J-09-46
Arbitrage – Convention – Litige – Nullité du contrat contenant la clause compromissoire – Compétence du juge arbitral.
Les parties ayant exprimé leur commune volonté de faire trancher par des arbitres tous les litiges qui naîtraient de leur relation contractuelle, le principe d’autonomie de la convention d’arbitrage, par rapport au contrat principal auquel elle se rapporte, impose au juge arbitral, sous réserve d’un recours éventuel contre sa sentence à venir, d’exercer sa pleine compétence sur tous les éléments du litige à lui soumis, qu’il s’agisse de l’existence, de la validité ou de l’exécution de la convention.
En retenant sa compétence, la Cour d’Appel a fait une mauvaise application des articles 23 du Traité OHADA et 4 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage.
Il y a donc lieu d’infirmer le jugement entrepris, de se déclarer incompétent en raison de la clause d’arbitrage, et de renvoyer la cause et les parties à la procédure d’arbitrage prévue à la convention de cession d’action.
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) 1ère Chambre, Arrêt n 020 du 24 avril 2008. Affaire : S. c/ 1 / I. 2 / K. Le Juris-Ohada n 3 Juillet-Août-Septembre 2008, p. 35. Le recueil de jurisprudence de la CCJA, n 11, janvier-juin 2008, p. 97.
Sur le pourvoi enregistré le 30 mai 2007 au greffe de la Cour de céans sous le n 045/2007/PC et formé par Maîtres René BOURGOIN & Patrice K. KOUASSI, Avocats à la Cour, demeurant à Abidjan, Résidence EDEN, 11ème étage, 44 avenue Lamblin, 01 BP 8658 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de Monsieur S., Administrateur de société, demeurant à Abidjan Cocody, rue de la Cannebière, 01 BP 3865 Abidjan 01, dans une cause l’opposant respectivement à Monsieur I., Directeur de société, demeurant à Abidjan Cocody, 16 BP 507 Abidjan 16, ayant pour Conseil Maître KOFFI KOUASSI Gilbert, Avocat à la Cour, demeurant à Abidjan Treichville, quartier Biafra, avenue 2, rue 29, immeuble Saint-Lazare, 1er étage au-dessus de la Pharmacie de Biafra, 16 BP 1620 Abidjan 16 et à Monsieur K., demeurant à Abidjan Cocody II Plateaux Les Vallons, immeuble Impala, appartement n 90, ayant pour Conseil Maître SONTE Émile, Avocat à la Cour, demeurant Abidjan-Plateau, 10, avenue Crozet, immeuble Crozet, 3e escalier, 2ème étage, porte 205, en cassation de l’Arrêt n 552 rendu le 12 mai 2006 par la Cour d’Appel d’Abidjan, et dont le dispositif est le suivant :
– « Statuant publiquement, sur le siège, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort.
EN LA FORME :
Reçoit Monsieur S. en son appel.
AU FOND :
L’y dit mal fondé.
L’en déboute.
Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions.
Condamne Monsieur S. aux dépens ».
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara MAIDAGI
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu les dispositions du Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure, que par convention de cession en date du 09 juin 1999, feu K. avait cédé à S., tous deux actionnaires de la société LOTENY TELECOM, 28.650 actions de la catégorie B de ladite société, moyennant 1.500 000 USD ($); que l’article 9 de ladite convention disposait que : « les parties s’engagent à régler les différends nés de l’application des présentes à l’amiable.
A défaut, les différends sont soumis à Abidjan, à l’arbitrage de la Cour de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA »; que le 23 juin 2004, le nommé K., l’un des héritiers de feu K., assignait S. en nullité de la cession d’actions intervenue entre les parties devant le Tribunal de Première Instance d’Abidjan; qu’en cours de procédure, K. et S. transigeaient, et K. déclarait renoncer expressément et irrévocablement à tous droits et actions liés directement ou indirectement à l’assignation du 23 juin 2004 et se désister de son action; qu’alors que les parties attendaient que le délibéré fixé au 16 mars2005 fût vidé, A. faisait une intervention volontaire dans la procédure et le Tribunal saisi rendait le 29 juin 2005, après rabat du délibéré et réouverture des débats, le jugement n 1947; que sur appel relevé par Monsieur S. dudit jugement, la Cour d’Appel d’Abidjan confirmait celui-ci en toutes ses dispositions, par Arrêt n 552 du 12 mai 2006 dont pourvoi.
Sur le premier moyen pris en sa première branche
Vu les articles 23 du Traité institutif de l’OHADA et 4 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage.
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué, d’avoir violé ou commis une erreur dans l’application ou l’interprétation des articles 23 du Traité et 4 de l’Acte uniforme susvisés, en ce que la Cour d’Appel d’Abidjan, pour confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, a retenu que « le litige porte sur la validité et donc l’existence même de la convention et non sur son application; dans ces conditions, la clause compromissoire, qui ne joue que dans l’exécution de la convention, ne peut trouver application en l’espèce; c’est donc à juste titre que le premier juge a retenu sa compétence », alors que, selon le moyen, en application des dispositions des articles 23 du Traité et 4 de l’Acte uniforme sus indiqués, la Cour devait constater que la clause compromissoire était applicable, et se déclarer incompétente; qu’en ne le faisant pas, sa décision encourt cassation.
Attendu qu’aux termes des articles 23 du Traité et 4 de l’Acte uniforme susvisés, « tout tribunal d’un Etat Partie saisi d’un litige que les parties étaient convenues de soumettre à l’arbitrage, se déclarera incompétent si l’une des parties le demande, et renverra le cas échéant, à la procédure d’arbitrage prévue au présent Traité » et « la convention d’arbitrage est indépendante du contrat principal. Sa validité n’est pas affectée par la nullité de ce contrat et elle est appréhendée d’après la commune volonté des parties, sans référence nécessaire à un droit étatique ».
Attendu qu’il ressort de l’analyse des dispositions sus énoncées, que celles-ci posent deux principes, à savoir le principe de l’incompétence de toute juridiction étatique saisie d’un litige que les parties sont convenues de soumettre à une procédure d’arbitrage, et le principe de l’autonomie de la convention d’arbitrage par rapport au contrat principal auquel elle se rapporte; que dans le premier cas, toute juridiction d’un Etat Partie saisie d’un tel litige doit se déclarer incompétente lorsque l’une des parties en fait la demande; que dans le second cas et en vertu de ce principe de l’indépendance de la convention d’arbitrage par rapport au contrat principal, la validité de celle-là n’est pas affectée par la nullité de celui-ci et ladite validité est appréhendée d’après la commune volonté des parties, sans référence nécessaire à un droit étatique.
Attendu, en l’espèce, qu’en stipulant expressément à l’article 9 de la convention de cession d’actions signée le 09 juin 1999, que « les parties s’engagent à régler les différends nés de l’application des présentes à l’amiable.
A défaut, les différends sont soumis à Abidjan, à l’arbitrage de la Cour de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA », les parties ont exprimé leur commune volonté de faire trancher par des arbitres, tous les litiges, sauf ceux qu’elles auraient exclus expressément, le cas échéant, qui naîtraient de leur relation contractuelle; que la nullité du contrat qui contient la clause compromissoire est incontestablement un des litiges susceptibles de naître de la relation contractuelle; qu’il n’y a pas lieu de rechercher, comme le Tribunal et la Cour d’Appel l’ont fait, si le litige porte sur la validité et donc l’existence même de la convention, ou sur son application; qu’en effet, le principe d’autonomie de la convention d’arbitrage, par rapport au contrat principal auquel elle se rapporte, impose au juge arbitral, sous réserve d’un recours éventuel contre sa sentence à venir, d’exercer sa pleine compétence sur tous les éléments du litige à lui soumis, qu’il s’agisse de l’existence, de la validité ou de l’exécution de la convention; qu’ainsi, en retenant sa compétence pour confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, au motif que « le litige porte ici sur la validité et donc l’existence même de la convention et non sur son application; dans ces conditions, la clause compromissoire, qui ne joue que dans l’exécution de la convention, ne peut trouver application en l’espèce; c’est donc à juste titre que le premier juge a retenu sa compétence », la Cour d’Appel d’Abidjan a fait une mauvaise application des dispositions sus énoncées des articles 23 du Traité et 4 de l’Acte uniforme susvisés; qu’il échet en conséquence, de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres branches du premier moyen ainsi que le second moyen.
Sur l’évocation
Attendu que par exploit d’huissier en date du 09 novembre 2005, Monsieur S. a relevé appel du jugement n 1947 rendu le 29 juin 2005 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan-Plateau, et dont le dispositif est le suivant :
– « Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort.
Reçoit l’action de Monsieur K.
Le dit sans objet du fait de la transaction intervenue.
Rejette toutes les fins de non-recevoir soulevées par Monsieur S. contre l’intervention volontaire de Monsieur A.
Déclare donc recevable l’intervention volontaire de Monsieur A.
L’y dit fondée.
Déclare nulle et de nul effet, la cession d’action conclue le 09 juin 1999 entre feu K. et Monsieur S.
Déclare la demande reconventionnelle sans objet.
Condamne le défendeur aux entiers dépens de l’instance ».
Attendu qu’à l’appui de son appel, Monsieur S. estime que le Tribunal d’Abidjan est incompétent pour connaître du présent litige; que sur l’action de K., il estime que celle-ci est irrecevable parce que le susnommé n’a reçu aucun mandat de ses cohéritiers avant de l’intenter; que quant à l’action de A., il affirme que celle-ci est intervenue au moment où l’action de K. est éteinte par la transaction; qu’enfin, il sollicite la condamnation des intimés à lui payer la somme de 100 000 000 FCFA pour procédure abusive et vexatoire et qu’il sollicite également la condamnation de Souleymane AKA aux entiers dépens dont distraction au profit de Maîtres René BOURGOIN et Patrice K. KOUASSI, Avocats aux offres de droit.
Attendu que par conclusions en date du 06 janvier 2006, Monsieur A., intimé, par la voie de son Conseil Maître KOFFI Gilbert, soulève in limine litis l’irrecevabilité de l’appel pour violation des règles d’ajournement de l’audience, parce que selon lui, entre la date de l’acte d’appel et la comparution des parties, il doit y avoir soixante-dix jours, alors qu’en l’espèce, il y a eu moins; que par ailleurs, il invoque le défaut de communication des pièces.
Que subsidiairement au fond et dans ses écritures du 27 janvier 2006, Monsieur A. fait valoir que le jugement attaqué est tout à fait valable, l’action ne portant que sur l’annulation de la convention de cession d’actions et le paiement de dividendes indéterminés de l’exercice 1999, et ne porte pas sur la valeur de ces actions.
Attendu que relativement à la recevabilité de son intervention volontaire, Monsieur A., autre intimé, explique que non seulement il n’a pas consenti au désistement d’action, comme le prévoit l’article 52 alinéa 1er du Code de Procédure Civile, et comme l’a retenu le premier juge, mais encore, il n’a usé que de son action paulienne pour demander la nullité de ce désistement.
Que sur la nullité de la cession d’actions, il indique que celle-ci s’impose pour défaut de paiement du prix de la cession, non-respect du formalisme statutaire, vente éventuelle d’action d’autrui, non-respect du cahier des charges.
Attendu qu’en réplique, Monsieur S. soulève toujours la nullité du jugement intervenu, en faisant valoir que l’action est née du prétendu non-paiement de la somme convenue, de sorte que c’est l’application de la convention qui est en jeu, et relève aussi le défaut de qualité pour agir de K., ainsi que l’irrecevabilité de son action pour non-respect du préalable de règlement amiable; que l’intervention volontaire, poursuit-il, suivant le sort de l’action principale, l’action de Monsieur A. est irrecevable.
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux développés lors de l’examen du premier moyen de cassation, pris en sa première branche, il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris, de se déclarer incompétent en raison de la clause d’arbitrage, et de renvoyer la cause et les parties à la procédure d’arbitrage prévue à la convention de cession du 09 juin 1999.
Attendu que A. et K. ayant succombé, il échet de les condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré.
Casse l’Arrêt n 552 rendu le 12 mai 2006 par la Cour d’Appel d’Abidjan.
Évoquant et statuant sur le fond.
Infirme le jugement n 1974 rendu le 29 juin 2005 par la 3ème Chambre civile du Tribunal de Première Instance d’Abidjan.
Se déclare incompétente.
Renvoie la cause et les parties à la procédure d’arbitrage prévue à la Convention du 09 juin 1999.
Condamne A. et K. aux dépens.
Président : Jacques M’BOSSO.