J-09-41
Voies d’exécution – Saisie – Attribution de créance – Titre exécutoire – Existence (NON) – Nullité de la saisie – Mainlevée.
Les décisions du Conseil des Télécommunication de Côte d’Ivoire n’ont pas la qualité de titres exécutoires au sens de l’article 33 de l’Acte uniforme portant voies d’exécution, dès lors qu’elles ne mettent pas fin au contentieux, les parties demeurant libres de saisir une juridiction étatique ou arbitrale.
Par conséquent, il y a lieu de déclarer la saisie-attribution nulle et d’ordonner la mainlevée.
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) 2ème Chambre, Arrêt n 009 du 27 mars2008. Affaire : Société COTE D’IVOIRE TELECOM c/ Société LOTENY TELECOM. Le Juris-Ohada n 3 Juillet-Août-Septembre 2008, p. 19. Le recueil de jurisprudence de la CCJA, n 11, janvier-juin 2008, p. 92.
Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans de l’affaire société Côte d’Ivoire TELECOM contre société LOTENY TELECOM, par Arrêt n 440/03 du 10 juillet 2003 de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, Chambre judiciaire, formation civile, saisie d’un pourvoi initié par exploit en date du 03 février 2003 de la Société Côte d’Ivoire TELECOM, Société Anonyme de droit ivoirien dont le siège est à Abidjan, immeuble Postel 2001, Rue Lecœur, 17 BP 275 Abidjan 17, ayant pour Conseil Maître BOKOLA Lydie Chantal, Avocat près la Cour d’Appel d’Abidjan, y demeurant 15, avenue du Docteur Crozet, Immeuble SCIA n 09, 2e étage, porte 20, 01 BP 2722 Abidjan 01, dans la cause l’opposant à la société LOTENY TELECOM, société anonyme dont le siège social est à Abidjan-Plateau 12, avenue Crosson Duplessis, 01 BP 3865 Abidjan 01, ayant pour Conseils Maîtres René BOURGOIN et Patrice KOUASSI, Avocats à la Cour, y demeurant Résidence Eden, 11e étage, 44, avenue Lamblin, 01 BP 8658 Abidjan 01,en cassation de l’Arrêt n 1245 rendu par la Cour d’Appel d’Abidjan le 13 décembre 2002, et dont le dispositif est le suivant :
– « En la forme :
Déclare la société LOTENY TELECOM recevable en son appel relevé de l’ordonnance de référé n 4904 rendue le 22 octobre 2002 par la juridiction présidentielle du Tribunal d’Abidjan.
Au fond :
L’y dit mal fondée.
Infirme en toutes ses dispositions ladite ordonnance.
Statuant à nouveau :
Rejette comme mal fondée la contestation de Côte d’Ivoire TELECOM.
Ordonne en conséquence, la continuation des poursuites.
La condamne en outre aux dépens à distraire au profit de Maîtres Bourgoin et Kouassi, Avocats aux offres de droit ».
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à « l’exploit aux fins de pourvoi en cassation » annexé au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur le Juge Doumssinrinmbaye BAHDJE
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu le Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Attendu qu’il ressort de l’examen des pièces du dossier de la procédure, que la Société Côte d’Ivoire TELECOM, exploitant le réseau public des télécommunications, a signé courant 1997, un accord d’interconnexion avec les sociétés exploitant le réseau de téléphone cellulaire dont la Société LOTENY TELECOM; que dans le cadre de cet accord, le Conseil des Télécommunications de Côte d’Ivoire dit CTCI, au cours de sa troisième Assemblée Générale, a proposé un nouveau système de tarification dénommé « Décision n 01/02/2002 » et ce, suite à une première détermination faite par l’Agence des Télécommunications de Côte d’Ivoire dite ATCI; que suite à cette décision, la société LOTENY TELECOM a estimé à 17.155.812.425 francs CFA la somme qui lui est due par la société Côte d’Ivoire TELECOM; que pour obtenir paiement de sa créance, la société LOTENY TELECOM a fait pratiquer une saisie-attribution le 03 octobre 2002 entre les mains des banques, établissements financiers et divers tiers pour des sommes que ceux-ci détenaient pour le compte de la société Côte d’Ivoire TELECOM; que par Ordonnance n 4904 du 22 octobre 2002, la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d’Abidjan ordonnait la mainlevée de cette saisie-attribution; que sur appel de la société LOTENY TELECOM, la Cour d’Appel d’Abidjan infirmait l’ordonnance entreprise et déboutait cette dernière de sa demande de mainlevée de saisie-attribution, par Arrêt n 1245 du 13 décembre 2002; que le 03 février 2003, la société Côte d’Ivoire TELECOM s’était pourvue en cassation contre l’arrêt précité de la Cour d’Appel d’Abidjan devant la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, laquelle s’était dessaisie de l’affaire au profit de la Cour de céans.
Sur le premier moyen
Attendu que le pourvoi fait grief à l’arrêt attaqué, d’avoir violé et commis une erreur dans l’application des articles 50 du Code des Télécommunications et 33 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, « car l’article 50 sus indiqué dispose que le Conseil des Télécommunications de Côte d’Ivoire a pour mission d’assurer avant tout recours arbitral ou juridictionnel, la conciliation et l’arbitrage des litiges nés entre l’Administration et les opérateurs du secteur des télécommunications, à l’occasion de l’exercice par l’Administrateur, de ses attributions. Or, la Cour d’Appel d’Abidjan, se fondant sur les dispositions de l’article 50 suscité, soutient que la résolution du CTCI serait une véritable décision, et que cette décision aurait été rendue par la seule autorité compétente pour trancher ce genre de litige; que la société Côte d’Ivoire TELECOM conclut qu’en l’espèce, il s’agit d’un litige né entre deux opérateurs du secteur des télécommunications ne concernant pas l’Administration, et la Cour d’Appel ne pouvait pas se fonder sur les dispositions de l’article 50 suscité pour soutenir que la résolution du CTCI serait une bonne décision; contrairement aux affirmations de la Cour, la résolution du CTCI ne constitue pas un titre exécutoire, car il résulte de l’article 50 suscité, que le CTCI « a pour mission d’assurer avant tout recours arbitral ou juridictionnel, la conciliation et l’arbitrage »; qu’il s’infère donc de cette disposition du Code des Télécommunications, que le CTCI est soit un organe de conciliation, donc un conciliateur, soit un organe d’arbitrage, donc un arbitre; qu’une telle compétence de conciliation ou d’arbitrage étant conférée au CTCI au premier degré, les parties pouvant à leur gré déférer leur litige à nouveau, soit devant un autre arbitre, soit devant une juridiction de jugement; que dans le cas d’espèce, la décision du CTCI n’est qu’une simple résolution d’un conciliateur, et dans ce cas, il ne s’agit pas d’un titre exécutoire répondant à aucune des énumérations de l’article 33 de l’Acte uniforme susvisé; que dans une autre hypothèse, la décision du CTCI ne peut être considérée que comme une sentence arbitrale, et que dans tous les cas, la décision du CTCI ne constitue pas un titre exécutoire; que la Cour a donc violé et erré dans l’application et l’interprétation de l’ARTICLE 33 de l’Acte uniforme susvisé; qu’enfin, ledit article susvisé stipule que constituent des titres exécutoires :
– les décisions juridictionnelles revêtues de la formule exécutoire et celles qui sont exécutoires sur minute;
– les actes et décisions juridictionnelles étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarées exécutoires par une décision juridictionnelle non susceptible de recours suspensif d’exécution, de l’Etat dans lequel ce titre est invoqué;
– les procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties;
– les actes notariés revêtus de la formule exécutoire;
– les décisions auxquelles la loi nationale de chaque Etat Partie attache les effets d’une décision judiciaire.
Que si l’on confronte les faits et les éléments de l’espèce avec les dispositions de l’ARTICLE 33 suscité, force est de noter que :
– cette résolution du CTCI n’est pas une décision juridictionnelle revêtue de la formule exécutoire, ni une décision juridictionnelle sur minute;
– cette résolution du CTCI ne fait pas partie des actes et décisions juridictionnelles étrangers;
– cette résolution du CTCI à la rigueur, pourrait être considérée comme une sentence arbitrale, mais elle n’a jamais été déclarée exécutoire par une décision juridictionnelle.
Qu’en conclusion, il n’y a jamais eu d’exequatur, et si par extraordinaire, il fallait considérer cette résolution comme une sentence arbitrale, cette résolution du CTCI n’est pas un procès-verbal signé par le juge et les parties; cette résolution n’est pas un acte notarié revêtu de la formule exécutoire, et enfin, aucune loi en Côte d’Ivoire ne stipule que les résolutions du CTCI sont des titres exécutoires, et sur ce point, il ne suffit pas pour le CTCI d’affirmer que sa décision « prendrait effet à compter de son prononcé ou « serait » exécutoire dès sa publication au journal officiel », pour conférer à cette résolution le caractère de titre exécutoire; que la Constitution ivoirienne n’ayant nullement conféré au CTCI de pouvoir législatif, c’est à tort que la Cour d’Appel d’Abidjan a décidé que la décision du CTCI constituerait un prétendu titre exécutoire au sens de l’article 33 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution; que la Cour d’Appel ayant commis une erreur dans l’application dudit texte, son arrêt mérite de ce fait d’être cassé ».
Attendu qu’aux termes de l’article 33 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, « constituent des titres exécutoires, les décisions auxquelles la loi nationale de chaque Etat Partie attache les effets d’une décision judiciaire »; qu’en considération de ce qui précède, il serait abusif de considérer les décisions rendues par le Conseil des Télécommunications de Côte d’Ivoire dit CTCI, comme celles qui constituent des titres exécutoires au sens de l’article 33 précité; qu’aux termes de l’ARTICLE 50 de la loi ivoirienne n 95-526 du 07 juillet 1995 portant Code des Télécommunications, le CTCI est une autorité administrative indépendante qui a pour mission « d’assurer avant tout recours arbitral ou juridictionnel, la conciliation et l’arbitrage des litiges »; qu’il en résulte que le CTCI a une mission préalable de conciliation et de règlement des litiges; qu’ainsi, la saisine du CTCI ne saurait faire obstacle à la saisine ultérieure par les parties d’une juridiction étatique ou arbitrale, dans le cadre du règlement de leurs différends, d’autant que l’ARTICLE 50 précité indique de façon non équivoque que le rôle du CTCI est « d’assurer avant tout recours arbitral ou juridictionnel.. et le règlement des litiges »; qu’il s’ensuit que les décisions du CTCI ne mettent pas fin au contentieux, les parties demeurant libres de saisir une juridiction étatique ou arbitrale; que l’on ne peut dès lors, valablement considérer que les décisions du CTCI ont les effets d’une décision judiciaire exécutoire; que ces décisions n’ont, en conséquence, pas la qualité de titres exécutoires au sens des dispositions de l’Acte uniforme précité; qu’il suit qu’en infirmant l’ordonnance de référé n 4904 rendue le 24 octobre 2002 par le Président du Tribunal de Première Instance d’Abidjan et en ordonnant en conséquence, la continuation des poursuites, l’Arrêt n 1245 rendu par la Cour d’Appel le 13 décembre 2002 a violé les dispositions de l’article 33 de l’Acte uniforme précité; qu’il convient de le casser et d’évoquer, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens.
Sur l’évocation
Attendu que la société LOTENY TELECOM, appelante, demande à la Cour d’Appel de :
– déclarer son appel recevable pour avoir été interjeté dans les forme et délai légaux;
– l’y dire fondée.
En conséquence
Infirmer l’ordonnance de référé n 4904 rendue le 22 octobre 2002 par la juridiction des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau
Dire et juger que la décision n 01/02/2002 rendue le 13 juin 2002 par le Conseil des Télécommunications de Côte d’Ivoire est exécutoire.
Rejeter la contestation de Côte d’Ivoire TELECOM comme mal fondée.
En conséquence :
Valider la saisie-attribution de créance pratiquée le 03 octobre 2002 entre les mains de la BACI, la BOA, la Citibank, la COBACI et la STANDARD Chartered Bank.
Attendu que la société Côte d’Ivoire TELECOM, intimée, demande à la Cour d’Appel de :
– confirmer l’ordonnance entreprise;
– dire et juger que la créance réclamée par la société LOTENY TELECOM n’est pas liquide;
– dire et juger que l’acte de dénonciation est nul pour violation des dispositions d’ordre public de l’article 160 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution rendant caduque la saisie-attribution;
– déclarer par conséquent, la saisie-attribution du 03 octobre 2002 pratiquée par la Société LOTENY TELECOM, nulle et de nullité absolue;
– ordonner par conséquent, mainlevée de ladite saisie;
– condamner la société LOTENY TELECOM aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître BOKOLA Lydie Chantal.
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus lors de l’examen du moyen de cassation, il y a lieu de déclarer qu’il n’y a pas de titre exécutoire, et donc, de déclarer la saisie-attribution pratiquée le 03 octobre 2002 par la société LOTENY TELECOM, nulle, et qu’il sied d’en ordonner mainlevée et par voie de conséquence, de confirmer l’Ordonnance n 4902 rendue le 22 octobre 2002 par le Président du Tribunal de Première Instance d’Abidjan.
Attendu que la société LOTENY TELECOM ayant succombé, doit être condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré, casse l’Arrêt n 1245 rendu le 13 décembre 2002 par la Cour d’Appel d’Abidjan.
Évoquant et statuant au fond
Constate qu’il n’existe pas en l’espèce, de titre exécutoire.
Déclare nulle la saisie-attribution pratiquée le 03 octobre 2002 par la société LOTENY TELECOM.
Confirme par voie de conséquence, l’Ordonnance n 4902 rendue le 22 octobre 2002 par le Président du Tribunal de Première Instance d’Abidjan.
Condamne la Société LOTENY TELECOM aux dépens.
Président : Antoine Joachim OLIVEIRA.