avaient pratiqué une saisie attribution de créance le 1er décembre 2003, en recouvrement de la somme d’argent, objet de la condamnation;qu’estimant pour sa part, que le jugement précité avait commis une erreur dans la liquidation des droits des victimes en surévaluant les indemnités dont le montant exact aurait dû être de 1.368 815 francs, la SIDAM avait assigné les ayants-droit de K.O.K devant le juge des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, pour s’entendre ordonner le règlement de la somme non contestée de 1.368 815 francs et la consignation du solde entre les mains d’un séquestre;que par ordonnance n 5799 du 24 décembre 2003, ledit juge des référés avait accédé à la demande de la SIDAM, en ordonnant le règlement de la somme de 1.368 815 F aux requérants, et en nommant en qualité de séquestre la CARPA, pour recevoir et conserver le surplus jusqu’au règlement du litige;que sur appel des ayants-droit de K.O.K, la Cour d’Appel d’Abidjan avait, par arrêt n 574 du 4 mai 2004 dont pourvoi, confirmé l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions.
Sur le premier moyen
Vu l’article 32 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifi6ées de recouvrement et des voies d’exécution.
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué, d’avoir violé l’article 32 de l’Acte uniforme susvisé, en ce que la Cour d’Appel a estimé que la poursuite de l’exécution prévue par ce texte est facultative pour la juridiction saisie, et qu’elle pouvait choisir de l’interrompre à son gré;qu’en outre, le jugement de condamnation n’est pas un titre exécutoire parce que frappé d’appel alors que, selon le moyen, la faculté de poursuivre ou non l’exécution forcée sur la base d’un titre exécutoire par provision, appartient à la partie poursuivante seule, à l’exclusion du débiteur et du juge;que ledit jugement est assorti de l’exécution provisoire et rentre bel et bien dans l’hypothèse prévue à l’article 32 de l’Acte uniforme susvisé;qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’Appel d’Abidjan s’est arrogée un pouvoir qu’elle n’a pas, tout comme le juge des référés, dont l’ordonnance était soumise à son contrôle;qu’ainsi, l’arrêt entrepris encourt cassation.
Attendu qu’aux termes de l’article 32 de l’Acte uniforme susvisé, « à l’exception de l’adjudication des immeubles, l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme, en vertu d’un titre exécutoire par provision.
L’exécution est alors poursuivie aux risques du créancier, à charge pour celui-ci, si le titre est ultérieurement modifié, de réparer intégralement le préjudice causé par cette exécution, sans qu’il y ait lieu de relever de faute de sa part ».
Attendu qu’il résulte des dispositions sus énoncées, que le titre exécutoire par provision peut donner lieu à une exécution forcée, au seul choix du créancier poursuivant qui accepte le risque d’une condamnation à la réparation intégrale du préjudice causé au débiteur provisoirement condamné, si la décision n’est pas ultérieurement confirmée en appel;qu’en l’espèce, les requérants avaient entamé l’exécution forcée en vertu du jugement n 07/2002 du 28 mai 2002 rendu par le Tribunal de Bongouanou, et assorti d’exécution provisoire;que cette exécution ne concernait pas l’adjudication d’immeuble;qu’il suit qu’en confirmant l’ordonnance n 5799 du 24 décembre 2003 ayant suspendu partiellement l’exécution forcée entreprise, alors même que la régularité de la saisie attribution pratiquée n’a pas été mise en cause, l’arrêt attaqué a violé l’article 32 de l’Acte uniforme susvisé, et encourt de ce fait, cassation;qu’il échet en conséquence, de casser ledit arrêt et d’évoquer, sans qu’il soit besoin d’examiner le second moyen.
Sur l’évocation
Attendu que par exploit d’huissier en date du 26 décembre 2003, les ayants-droit de K.O.K. ont relevé appel de l’ordonnance n 5799 rendue le 24 décembre 2003 par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, demandent d’infirmer ladite ordonnance en toutes ses dispositions;d’ordonner le paiement intégral, à leur endroit, du montant des condamnations résultant du jugement n 07/2002 rendu le 28 mai 2002 par le Tribunal de Bongouanou, et d’assortir cette condamnation d’une astreinte comminatoire de 1 000 000 de francs par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir;qu’au soutien de leur demande, les appelants affirment que le juge des référés a méconnu sa compétence, car il ne peut suspendre, en aucune manière, l’exécution déjà entamée d’une décision rendue par les juges du fond;qu’en suspendant le paiement ordonné par le Tribunal de Bongouanou, le juge des référés a violé l’article 32 de l’Acte uniforme du Traité OHADA relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
Attendu que la SIDAM, intimée, soutient pour sa part, que le juge des référés du Tribunal d’Abidjan n’a pas outrepassé ses compétences, comme tentent de le faire admettre les appelants;qu’à aucun moment, il n’a suspendu l’exécution d’une décision de justice, et que bien au contraire, il a ordonné l’exécution de cette décision;que le juge des référés est tout à fait compétent pour ordonner que la somme à laquelle l’une des parties est condamnée soit versée à un séquestre, alors surtout que les appelants n’offrent aucune garantie de solvabilité.
Sur la demande de paiement intégral du montant, dès condamnation, résultant du jugement n 07/2002 du 28 mai 2002 du Tribunal de Bongouanou
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux sur le fondement desquels l’arrêt attaqué a été cassé, il y a lieu d’infirmer l’ordonnance n 5799 rendue le 24 décembre 2003 par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, et d’autoriser les ayants-droit de K.O.K. à poursuivre l’exécution entreprise.
Sur l’astreinte
Attendu que les ayants-droit ayant été autorisés à poursuivre l’exécution entreprise jusqu’à son terme, il n’y a pas lieu à astreinte.
Attendu que la SIDAM ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré :
Casse l’arrêt n 574 rendu le 4 mai 2004 par la Cour d’Appel d’Abidjan.
Évoquant et statuant sur le fond.
Infirme l’ordonnance n 5799 rendue le 24 décembre 2003 par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan.
Ordonne la poursuite de l’exécution entreprise.
Dit qu’il n’y a pas lieu à astreinte.
Condamne la SIDAM aux dépens.
Président : Jacques M’BOSSO.
NOTE
Comme la langue d’Ésope, l’exécution provisoire peut être la meilleure ou la pire des choses.
Si la procédure d’exécution provisoire permet de désamorcer bon nombre de situations qui frisent parfois le scandale, notamment lorsque la victime d’un dommage se trouve en butte à un responsable ou à son assureur qui s’offre le luxe de multiplier les moyens de procédure, avec le secret espoir d’arracher à la lassitude de son adversaire, une transaction avantageuse, elle peut également constituer pour le débiteur qui la subit, une véritable insécurité juridique.
L’arrêt de la 2e Chambre de la CCJA du 9 mars 2006 ci-avant rapporté, illustre parfaitement ce type de situation et permet plus spécialement de constater que l’évaluation d’un préjudice n’est pas toujours chose facile, et que le juge de première instance n’est jamais à l’abri d’une méprise source de contestation ultérieure.
Si le juge se trompe, en effet, le prétendu débiteur aura injustement appauvri ses liquidités, tout en s’interrogeant sur la manière dont il pourra obtenir la restitution de ce qu’il a dû injustement payer, avec la crainte que, dans l’intervalle, son créancier provisoire devenu débiteur définitif ne soit insolvable. Cette procédure n’est donc pas sans danger.
En l’espèce, à la suite d’un accident mortel de la circulation, le Tribunal de Bongouanou, par jugement du 28 mai 2002, avait condamné solidairement la compagnie d’assurance SIDAM et son assuré, à payer aux ayants-droit de la victime, la somme de 7.622.588 francs à titre de dommages-intérêts, et ordonné l’exécution provisoire dudit jugement.
Estimant que le jugement qui a ordonné l’exécution provisoire avait commis une erreur dans l’appréciation de l’indemnité de la victime, en surévaluant le montant, la compagnie d’assurance a assigné les bénéficiaires devant le juge des référés, pour s’entendre prononcer une nouvelle ordonnance rectificative d’exécution provisoire portant sur la somme de 1.368 815 F en lieu et place des 7.622.588 F précédemment alloués.
Satisfaction lui fut donnée, puisque le juge des référés a nommé en qualité de séquestre, la CARPA pour recevoir et conserver le surplus, jusqu’au règlement définitif du litige.
Les ayants-droit, qui n’entendaient pas abdiquer, avaient saisi la Cour d’Appel pour annuler cette nouvelle ordonnance. Toutefois, ils ont été éconduits;les juges abidjanais ont confirmé l’ordonnance et ordonné l’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement, au motif que « la poursuite de l’exécution prévue par l’article 32 de l’AUPSRVE était facultative pour la juridiction saisie, et qu’elle pouvait choisir de l’interrompre à son gré (..). ».
C’est ainsi que la question se retrouva par l’effet d’un pourvoi, devant le juge supranational, pour savoir si, sous couvert de rectification d’erreur, le juge des référés peut ordonner l’arrêt de l’exécution provisoire déjà entamée.
En définitive, on voit que ce que propose la Cour d’Appel ivoirienne, c’est d’infléchir la jurisprudence établie de la juridiction supranationale, en introduisant une atténuation sur le principe de l’irréversibilité de la décision judiciaire qui accorde l’exécution provisoire.
Le pourvoi offrait donc au juge supranational, une occasion supplémentaire, sinon de revenir sur sa position, du moins d’atténuer la rigidité de la jurisprudence Karnib, tant les juges nationaux semblent décidés de contourner l’effet dévastateur de cette jurisprudence.
Mais, la réponse de la CCJA a été négative et l’attendu de l’arrêt sonne sévèrement comme un rappel à une Cour d’Appel qui semblait l’avoir oublié : le titre exécutoire par provision peut donner lieu à une exécution forcée « au seul choix du créancier poursuivant qui accepte le risque d’une condamnation à la réparation intégrale du préjudice causé au débiteur provisoirement condamné, si la décision n’est pas ultérieurement confirmée en appel (…);en confirmant l’ordonnance ayant suspendu partiellement l’exécution forcée entreprise, alors même que la régularité de la saisie attribution pratiquée n’a pas été mise en cause, l’arrêt attaqué a violé l’article 32 de l’Acte uniforme susvisé et encourt de ce fait, la cassation ».
La CCJA confirme donc son attachement à la solution déjà énoncée par plusieurs arrêts, qui consiste en l’interdiction pour les juges nationaux, de suspendre une exécution provisoire par provision déjà entamée.
La lecture de l’arrêt présent fait apparaître qu’il existe une corrélation, voire une interférence entre le régime de responsabilité applicable à l’exécution à titre provisoire et celui du principe de l’irréversibilité de la décision accordant l’exécution provisoire.
I. La réticence de la CCJA à l’arrêt de l’exécution provisoire déjà entamée
La solution de cet arrêt de cassation du 9 mars 2006 de la 2e Chambre de la CCJA, paraît conforme à la jurisprudence désormais la plus établie sur l’exécution provisoire, mais également la plus controversée de la juridiction supranationale.
Il semble acquis, en effet, que pour la juridiction supranationale, l’élément impulsif et déterminant dans la procédure d’exécution provisoire, est l’acte d’exécution (A), le juge national n’a dès lors plus aucun pouvoir pour procéder à l’arrêt de la procédure, même en cas d’erreur (B).
A. L’exécution déjà engagée : un critère déterminant
On comprend aisément la tentation pour les créanciers d’indemnités d’assurance, de saisir le bras séculier de la justice, afin d’accélérer le paiement. La possibilité d’obtenir rapidement une indemnisation est perçue comme une véritable aubaine.
En effet, ordinairement, le créancier devra d’abord s’armer de patience pour obtenir l’examen de ses doléances par le juge : et le jugement, une fois obtenu, ne constituera pas l’ultime étape de la procédure juridictionnelle. Son exécution, ensuite, qui en est le prolongement, ne pourra intervenir qu’une fois la décision passée en force de chose jugée, c’est-à-dire, une fois que la décision n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution, ou à l’expiration du délai du recours, si celui-ci n’a pas été exercé.
En somme, le plaideur doit demeurer dans l’expectative pendant 16 mois à 24 mois. D’où l’intérêt grandissant que suscite la possibilité de faire exécuter tout de suite, sans attendre l’issue de la voie de recours exercée, ou du délai imparti pour l’exercer.
Le justiciable nanti d’une décision judiciaire dûment revêtue de la formule exécutoire, est en droit de compter sur une provision sur la créance dont il dispose sur son adversaire.
Toutefois, le droit commun de l’exécution provisoire est largement perturbé par l’article 32 de l’AUPSRVE, et l’interprétation qu’en fait la CCJA, selon laquelle on n’arrête pas une exécution provisoire déjà entamée, est loin d’être très claire.
Ce texte supprime purement et simplement les textes nationaux en vigueur, qui font référence à l’exécution provisoire des décisions de justice, et perturbe les jurisprudences nationales subséquentes. De son côté, de manière constante et répétée, la CCJA a jugé que l’article 32 de l’AUPSRVE n’autorise en aucun cas, un premier président à arrêter l’exécution provisoire déjà entamée. En effet, la question a donné lieu à de nombreux arrêts de jurisprudence, dont certains ont un caractère pédagogique : ils rappellent aux juges nationaux, ce que dit littéralement la loi, qu’une exécution provisoire déjà entamée doit rester irréversible aux risques et périls du créancier poursuivant.
En l’espèce, il ressort de l’analyse des faits, que les ayants-droit n’avaient entrepris la saisie attribution que le 1er décembre 2003, soit sept mois après le jugement ordonnant l’exécution provisoire. La compagnie d’assurance avait donc largement le temps d’initier une procédure de défense à exécution, pour empêcher qu’une telle exécution puisse être entreprise sur la base d’une décision comportant une grave erreur.
Il y avait là une manifestation claire de la volonté des ayants-droit, de mettre en œuvre l’exécution provisoire. Puisqu’ils avaient déjà accompli des actes d’exécution sur la base des 7.622.588 F, l’intervention postérieure du juge des référés, puis du juge d’appel, doit rester dès lors vaine aux yeux de la CCJA. Cet élément des mesures d’exécution, seul, demeure au fond déterminant. C’est à partir de ce critère que le juge supranational a fixé le principe de l’irréversibilité de l’exécution provisoire, et décliné toute sa jurisprudence. C’est donc à partir de ce critère qu’il faut comprendre dans toute sa latitude, la doctrine de la CCJA sur le contentieux de l’exécution provisoire.
Toutefois, même si en l’espèce la question ne se posait pas, un flou artistique demeure autour de la distinction à faire entre exécution engagée et exécution non engagée, plus précisément sur ce qu’il fallait entendre par la notion de mesure d’exécution qui permet de dire de façon incontestable, quand est-ce qu’on est devant une procédure d’exécution déjà entamée.
S’agit-il du commandement ? Du dressage du procès-verbal de saisie ? Du premier acte matériel de mise sous main de justice, du bien saisi ou partie des biens à saisir ?.
A notre connaissance, la question n’a pas encore été clairement posée à la CCJA;en sorte que le doute peut persister. On peut cependant dire qu’il s’agit, pour reprendre l’expression du Professeur Roger Perrot, de « la mesure dont on peut penser que, par son effet d’indisponibilité, elle attirera plus sûrement l’attention du débiteur ». Il s’ensuit que la mesure d’exécution peut prendre aussi bien la forme d’un procès-verbal de saisie, d’un acte de saisie (saisie créance), ou de la publication d’un commandement valant saisie (saisie immobilière). En tous les cas, le manque de clarté sur cette question soulève plus d’interrogations qu’elle n’en résout.
L’exécution provisoire dans le cadre de l’article 32 de l’Acte uniforme est donc mal ressentie, et les règles qui en régissent l’arrêt ou l’aménagement sont très mal comprises. Le réquisitoire qu’en dressent certains commentateurs est des plus violents;la fréquence même de ce contentieux particulier témoigne de la forte résistance de certaines juridictions, qui persistent à arrêter l’exécution provisoire, malgré la position fortement affirmée de la juridiction supranationale.
Devant ces ressentis et les règles complexes de la jurisprudence Karnib, on aurait pu s’attendre de la part de la CCJA, à une interprétation plus ou moins équilibrée, plus ou moins ouverte, pour parer à certaines carences. Par exemple, on aurait pu se demander si des soupapes de sécurité n’étaient pas nécessaires pour renforcer le principe de sécurité vis-à-vis du plaideur ayant momentanément succombé. En France, certains magistrats poussent même le paradoxe jusqu’à relever le risque d’insolvabilité du créancier momentané, sans pour autant prononcer l’arrêt de l’exécution provisoire. Le Professeur R. Perrot déclarait à ce propos, que « lorsque les textes sont trop rigoureux, le pragmatisme a des excuses ».
A cet égard, on pouvait se demander avec la Cour d’Appel, dans le cas d’espèce, si un titre exécutoire dont on sait précisément qu’il était affecté d’une erreur matérielle dans la liquidation des droits des créanciers, n’était pas constitutif de motif sérieux et suffisant pour procéder à l’arrêt de la procédure d’exécution provisoire ?.
B. Le caractère inopérant de l’erreur commise par le juge
Selon la CCJA, l’erreur commise par le premier juge qui accorde le titre exécutoire par provision, n’est pas un élément susceptible d’ébranler l’irréversibilité d’une exécution déjà engagée. À ce stade, la faculté d’arrêter la procédure appartient exclusivement au créancier poursuivant : « le titre exécutoire par provision peut donner lieu à une exécution forcée au seul choix du créancier poursuivant (…). ». En ordonnant donc l’arrêt de l’exécution forcée entreprise, on peut dire comme le relevait assez justement le pourvoi, que le juge des référés et le juge d’appel se sont arrogé un pouvoir qu’ils n’avaient pas.
On constate que les conséquences sont manifestement excessives pour la compagnie d’assurance SIDAM et son assuré. Mais, aujourd’hui, le phénomène de développement des provisions judiciaires allouées en matière d’assurance s’accompagne bien souvent d’une inflation des montants accordés à titre de provision;en sorte que cette pratique entraîne fréquemment de réelles méprises. Habituellement, certains juges des référés accordent aux victimes, des provisions en réparation de préjudices pratiquement égales au montant de leur réclamation. Cette pratique est contestable, le demandeur en paiement d’une provision ne pouvant, par définition, obtenir l’intégralité de sa créance. En ne respectant pas ce principe, on dénature le caractère, voire le fondement de la provision.
Les assureurs n’ont peut-être pas toujours conscience de ce qu’ils représentent aux yeux de la victime ou de ses proches. Dans le cas d’accident mortel de la circulation – comme c’est le cas d’espèce –, ils remplacent le coupable et ils représentent en même temps, la puissance de l’argent. Combien d’assurés, de victimes, d’ayants droit voient dans le litige qui les oppose aux assureurs, une lutte de pot de fer contre pot de terre. D’où leur « pulsion » légitime d’encaisser le plus rapidement, ce que la compagnie a l’obligation de débourser pour un temps, sans attendre que leurs droits ne soient définitivement établis.
En règle générale, les juges de première instance se montrent généreux à l’égard des victimes d’accident de la circulation ou leurs ayants-droit, dans l’évaluation des préjudices, prenant leur parti le plus souvent à l’encontre des assureurs, même si les pendules sont souvent remises à l’heure par les magistrats du second degré.
L’idée de justice étant associée à celle de morale, le juge d’instance verra dans cette institution, le moyen d’assurer l’équilibre entre des intérêts privés. L’appréciation se faisant in abstracto, l’exécution provisoire d’une décision judiciaire peut parfaitement comporter le risque d’erreurs. En effet, un juge un peu trop sûr de lui et de la solidité de sa décision risque facilement d’ordonner l’exécution provisoire, dans des sommes hors de proportions. Généralement, les juges de première instance accordent une provision à valoir sur la réparation du dommage, en n’ayant constaté que la réalité du dommage et en caractérisant l’obligation de l’assureur.
L’inquiétude à l’heure actuelle, est que le titre exécutoire par provision ne devienne « la chose » du juge qui le prononce, avant que d’être celle des parties, en l’occurrence du créancier poursuivant. Il relève, en effet, davantage de son imperium que de sa juridictio.
C’est un moyen pour lui d’affirmer et d’assurer sa propre autorité, son « infaillibilité provisoire », selon l’heureuse expression du Pr. Perrot, voire d’asseoir son infaillibilité définitive, par l’effet dissuasif du principe d’irréversibilité d’une exécution provisoire déjà engagée.
Le juge aura d’autant moins de scrupules, qu’il s’agira de faire payer une puissance financière comme une compagnie d’assurance, pour trouver à la victime ou ses ayants-droit, un palliatif, le plus rapide, le plus commode, mais aussi le plus efficace au drame d’un accident de la circulation. L’indemnité ainsi versée prématurément permettra peut-être à la victime ou à ses ayants-droit, de reprendre ses activités. Il suffit pour s’en convaincre, de constater le nombre impressionnant de décisions assorties de l’exécution provisoire, en matière d’assurance.
Néanmoins, il peut paraître assez choquant que, face à une condamnation à provision prononcée par un juge de première instance, le débiteur n’en puisse arrêter l’exécution immédiate, alors même que la condamnation repose sur une erreur matérielle manifeste de la part d’un juge qui ne s’est fondé la plupart du temps, que sur l’apparence d’un droit, et que le litige principal n’a pas encore été discuté.
Il ressort donc de l’arrêt rapporté, que l’erreur sur le montant de la créance ordonnée pour une exécution provisoire était imputable au premier juge. Cette situation fréquente en droit des assurances, est d’ailleurs à la base de nombreux remboursements prononcés par les juges du second degré.
On ne peut que regretter la sous-utilisation par les juges, de l’allocation partielle du montant total du préjudice reconnu, qui permet de concilier les intérêts souvent opposés des parties. La fâcheuse habitude d’accorder systématiquement l’exécution provisoire pour toute la condamnation ou pour les deux tiers (ce qui est encore substantiel), est unanimement décriée mais, malgré tout, parfaitement ancrée dans la pratique judiciaire.
Il en ressort que bien souvent, le créancier de l’indemnité d’assurance, une fois l’exécution provisoire prononcée, se comporte comme le bénéficiaire d’une décision passée en force de chose jugée. Or, ce comportement peut être à la source de bien des désagréments, en cas d’infirmation ultérieure de la décision exécutoire.
II. La réparation du dommage occasionné par l’exécution d’une décision exécutoire par provision ultérieurement infirmée
La restitution des versements effectués est la conséquence inéluctable de l’anéantissement du titre exécutoire : peu importe d’ailleurs, que l’exécution de la décision soit le résultat d’une exécution forcée ou d’une exécution spontanée. L’article 32 de l’Acte uniforme pose à la fois le principe de la responsabilité du créancier poursuivant (A). et l’étendue de la réparation attendue (B).
A. Le risque du plaideur téméraire
Il résulte de l’article 32 de l’Acte uniforme et de la motivation de l’arrêt présent, que l’exécution d’une décision de justice exécutoire à titre de provisoire n’a lieu qu’au seul choix du créancier poursuivant, qui accepte alors le risque d’une condamnation à la réparation intégrale du préjudice causé au débiteur provisoirement condamné, si la décision n’est pas ultérieurement confirmée en appel.
Comme nous l’avons relevé précédemment, l’une des justifications de la jurisprudence constante de la CCJA est que toute exécution immédiate d’une décision à titre provisoire, fait courir un risque grave à celui qui la subit.
Le plaideur qui poursuit l’exécution par provision encourt donc une responsabilité qui est fondée, non pas sur sa faute ou son abus de droit, mais sur le « risque-activité » ou le « risque-profit » que représente sa demande d’exécution provisoire, eu égard aux conséquences dommageables potentielles de sa demande et aux avantages éventuels qu’il peut en tirer.
Dans la présente affaire, nous nous trouvons bien en présence d’un plaideur qui a manifesté sa volonté de poursuivre l’exécution, puisque les ayants-droit ont déjà accompli des mesures de saisie, puis ont interjeté appel pour s’opposer à l’arrêt de cette exécution provisoire. Il est normal, dans ces conditions, que celui qui poursuit l’exécution provisoire assume le risque d’avoir à restituer son adversaire dans ses droits en nature, ou par équivalent, afin de le remettre dans l’état où il se trouvait avant la décision infirmée.
Les ayants-droit doivent donc pleinement avoir conscience pour agir avec prudence et, le cas échéant, en supporter toutes les conséquences. Il leur appartient donc de choisir au préalable, s’ils décident d’attendre que la décision devienne définitive ou s’ils prennent le risque de l’exécution immédiate, qui pourra ensuite leur être reprochée, si la décision vient à être infirmée en appel ou à être cassée.
Au contraire de la théorie du risque, où c’est la victime du risque qui doit en subir les conséquences, ici, c’est celui qui poursuit l’exécution de la décision de justice, qui doit réparer le préjudice éventuel subi par la partie adverse. Il s’agit donc en quelque sorte, d’une application de la théorie du « risque d’activité » ou du « risque-profit », selon laquelle celui qui crée, par son activité, un risque pour autrui, doit répondre de ses conséquences dommageables et, a fortiori, celui qui tire les profits d’une activité doit en supporter la charge. Cette manière de voir est le plus souvent approuvée par la doctrine.
En d’autres termes, le plaideur qui sollicite l’exécution d’une décision provisoire frappée d’une voie de recours, doit être suffisamment sûr du bien-fondé de sa position, pour pouvoir pronostiquer à coup sûr que cette décision sera confirmée par la juridiction supérieure. Dans le cas d’espèce, on voit bien que les ayants-droit prennent un risque, mais un risque assumé, puisqu’à deux reprises on leur a signifié l’erreur sur le montant de la liquidation de leurs droits. Ils ne devraient donc pas être surpris si, ultérieurement, ils sont contraints au remboursement.
C’est donc une énorme responsabilité qu’ils assument en continuant l’exécution d’un titre par provision, dont ils savent pertinemment qu’il est affecté d’une erreur. Il serait sage de ne procéder à des exécutions aux conséquences irréversibles, que si l’on est vraiment sûr de son fait. L’euphorie de la victoire ne doit pas tourner la tête du gagnant d’un jour.
M. Toulemon évoque, dans un article du Jurisclasseur périodique, « la responsabilité du plaideur triomphant et téméraire ». M. Perrot rappelle, pour sa part, que « l’exécution provisoire est une exécution conditionnelle qui déroge à l’effet suspensif de l’appel », et « qu’une certaine prudence est de règle pour éviter un dommage injustifié ».
On ajoutera, en droit comparé, qu’en France précisément, selon une jurisprudence à peu près constante depuis la seconde moitié du XIXe siècle, il est de principe que l’exécution d’une décision de justice exécutoire à titre provisoire, n’a lieu qu’aux « risques et périls de celui qui la poursuit », à charge pour lui d’en réparer les conséquences dommageables, en cas d’infirmation de cette décision.
La responsabilité de la partie qui poursuit l’exécution est donc, dans cette conception, une responsabilité sans faute, qui échappe à l’application de l’article 1382 du Code Civil. Cela conduit la Cour de Cassation française à casser, pour fausse application de l’article 1382, les arrêts qui continuent à exiger la constatation d’une faute dans l’exécution de la décision. Cette jurisprudence est très ancienne : hormis quelques arrêts du début du XIXe siècle qui avaient fait application de la faute, on trouve, dès le 27 avril 1864, un arrêt de la Chambre des requêtes de la Cour de Cassation, qui affirme que « l’exécution, nonobstant appel interjeté, d’un jugement exécutoire par provision, constitue une simple faculté dont la partie use à ses risques et périls, et sauf à répondre du préjudice causé par cette exécution, en cas d’infirmation ».
Un arrêt postérieur du 12 février 1895 a été plus direct, en énonçant qu’ » indépendamment de toute mauvaise foi ou intention de nuire, le simple préjudice causé par l’exécution d’un jugement infirmé en appel, suffit pour justifier une condamnation à des dommages-intérêts ».
Cette solution a été étendue au cas de cassation de la décision exécutée : « mais attendu que la partie qui exécute une décision judiciaire frappée d’un pourvoi en cassation ou pendant le délai ouvert à son adversaire, pour se pourvoir, le fait à ses risques et périls;qu’au cas où cette décision est ensuite cassée, elle doit remettre cet adversaire au même et semblable état où il se trouvait avant la décision annulée et, le cas échéant, l’indemniser du préjudice qu’il lui a causé du fait de l’exécution ».
Tandis que la Belgique a elle-même intégré cette solution dans son code judiciaire, dont l’article 1398 dispose que l’exécution provisoire du jugement « n’a lieu qu’aux risques et périls de la partie qui la poursuit », plusieurs autres pays admettant par ailleurs, le principe de l’exécution provisoire.
Dans l’arrêt ici commenté, la perte de fondement du titre exécutoire par provision, suite à son anéantissement, entraînera fatalement réparation. En effet, le jugement du tribunal de Bongouanou du 28 mai 2002 donnant lieu à cette exécution provisoire, n’est en principe qu’un titre résoluble dont le sort dépend du résultat de l’appel au fond. Qui plus est, le vice du titre est censé être connu des créanciers poursuivants, puisqu’ils ont été avertis par deux décisions judiciaires. En cas d’infirmation, voire de modification de la décision, les ayants-droit se trouvent dépourvus de titre.
La position de la CCJA est une incitation au créancier à la prudence, face au risque d’ » inversion des balances »;la bénédiction du juge de première instance qui a ordonné l’exécution provisoire ne suffit pas à immuniser le créancier poursuivant, toute la construction jurisprudentielle de la CCJA est donc basée sur ce principe de responsabilité. Le caractère facultatif de l’exécution explique cette position. L’expression « aux risques du créancier » utilisée par l’article 32 de l’AUPSRVE, n’est donc pas une formule de style : elle a une connotation technique bien précise, qui situe le problème dans le cadre d’une responsabilité « d’activité ». Et c’est bien là le moins.
Le juge supranational, en maintenant la jurisprudence Karnib, veut inciter le gagnant devant le premier juge, à se souvenir que son titre est encore précaire du fait de l’appel, que l’éventualité d’une infirmation ne doit pas être exclue, et qu’il a donc le devoir de rester prudent, en évitant toute mesure qui ne permettrait plus ensuite, une « restitution in integrum ».
B. La restitution in integrum
Lorsque le jugement est infirmé ou rétracté dans ses chefs ayant donné lieu à exécution provisoire, cette exécution devient désormais dépourvue de fondement;d’où il résulte que le gagnant de première instance qui avait bénéficié de l’exécution provisoire, devra restituer tout ce qu’il a reçu, de manière à revenir au “statu quo ante”.
Les problèmes de restitution des indemnités d’assurance perçues en toute légalité, mais dépensées trop hâtivement par les victimes d’accidents ou leurs ayants-droit, apparaissent régulièrement sous les projecteurs de l’actualité judiciaire. Pourtant, tout bénéficiaire d’une décision résoluble a toujours été sous cette épée de Damoclès que constitue l’infirmation de la décision en appel ou en cassation, en attendant que son titre devienne définitif.
Être obligé de restituer après une longue procédure, une bonne partie de l’indemnité que l’on a reçue et utilisée pour parer au plus pressé, puisque tel est le but précisément de l’exécution provisoire, cela peut arriver;mais cela peut surtout être une véritable catastrophe qui s’abat sur des personnes démunies, et ruiner des familles entières. Si bien que les victimes ou leurs ayants-droit le sont, en quelque sorte, une seconde fois. Tel est malheureusement, l’enjeu du double degré de juridiction, les Cours d’Appel ne suivant pas forcément les décisions des premiers juges.
Selon la juridiction supranationale, le créancier poursuivant, invité à rembourser, doit procéder « à une réparation intégrale ». Le titre exécutoire ayant été annulé par l’effet de l’infirmation de la décision qui lui servait de support, il y a lieu à remise en état. Ainsi, le capital versé devra être remboursé. Mais qu’en est-il des intérêts ?.
En France, la jurisprudence traditionnelle a d’abord considéré que les intérêts étaient dus à compter du versement. Il paraissait alors normal, d’exiger de celui qui poursuit sans titre exécutoire définitif, qu’il indemnise son adversaire du préjudice résultant pour lui, de la privation des revenus.
Toutefois, deux arrêts de la Cour de Cassation, ainsi que ceux du Conseil d’Etat, sont venus mettre fin à cette jurisprudence. Dorénavant, en cas d’infirmation, le prétendu gagnant n’était pas tenu de payer les intérêts légaux courus depuis le jour du versement : il n’est comptable que des intérêts de droit postérieurs à la signification de l’arrêt infirmatif. Il apparaît donc, que les revenus afférant à cette période intermédiaire lui restent acquis.
Cette solution, initiée par la Chambre sociale, en a été adoptée par l’assemblée plénière de la Cour de Cassation, le 3 mars 1995, dans les termes suivants : « la partie qui doit restituer une somme qu’elle détenait en vertu d’une décision de justice exécutoire, n’en doit les intérêts au taux légal qu’à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution ».
Les sommes versées par le « perdant » seront remboursées avec intérêts au taux légal, à compter de la notification de la décision ouvrant droit à restitution. Cette jurisprudence est toujours en vigueur. Le débiteur prétendu pourra au surplus, bénéficier de dommages-intérêts réparant le préjudice subi du fait de l’exécution.
L’argument, c’est que celui qui reçoit une somme d’argent en vertu d’un jugement immédiatement exécutoire, nonobstant appel, devient le détenteur légitime d’un capital que nul ne saurait le contraindre à faire fructifier pour le compte d’autrui.
Dans le domaine spécifique de l’assurance, il apparaît difficile pour une compagnie, d’invoquer un préjudice résultant d’une privation momentanée d’une somme d’argent, aussi importante soit-elle.
Mais, le risque de ne pouvoir obtenir la restitution de la somme versée, qu’elle ne doit pas, constitue bien un réel danger dont on doit lui donner les moyens pour se prémunir.
À côté de l’arrêt brutal de l’exécution provisoire, le débiteur condamné dispose aussi de la possibilité de demander à ce que soit substituée à l’exécution provisoire initialement prévue, une modalité différente d’exécution de la décision attaquée.
L’exécution provisoire ordonnée par le premier juge peut être aménagée de plusieurs manières : fourniture d’une garantie par le gagnant provisoire, consignation offerte par le perdant, désignation d’un séquestre, substitution de garantie, délai de grâce, etc.
Dans le contexte africain, face aux risques d’insolvabilité, l’utilisation d’une de ces mesures permettrait peut être d’éviter, à la suite de procédures longues et coûteuses, la restitution par la victime, des sommes qui lui ont été précédemment alloués en début d’instance.
Deux d’entre elles pourraient facilement et efficacement être mises en œuvre. Il s’agit de l’amélioration de l’information des victimes, par les divers praticiens intervenant à la procédure et par les magistrats nationaux, et de la consignation, qui demeure aujourd’hui encore, une mesure exceptionnelle.
– Une meilleure information des victimes.
Bien des situations difficiles peuvent être évitées, si dès l’origine, les avocats des victimes mettent en garde leurs clients contre l’éventualité d’un remboursement, ou leur donnent des conseils pour mettre les fonds à l’abri. Il est fréquent, toutefois, que les informations ne soient pas toujours comprises par les victimes, qui ne voient que le montant du chèque. Mais, il est nécessaire de continuer cet effort d’information des justiciables tout au long de la procédure, cette information devant être faite non seulement par les praticiens, tels que les assureurs, et les avocats des parties, mais également par les magistrats nationaux eux-mêmes.
Il convient donc, de procéder à une mobilisation générale des hommes de loi, pour minimiser au maximum les risques de restitution en appel. Les juges de première instance se montrent trop souvent généreux à l’égard des victimes dans l’évaluation des préjudices. Il incombe donc aux magistrats de première instance, d’être plus prudents et d’éviter d’assortir de l’exécution provisoire, des condamnations portant sur la totalité des indemnités. Ils doivent prendre conscience des conséquences fâcheuses d’une systématisation accrue du prononcé de l’exécution provisoire avec des sommes hors de proportions.
Mais, il revient avant tout aux avocats, dans le cadre de leur devoir de conseil, de bien préciser que les indemnités, qui sont allouées au titre d’une exécution provisoire, devraient être restituées dans le cas où l’instance supérieure réformerait la décision initiale et que, par conséquent, la prudence commande de ne pas dilapider ou d’immobiliser les fonds.
Par exemple, la consignation constitue un moyen efficace pour éviter des restitutions ultérieures, étant donné qu’aucune somme n’est perçue par le créancier.
La consignation : une mesure parfois opportune.
La consignation est une mesure qui préserve l’avenir, tout en ne donnant vraiment satisfaction à aucune des parties : le créancier ne perçoit rien, alors que le débiteur est obligé de débourser. Il est seulement garanti contre le risque de disparition des fonds, en cas de réformation. La consignation n’est donc opportune, que si les ressources du créancier font craindre une défaillance de sa part, et si la décision a quelque chance d’être réformée en appel.
On ne peut que regretter la sous-utilisation de la consignation, qui paraît pourtant être une mesure adéquate pour faire diminuer le nombre de restitutions.
Gageons que les magistrats prendront conscience de cet écueil et y remédieront rapidement, en encourageant sa mise en œuvre.
Il apparaît donc prudent de ne pas abuser de l’exécution provisoire et, surtout lorsque les chances de succès en appel sont incertaines, de ne pas procéder à une mesure d’exécution dont les conséquences ne pourraient pas être réparables en nature.
Dans une approche étroite et formelle de l’arrêt, la solution de la 2e Chambre de la juridiction supranationale du 9 mars 2006 paraît fondée, en ce qu’elle est conforme à la lettre de l’article 32 de l’Acte uniforme, et s’inscrit parfaitement dans le sillage de la jurisprudence Karnib. Toutefois, en élargissant l’angle d’approche de la question, la décision de la CCJA apparaît critiquable.
Quelles que puissent être les justifications de la jurisprudence Karnib, elles ne peuvent manquer de susciter des réticences. Si l’on suppose par exemple, que sur la base d’un jugement manifestement vicié par une erreur matérielle (non contestée, d’ailleurs). on doit permettre à un créancier poursuivant d’exécuter malgré le risque flagrant d’insolvabilité, qu’est-ce à dire, sinon de lui demander de « jouer à une loterie judiciaire » dont on connaît déjà l’issue ? Est-ce bien logique ?.
Si l’on ne veut pas que la procédure d’exécution provisoire ne tombe dans la tentation d’assimiler l’impossibilité légale d’ordonner l’arrêt d’exécution provisoire à l’infaillibilité du juge de première instance, il paraît urgent de réécrire l’article 32 de l’AUPSRVE.
Cet article de l’Acte uniforme manque véritablement de souffle, d’abord au niveau de son objet, car elle laisse subsister l’incohérence actuelle du droit à l’exécution provisoire dans les juridictions nationales, en se contentant de réaffirmer un principe largement accepté, sans en corriger ses aspects les plus choquants. Il manque également de souffle en ce qu’il ne prévoit aucunement les modalités de l’arrêt ou de la suspension de l’exécution provisoire. Ces modalités peuvent pourtant être réglées par un simple renvoi au droit national, comme il en existe plusieurs dans le Traité de Port-Louis.
Bakary DIALLO.
Docteur en droit privé.
1 R. Perrot,
Droit judiciaire privé, Tome III, Procédure de première instance, Sirey, 1991, n 1430, p. 1216.
2 Zf. arrêt CCJA n 2/2001du 11 octobre 2001, Époux Karnib, précité.
3 TGI Versailles 1996,
RTDC 1996, p. 188.
4 R. Perrot, sous ordonnance première prés, Paris, 18 juin 1979,
RTDC 1979-839.
5 Perrot,
RTDC, 1984, p. 568.
6 cf. sur la théorie du risque d’activité : Ph. Malaurie et L. Aynes,
Les obligations, Coll. Droit civil, éd. Défrénois, 2004;M. Toulemon,
JCP 1968-1-2182.
7 cf. notre thèse, B. Diallo, Les règles du contentieux des Actes uniformes de l’OHADA : analyses et perspectives. Paris I Sorbonne, février 2007, p. 137 et s.
8 cf. Toulemon,
JCP. 1968-1.2182.
9 cf. R. Perrot, Exécution provisoire aux risques et périls du créancier, note sous Civ. 3
e, 1
er juillet 1998,
Procédures, novembre 1998, n 240, p. 8.
10 cf. R. Perrot,
RTD civ. 2004, p. 353 : « mainlevée et réparation du préjudice. La preuve d’une faute à la charge du prétendu créancier est-elle nécessaire ? ».
11 cf. par exemple, Chambre des requêtes, 13 juillet 1852.
12 Ce n’était pas encore la théorie pure du risque, mais une référence à la simple « imprudence » du plaideur, considérée comme cause de responsabilité, en vertu des principes généraux du droit : « Attendu que si la partie qui a obtenu un jugement exécutoire par provision, a le droit d’en poursuivre l’exécution, nonobstant l’appel et sans attendre qu’il y soit statué, elle n’use de ce droit qu’à ses risques et périls, et à la charge, en cas d’infirmation, de réparer le préjudice que cette exécution provisoire a pu causer;qu’un pareil jugement n’est qu’un titre résoluble, que déjà, l’appel interjeté a remis en question, et dont le sort dépend du résultat de cet appel : qu’en cas d’infirmation, l’exécution demeure sans titre et n’a plus de base légale;qu’il serait contraire à l’équité, que l’appelant, dont la résistance est en définitive reconnue fondée, dût supporter le préjudice résultant d’une exécution que son adversaire a eu l’imprudence de poursuivre avant d’être assuré de son droit;qu’il importe peu que cette exécution n’ait pas été déclarée faite de mauvaise foi et avec intention de nuire;qu’il suffit qu’elle ait entraîné un dommage, pour que son auteur soit tenu de le faire aux termes des principes généraux du droit, qui rendent chacun responsable de son fait et voient une faute imputable dans une simple imprudence »;(Ch. req., 27 avril 1864, S.1 157, p. 1014), et dans le même sens, les arrêts des 12 avril 1895 et 11 juin 1903 cités dans le
Dalloz Action 2002/2003.
13 Cass. 12 février 1895.
14 Civ. 2
e, 8 décembre 1960,
Bull., II, n 755;Civ. 2
e, 14 février 1963,
Bull., II, n 149.
15 « La jurisprudence veut inciter le vainqueur d’un jour à ne pas oublier que Thémis pourrait inverser ses balances, et que dans ces conditions, une certaine prudence est de règle pour éviter un dommage injustifié ». (R. Perrot,
RTDC 2004, p. 353, Mesure conservatoire. Mainlevée et réparation du préjudice : la preuve d’une faute à la charge du prétendu créancier est-elle nécessaire ?).
16 cf. R. Perrot, Exécution provisoire aux risques et périls du créancier, note sous Civ. 3
e, 1
er juillet 1998, pourvoi n 96-18.930,
Procédures, novembre 1998, n 240, p. 8.
17 cf. Toulemon,
JCP. 1968-1.2182.
18 cf. R. Perrot, Exécution provisoire aux risques et périls du créancier, note sous Civ. 3
e, 1
er juillet 1998,
Procédures, novembre 1998, n 240, p. 8.
19 cf. R. Perrot,
RTD civ. 2004, p. 353 : « mainlevée et réparation du préjudice. La preuve d’une faute à la charge du prétendu créancier est-elle nécessaire ? ».
20 cf. sur la théorie du risque d’activité : Ph. Malaurie et L. Aynes,
Les obligations, Coll. Droit civil, éd. Défrénois, 2004;M. Toulemon,
JCP 1968-1-2182.
21 cf. par exemple, Chambre des requêtes, 13 juillet 1852.
22 cf. arrêt CCJA n 2/2001du 11 octobre 2001, Époux Karnib, précité.
23 Ce n’était pas encore la théorie pure du risque, mais une référence à la simple « imprudence » du plaideur, considérée comme cause de responsabilité, en vertu des principes généraux du droit : « Attendu que si la partie qui a obtenu un jugement exécutoire par provision, a le droit d’en poursuivre l’exécution, nonobstant l’appel et sans attendre qu’il y soit statué, elle n’use de ce droit qu’à ses risques et périls, et à la charge, en cas d’infirmation, de réparer le préjudice que cette exécution provisoire a pu causer;qu’un pareil jugement n’est qu’un titre résoluble, que déjà, l’appel interjeté a remis en question, et dont le sort dépend du résultat de cet appel : qu’en cas d’infirmation, l’exécution demeure sans titre et n’a plus de base légale;qu’il serait contraire à l’équité, que l’appelant, dont la résistance est en définitive reconnue fondée, dût supporter le préjudice résultant d’une exécution que son adversaire a eu l’imprudence de poursuivre avant d’être assuré de son droit;qu’il importe peu que cette exécution n’ait pas été déclarée faite de mauvaise foi et avec intention de nuire;qu’il suffit qu’elle ait entraîné un dommage, pour que son auteur soit tenu de le faire aux termes des principes généraux du droit, qui rendent chacun responsable de son fait et voient une faute imputable dans une simple imprudence »;(Ch. req., 27 avril 1864, S.1 157, p. 1014), et dans le même sens, les arrêts des 12 avril 1895 et 11 juin 1903 cités dans le
Dalloz Action 2002/2003.
24 Cass. 12 février 1895.
25 cf. Civ. 14 novembre1985,
Gaz. Pal. 1986. 1. panorama 59.
26 cf. notre thèse, B. Diallo, Les règles du contentieux des Actes uniformes de l’OHADA : analyses et perspectives. Paris I Sorbonne, février 2007, p. 137 et s.
27 Chambre sociale Cass. du 16 juillet 1987,
Gaz. Pal. 1987. 2. Pau. 233 : CE aff. Pinard du 4 mai 1984 / 3
e Ch. civ. 9 décembre 1987,
Bull. civ. III n 200, p. 118.
28 Arrêt précité : Soc., 16 juillet 1987, pourvoi n 84-45. 608,
Bull., V, n 841, p. 624.
29 Civ. 2
e, 8 décembre 1960,
Bull., II, n 755;Civ. 2
e, 14 février 1963,
Bull., II, n 149.
30 R. Perrot,
Droit judiciaire privé, Tome III, Procédure de première instance, Sirey, 1991, n 1430, p. 1216.
31 Ass. plén., 3 mars 1995, pourvoi n 91-19.497,
Bull., A. P., n l, p. 1;
Le Quotidien juridique, 1995-05-16, n 39, p. 5, note J.-P. D.,
Semaine juridique, 1995-09-13, n 37, p. 331, note Ph. Delebecque.
Les Petites Affiches, 1995-12-27, n 155, p. 22, note Y. Picod.
32 Civ. 2
e, 15 mai 2003,
Bull., 2003, p. 548 : note R. Perrot,
RTDC 2003, p. 548;Soc., 23 juin 2004, pourvoi n 02-40.929.
33 JCP proc. civ. F. 518, n 70 et s. : Dalloz Action 2002/2003, Droit et pratique de la procédure civile, n 5252 et s.
34 Maître Ipanda, L’arrêt époux Karnib : une révolution ? Question d’interprétation,. Revue
camerounaise du droit des affaires n 10 janvier/mars 2002. Ouattara, La jurisprudence époux Karnib, le glas des articles 180, 181, 228 nouveaux du Code de procédure civile ? A propos de l’arrêt n 2/2001 du 11 octobre 2001 de la CCJA;
Ecodroit n 10 avril 2002, p. 32. S. Souop, L’exécution provisoire encadrée, leurres et lueurs d’un revirement jurisprudentiel, Note sous les arrêts CCJA n 12, 13 et 14 du 19 juin 2004.
35 « La jurisprudence veut inciter le vainqueur d’un jour à ne pas oublier que Thémis pourrait inverser ses balances, et que dans ces conditions, une certaine prudence est de règle pour éviter un dommage injustifié ». (R. Perrot,
RTDC 2004, p. 353, Mesure conservatoire. Mainlevée et réparation du préjudice : la preuve d’une faute à la charge du prétendu créancier est-elle nécessaire ?).
36 cf. R. Perrot, Exécution provisoire aux risques et périls du créancier, note sous Civ. 3
e, 1
er juillet 1998, pourvoi n 96-18.930,
Procédures, novembre 1998, n 240, p. 8.
37 TGI Versailles 1996,
RTDC 1996, p. 188.
38 R. Perrot, sous ordonnance première prés, Paris, 18 juin 1979,
RTDC 1979-839.