J-09-37
Contrat – Contrat de crédit-bail – Clause résolutoire de plein droit – Application – Caractère d’ordre public des dispositions de l’article 1184 C civ. (NON) – Pouvoirs du juge des référés – Constatation de la résiliation et restitution du matériel, objet de la convention.
Procédure – Action en justice – Entreprise individuelle – Action dirigée contre le propriétaire – Entreprise n’ayant pas de personnalité juridique distincte de celle de son propriétaire – Recevabilité (OUI).
Recouvrement de créance – Injonction de délivrance ou de restitution de bien meuble – Faculté offerte au créancier (OUI) – Possibilité de recourir aux voies de droit commun (OUI).
– Le juge des référés est compétent à ordonner la restitution du véhicule litigieux, dès lors que d’une part, la clause résolutoire insérée dans le contrat de crédit-bail est une dérogation au principe de résolution judiciaire de l’article 1184 du Code Civil, laquelle a pour fondement le principe de la liberté contractuelle et, d’autre part, qu’en matière de clause résolutoire, le rôle du juge des référés n’est pas de connaître d’une demande en résiliation de la convention des parties, mais de constater simplement la résiliation et d’en tirer les conséquences, notamment la restitution du matériel, objet de ladite convention.
– L’action dirigée contre le propriétaire de la pharmacie est recevable, dès lors que la pharmacie est une entreprise individuelle qui n’a pas de personnalité juridique distincte de celle de son propriétaire.
– La procédure simplifiée tendant à la délivrance ou à la restitution d’un bien meuble déterminé étant une faculté offerte au créancier d’une obligation de délivrance ou de restitution d’un bien meuble corporel déterminé, pour demander au Président de la juridiction compétente d’ordonner cette délivrance ou restitution, le créancier peut donc s’en passer et suivre les voies de droit commun.
Par conséquent, en appliquant les dispositions de l’article 10 des conditions générales du contrat de crédit-bail, la Cour d’Appel et le juge des référés n’ont en rien, violé les articles 19 et suivants de l’Acte uniforme portant recouvrement de créance.
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) 1ère Chambre, Arrêt n 002 du 28 février 2008. Affaire : V. c/ BICI-BAIL S.A. Le Juris-Ohada n 3 Juillet-Août-Septembre 2008, p. 2. Recueil de jurisprudence de la CCJA, n 11, janvier-juin 2008, p. 24. Actualités juridiques, n 60-61, p. 424.
Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans, de l’affaire V. contre SICI-SAIL S.A. par Arrêt n 023/04 du 15 janvier 2004 de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, Chambre judiciaire, formation civile, saisie d’un pourvoi initié le 13 février 2003 par Maîtres Amadou FADIKA & Associés, Avocats à la Cour, demeurant 22, avenue Delafosse, Plateau, 01 BP 4363 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de Monsieur V., contre l’Arrêt n 953 rendu le 23 septembre 2002 par la Cour d’Appel d’Abidjan, et dont le dispositif est le suivant :
– « Rejette les conclusions de la SICI-SAIL transmises le 14/05/2002 pour forclusion.
EN LA FORME :
Déclare V. recevable en son appel relevé de l’ordonnance de référé n 1533 rendue le 28 mars2002 par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan.
AU FOND :
L’y dit mal fondé.
Le condamne aux dépens ».
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent au « pourvoi en cassation comportant assignation à comparaître devant la Cour Suprême ».
Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara MAIDAGI
Vu les articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu le Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure, que par un contrat de crédit-bail en date du 17 avril 2000, BICI-BAIL S.A a donné en location à la Pharmacie Saint-Joseph, avec option d’achat, un véhicule automobile de marque BMW Millenium, au prix de 25.690 000 FCFA toutes taxes comprises, somme payable en 48 mensualités de 603.389 FCFA chacune, sur une période de quatre ans allant du 30 avril 2000 au 30 avril 2004; que l’article 10 dudit contrat dispose qu’en cas de non-paiement par le locataire d’un seul loyer, le contrat est résolu de plein droit et le véhicule restitué 08 jours après une mise en demeure demeurée infructueuse; qu’ayant constaté, à la date du 05 octobre 2001, que son locataire lui devait 13 mensualités correspondant au montant de 9.512.871 FCFA, BICIBAIL S.A. lui signifiait une mise en demeure, par exploit en date du 08 octobre 2001, d’avoir à restituer le véhicule loué; que la Pharmacie Saint-Joseph ne s’exécutant pas, BICI-BAIL S.A l’assignait le 1er février 2002 devant le juge des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, en restitution du véhicule, sous astreinte comminatoire de 1 000 000 francs par jour de retard; qu’à l’audience du 07 février 2002, le juge des référés, vidant sa saisine sur le siège, déclarait l’action de BICI-BAIL S.A irrecevable; que BICI-BAIL S.A ayant repris sa procédure, cette fois-ci dirigée contre V., la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan avait, par Ordonnance n 1533 du 28 mars2002, ordonné la restitution du véhicule dans les conditions du crédit-bail, sous astreinte comminatoire de 500 000 FCFA par jour de retard à compter de la signification de l’ordonnance; que sur appel de V., la Cour d’Appel d’Abidjan, par Arrêt n 953 du 23 juillet 2002 dont pourvoi, confirmait l’ordonnance entreprise.
Sur le premier moyen
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué, un excès de pouvoir, en ce que le juge des référés et la Cour d’Appel ont outrepassé leur pouvoir en s’appuyant sur les dispositions de l’ARTICLE 10 des conditions générales du contrat de crédit-bail pour ordonner la restitution du matériel loué; que selon le moyen, la formule du contrat selon laquelle « la présente convention sera résiliée de plein droit par le bailleur, sans qu’il soit nécessaire d’accomplir une formalité judiciaire préalable » est une formule sans aucune valeur juridique, car elle ne saurait déroger aux dispositions du Code Civil, notamment à celles de l’ARTICLE 1184, desquelles il résulte que la résolution d’un contrat ne peut intervenir que par voie de justice; qu’il n’existe pas de résolution de plein droit, et le juge des référés n’est pas compétent pour prononcer la résolution judiciaire d’un contrat, et que seul le juge du fond a cette compétence; qu’en ordonnant la restitution sollicitée, le juge de référés et la Cour d’Appel ont excédé leur pouvoir, et l’arrêt querellé, qui confirme l’ordonnance du juge des référés, mérite cassation.
Mais, attendu que contrairement à ce que soutient le demandeur au pourvoi, d’une part, la clause résolutoire insérée dans le contrat de crédit-bail est une dérogation au principe de résolution judiciaire de l’article 1184 du Code Civil, laquelle clause a pour fondement le principe de la liberté contractuelle; que les dispositions de l’article 1184 du Code Civil n’étant pas d’ordre public, les parties peuvent y déroger comme en l’espèce, en insérant dans leur convention, une clause résolutoire; que d’autre part, en matière de clause résolutoire, le rôle du juge des référés est de constater que dans le délai fixé par le contrat, à compter d’une mise en demeure, le débiteur ne s’est pas exécuté, pour que le bénéfice de cette clause soit acquis au créancier et que le juge tire les conséquences de la résiliation de la convention, en remettant les personnes et les choses dans l’état antérieur à celle-ci, comme en l’espèce, par la restitution du matériel loué; qu’en statuant sur la demande du bénéficiaire de la clause résolutoire, le juge des référés ne se place pas sur le terrain de la législation déterminant sa compétence, mais plutôt sur le terrain de l’attribution conventionnelle de compétence prévue au contrat, sauf possibilité pour lui de se récuser, s’il existe une contestation sérieuse qui, elle, relève de la compétence du juge du fond.
Attendu, en l’espèce, que la clause insérée dans la convention signée entre V. et BICI-BAIL S.A et selon laquelle « la présente convention sera résiliée de plein droit par le bailleur, sans qu’il soit nécessaire d’accomplir aucune formalité judiciaire préalable.. Si à la suite de la résiliation, le locataire refuse de restituer le matériel, il suffira pour l’y contraindre, d’une ordonnance de référé, rendue par le Président du Tribunal d’Abidjan » régulière, et que le juge des référés est compétent pour se prononcer sur les conséquences de ladite clause résolutoire; qu’il suit qu’en retenant, pour déclarer Monsieur V. mal fondé en son appel, « qu’en l’espèce, il ne s’agit pas pour le juge des référés, de connaître d’une demande en résiliation de la convention des parties, mais de constater simplement la résiliation et d’en tirer les conséquences, notamment la restitution du matériel objet de ladite convention.
Que c’est ce que le premier juge a fait.. Qu’en effet, la pharmacie Saint-Joseph restant devoir la somme de 9.512.871 FCFA représentant 13 mensualités, sommation lui a été faite le 08 octobre 2001, à la requête de BICI-BAIL, d’avoir à restituer le véhicule litigieux dans les huit jours, sinon passé ce délai, la convention des parties sera résiliée de plein droit.. Que ladite somme n’ayant pas été payée dans le délai imparti, la clause résolutoire de plein droit a été accomplie.. Que dès lors, le juge des référés est compétent à ordonner la restitution du véhicule litigieux », la Cour d’Appel d’Abidjan n’a en rien excédé ses pouvoirs; qu’il s’ensuit que ce premier moyen n’est pas fondé et doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen
Attendu qu’il est également reproché à l’arrêt attaqué, un défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété des motifs, en ces termes :
– « De l’irrecevabilité de l’action en restitution de la BICI-BAIL
La BICI-BAIL n’a pas d’action directe contre Monsieur V.
Attendu qu’à l’examen du contrat de crédit-bail du 17/04/2000, il ressort que le cocontractant de la société BICI-BAIL est la Pharmacie St-Joseph et elle seule.
Que c’est bien pour cette raison qu’à la date du 23/04/2001, la BICI-BAIL a adressé une mise en demeure au nom de la Pharmacie St-Joseph.
Pièce n 5. Mise en demeure du 23.04.2001
Que de même, à la date du 08/10/2001, cette fois, par exploit d’huissier de justice, la société BICI-BAIL a adressé une sommation de restituer à la Pharmacie St-Joseph.
Pièce n 6. Sommation de restituer du 08.10.2001
Que ce faisant, la société BICI-BAIL sait pertinemment que son cocontractant est bien la Pharmacie St-Joseph.
Que dès lors, cette société ne pouvait pas demander au Juge des référés, en tout cas si l’on s’en tient à son assignation du 27/03/2002, de condamner Monsieur V. en sa personne à restituer le matériel sous astreinte.
Qu’une telle action, qui malgré tout a été formulée, devait être déclarée irrecevable.
Attendu qu’il en sera ainsi devant la Haute Cour ».
Attendu que contrairement à ce que soutient le demandeur au pourvoi, Monsieur V., la Cour d’Appel, pour déclarer recevable l’action dirigée contre lui, a retenu que « la Pharmacie est une entreprise individuelle qui n’a pas de personnalité juridique distincte de celle de son propriétaire; que dès lors, l’action dirigée contre Monsieur V. est recevable »; qu’elle a en conséquence suffisamment motivé sa décision et lui a donné une base légale; qu’il s’ensuit que le deuxième moyen n’est pas davantage fondé et doit être rejeté.
Sur le troisième moyen
Attendu qu’il est enfin reproché à l’arrêt attaqué, une violation ou une erreur dans l’application ou l’interprétation de la loi, en ce que la procédure de restitution utilisée en l’espèce n’est pas conforme à celle prévue par les dispositions du « Traité OHADA » sur la procédure simplifiée tendant à la délivrance ou à la restitution d’un bien meuble déterminé; que selon le moyen, les règles dictées par cette procédure (articles 19 et suivants) se substituent, de par leur force obligatoire et supranationale, à toutes règles nationales tendant à aboutir au même résultat; que même si BICI-BAIL estimait qu’il y avait urgence en la matière, elle ne pouvait recourir à la procédure de référé, au mépris de celle instituée par le « Traité OHADA » susdit; que ce faisant, BICI-BAIL a violé la loi susdite, violation entérinée par le juge des référés et la Cour d’Appel d’Abidjan; qu’il plaise donc à la Cour de céans de constater cette violation et de bien vouloir casser l’arrêt querellé.
Mais, attendu que contrairement à ce que soutient le demandeur au pourvoi, la procédure simplifiée tendant à la délivrance ou à la restitution d’un bien meuble déterminé est une faculté offerte au créancier d’une obligation de délivrance ou de restitution d’un bien meuble corporel déterminé, pour demander au Président de la juridiction compétente d’ordonner cette délivrance ou restitution; que le créancier peut donc s’en passer et suivre les voies de droit commun; qu’en effet, les articles 19 et 21 de l’Acte uniforme disposent respectivement que « celui qui se prétend créancier.. peut demander au Président de la juridiction compétente » et « si la juridiction saisie rejette la requête, sa décision est sans recours pour le créancier, sauf à celui-ci à procéder selon les voies de droit commun »; qu’en l’espèce, le juge de référés puis la Cour d’Appel, n’ont fait qu’appliquer les dispositions de l’ARTICLE 10 des conditions générales du contrat de crédit-bail, pour se déclarer compétent et ordonner la restitution du véhicule automobile, objet du contrat de crédit-bail; qu’il s’ensuit qu’ils n’ont en rien violé ou commis une erreur dans l’application ou l’interprétation des articles 19 et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution; qu’ainsi, le troisième moyen n’est pas davantage fondé et doit être rejeté.
Attendu que Monsieur V. ayant succombé, il échet de le condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré.
Rejette le pourvoi formé par Monsieur V.
Le condamne aux dépens.
Président : Jacques M’BOSSO.