J-08-273
societes commerciales – societe de fait – conditions d’existence de la societe de fait – affectio societatis – condition necessaire a l’existence de la société de fait (oui).
Le fait d’accorder des pouvoirs importants à un tiers sur la gestion et l’administration de ses biens ne saurait suffisamment caractériser l’existence d’une société créée de fait, en l’absence de tout autre élément traduisant l’affectio societatis.
Cour Suprême, Chambre judiciaire. Arrêt n 597/03 du 13 novembre 2003. EHIMAN N’GUETTA (Tano et Aliman). c/ Ayants-droit de WADJA James. Actualités Juridiques n 52 / 2006, p. 30. Note anonyme.
LA COUR
Vu la requête à fins de pourvoi en date du 1er août 1991.
Vu les pièces du dossier.
Vu les conclusions du Ministère Public en date du 06 juin 2003.
Vu les articles 142-4 nouveau et 176 du Code de Procédure Civile.
Attendu qu’aux termes de l’article 142-4 nouveau susvisé, « tout jugement doit contenir les motifs, en fait et en droit, précédés d’un résumé des prétentions des parties. »;que l’article 176 du Code de Procédure Civile dispose que « Les règles édictées pour la procédure devant les Tribunaux de Première Instance sont applicables aux instances d’appel, tant devant la Cour que devant le Conseiller chargé de la mise en état, dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux dispositions du présent chapitre ».
Vu lesdits textes.
Sur le moyen unique de cassation tiré du défaut de base légale
Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué (Cour d’Appel d’Abidjan, n 375 du 15 mars 1991), que WADJA James ayant décidé d’entreprendre des affaires, a sollicité le concours financier de son frère EHIMAN N’GUETTA, propriétaire d’importantes exploitations agricoles et d’immeubles, afin de financer les réalisations et autres biens qu’il a acquis;qu’en plus des revenus agricoles régulièrement versés entre les mains de WADJA James, ce dernier avait également la délégation de signature sur le compte ouvert à la BIAO au nom de EHIMAN N’GUETTA, ainsi qu’une procuration sur l’ensemble des biens de celui-ci;que suite au refus opposé à EHIMAN N’GUETTA de lui rendre compte de l’utilisation des fonds par lui perçus, WADJA James a été de son vivant, assigné par EHIMAN N’GUETTA devant le Tribunal d’Abidjan, pour voir ordonner la liquidation de la société de fait ayant existé entre eux;que par jugement n 254 du 09 mars 1990, le tribunal l’a débouté de sa demande, au motif que la preuve de la société de fait n’est pas rapportée;que ce jugement est confirmé en toutes ses dispositions par l’arrêt n 375 du 15 mars 1991, contre lequel s’est pourvu en cassation EHIMAN N’GUETTA.
Attendu qu’il est fait grief à la Cour d’Appel, d’avoir manqué de donner une base légale à sa décision, en estimant que « la procuration générale donnée à une personne ne peut signifier qu’il y a société de fait;EHIMAN N’GUETTA, qui n’ignorait pas la portée des actes notariés, aurait fait consigner sa volonté dans ce genre d’acte », alors selon le pourvoi, que la Cour d’Appel a elle-même relevé qu’il a été produit aux débats, la procuration générale donnée par EHIMAN à WADJA James par-devant notaire, le 30 novembre 1969, et que le contrat de société, qui est un acte sous seing privé, n’a pas besoin d’être passé par-devant notaire, encore moins la société de fait, qui résulte du comportement de personnes qui, sans en avoir pleinement conscience, se traitent entre elles et agissent à l’égard des tiers comme de véritables associés.
Attendu, en effet, que la société de fait, qui résulte du comportement de personnes qui, sans en avoir e pleinement conscience, traitent entre elles et agissent à l’égard des tiers comme de véritables associés, n’a pas besoin pour constater son existence, d’un acte notarié;que dès lors, en estimant que s’il devait naître entre les deux frères une société de fait, cette volonté aurait dû être consignée dans un acte notarié, la Cour d’Appel a manqué de donner une base légale à sa décision;d’où il suit que le moyen est fondé;qu’il y a lieu de casser et annuler l’arrêt attaqué, et de statuer à nouveau, par application de l’article 28 nouveau de la loi du 25 avril 1997.
Sur l’évocation
Attendu qu’il est constant comme résultant des pièces du dossier, que WADJA James a bénéficié du concours financier de son frère EHIMAN N’GUETTA, sous diverses formes, notamment l’utilisation du compte bancaire de EHIMAN, l’assistance donnée par celui-ci à WADJA James dans l’exercice de son commerce, par l’envoi en garantie hypothécaire de son immeuble bâti, et la procuration générale sur ses biens;que prenant prétexte de cet appui financier et des pouvoirs octroyés à son frère, EHIMAN N’GUETTA estime qu’une société de fait a été créée entre son frère et lui, et qu’elle devait être liquidée au décès de ce dernier.
Attendu cependant, que l’analyse de leurs relations ne révèle point l’existence de l’affectio societatis propre à caractériser la société créée de fait, et qui est distincte de la volonté de participer à une gestion commune et aux bénéfices et aux pertes;que l’affectio societatis, qui est l’intention qui doit animer les associés, de collaborer sur un pied d’égalité, implique, outre l’esprit de collaboration, le concours à la gestion, le pouvoir de contrôle, et la participation effective à l’administration dans un intérêt commun;qu’il importe de relever que la caractéristique essentielle de la société de fait résulte du comportement des personnes concernées, notamment de la façon dont elles se traitent entre elles et agissent à l’égard des tiers;qu’en l’espèce, le comportement de EHIMAN N’GUETTA n’atteste pas de l’existence d’une telle société;que les pouvoirs accordés à son frère WADJA ne sauraient suffisamment caractériser l’existence d’une société créée de fait, en l’absence de tout autre élément traduisant l’affectio societatis;qu’en choisissant de faire gérer ses immeubles par son frère, avec autorisation de prélever une partie des revenus pour payer ses propres impôts fonciers et non pas dans le cadre d’une gestion dans un intérêt commun, EHIMAN N’GUETTA n’a pas entendu participer à une quelconque société de fait;qu’il ne peut donc prétendre avoir créé une telle société;qu’il s’infère de ce qui précède, que l’existence de la société de fait n’est pas démontrée;qu’en conséquence, il y a lieu de débouter EHIMAN N’GUETTA de son action.
PAR CES MOTIFS
Casse et annule l’Arrêt n 375 rendu le 15 mars 1991 par la Cour d’Appel d’Abidjan.
Statuant à nouveau :
Déclare mal fondée l’action de EHIMAN N’GUETTA.
L’en déboute.
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.
Président : M. BAMBA Lancine.
Conseillers : M. ADJOUSSOU YOKOUN (Rapporteur).
M. WOUNE BLEKA.
Greffier : Me N’GUESSAN Germain.
Note
La question de droit soumise à la sagacité de la haute juridiction dans cette espèce, était de savoir s’il y avait société de fait entre deux frères, dont l’un avait confié à l’autre, la gestion de ses immeubles, avec autorisation de prélever une partie des revenus pour payer ses propres impôts fonciers, et une procuration générale sur l’ensemble des biens permettant à ce dernier de donner lesdits immeubles en garantie de ses propres engagements.
Des faits de l’espèce, il ressort que le plaideur, pour venir en aide à son frère, qui l’avait sollicité pour financer ses projets, a donné à celui-ci une procuration générale sur l’ensemble de ses biens, en l’autorisant à les donner même en garantie de ses engagements. Mais, par la suite, son frère ayant refusé de lui rendre compte de l’état de marche des affaires en question, il saisissait les juges du fond, à l’effet de voir liquider la société de fait ayant existé entre eux. Débouté en première instance et en appel, il forma un pourvoi en cassation.
La haute juridiction, pour répondre à la question à elle soumise, a énoncé sans ambiguïtés, qu’il ne saurait y avoir société de fait, dans la mesure où les relations des parties ne révèlent point l’existence de l’affectio societatis, propre à caractériser la société créée de fait. La Cour précise que l’affectio societatis, « qui est l’intention qui doit animer les associés, de collaborer sur un pied d’égalité, implique, outre l’esprit de collaboration, le concours à la gestion, le pouvoir de contrôle et la participation effective à l’administration, dans un intérêt commun ». Toute chose faisant défaut en l’espèce, ou tout au moins, dont la preuve de son existence n’est pas rapportée.
Cette position de la haute juridiction est conforme à l’article 864 de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales, qui dispose qu’il y a société de fait, lorsque deux ou plusieurs personnes physiques ou morales se comportent comme des associés, sans avoir constitué entre elles, l’une des sociétés reconnues par l’Acte uniforme. Or, l’examen des faits de l’espèce révèle que le plaideur s’est comporté plutôt comme un bienfaiteur ayant aidé son frère à réaliser ses projets, et non comme un associé faisant des apports en société. C’est donc à bon droit qu’il a été débouté.
Cependant, il sied de relever que la haute juridiction utilise tantôt l’expression « société créée de fait », tantôt celle de « société de fait »;pourtant, confrontées à l’Acte uniforme précité, les deux expressions ne recouvrent pas les mêmes réalités.
En effet, aux termes de l’article 115 de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales, si contrairement aux dispositions dudit acte, le contrat de société n’est pas établi par écrit et que de ce fait, la société ne peut être immatriculée, celle-ci est dénommée société créée de fait. Cette qualification apparaît comme une sanction de l’inobservation des formalités de constitution des sociétés. Dans cette hypothèse, les parties ont manifesté leur volonté de créer une société, mais n’ont pas accompli les formalités constitutives. En l’espèce, aucun élément n’a permis d’établir que les parties ont créé une société;ce qui justifie que le plaideur ait été débouté. En revanche, aux termes de l’article 864 précité, la société de fait découle de ce que les parties se comportent comme des associés. Ce qui aurait pu être le cas en l’espèce, si le plaideur avait pu démontrer l’existence de l’affectio societatis.