J-09-40
C.C.J.A. – Recours en cassation – Délais – Observation – Saisine antérieure de la juridiction suprême nationale – Influence sur la recevabilité du recours (NON).
C.C.J.A. compétence – Questions soulevées relatives à la saisie immobilière – Questions entrant dans le champ d’application de l’Acte uniforme portant voies d’exécution (OUI) – Compétence de la C.C.J.A. (OUI).
Voies d’exécution – Saisie immobilière – Tribunal ayant statué « extra petita » – Cassation.
Le recours porté devant la C.C.J.A. ayant été exercé dans le délai de deux mois imparti par le Règlement de Procédure, il est recevable et la saisine antérieure de la Cour Suprême du Mali est sans influence sur la recevabilité dudit recours.
La C.C.J.A. est compétente dès lors que les questions soulevées se rapportent à la saisie immobilière et entrent bien dans le champ d’application de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
L’objet de sa saisine n’étant pas de faire ordonner la radiation du commandement aux fins de saisie immobilière, mais d’inviter une partie à prendre connaissance du cahier de charges déposé par le créancier poursuivant, afin qu’il y insère ses dires et observations, le tribunal a statué « extra petita ».
En confirmant le jugement entrepris, la Cour d’Appel a également statué « extra petita et son arrêt encourt la cassation ».
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) 2ème Chambre, Arrêt n 008 du 27 mars2008. Affaire : D. c/ – B. Le Juris-Ohada n 3 Juillet-Août-Septembre 2008, p. 14. Le recueil de jurisprudence de la CCJA, n 11, janvier-juin 2008, p. 86.
Sur le pourvoi reçu et enregistré au greffe de la Cour de céans sous le numéro 013/2005/PC du 04 avril 2005 et formé par Maître Hamidou KONE, Avocat au Barreau du Mali, demeurant avenue Cheick Zayed, Ouolofobougou Bolibana, Immeuble Toshiba, porte 148, 1er étage, BP 473 Bamako, agissant au nom et pour le compte de Monsieur S., guérisseur traditionnel, domicilié à Lafiabougou Secteur II, rue 280, porte 273 Bamako, dans la cause qui oppose ce dernier à Messieurs B. et D., demeurant à Bamako au Mali, ayant pour Conseils la SCP Doumbia Tounkara, Cabinet d’Avocats inscrits au Barreau du Mali, Société civile professionnelle d’Avocats, Immeuble Sylla Center, rue Karamoko Diaby, porte 550., 2ème étage, en cassation de l’Arrêt n 286 rendu le 31 octobre 2003 par la Chambre des référés de la Cour d’Appel de Bamako statuant en matière d’urgence, et dont le dispositif est le suivant :
– « Contradictoirement et statuant en matière d’urgence, conformément aux dispositions de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution.
En la forme :
Reçoit l’appel interjeté.
Au fond :
Confirme le jugement entrepris.
Met les dépens à la charge de l’appelant ».
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation tel qu’il figure à la requête annexée au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur le Juge Doumssinrinmbaye BAHDJE
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu le Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Attendu qu’il ressort de l’examen des pièces du dossier de la procédure, que Monsieur D. a conclu avec Messieurs B. et C., le 12 septembre 1998, un contrat de vente portant sur les titres fonciers n 2325 et 2326 du District de Bamako, pour un montant de 100 000 000 (cent millions) de francs CFA; que conformément à l’accord des parties, Monsieur D. a versé un acompte de 55 000 000 (cinquante cinq millions) de francs CFA aux deux frères D. contre la remise des titres fonciers; que par la suite, l’acheteur a offert de verser le reliquat par la voie judiciaire, ce que les vendeurs ont refusé; qu’après plusieurs pourparlers, les parties ont signé un protocole d’accord comportant la résiliation du contrat de vente, avec obligation pour les vendeurs de restituer l’acompte de 55 000 000 (cinquante cinq millions) de francs CFA; qu’en fin de compte, l’acompte n’a pu être restitué; que c’est pourquoi, l’acheteur a dénoncé le protocole d’accord et sollicité que soit déclarée valable la vente précédemment conclue.
Attendu que les frères D. ont réfuté les prétentions de Monsieur D. et soutenu que le protocole d’accord intervenu a consacré la résolution de la vente, sans poser la condition de remboursement de l’acompte de 55 000 000 (cinquante cinq millions) de francs CFA dans un délai de trois mois; qu’ils ont estimé qu’en réalité, ils n’ont pas refusé de restituer l’acompte, mais que c’est plutôt leur adversaire lui-même qui, à travers toutes sortes d’artifices, a entravé la revente des titres fonciers, dans le but de pouvoir payer le reliquat de 45 000 000 (quarante-cinq millions) de francs CFA.
Attendu que suivant jugement n 383 du 05 juillet 2001, le Tribunal civil de la Commune VI de Bamako a déclaré nul et non avenu le protocole d’accord intervenu entre les parties, le 1er novembre 1999, et dit qu’en conséquence, la vente portant sur les parcelles, objet des titres fonciers n 2325 et 2326 en date du 12 septembre 1998, sortira son plein et entier effet; que par exploit en date du 30 juillet 2001, les frères D. ont relevé appel dudit jugement; que la Cour d’Appel de Bamako, par Arrêt n 420 rendu le 23 octobre 2002 dont pourvoi, a confirmé le jugement entrepris et ordonné la radiation du commandement aux fins de saisie immobilière inscrit le 04 octobre 2001.
Sur la recevabilité du pourvoi
Attendu que Monsieur D., codéfendeur au pourvoi avec Monsieur B., soulève l’irrecevabilité du recours formé par Monsieur D., au motif qu’il a été formé hors délai; qu’il précise que la signification des décisions rendues par les juridictions des Etats Parties procède de leur droit interne; que « conformément au droit malien, si la décision est contradictoire, son prononcé vaut signification »; que c’est en application de ce principe, précise-t-il, que le 03 novembre 2003, Monsieur D. a saisi la Cour Suprême du Mali; qu’il a ainsi implicitement renoncé à la signification de l’arrêt litigieux; que « la saisine de la CCJA le 04 avril 2003 entraîne la forclusion, et qu’un tel recours est irrecevable ».
Mais, attendu que l’article 28 du Règlement de Procédure de la Cour de céans prévoit que « .. le recours est présenté au greffe dans les deux mois de la signification de la décision attaquée, par l’avocat du requérant, dans les conditions fixées à l’article 23 ci-dessus »; que contrairement à l’affirmation de Monsieur D., l’application des dispositions de l’ARTICLE 28 précité est sans considération de toute saisine d’une juridiction nationale de cassation; qu’il suffit que le recours porté devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage soit exercé dans le délai de deux mois imparti par l’article 28 du Règlement de Procédure de la Cour, et son recours étant conforme aux conditions posées par l’article 23 de ce texte, la saisine antérieure de la Cour Suprême du Mali est sans influence sur la recevabilité dudit recours devant la Cour de céans; qu’il s’ensuit qu’il convient de rejeter l’exception d’irrecevabilité du recours soulevée comme non pertinente, d’autant que la signification n’était pas encore intervenue au moment du pourvoi en cassation devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.
Sur la compétence de la Cour de céans
Attendu que Monsieur D. souligne que l’arrêt querellé s’est appuyé sur l’article 203 du Code Domanial et Foncier du Mali; que la radiation ordonnée par les juridictions maliennes procède, non pas de l’application des dispositions de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, mais de celles du Code Domanial et Foncier du Mali, notamment celles relatives à la prénotation et ses effets; qu’il précise que l’article 308 alinéa 2 de l’Acte uniforme précité dispose que « toutefois, la demande en distraction n’est recevable que si le droit foncier de l’Etat Partie dans lequel est situé l’immeuble consacre l’action en revendication ou toute autre action tendant aux mêmes fins »; qu’ainsi, poursuit-il, l’Acte uniforme laisse le champ libre aux législations nationales d’édicter de manière spécifique, la nature de ces actions; qu’en conclusion, pour D., les questions soulevées ne figurent pas parmi celles ayant fait l’objet d’harmonisation dans le cadre de l’OHADA, et que pour toutes ces raisons, la Cour de céans doit se déclarer incompétente.
Attendu qu’aux termes de l’article 10 du Traité institutif de l’OHADA, « les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats Parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure; que l’article 336 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution dispose que « le présent Acte uniforme abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les Etats Parties »; que l’article 337 du même Acte uniforme précise que « le présent Acte uniforme sera applicable aux mesures conservatoires, mesures d’exécution forcée et procédures de recouvrement engagées après son entrée en vigueur ».
Attendu qu’en l’espèce, les questions soulevées se rapportent à la saisie immobilière et entrent bien dans le champ d’application de l’Acte uniforme portant organisation de procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution; d’où il ressort que l’exception soulevée n’est pas fondée et mérite rejet.
Sur le moyen relevé d’office
Attendu que le requérant sollicite la cassation et l’annulation de l’arrêt déféré et sur évocation, le rejet de toutes les prétentions des défendeurs au pourvoi, ainsi que le renvoi du dossier et des parties devant le Tribunal de Première Instance de Kati pour la continuation de la procédure par la fixation d’une nouvelle date d’adjudication, d’une part; d’autre part, la condamnation des défendeurs au pourvoi aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Hamidou KONE, Avocat poursuivant.
Attendu qu’aux termes de l’article 59 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, « la décision autorisant la saisie conservatoire doit, à peine de nullité, préciser le montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure conservatoire est autorisée et préciser la nature des biens sur lesquels elle porte »; que l’article 262 du même Acte uniforme stipule : « En cas de non-paiement, le commandement vaut saisie à compter de son inscription. L’immeuble et ses revenus sont immobilisés dans les conditions prévues aux articles ci-dessous. Le débiteur ne peut aliéner l’immeuble, ni le grever d’un droit réel ou charge. Le conservateur ou l’autorité administrative refusera d’opérer toute nouvelle inscription. Néanmoins, l’aliénation ou les constitutions de droits réels sont valables si, avant le jour fixé pour l’adjudication, l’acquéreur ou le créancier consigne une somme suffisante pour acquitter, en principal, intérêts et frais, ce qui est dû aux créanciers inscrits ainsi qu’aux saisissants, et s’il leur signifie l’acte de consignation. La somme ainsi consignée est affectée spécialement aux créanciers inscrits et au saisissant. A défaut de consignation avant l’adjudication, il ne peut être accordé, sous aucun prétexte, de délai pour l’effectuer ».
Attendu, en l’espèce, qu’en sa qualité de créancier de Monsieur B., propriétaire du titre foncier n 2325 du Cercle de Kati, Monsieur D. a, dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée, fait inscrire un commandement aux fins d’expropriation forcée sur ledit titre, parce qu’il n’a pas été payé dans le délai de vingt jours; que conformément à l’article 269 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, après le dépôt du cahier de charges, une sommation de prendre communication dudit cahier a été notifiée à Monsieur D., qui avait fait prendre une inscription sommaire préventive sur le titre foncier, afin qu’il fasse insérer ses dires et observations pour l’audience dite éventuelle; que contre toute attente, le Tribunal civil de Kati, par jugement n 45 du 24 mars2003, rendu dans le cadre de la procédure d’expropriation forcée initiée par Monsieur D. contre Monsieur B. et portant sur le titre foncier n 2325 du Cercle de Kati, a constaté le droit de propriété de Monsieur D. sur ledit titre foncier et ordonné la radiation du commandement aux fins de saisie immobilière inscrit le 04 octobre 2001; que suivant Arrêt n 286 rendu le 31 octobre 2003, la Chambre des référés de la Cour d’Appel de Bamako a confirmé ledit jugement.
Attendu qu’en décidant comme rapporté ci-dessus, le Tribunal civil du Cercle de Kati a statué « extra petita », puisque l’objet de sa saisine n’était pas de faire ordonner la radiation du commandement inscrit le 04 octobre 2001 au Livre Foncier de Kati par Monsieur D., sur le titre foncier n 2325, mais d’inviter Monsieur D. à prendre connaissance du cahier de charges déposé par Monsieur D., afin qu’il y insère ses dires et observations.
Attendu que la Cour d’Appel, qui a confirmé le jugement entrepris, a également statué « extra petita »; que de ce fait, son arrêt doit être cassé suivi de l’évocation, s’agissant ici d’un moyen relevé d’office.
Sur l’évocation
Attendu que Monsieur D. a conclu avec Messieurs B. et C., le 12 septembre 1998, un contrat de vente portant sur les titres fonciers n 2325 et 2326 du District de Bamako pour un montant de 100 000 000 (cent millions) de francs CFA; qu’à la conclusion de la vente, il a versé, conformément à l’accord des parties, un acompte de 55 000 000 (cinquante cinq millions) de francs CFA, contre la remise des titres fonciers; que par la suite, il a offert de payer, d’accord amiable, ensuite par voie judiciaire, le reliquat du prix de vente; qu’à la fin, les vendeurs ont remis en cause la vente; qu’après plusieurs pourparlers, les parties ont signé un protocole d’accord comportant résiliation du contrat de vente avec obligation pour les vendeurs, de restituer l’acompte de 55 000 000 (cinquante cinq millions) de francs CFA; qu’en fin de compte, ledit acompte n’a pu être restitué; que par la suite et conformément aux dispositions de la loi malienne portant régime général des obligations, le vendeur a dénoncé le protocole d’accord intervenu et a sollicité que soit déclarée valable la vente conclue entre ses adversaires et lui.
Attendu que Messieurs B. et C. ont réfuté les prétentions de Monsieur D. et soutenu que le protocole d’accord intervenu a consacré la résolution de la vente, sans condition sous-jacente du remboursement de l’acompte de 55 000 000 (cinquante cinq millions) de francs CFA, dans un délai de trois mois; qu’en réalité, ils ont estimé qu’ils n’ont pas refusé de restituer ledit acompte, mais que c’est plutôt Monsieur D. lui-même qui, à travers toutes sortes d’artifices, a entravé la revente de ces titres fonciers dans le but de pouvoir payer son acompte; qu’ils ont sollicité que ce dernier soit débouté de ses prétentions.
Attendu que pour les motifs exposés lors de l’examen du moyen de cassation, il convient de :
– rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par les défendeurs au pourvoi;
– déclarer compétente la Cour de céans;
– casser l’Arrêt n 286 rendu le 31 octobre 2003 par la Cour d’Appel de Bamako.
Sur évocation, et par substitution de moyens
Renvoyer l’affaire et les parties devant le Tribunal de Première Instance de Kati pour la continuation de la procédure par la fixation d’une nouvelle date d’adjudication.
Attendu que Messieurs B. et D. ayant succombé, doivent être condamnés aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré :
Rejette l’exception d’irrecevabilité du pourvoi soulevée par les défendeurs au pourvoi.
Se déclare compétente.
Casse l’Arrêt n 286 rendu le 31 octobre 2003 par la Cour d’Appel de Bamako.
Évoquant et statuant au fond :
Renvoie l’affaire et les parties devant le Tribunal de Première Instance de Kati pour la continuation de la procédure par la fixation d’une nouvelle date d’adjudication.
Condamne les défendeurs aux dépens.
Président : Antoine Joachim OLIVEIRA.