J-08-255
VOIES D’EXECUTION – SAISIE ATTRIBUTION DE CREANCE – SOMMES SAISIES ATTRIBUEES RESULTANT D’UNE SUBVENTION DE L’ETAT – SOMMES AYANT UN CARACTERE INSAISISSABLE (OUI) – MAINLEVEE DE LA SAISIE ATTRIBUTION (OUI).
Les sommes saisies ont un caractère insaisissable en vertu des articles 51 de l’Acte uniforme portant voies d’exécution et 271 du Code de Procédure Civile ivoirien, dès lors qu’elles résultent d’une subvention de l’Etat. Par conséquent, il y a lieu d’ordonner la mainlevée de la saisie attribution.
Article 271 DU CODE DE PROCEDURE CIVILE IVOIRIEN
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.), Arrêt n 11 du 29 juin 2006. Affaire : Centre National de Recherche Agronomique dit CNRA c/ AFFE-CI Sécurité. Revue Penant n 861. Octobre / Décembre 2007, p. 548.
Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans de l’affaire Centre National de Recherche Agronomique dit CNRA contre société AFFE-CI Sécurité, ayant pour Conseil Maître Kohou Lebaill Gisèle, Avocat à la Cour, par arrêt n 252/04 de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, Chambre judiciaire, saisie d’un pourvoi formé le 18 aoûtt 2003 par Maître Obeng-Kofi Fian, Avocat à la Cour, y demeurant 19, boulevard Angoulvant, Résidence Neuilly, aile gauche, 2e étage, 01 B.P. 6514 Abidjan 0l, agissant au nom et pour le compte du Centre National de Recherche Agronomique sis à Abidjan Km 17,01 RP. 1740 Abidjan 01, en cassation de l’arrêt n 762 rendu le 10 juin 2003 par la Cour d’Appel d’Abidjan, et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé et en dernier ressort :
Déclare recevable et bien-fondé, l’appel de la société AFFE-CI Sécurité SARL relevé de l’ordonnance de référé n 1587 rendue le 8 avril 2003 par le juge des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan.
Infirme ladite ordonnance en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau :
Rejette comme non fondée l’action du CNRA tendant à la mainlevée de la saisie attribution pratiquée.
Ordonne la continuation de l’exécution.
Condamne le CNRA aux dépens.
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à l’acte de pourvoi annexé au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur le Juge Biquezil Nambak
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu les dispositions du Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure, que par contrat en date du 30 avril 1999, le CNRA avait confié le gardiennage et la surveillance de ses locaux et installations à la société AFFE-CI Sécurité, contre le paiement de la somme mensuelle de 5.748.960 francs;qu’estimant que le CNRA lui restait redevable des arriérés, la société AFFE-CI Sécurité avait sollicité et obtenu, par ordonnance d’injonction de payer n 339/03 rendue le 20 janvier par le Président du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, sa condamnation au paiement de la somme principale de 57.489,600 F;que ladite ordonnance étant devenue définitive, la société AFFE-CI Sécurité pratiquait une saisie attribution sur les comptes bancaires du CNRA ouverts à la SIB et à la BICICI, pour avoir paiement de sa créance;que sur contestation du CNRA, le juge des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan Plateau avait, par ordonnance n 1587 du 8 avril 2003, ordonné la mainlevée de la saisie attribution pratiquée;que sur appel de AFFE-CI Sécurité, la Cour d’Appel d’Abidjan, par arrêt n 762 du 10 juin 2003 dont pourvoi, infirmait l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions;que sur pourvoi du CNRA, la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, après avoir relevé que l’affaire soulève des questions relatives à l’application de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, s’est dessaisie du dossier de la procédure au profit de la Cour de céans.
Sur le second moyen
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué, l’omission de statuer, en ce que la Cour d’Appel ne s’est pas prononcée sur la saisissabilité ou non des sommes saisies, alors que, selon le moyen, le CNRA a fait observer qu’il accomplit une mission de service public et, à ce titre, reçoit de l’Etat de Côte d’Ivoire, des fonds logés sur des comptes ouverts dans les établissements financiers de la place, qui sont insaisissables aux termes des dispositions non abrogées de l’article 271 du Code ivoirien de Procédure Civile.
Attendu qu’il résulte, tant des énonciations de l’arrêt attaqué, que des conclusions produites en cause d’appel, le 17 avril 2003, que le CNRA a, en substance, déclaré en contestation de la saisie pratiquée sur ses comptes bancaires, que les sommes mises sous main de justice étaient des subventions allouées par l’Etat au CNRA à titre périodique, donc des deniers publics insaisissables.
Attendu que, pour statuer comme elle l’a fait, la Cour d’Appel d’Abidjan, non seulement s’est prononcée sur l’immunité d’exécution dont ne s’est prévalu à aucun moment le CNRA, mais aussi, n’a pas répondu à la demande que lui a formulée très clairement ce dernier, de « confirmer l’ordonnance querellée par substitution de motifs, en jugeant que les sommes saisies sont insaisissables parce qu’elles sont des subventions allouées par l’Etat »;que ce faisant, la Cour d’Appel a commis une omission de statuer et exposé son arrêt à la cassation;qu’il échet en conséquence, de casser ledit arrêt et d’évoquer, sans qu’il soit besoin d’examiner le premier moyen.
Sur l’évocation
Attendu que par exploit en date du 15 avril 2003, la société AFFE-CI Sécurité a relevé appel de l’ordonnance n 1587 rendue le 8 avril 2003 par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, laquelle a constaté la nullité de la saisie pratiquée le 14 mars 2003 et en a ordonné la mainlevée;que l’appelante soulève la nullité de ladite ordonnance pour non communication de pièces, notamment le décret invoqué par le CNRA pour soutenir qu’il est un établissement public, et pour non communication de la procédure au ministère public, du fait de la qualité d’établissement public à caractère administratif que revendique le CNRA, et sollicite en conséquence, que soit déclarée bonne et valable, la saisie attribution pratiquée.
Attendu que le CNRA, intimé, soutient pour sa part au sujet de la nullité de l’ordonnance soulevée par l’appelante, que l’exception de communication de pièces n’a pas pour objet, l’annulation de la décision, d’une part, et d’autre part, qu’il a seulement déclaré, en contestation de la saisie pratiquée sur ses comptes bancaires, que le CNRA exécute une mission de service public que constitue la recherche agronomique en Côte d’Ivoire et, à ce titre, reçoit de l’Etat, des fonds logés sur des comptes ouverts dans les établissements financiers de la place;que lesdits comptes reçoivent ainsi, des deniers publics insaisissables aux termes de l’article 271 du Code ivoirien de Procédure Civile;qu’en raison de l’insaisissabilité des sommes saisies, le CNRA a sollicité que soit déclarée nulle la saisie pratiquée, et que soit ordonnée en conséquence, la mainlevée pure et simple de celle-ci;que c’est sur cette argumentation, sous-tendue notamment par le décret n 98-328 du 15 juin 1998, que le juge des référés était appelé à statuer.
Sur la demande d’annulation de l’ordonnance n 1587 du 8 avril 2003
Vu les articles 51 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution et 271 du Code ivoirien de Procédure Civile, Commerciale et Administrative.
Attendu qu’aux termes des articles 51 de l’Acte uniforme et 271 du Code ivoirien de Procédure susvisés, « les biens et droits insaisissables sont définis par chacun des Etats Parties » et « sont insaisissables les sommes allouées par l’Etat., à titre de secours individuel, périodique ou éventuel, quels qu’en soient le chiffre et le bénéficiaire ».
Attendu en l’espèce, qu’il est constant comme résultant des pièces du dossier de la procédure, que les sommes saisies attribuées sur les comptes bancaires du CNRA résultent d’une subvention mensuelle dite d’équilibre personnel virée sur le compte du CNRA ouvert à la Société Ivoirienne de Banque dite S.I.B par la Paierie Générale du Trésor, et du versement par ladite Paierie dans un autre compte ouvert à la même SIB, des compensations de la valeur des taxes à la charge de l’Etat, sur les financements des projets pris en charge par la Banque Mondiale;que les sommes saisies ayant donc un caractère insaisissable, en vertu des dispositions combinées des articles 51 et 271 sus énoncés de l’Acte uniforme et du Code ivoirien de Procédure susvisés, il y a lieu de rejeter la demande d’annulation de l’ordonnance querellée, en confirmant celle-ci en toutes ses dispositions, en ordonnant la mainlevée de la saisie attribution de créances pratiquée sur lesdites sommes.
Attendu que la société AFFE-CI Sécurité ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré.
Casse l’arrêt n 762 rendu le 10 juin 2003 par la Cour d’Appel d’Abidjan.
Évoquant et statuant sur le fond.
Déclare recevable mais mal fondé, l’appel de la société AFFE-CI Sécurité relevé de l’ordonnance de référé n 1587 rendue le 8 avril 2003 par le juge des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan.
Confirme ladite ordonnance en toutes ses dispositions.
Ordonne la mainlevée de la saisie attribution pratiquée.
Condamne la société AFFE-CI Sécurité aux dépens.
Président : M. Jacques M’BOSSO.
NOTE
La saisie attribution des soldes de compte de dépôt est certainement l’une des procédures d’exécution les plus utilisées dans le contentieux des voies d’exécution.
L’objet de cette procédure est exclusivement fondé sur une créance de sommes d’argent appartenant au saisi, sur le tiers saisi. Mais, toutes les créances de sommes d’argent sont-elles concernées ?.
L’intérêt pratique de la saisie attribution dépendra dès lors, de la disponibilité ou plus précisément, de la saisissabilité de la créance.
En ce sens, cet arrêt de cassation suivi d’évocation, rendu le 29 juin 2006 par la 1a Chambre Civile de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, méritait d’être connu, parce qu’il permet l’occasion d’utiles précisions.
Une saisie attribution avait été pratiquée par une société de gardiennage (AFFE-CI Sécurité). sur les comptes bancaires d’un centre de recherche (CNRA), qui lui restait redevable d’arriérés de paiements. Le débiteur saisi avait justifié de l’insaisissabilité des sommes versées sur son compte, par des subventions allouées par l’Etat de la Côte d’Ivoire.
Pour faire échec à la saisie attribution, il avait sollicité et obtenu du juge des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, une ordonnance de mainlevée.
Éconduite, la société de gardiennage avait interjeté appel auprès de la Cour abidjanaise. Bien lui en a pris en tout cas, puisque celle-ci a autorisé la poursuite de la saisie attribution des sommes d’argent sur les comptes bancaires. Mais, les juges d’appel avaient soigneusement évité de se prononcer sur la question essentielle qui leur avait été posée, à savoir le caractère insaisissable ou non des subventions publiques, au regard de l’article 271 du Code de Procédure Civile de la Côte d’Ivoire.
Cette omission fut fatale à l’arrêt du 10 juin 2003 objet du présent pourvoi.
La juridiction supranationale, sous le visa des articles 51 de l’Acte uniforme et 271 du Code ivoirien de Procédure Civile, Commerciale et Administrative, a cassé l’arrêt de la Cour d’Appel, pour omission de statuer, et évoquant l’affaire, elle a estimé que « les sommes saisies attribuées sur les comptes bancaires du CNRA résultent d’une subvention mensuelle dite d’équilibre personnel, virée sur le compte du CNRA (..);que les sommes saisies ayant un caractère insaisissable, en vertu des dispositions combinées des articles 51 et 271 sus énoncés de l’Acte uniforme et du Code ivoirien de Procédure susvisés. », et a donc rejeté la demande d’annulation de l’ordonnance de mainlevée de la saisie attribution de créances pratiquée sur les dites sommes.
En effet, par dérogation à la règle générale de principe, qui enseigne que tous les biens appartenant au débiteur répondent de ses dettes, certains d’entre eux échappent aux poursuites, par la volonté ou la permission de la loi nationale de chaque Etat Partie : on dit qu’ils sont insaisissables.
Mais, les causes d’insaisissabilité ne peuvent provenir que d’un texte de loi.
Cet arrêt de cassation précise donc bien, que la détermination des biens et droits insaisissables est laissée au pouvoir souverain de chaque Etat Partie. L’article 52 de l’Acte uniforme ici visé se contente uniquement de préciser que les créances insaisissables, dont le montant est versé sur un compte, demeurent insaisissables.
En conséquence, selon l’appréciation de chaque Etat Partie, certains biens seront déclarés insaisissables, afin de laisser ici au débiteur saisi, le minimum vital, là, la nécessité de protéger l’intérêt général. Le créancier poursuivant devra tenir compte des législations nationales en la matière.
Pendant longtemps, la jurisprudence a décidé, notamment à propos de la fraction saisissable des rémunérations du travail, que les sommes versées à un compte de dépôt se fondaient avec les autres espèces et perdaient de ce fait, leur caractère d’insaisissabilité. En sorte que le débiteur qui établit que la saisie d’un compte englobe des sommes insaisissables qui y ont été versées, peut demander que celles-ci soient soustraites de la saisie pour être mises à sa disposition.
Cette controverse a dorénavant perdu de sa verve et de son intérêt, puisque l’Acte uniforme législateur OHADA a mis fin au principe de la fongibilité des sommes provenant de créances insaisissables versées sur un compte bancaire.
Il faut se satisfaire de la solution de cet arrêt de cassation de la juridiction supranationale, qui est en tous points irréprochable.
Reste qu’au-delà de la satisfaction d’une solution d’espèce, cet arrêt interpelle sur l’opportunité de laisser aussi libéralement au pouvoir souverain de chaque Etat Partie, le soin de déterminer les biens insaisissables, particulièrement lorsque ces biens concernent des entreprises publiques ou parapubliques intervenant dans le commerce juridique. Cela peut porter atteinte durablement à leur crédit et nuire à leurs créanciers, qui sont le plus souvent des entreprises privées à la comptabilité fragile.
Bakary DIALLO.
Docteur en droit privé.