J-08-254
VOIES D’EXECUTION – TITRE EXECUTOIRE – EXECUTION PAR PROVISION – CONDITION – CARACTERE EXECUTOIRE – EXISTENCE DU TITRE (OUI) – TITRE PRIVE DE SON CARACTERE EXECUTOIRE PAR DECISION DE JUSTICE EN ATTENDANT UNE DECISION AU FOND.
S’il est exact que, conformément à l’article 32 de l’AUPSRVE, l’exécution forcée d’un titre exécutoire par provision peut se poursuivre jusqu’à son terme, c’est à la condition que le caractère exécutoire demeure.
Il en va autrement lorsque le titre est privé de son caractère exécutoire par provision, conformément à l’article 181 du Code de Procédure Civile ivoirien, en attendant qu’il soit statué sur le fond.
Cour d’Appel de Daloa Arrêt n 63 du 14 janvier 2005. Affaire : CFAO c/ DA et la SGBCI.. Revue Penant n 861. Octobre / Décembre 2007, p. 541. Note Bakary DIALLO.
LA COUR
Vu les pièces du dossier de la procédure.
Ouï les parties en leurs conclusions.
Ouï le ministère public.
Après en avoir délibéré conformément à la loi.
Par exploit en date du 9 décembre 2004 de Maître A. Vie Kipre Thérèse, Huissier de justice à Abidjan, la société Compagnie Française de l’Afrique de l’Ouest dite CFAO agissant par son Président Directeur Général C.S. et ayant pour Conseil le Cabinet de Maîtres Fadika-Kacontie-Anthony, Avocats à la Cour, a relevé appel de l’ordonnance n 4312 rendue par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan qui, se déclarant compétent pour statuer sur sa demande, l’a déboutée de ses prétentions.
LES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
A la suite d’une décision du tribunal assortie de l’exécution provisoire partielle condamnant, le 5 mai 2004, la CFAO à payer à D.A. la somme de 30.819.863 F, le bénéficiaire saisissait les comptes bancaires de la débitrice de manière conservatoire, le 24 septembre 2004;il dénonçait cette saisie et la convertissait en saisie-attribution une première fois, le 29 septembre 2004, et à la suite de l’annulation de cette première conversion, une seconde fois le 19 octobre 2004.
Estimant que cette conversion a été faite au mépris des articles 79 et 82 de l’Acte uniforme OHADA relatifs aux voies d’exécution imposant certaines mentions, à peine de nullité, la CFAO saisissait le juge de l’urgence du Tribunal d’Abidjan et demandait la mainlevée, d’une part, de la saisie du 24 septembre 2004, et d’autre part, sa conversion en saisie attribution.
Le juge de l’urgence, dans une première décision, a annulé la conversion du 29 septembre 2004 et maintenu la saisie conservatoire.
En saisissant le même juge pour la seconde fois, la CFAO demandait également la mainlevée de la saisie conservatoire du 24 septembre 2004 et l’annulation de sa conversion du 19 octobre 2004, en soutenant que D.A. a ignoré la signification qui lui a été faite le 12 octobre 2004, d’une ordonnance de défense à exécution provisoire du premier Président de la Cour d’Appel d’Abidjan. Elle estimait donc que l’exécution était poursuivie à tort et en violation des articles 181 du Code de Procédure Civile et 69 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution.
Le premier juge, par la décision attaquée, a estimé l’exécution forcée ayant débuté, elle pouvait être poursuivie en vertu de l’article 32 de l’Acte uniforme de l’OHADA sur les voies d’exécution, et ce, malgré l’ordonnance de défense à exécution.
En reprenant ses moyens développés devant le premier juge, la CFAO demande à la Cour d’infirmer l’ordonnance, et statuant à nouveau, de sanctionner la violation des articles 69 de l’Acte uniforme et 181 du Code de Procédure Civile;d’ordonner la mainlevée de la saisie sous astreinte d’enjoindre à D.A. de s’abstenir de procéder à toute mesure d’exécution du jugement de condamnation, sous astreinte 1 000 000 F par jour de maintien de toute saisie.
Pour sa part, D.A, par les écritures de son Conseil Maître Traoré Moussa, Avocat à la Cour, fait remarquer à la Cour que la saisie conservatoire qu’il a opérée est conforme aux prescriptions de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution;il explique par ailleurs, qu’en vertu de l’article 32 de l’Acte uniforme, l’ordonnance de défense ne saurait priver son titre exécutoire (jugement assorti de l’exécution provisoire) de son caractère exécutoire.
Il soutient enfin, que le litige de l’espèce constitue une difficulté d’exécution de l’ordonnance du premier Président, de sorte qu’en vertu de l’article 221 du Code de Procédure Civile, la compétence en cette matière est dévolue à la compétence exclusive de la juridiction de référés de la Cour d’Appel.
Il conclut à la confirmation de l’ordonnance.
DES MOTIFS
EN LA FORME
Les deux parties ont conclu, il y a lieu de prononcer contradictoirement.
L’appel est relevé dans les délai et forme légaux;il y a lieu de le déclarer recevable.
SUR LE FOND
De la validité de la saisie conservatoire du 24 septembre 2004
La CFAO critique la saisie conservatoire, en invoquant la violation de l’article 69 de l’Acte uniforme OHADA;cependant, il est établi que cette saisie est régulière en ce qu’elle n’a rien de contraire aux dispositions de l’article 69 invoqué;il y a donc lieu de dire que la CFAO est malvenue à solliciter la mainlevée.
De la coexistence entre l’article 181du Code de Procédure Civile et l’article 32 de l’Acte uniforme OHADA relatif aux voies d’exécution :
S’il est exact que conformément à l’article 32 de l’Acte uniforme OHADA susvisé, l’exécution forcée d’un titre exécutoire par provision peut se poursuivre jusqu’à son terme, c’est à la condition que le caractère exécutoire demeure.
Il en va donc autrement lorsque, comme en l’espèce, le premier Président de la Cour d’Appel, sur requête de l’appelant exerçant une voie de recours conformément à l’article 181 du Code de Procédure Civile, décide que le titre soit privé de son caractère exécutoire par provision, en attendant qu’il soit statué sur le fond.
Il suit de là, que la conversion opérée par acte du 19 octobre 2004 a été initiée alors que le jugement n’avait plus son caractère exécutoire par provision, en raison de l’ordonnance du 04 octobre 2004 signifiée le 12 octobre 2004, doit être déclarée injustifiée.
Sur les dépens
La CFAO succombe;il y a lieu de mettre les dépens à sa charge.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort.
Déclare la CFAO partiellement fondée.
Infirme l’ordonnance en ce qu’elle a débouté la CFAO en sa demande de nullité de la conversion, de la saisie conservatoire.
Statuant à nouveau :
Dit que cette conversion est nulle.
Dit que la saisie conservatoire du 24 septembre 2004 est régulière et demeure en vigueur.
Condamne l’appelante aux dépens.
Président : M. Kouassi Brou BERTIN.
NOTE
« Pas d’exécution sans titre exécutoire », tel pourrait précisément être l’adage de la Cour d’Appel d’Abidjan, à la lecture de cet arrêt du 14 janvier 2005 qui fait émerger la différence fondamentale entre l’exécution forcée et la saisie conservatoire.
Forte d’une décision d’un tribunal assortie de l’exécution provisoire partielle, une saisie conservatoire avait été pratiquée par un créancier (D.A). sur les comptes bancaires d’une société (CFAO). Dans la foulée, le créancier poursuivant a souhaité convertir cette saisie conservatoire en saisie attribution. D’abord, sans succès, une première fois le 29 septembre 2004, puisque l’opération avait été annulée pour vice de procédure, ensuite, par un nouvel acte de conversion à la date du 19 octobre 2004.
Suite à la requête du débiteur poursuivi, le juge de l’urgence du tribunal abidjanais, sous l’empire des articles 180 et 181 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative ivoirien, avait ordonné la mainlevée de la saisie attribution et l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement précité.
Pour échapper à cette suspension, le créancier invoque les termes de l’article 32 de l’Acte uniforme portant voies d’exécution et procédures simplifiées de recouvrement : « A l’exception de l’adjudication des immeubles, l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme, en vertu d’un titre exécutoire par provision. L’exécution est alors poursuivie aux risques du créancier, à charge pour celui-ci, si le titre est ultérieurement modifié, de réparer intégralement le préjudice causé par cette exécution, sans qu’il y ait lieu de relever de faute de sa part », et comme pour mieux cibler la jurisprudence, « époux Karnib » de la CCJA excipe à son profit, l’article 10 du Traité OHADA.
L’appelant fait également état de la validité de la saisie conservatoire qu’il a opérée conformément aux prescriptions de l’Acte uniforme.
Le débiteur poursuivi fait valoir de son côté, que l’acte de conversion du 19 octobre 2004 avait été fait en dépit de la signification de la décision du juge de l’urgence suspendant l’exécution provisoire.
Le problème qui se pose, et dont on mesure facilement l’enjeu pratique, était simple : c’est celui de savoir si, après une saisie conservatoire pratiquée sur le fondement d’un jugement exécutoire par provision, il est encore possible pour un juge national, de suspendre l’exécution provisoire.
LA COUR d’Appel d’Abidjan répond affirmativement à cette question, en se bornant à constater qu’en l’espèce, le titre exécutoire par provision avait perdu son caractère exécutoire.
Il y a lieu, en tout cas, de considérer que la saisie conservatoire, qui n’est pas une mesure d’exécution, n’immunise pas le créancier contre l’arrêt de l’exécution provisoire.
I. La saisie conservatoire n’est pas une mesure d’exécution
La saisie conservatoire est la forme la plus énergique des mesures conservatoires, mais elle demeure une mesure essentiellement provisoire. Elle consiste à rendre indisponible certains biens du débiteur, afin d’éviter que celui-ci ne se rende insolvable en les aliénant ou en les dissimulant pour les faire échapper à d’éventuelles poursuites.
En revanche, si en dépit de l’indisponibilité qui frappe les biens saisis, le débiteur saisi ne s’exécute pas volontairement, le créancier saisissant va mettre fin à cette situation provisoire en procédant à la conversion de la saisie conservatoire en saisie-vente;cette saisie-vente est anciennement dénommée saisie-exécution.
A la différence des mesures conservatoires, les mesures d’exécution ont pour objet propre, d’entraîner une véritable éviction du débiteur, sous la forme d’un transfert de droit comparable à une véritable expropriation. C’est en raison, d’ailleurs, de cette gravité, qu’elles sont soumises à des dispositions particulièrement rigoureuses.
C’est précisément ce qui se passe dans le présent arrêt rapporté.
Après avoir obtenu du tribunal une décision assortie de l’exécution provisoire, le créancier a souhaité convertir la saisie conservatoire en une saisie-vente qui lui permettra de procéder à la réalisation des biens saisis. Car, à la différence de la saisie-vente, la saisie conservatoire se singularise par l’absence de tout commandement de payer préalable au débiteur poursuivi.
Le législateur, soucieux d’accélérer la procédure, a innové en la matière, en substituant à l’instance en validité, un simple acte de conversion. Cette solution est faite pour éviter la lenteur procédurale.
Cette conversion en saisie-vente obligatoire a lieu en deux temps.
D’abord, l’acte de conversion est signifié au débiteur. Ensuite, faute de paiement dans le délai imparti, la procédure de mise en vente peut être engagée (pas avant).
La conversion s’opère au moyen d’un acte d’huissier de justice, qui doit contenir un certain nombre de mentions prescrites, à peine de nullité, par l’article 69 de l’Acte uniforme.
Ces mentions s’inspirent de l’idée que la conversion est un acte qui assure le relais entre une saisie conservatoire – qui conserve ses effets – et une saisie vente, qui en prend la suite, mais dont il faut préparer la mise en œuvre par des énonciations qui lui sont spécifiques.
Faute d’avoir scrupuleusement respecté cette formalité, la première tentative de conversion du créancier a été annulée. Le débiteur s’est engouffré dans cette brèche pour demander sur le fondement de l’article 181 du Code de Procédure Civile ivoirien, l’arrêt de la procédure d’exécution provisoire.
LA COUR d’Appel a fait droit à cette demande, arguant du fait que le titre exécutoire par provision avait « perdu son caractère exécutoire ». Que faut-il comprendre par cette motivation ?.
La vérité, c’est que la saisie conservatoire n’est pas une mesure d’exécution. Sans doute, la saisie conservatoire peut donner l’illusion de sauvegarder très efficacement les intérêts du créancier. Mais, parce qu’il n’y a pas transfert d’un patrimoine à un autre, parce qu’il n’y a pas un commandement de payer, sa situation reste exposée.
II. De l’altération du titre exécutoire par provision
Cet arrêt n’est pas sans rappeler l’arrêt « Époux Karnib »;comme dans la présente espèce, le premier Président de la Cour d’Appel d’Abidjan avait prononcé la suspension de l’exécution du jugement de condamnation, sur le fondement des articles 180 et 181 du Code de Procédure Civile ivoirien. Comme dans notre espèce, le demandeur faisait état de la violation de l’article 32 de l’Acte uniforme, auquel ne peuvent se substituer les articles suscités, au regard de l’article 10 du Traité OHADA.
Toutefois, depuis cet arrêt, la jurisprudence de la juridiction supranationale a évolué, la CCJA a notamment précisé que « l’article 32 de l’Acte uniforme portant voies d’exécution n’est pas applicable, dès lors que la procédure litigieuse n’a pas pour objet de suspendre une exécution forcée déjà engagée, mais plutôt d’empêcher qu’une telle exécution puisse être entreprise sur la base d’une décision assortie de l’exécution provisoire et frappée d’appel » (arrêts n 12, 13, 14/2003).
Par la suite et de manière constante et répétée, la Haute Juridiction communautaire a jugé que cet article n’autorise en aucun cas, un premier président à arrêter l’exécution provisoire déjà entamée.
On le voit donc, dorénavant, seul demeure fondamentalement déterminant ce critère des mesures d’exécution. C’est à partir de ce seul critère que le juge supranational a fixé le principe de l’irréversibilité de l’exécution provisoire. C’est à partir également de ce seul critère qu’il a décliné toute sa doctrine.
La seule question qui vaille donc la peine d’être posée dans le cadre de l’arrêt rapporté, est celle de savoir si en l’espèce, cette exécution avait déjà été engagée.
Dans une espèce à tous points identiques soumise à la connaissance de la Cour Commune, la juridiction supranationale, par un arrêt du 27 janvier 2005 (affaire D.E. c/ Limba S.A.). avait rejeté un pourvoi et approuvé le Président de la Cour d’Appel de Bouaké, d’avoir, en application des articles 180 et 181 du Code ivoirien de Procédure Civile, Commerciale et Administrative, ordonné la suspension de l’exécution provisoire d’un jugement émanant du Tribunal de Travail de Bouaké. Son attendu mérite une relecture :
« Attendu qu’il résulte de l’article 69 de l’Acte uniforme, que la transformation de la procédure conservatoire en procédure d’exécution nécessite la signification par le créancier au débiteur, d’un acte de conversion de la saisie conservatoire en saisie-vente.
Attendu en l’espèce, que Monsieur D.E. n’a pas produit d’exploit portant signification à la société Limba S.A, d’un acte de conversion prévu par l’article 69 sus énoncé de l’Acte uniforme susvisé;qu’à défaut de cet acte, la saisie litigieuse n’a pas atteint le stade de l’exécution;qu’elle est demeurée une simple mesure conservatoire, à laquelle ne s’applique pas l’article prétendument violé de l’Acte uniforme susvisé, dont les dispositions régissent exclusivement les mesures d’exécution pratiquées en vertu d’un titre exécutoire par provision : qu’en conséquence, le pourvoi n’est pas fondé et doit être rejeté ».
Difficile d’être plus clair. Dans le cas de l’arrêt rapporté, le créancier est également resté au stade de la saisie conservatoire;en sorte que l’annulation de l’acte de conversion du 29 septembre 2004 a eu pour effet d’altérer le titre exécutoire. Par voie de conséquence, cette altération avait permis au débiteur poursuivi, de profiter de la brèche ouverte pour se prévaloir de l’article 180 du Code de Procédure Civile ivoirien, qui autorise le juge de l’urgence d’ordonner la suspension de la procédure d’exécution provisoire.
Compte tenu de la jurisprudence de la CCJA sur la question et la solution, cet arrêt de la Chambre civile et commerciale de la Cour d’Appel d’Abidjan du 14 janvier 2005 doit être pleinement approuvé.
Le débiteur a su parfaitement profiter de la maladresse de son créancier, en s’engouffrant assez subtilement dans la brèche ouverte par l’annulation de l’acte de conversion.
Bakary DIALLO.
Docteur en droit privé.
1 Perrot,
RTDC, 1984, p. 568.
2 CCJA n 5/2005 du 27 janvier 2005, affaire D.E. c/ Limba S.A., note Bakary Diallo, Penant n 853, p.519-524.