J-08-266
DROIT COMMERCIAL GENERAL – bail COMMERCIAL – CRITERES FIXATION DU LOYER – PRISE EN COMPTE DES CARACTERISTIQUES PROPRES AU LOCAL (OUI) – PRISE EN COMPTE DU PROFIT TIRE DES LOCAUX PAR LE LOCATAIRE (NON).
Le litige portait sur les éléments à prendre en compte pour la fixation du nouveau loyer. La Cour Suprême rappelle que pour fixer les loyers, les juges doivent se déterminer à partir des caractéristiques propres au local, et non par rapport au locataire, à l’utilité notamment, que présente pour ses activités professionnelles, telle partie du local.
Elle indique que si le locataire peut invoquer le profit qu’il tire des lieux loués, eu égard à l’usage auquel il entend les destiner pour conclure ou non le bail, il ne peut en revanche, s’en prévaloir comme cause déterminante d’une révision de loyer et l’imposer au bailleur, dans la mesure où il prend les lieux loués en l’état, sans pouvoir exiger de ce dernier, des modifications conformes à ses besoins.
Cour Suprême, Chambre judiciaire de Cassation. Arrêt n 122 du 04 mars 2004. Affaire : Joseph-Emile KHARRATH, Edouard-Emile KHARRATH, Khalil-Emile KHARRATH (Conseil : BOKOLA Lydie Chantal). c/ ANANI ADJOAVI TITIGAN. Actualités Juridiques n 49/2005, p. 218.
LA COUR
Vu les pièces du dossier.
Sur le premier moyen de cassation, en sa première branche, tirée de la violation de la loi ou erreur dans l’application ou l’interprétation de la loi, notamment des articles 163 et 170 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative.
Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué (Abidjan, 25 juin 2002), qu’en vue de la reconstruction de leur immeuble sis à Abidjan Plateau, à l’angle de l’avenue du Général de Gaulle et du boulevard Botreau Roussel, les frères KHARRAT ont, le 08 mai 1998, donné à Dame ANANI ADJOAVI Titigan, congé aux fins de libérer le local objet du bail commercial passé avec elle le 16 octobre 1986;qu’à la fin des travaux, les frères KHARRAT ont offert à Dame ANANI, qui avait manifesté sa volonté d’user de son droit de priorité, un nouveau bail sur la base d’un loyer mensuel de 520 000 FCFA;que Dame ANANI ayant le 31 mai 2001, saisi le juge des loyers du Tribunal d’Abidjan, d’une demande en révision du loyer, les frères KHARRAT ont excipé de l’irrecevabilité d’une telle demande, en ce qu’au regard de la loi, le loyer n’était susceptible de révision que trois années après la signature du bail conclu selon eux, le 17 février 2000;que la juridiction saisie par une décision avant-dire droit rendue le 17 juillet 2001, contre laquelle les frères KHARRAT formèrent immédiatement appel déclaré irrecevable, a rejeté cette fin de non-recevoir, par suite déclaré recevable la demande, et ordonné une expertise locative;que statuant définitivement sur la demande, elle a, sur la base des conclusions du rapport de cette expertise, fixé le loyer à 486 650 FCFA, et sa date d’exigibilité au 31 mai 2000;que l’arrêt attaqué a reformé cette décision, en réduisant le montant du loyer à 295.250 FCFA, avec comme point de départ, le jour de la signification de l’arrêt, après avoir déclaré irrecevable l’appel incidemment formé par les frères KHARRAT.
Attendu que, le pourvoi fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré irrecevable l’appel incident, au motif que la décision qu’il visait n’a pas fait l’objet d’appel principal, alors, selon cette branche du moyen, que les juges d’appel étaient tenus, dans la mesure où la décision rendue sur le fond prenait nécessairement en compte celle ayant déclaré recevable la demande et formait avec elle un tout, comme cela ressort de l’article 163 du Code de Procédure Civile, d’examiner la question relative à la recevabilité de la demande, qui est une question de pur droit;que dès lors, en statuant comme ils l’ont fait, lesdits juges ont violé les articles 163 susvisé et 170 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative, qui prévoit la possibilité pour la partie qui a laissé expirer le délai d’appel, de former appel incident par conclusions.
Mais, attendu que les décisions avant-dire droit ne dérogent pas aux dispositions de l’article 170 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative, desquelles il ressort qu’il ne peut être incidemment formé appel contre une décision, qu’à la suite nécessairement d’un appel principal relevé, de la même décision;que dès lors, en déclarant irrecevable l’appel incident qui tendait exclusivement à remettre en cause la décision avant-dire droit du 17 juillet 2001, de laquelle appel n’avait pas été principalement relevé, l’arrêt attaqué, loin de violer les articles 163 et 170 du Code de Procédure Civile, en a au contraire. fait une exacte application;d’où il suit qu’en sa première branche, le moyen n’est pas fondé.
Mais, sur la deuxième branche du premier moyen de cassation pris de la violation de l’article 85 alinéa 2 de l’Acte uniforme portant droit commercial général :
Vu ledit texte.
Attendu que l’article 85 alinéa 2 susvisé dispose : « pour fixer le nouveau loyer, la juridiction compétente tient notamment compte des éléments suivants : la situation des locaux, leur superficie, l’état de vétusté, les prix des loyers commerciaux couramment pratiqués dans le voisinage pour les locaux similaires ».
Attendu que de ces dispositions légales, il résulte que pour fixer le loyer, les juges doivent se déterminer à partir de caractéristiques propres au local, et non par rapport au locataire, à l’utilité notamment, que présente pour ses activités professionnelles, telle partie du local;qu’il est en effet, manifeste que s’il peut invoquer le profit susceptible d’être par lui, tiré des lieux loués, eu égard à l’usage auquel il entend les destiner, pour conclure ou ne pas conclure le bail, le locataire ne peut, en revanche, s’en prévaloir comme cause déterminante d’une révision du loyer, et l’imposer au bailleur, dans la mesure où il prend les lieux loués en l’état, sans pouvoir exiger de ce dernier, des modifications conformes à ses besoins;que dès lors, en retenant, pour fixer le loyer, que la mezzanine est un accessoire non indispensable au commerce de pagne de la locataire, et de ce fait, devait être déduit de la surface locative, l’arrêt attaqué a violé l’article 85 alinéa 2 de l’Acte uniforme portant droit commercial général;qu’il s’ensuit que le moyen est fondé en sa deuxième branche;qu’il y a donc lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens, de casser et annuler partiellement l’arrêt attaqué, et d’évoquer conformément à l’article 28 de la loi du 25 avril 1997 relative au fonctionnement et à l’organisation de la Cour Suprême.
Sur l’évocation
Attendu que, par ordonnance en date du 27 juillet 200l, TIETIE BEHI Pierre a été désigné en qualité d’expert immobilier, avec mission de « dire, compte tenu des éléments à prendre en charge pour la fixation des loyers du local loué à la demanderesse. »;qu’il ressort du rapport de l’expertise réalisée par le susnommé et non contestée par les parties, que le local en cause comprend trois pièces, à savoir une grande salle de vente, un local W.C. et une mezzanine d’une surface totale de 97.33 m², avec pour certaines pièces, des revêtements en carreaux grès cérame et de carreaux 60/60 sur les façades, et de l’enduit ciment taloché;que s’agissant de la plus-value résultant des travaux, l’expert relève que ceux-ci ont considérablement élevé le standing de l’immeuble, transformé en immeuble de lux;qu’en tenant compte des autres éléments du prix du loyer, à savoir la situation géographique de l’immeuble construit dans un quartier d’affaires recherché, animé et actif, et du prix des loyers pratiqués dans le voisinage, l’expert a fixé à 486 650 francs CFA le montant de la valeur locative des locaux loués à Dame ANANI ADJOAVI Titigan.
Attendu que ces conclusions du rapport d’expertise procèdent d’une juste appréciation conforme aux dispositions de l’article 85 alinéa 2 de l’Acte uniforme de l’OHADA; qu’il y a lieu de les homologuer, en retenant comme valeur locative desdits locaux, la somme de 486 650 FCFA.
Attendu, sur le point de départ du nouveau loyer, qu’il convient d’indiquer qu’il est dû, conformément à l’article 33 de la loi n 80-1069 du 13 septembre 1980 réglementant les rapports entre bailleurs et locataires, pour compter du jour de la demande en révision, à savoir le 31 mai 2000.
PAR CES MOTIFS
Casse et annule partiellement l’arrêt n 799 rendu le 25 juin 2002 par la Chambre Civile et Commerciale de la Cour d’Appel d’Abidjan.
Évoquant.
Fixe le loyer mensuel à 486 650 FCFA.
Dit que ce loyer est dû pour compter du 31 mai 2000.
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.
Président : M. ASSOMA YAO.
Conseillers : M. KOUAME Augustin (rapporteur).
M. BOGA TAGRO.
Greffier : Me N’GUESSAN Germain.