J-09-36
Voies d’exécution – Vente – Biens communs – Divorce – Partage ou liquidation des biens de la communauté (NON) – Indivision – Impossibilité de mise en vente avant le partage ou la liquidation (OUI).
La part indivise ne pouvant, aux termes de l’article 249 de l’Acte uniforme portant voies d’exécution, être mise en vente avant le partage ou la liquidation que peuvent provoquer les créanciers d’un indivisaire, la Cour d’Appel, en infirmant le jugement d’adjudication, n’a pas violé les articles 77 et 85 de la loi relative au mariage, dès lors que le partage ou la liquidation des meubles litigieux qui sont et demeurent communs et indivis n’étaient pas intervenus, alors même qu’ils pouvaient être provoqués par le créancier poursuivant.
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) 2ème Chambre, Arrêt n 025 du 30 avril 2008. Affaire : Société Générale de Banques en Côte d’Ivoire dite SGBCI c/ Madame K. Monsieur K. Le Juris-Ohada n 2 Avril-Mai-Juin 2008, p. 31. Le recueil de jurisprudence de la CCJA, n 11, janvier-juin 2008, p. 61.
Sur le pourvoi enregistré le 09 septembre 2005 au greffe de la Cour de céans sous le n 043/2005/PC et formé par la SCPA DOGUE-ABBE YAO & Associés, Avocats à la Cour, 01 BP 174 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de la Société Générale de Banques en Côte d’Ivoire dite SGBCI, dont le siège social est à Abidjan-Plateau 5-7, avenue Joseph Anoma, 01 BP 1355 Abidjan 01, dans la cause qui oppose celle-ci à Madame K. domiciliée à Abidjan, Cocody Danga nord, lot n 91, îlot 19, ayant comme Conseil Maître ESSY N’GATTA, Avocat à la Cour, demeurant à Abidjan, 28, boulevard Angoulvant, immeuble le Fromager, 04 BP 3060 Abidjan 04, et Monsieur K. ayant comme Conseils la SCPA E.K.D.B, Avocats à la Cour, demeurant à Abidjan Cocody les II Plateaux, rue des Jardins, Sainte Cécile, 25 BP 1592 Abidjan 25, en cassation de l’Arrêt n 391 rendu le 1er avril 2005 par la Cour d’Appel d’Abidjan, et dont le dispositif est le suivant :
– « Vu l’arrêt avant-dire droit n 94 du 21 janvier 2005 de la Cour d’Appel de ce siège.
Vu l’ordonnance de clôture de mise en état du 17 mars2005.
Déclare K. bien fondée en son appel relevé des jugements civils n 278 et 347 rendus les 16 juin et 07 juillet 2003.
Infirme lesdits jugements.
Statuant à nouveau.
Constate que les biens litigieux sont insaisissables.
Annule par conséquent, la vente intervenue.
Rejette comme mal fondées, les demandes de la SGBCI.
Condamne la SGBCI aux dépens ».
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur le Juge Boubacar DICKO
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu le Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure, que gérant de la S.A.R.L unipersonnelle INTERACO, Monsieur K. s’était porté caution solidaire de ladite société, par acte sous seing privé en date du 23 juin 1986, pour bénéficier auprès de la SGBCI, d’un prêt hypothécaire d’un montant de 550 000 000 francs CFA, en principal; qu’en garantie du recouvrement de sa créance, la Banque a bénéficié d’une hypothèque sur les immeubles objet des titres fonciers n 18.901, 24.884 et 24.956 de la circonscription foncière de Bingerville établis au nom de Monsieur K; que n’ayant pas été désintéressée, la SGBCI entreprit de réaliser ses garanties en initiant, à l’encontre du débiteur susnommé, une procédure de saisie immobilière portant sur les titres fonciers susvisés; qu’ainsi, la SGBCI servait au débiteur, par exploit d’huissier en date du 18 mars2003, un commandement à fin de saisie réelle suivi du dépôt au greffe du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, d’un cahier des charges auquel Madame K. ex-épouse de Monsieur K., a inséré des dires et observations pour solliciter la nullité de ladite procédure de saisie immobilière, aux motifs notamment, « que la créance dont le recouvrement est poursuivi par la SGBCI ne résulte pas d’une dette commune aux époux K.. [que] la dette contractée par Monsieur K. vis-à-vis de la SGBCI ne l’a pas été par les deux époux agissant ensemble et de concert dans l’intérêt commun.. que si la SGBCI, créancière hypothécaire, peut poursuivre la vente des immeubles qui lui sont hypothéqués par Monsieur K., elle ne le peut que sur la part de [celui-ci] dans les immeubles communs.. qu’à ce jour, Monsieur et Madame K. sont en indivision, la communauté ayant existé entre eux n’ayant pas encore été liquidée.. qu’il appartient à la SGBCI de provoquer cette liquidation.. en application de l’article 249 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution »; que suite à l’audience éventuelle tenue le 16 juin 2003, le Tribunal a rendu le jugement n 278/CIV4/ADD aux termes duquel il constatait que la procédure initiée par la SGBCI était régulière, et renvoyait les parties à l’audience du 07 juillet 2003 pour être procédé à l’adjudication des immeubles saisis; qu’advenue cette date, ledit Tribunal constatait que les formalités de publicité avaient été régulièrement accomplies et procédait à l’adjudication des immeubles concernés; qu’à l’issue de la notification des deux jugements précités (n 278/CIV/4/ADD du 16 juin 2003 et 347 du 07 juillet 2003) à Monsieur K. par exploit en date du 31 mars2004, ce fut Madame K. qui, le 29 avril 2004, en relevait appel; que statuant sur cet appel, la Cour d’Appel d’Abidjan rendait l’arrêt infirmatif n 391 en date du 1er avril 2005 objet du présent pourvoi en cassation, initié par la SGBCI.
Sur le premier moyen
Attendu que la SGBCI énonce que dans ses conclusions écrites d’intimée [en date du 07 juillet 2004 versées au dossier de la procédure], elle a soulevé l’irrecevabilité de l’appel formé par Madame K. contre le Jugement d’adjudication n 347 du 07 juillet 2004; qu’il ressort de l’arrêt attaqué, que la Cour d’Appel d’Abidjan ne s’est pas prononcée sur la recevabilité de cet appel; qu’il s’agit là d’une omission de statuer qui fait encourir à la décision attaquée, la cassation.
Mais, attendu que contrairement aux affirmations de la requérante, il ressort clairement du libellé de l’arrêt ADD n 94 rendu le 21 janvier 2005 par la Cour d’Appel d’Abidjan, que celui-ci a formellement statué sur ledit appel en le déclarant « régulier » et « recevable »; que cet arrêt, qui est une décision préparatoire prescrivant par ailleurs des mesures d’instructions, ayant été visé par l’arrêt présentement attaqué, rendu sur le fond, et avec lequel il est indissociable et indivisible, c’est dès lors vainement que la requérante reproche à la décision attaquée d’avoir omis de statuer sur les conclusions d’appel précitées; qu’il suit que le moyen n’est pas fondé et doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen pris en ses trois branches
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué, d’avoir violé les articles 77 et 83 nouveaux de la loi ivoirienne n 83-300 du 02 août 1983, en ce qu’il résulte desdits articles, d’une part, que tout bien est présumé commun, si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux, et s’il y a contestation sur la nature d’un bien, la propriété personnelle de l’époux doit être établie par écrit; que, d’autre part, les dettes contractées par le mari seul peuvent être poursuivies sur ses biens propres ou sur les biens communs, à l’exception des biens réservés de la femme; qu’en l’espèce, pour déclarer les immeubles litigieux insaisissables, la Cour d’Appel a indiqué que la déclaration de l’époux au titre foncier n’est pas suffisante pour établir que le bien litigieux est un bien propre, et qu’il aurait fallu rapporter la preuve que le bien a été acquis avec des deniers propres, alors qu’il résulte des dispositions de l’article 77 susvisé, que pour établir qu’un bien présumé commun est personnel à l’un des époux, il faut produire un écrit, et ledit article n’indique pas qu’il faut rapporter la preuve que le bien a été acquis avec des deniers propres; qu’au regard de l’article 84 nouveau de la loi susvisée, en retenant même que les immeubles saisis sont des biens communs, la Cour d’Appel n’aurait pas dû les déclarer pour autant insaisissables; qu’en effet, la dette de Monsieur K. ayant été contractée pendant le mariage, elle peut être poursuivie sur les biens communs et le divorce intervenu ne peut ici avoir aucune incidence, puisque les biens n’ont pas été liquidés; que si donc la Cour d’Appel a jugé que les immeubles litigieux étaient des biens communs, elle aurait dû néanmoins, en vertu de l’article 84 susvisé, les déclarer saisissables; qu’en les déclarant insaisissables, elle a violé les articles 77 et 84 nouveaux visés au moyen, et sa décision encourt la cassation de ce chef.
Attendu qu’il est également reproché à l’arrêt attaqué, d’avoir violé l’article 21 du Décret foncier du 26 juillet 1932, en ce qu’aux termes dudit article, en matière foncière, les droits ne sont opposables aux tiers qu’autant qu’ils ont été publiés au livre foncier; qu’il en résulte que seules les mentions portées audit livre sont opposables aux tiers; qu’en l’espèce, les titres fonciers ne relevant comme propriétaire des immeubles que Monsieur K., l’on ne peut donc affirmer que les immeubles litigieux sont communs, alors que les titres fonciers révèlent le contraire; que c’est donc à tort que la Cour d’Appel n’a pas retenu les titres fonciers versés aux débats, comme preuve patente que les biens litigieux appartiennent en propre à Monsieur K; que ce faisant, elle a violé les dispositions de l’article 21 susvisé, et l’arrêt attaqué doit en conséquence être cassé.
Vu l’article 249 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
Mais, attendu, en l’espèce, qu’il est constant comme ressortant des pièces du dossier de la procédure, que les ex-époux K. s’étaient mariés le 09 octobre 1965 à Abidjan sous le régime de la communauté des biens, seul régime matrimonial en vigueur au moment de leur mariage; qu’ayant divorcé le 14 mai 1993 suivant jugement n 363/CIV/18 du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, soit bien après l’entrée en vigueur de la loi n 83-300 du 02 août 1983 modifiant radicalement l’ancien et unique régime précédent, il n’est toutefois pas prouvé par les parties litigantes, et singulièrement la SGBCI, qu’il y ait eu partage ou liquidation des biens de la communauté entre les deux ex-époux, ni qu’il y ait eu ou non changement de régime matrimonial entre eux avant le divorce; que dans ces conditions, la violation excipée par la requérante, des dispositions visées au moyen, se heurte nécessairement aux déclarations unanimes et péremptoires des ex-époux, selon lesquelles les immeubles litigieux sont et demeurent communs et indivis; qu’il suit que leur bonne foi ne peut valablement être vérifiée et contestée que dans le cadre et à l’issue du partage ou de la liquidation des biens présumés communs formant l’indivision; qu’à cet égard, l’article 249 de l’Acte uniforme précité ayant prescrit que « la part indivise d’un immeuble ne peut être mise en vente avant le partage ou la liquidation que peuvent provoquer les créanciers d’un indivisaire », ce partage ou cette liquidation n’étant pas intervenus alors même qu’ils pouvaient être provoqués par la requérante, il échet, en l’état, de dire que le moyen ne peut être accueilli.
Attendu que la SGBCI ayant succombé, doit être condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré.
Rejette le pourvoi.
Condamne la SGBCI aux dépens.
Président : Antoine Joachim OLIVEIRA.