J-08-260
arbitrage – sentence arbitrale – execution forcee – exequatur COMPETENCE TERRITORIALE DE LA JURIDICTION COMPETENTE– texte applicable.
En l’absence de convention internationale particulière, l’exequatur des décisions ou sentences étrangères est de la compétence du tribunal du domicile ou de la résidence du défendeur, et non de celle du juge des référés, conformément aux articles 345 et suivants du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative.
Cour d’Appel d’Abidjan. Arrêt n 486 du 20 avril 2004. Société PRODEX-CI (Me OBIN Georges). c/ société RAIMUND COMMODITIES INC. (SCPA KONAN-FLOQUET). Actualités Juridiques n 48 / 2005, p. 126. Observations KOMOIN François.
LA COUR
Ouï le Ministère Public.
Vu les pièces du dossier.
Ensemble les faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après.
DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Suivant exploit daté du 5 janvier 2004 avec ajournement au mardi 20 janvier, la société PRODEX-CI, agissant aux poursuites et diligences de son représentant légal, Monsieur METCH Frédéric, et ayant pour Conseil, Maître OBIN Georges Roger, Avocat à la Cour, a relevé appel de l’ordonnance de référé n 214 rendue le 22/12/2003 par la Chambre d’Arbitrage de la Cacao Merchants’Association of America.
Au soutien de son appel, la société PRODEX-CI expose que la société de droit américain dénommée RAIMUND COMMODITIES a signé en 2001, cinq contrats avec elle, pour embarquement en novembre et décembre 2002, au choix du vendeur, de trois mille deux cent cinquante tonnes (3.250 T) de cacao, en se proposant de vendre les récoltes 2002/2003 à ladite société de droit américain, bien qu’elle n’ait payé aucun centime d’avance.
Malheureusement, poursuit l’appelante, la crise éclatait en Côte d’Ivoire à partir du 19 septembre 2002, la mettant dans l’impossibilité d’honorer son engagement, surtout que l’embarquement devait avoir lieu en novembre et décembre de cette année 2002.
Elle a donc sollicité auprès de sa partenaire commerciale, un report sur octobre / décembre 2003, mais curieusement, celle-ci n’a pas répondu à cette sollicitation, et a demandé de lui payer la somme de deux milliards de francs représentant, selon elle, l’écart de marché.
C’est donc devant son insistance d’obtenir un report, comme cela est courant dans le milieu, déclare l’appelante, que la société RAIMUND COMMODITIES a saisi la Chambre d’Arbitrage de la Cocoa Merchants’ Association of America, qui a rendu la décision dont l’exequatur est à présent contesté. Cela explique que l’appelante soulève l’incompétence du juge des référés, en invoquant les dispositions de l’article 346 alinéa 1 du Code de Procédure Civile et Commerciale, aux termes desquelles : « l’instance en exequatur est engagée par voie d’assignation, selon les règles du droit commun ».
Ainsi, pour l’appelant, cet alinéa renvoie devant le juge du fond pour la procédure d’exequatur.
Par ailleurs, l’appelant déclare que l’article 347 du Code de Procédure Civile a été violé, en ce que non seulement, seuls les juges du fond sont compétents pour apprécier les conditions prescrites par cet alinéa, mais en plus, la troisième condition n’est pas remplie, qui permet de vérifier si la partie condamnée été régulièrement appelée devant le tribunal qui a rendu le jugement, et a été mise en demeure de se défendre.
Or, déclare-t-elle, elle n’a jamais été informée par la société RAIMUND COMMODITIES, de ce qu’elle saisissait la Chambre d’Arbitrage.
L’appelante soulève également, la violation de l’article 348 du même Code, en ce qu’elle n’a pas été invitée à comparaître devant la Chambre d’Arbitrage, afin de respecter le principe du contradictoire.
Elle conclut donc à l’infirmation de l’ordonnance déférée.
La société RAIMUND COMMODITIES, pour sa part, soulève l’exception de communication de pièces produites par l’appelante, listées jusqu’à 9, notamment, les pièces justifiant la modification de ses statuts et le transfert de son siège social.
Subsidiairement au fond, la société RAIMUND COMMODITIES soutient la compétence du Tribunal de Yopougon et déclare qu’en ce qui concerne les textes applicables, la situation de PRODEX-CI n’est pas conforme aux droits.
S’agissant d’une sentence arbitrale, les textes applicables, selon l’intimée, sont l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage, la Convention des Nations Unies pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, signée à New York le 10 juin 1958, et la Loi n 93-671 du 9 août 1993 sur l’arbitrage.
Le Code de Procédure Civile, déclare-t-elle, n’a pas vocation à s’appliquer.
DES MOTIFS
EN LA FORME :
L’exception de non-communication de pièces soulevée par RAIMUND COMMODITIES doit être déclarée sans objet, les pièces litigieuses ayant fait l’objet de communication en cours de procédure.
L’appel de la société PRODEX-CI a été fait conformément aux prescriptions légales, et doit être, en conséquence, déclaré recevable.
AU FOND :
L’appelante soulève l’incompétence du juge des référés à ordonner l’exequatur de la sentence arbitrale litigieuse, au regard des dispositions des articles 346 et suivants du Code de Procédure Civile;ce à quoi l’intimée rétorque que les textes applicables à l’exequatur de sentences arbitrales sont le Traité de l’OHADA, la Convention des Nations Unies du 10 juin 1958 et la Loi 93-671 du 9 août 1993 sur l’arbitrage.
Cependant, si le Traité de l’OHADA règlemente les procédures d’arbitrage et l’exequatur des sentences arbitrales prises par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, la reconnaissance des sentences arbitrales étrangères par les juridictions ivoiriennes, est soumise à la Convention des Nations Unies du 10 juin 1958, et aux dispositions des articles 345 et suivants du Code de Procédure Civile, contrairement à l’opinion de 1’intimée.
En effet, il est de principe qu’en l’absence de convention internationale particulière, l’exequatur d’une décision de justice étrangère est prononcé par le tribunal du domicile ou de la résidence du défendeur en Côte d’Ivoire.
L’intimée, qui invoque la Convention des Nations Unies du 10 juin 1958, ne justifie pas en quoi celle-ci donne compétence à la juridiction des référés, pour rendre exécutoires sur le territoire ivoirien, les décisions ou sentences étrangères.
Il convient dès lors, de dire et juger que l’ordonnance déférée viole les dispositions des articles 345 et suivants du Code de Procédure Civile, d’infirmer ladite ordonnance en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de déclarer le juge des référés incompétent.
L’intimée, qui succombe, doit être condamnée aux dépens, en application des dispositions de l’article 149 du Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort :
EN LA FORME :
Déclare recevable l’appel régulièrement relevé par la société PRODEX-CI, de l’ordonnance de référé n 214 rendue le 22/12/2003 par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance.
AU FOND :
L’y dit bien fondée.
Infirme l’ordonnance entreprise.
Statuant à nouveau.
Déclare le juge des référés incompétent.
Condamne l’intimée aux dépens.
Président : M. ANGA Denond Mathurin.
Conseillers : Mme TAMIMOU Honorine.
M. YABO Odi Siméon.
Greffier : Me YAPO Raymond.
Note
Quelles sont les dispositions légales applicables en matière d’exequatur d’une sentence arbitrale rendue par la Chambre Arbitrale de la Cocoa Merchants’ Association of America ?.
Pour l’une des parties, ces dispositions sont celles du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative, tandis que pour l’autre, ce sont celles de l’Acte uniforme OHADA relatif à l’arbitrage, la Convention des Nations Unies pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères et la Loi n 93-671 du 9 août 1993 relatif à l’arbitrage.
LA COUR d’Appel, dans l’arrêt ci-dessus publié, a opté pour les dispositions du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative.
Le raisonnement suivi par la Cour d’Appel semble avoir été le suivant :
– si le Traité de l’OHADA règlemente les procédures d’arbitrage et l’exequatur des sentences arbitrales rendues par la CCJA, la reconnaissance des sentences arbitrales étrangères par les juridictions ivoiriennes est soumise à la Convention des Nations Unies du 10 juin 1958, et aux dispositions des articles 345 et suivants du Code de Procédure Civile.
– Il n’est pas justifié que la Convention de New York donne compétence au juge des référés, pour exercer cet office.
– En l’absence donc, d’une indication expresse dans une convention internationale, ce sont les articles 345 et suivants du Code de Procédure qui doivent s’appliquer, lesquels attribuent compétence au tribunal du domicile ou de la résidence du défendeur.
Que penser de cette solution ?.
Une première observation peut être faite. En effet, l’Acte uniforme de l’OHADA ne réglemente pas que l’exequatur des sentences arbitrales rendues par la CCJA. Cet acte ayant vocation à s’appliquer à tout arbitrage dont le siège se trouve dans l’un des Etats Parties, approuver cette partie du raisonnement de la Cour d’Appel reviendrait à exclure les sentences rendues par les centres nationaux d’arbitrage, du champ d’application des dispositions de l’Acte uniforme en matière d’exequatur. Pour le reste, la décision de la Cour d’Appel peut être approuvée.
En effet, lorsqu’il s’agit des sentences rendues en dehors de l’espace OHADA, l’article 34 de l’Acte uniforme prévoit que leur reconnaissance se fasse en priorité, conformément aux conventions internationales éventuellement applicables. En l’espèce, la Côte d’Ivoire ayant ratifié la Convention de New York du 10 juin 1958, c’est à ce texte qu’il convient de se référer. Ce texte n’indiquant pas la juridiction compétente pour connaître de la procédure d’exequatur, le recours à d’autres dispositions de droit interne s’impose. A cet égard, l’option faite par la Cour d’Appel, des dispositions du Code de Procédure Civile, paraît contestable. En effet, l’Acte uniforme OHADA sur l’arbitrage n’a pas entraîné totalement l’abrogation de la Loi de 1993 sur l’arbitrage. Celle-ci subsiste, en effet, ses dispositions non contraires audit Acte uniforme.
Et en matière d’exequatur des sentences arbitrales, qu’elles soient nationales ou étrangères, la loi de 1993 en laisse la compétence au Président du Tribunal ou au juge de section qui statue comme en matière de référé. Délaisser ces dispositions au profit de celles du Code de Procédure Civile, apparaît comme une violation du principe général de droit, selon lequel : « la loi spéciale déroge à la loi générale », principe qui demeure applicable en toute matière.
Docteur KOMOIN François.
Magistrat.