J-09-104
Voir Ohadata J-08-250.
Et Ohadata J-08-241
Première espèce
CCJA – ARBITRAGE – RECEVABILITÉ D’UN RECOURS EN CONTESTATION DE VALIDITÉ D’UNE SENTENCE LORSQUE LES PARTIES ONT EXPRESSÉMENT CONVENU QUE TOUS DIFFÉRENDS LES OPPOSANT SERONT DÉFINITIVEMENT TRANCHÉS PAR UN TRlBUNAL ARBITRAL : OUI.
ARBITRAGE – ARBITRE STATUANT EN AMIABLE COMPOSITEUR – MISSION D’AMIABLE COMPOSITEUR NON CONFIEE PAR LES PARTIES – VIOLATION DE SA MISSION PAR L’ARBITRE – ANNULATION DE LA SENTENCE.
La convention d’arbitrage conclue par les parties, bien qu’ayant prévu que « tous différends découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci.. seront tranchés définitivement suivant le Règlement d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA », ne saurait interdire le recours en contestation de validité de sentence initié par la Société Nestlé Sahel, dès lors que, comme indiqué à l’article 29.2 du Règlement précité, il ne ressort pas de ladite convention une renonciation expresse audit recours; la locution adverbiale « définitivement », qui est purement usuelle, ne saurait impliquer à elle seule la renonciation au recours en contestation de validité spécialement prévu par le Règlement d’arbitrage susvisé, recours auquel les parties ne peuvent renoncer que par une disposition expresse de la convention d’arbitrage; tel n’étant pas le cas en l’espèce, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la SCIMAS.
Il ressort des énonciations de la sentence arbitrale attaquée, en ce qui concerne le préjudice causé par la Société Nestlé Sahel à la SCIMAS, que celle-ci, dans ses écritures et plaidoirie orale, envisage ledit préjudice au regard de 23 années de collaboration avec le groupe Nestlé; toutefois, le tribunal arbitral, « tout en estimant légitime une telle vision », n’a pas suivi la SCIMAS, aux motifs que sa compétence était déterminée par la clause compromissoire; il affirme avoir seulement pris en considération les relations de près de deux années civiles intervenues, selon lui, entre la SCIMAS et sa cocontractante, la Société Nestlé Sahel; dès lors, en condamnant, nonobstant les affirmations sus évoquées, la Société Nestlé Sahel à payer à la SCIMAS, toutes causes de préjudice confondues, la somme de cinq milliards de francs CFA, aux motifs que « le rôle important joué par la Société Nestlé Sahel en bout de la chaîne des sociétés du groupe Nestlé, dans la mise à l’écart brutale de la Société SCIMAS, est pris en considération pour l’évaluation du préjudice subi par la Société SCIMAS », le Tribunal arbitral a fondé ladite condamnation sur la période de vingt-trois années, pourtant contestées, résultant de la collaboration antérieure entre la SCIMAS et le groupe Nestlé au sein duquel la Société Nestlé Sahel est une entité autonome; en statuant ainsi, sans par ailleurs fournir des éléments d’appréciation fondés sur le droit ivoirien devant régir ladite procédure, le tribunal arbitral a usé des pouvoirs d’amiable compositeur que les parties ne lui ont pas conférés, l’amiable composition se définissant de manière négative, comme le pouvoir des arbitres, de ne pas s’en tenir à l’application stricte des règles de droit, ce qui permet aussi bien de les ignorer que de s’en écarter, en tant que leur sentiment de l’équité l’exige; il s’ensuit que la sentence arbitrale attaquée encourt les reproches visés au moyen et doit, en conséquence, être annulée.
Article 4 1 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 14 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 22-1 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 29 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 29-2 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 29-5, ALINEA 2 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE, arrêt n 028/2007 du 19 juillet 2007. « Société NESTLE SAHEL c/ Société commerciale d’importation AZAR et SALAME dite SCIMAS. Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), arrêt n 028/2007 du 19 juillet 2007, audience publique du 19 juillet 2007, recours en contestation de validité de sentence arbitrale n 64/2005/PC du 7 décembre 2005, affaire : Société Nestlé Sahel (conseil : Maître Medafe Marie Chantal, avocat à la Cour) contre Société commerciale d’importation Azar et Salame dite SCIMAS (conseil : Maître Frank Didier Toe, avocat à la Cour). Recueil de jurisprudence n 10, juillet-décembre 2007, p. 62. Penant n 867, p. 226, note Bakary DIALLO.
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), a rendu en assemblée plénière, l’arrêt suivant, en son audience publique du 19 juillet 2007.
Sur le recours enregistré le 7 décembre 2005 au greffe de la Cour de céans, sous le n 064/2005/PC et formé par Maître Medafe Marie Channtal, avocat à la Cour, demeurant à Abidjan, 8, boulevard Carde, immeuble La Résidence, ex-Borg, 1er étage, 04 BP 30 Abidjan 04, agissant au nom et pour le compte de la société Nestlé Sahel, dont le siège social est à Abidjan Cocody, rue du Lycée Technique, 08 BP 2612 Abidjan 08, dans la cause qui l’oppose à la Société commerciale d’importation Azar et Salame dite SCIMAS, sise à Ouagadougou (Burkina Faso), 862, avenue Yennenga, 01 BP 724 Ouagadougou 01, ayant comme conseil, Maître Frank Didier Toe, avocat à la Cour, 01 BP 1026 Ouagadougou 01.
En contestation de validité de la sentence arbitrale rendue le 13 octobre 2005 par le tribunal arbitral, dans l’Affaire nO 00212003/ ARB du 19 décembre 2003, et dont le dispositif est le suivant :
– « 1 ) Se déclare incompétent pour examiner la demande formulée le 24 novembre 2004 par Maître Olivier Weber, avocat à Marseille (à l’unanimité).
2 ) Déclare que l’examen de la demande incidente objet de la sentence partielle du 8 décembre 2004 est rendu inutile par la présente sentence (à l’unanimité).
3 ) Donne acte à la société SCIMAS, de ce qu’elle reconnaît sa dette, et dans le principe et dans le quantum de la demande principale de la société Nestlé Sahel (à l’unanimité).
4 ) Condamne la société SCIMAS à payer à la société Nestlé Sahel la somme de FCFA : un milliard cinq cent deux millions cent soixante quinze mille cinq cent quarante-trois (1.502.175.543), outre les intérêts de droit, pour compter du prononcé de la sentence (à l’unanimité).
5 ) Condamne également la société SCIMAS à payer à la société Nestlé Sahel, à titre de dommages-intérêts, la somme de cent vingt millions (120 000 000) de FCFA (à l’unanimité).
6 ) Déclare que l’installation d’un nouveau distributeur au Burkina Faso et la résiliation du contrat du 1er février 2002, engage la responsabilité contractuelle de la société Nestlé Sahel (à l’unanimité).
7 ) Condamne en conséquence la société Nestlé Sahel à payer à la société SCIMAS, toutes causes de préjudices confondues, la somme de FCFA cinq milliards (5 000 000 000) (à la majorité).
8 ) Liquide les frais à la somme totale de 123.295.116 FCFA.
Condamne les deux parties aux frais d’arbitrage dans la proposition de deux tiers à la charge de la société Nestlé Sahel S.A, soit quatre-vingt deux millions cent quatre-vingt seize mille sept cent quarante-trois (82.196.743) FCFA et d’un tiers à la charge de la société SCIMAS soit, quarante et un millions quatre-vingt dix-huit mille trois cent soixante treize (41 098.373) FCFA (à l’unanimité) ».
La requérante invoque à l’appui de son recours les deux moyens d’annulation en neuf branches, tels qu’ils figurent à la » requête aux fins d’annulation et d’évocation » annexée au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur le Juge Boubacar Dicko
Vu les articles 21 à 26 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu les dispositions des articles 29 et 30 du Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Vu le Règlement de procédure de ladite Cour.
Attendu que la Société Nestlé Sahel, requérante, sollicite de la Cour de céans, l’annulation de la sentence arbitrale sus indiquée, en ce qu’elle l’a condamnée à payer à la SCIMAS, sur demande reconventionnelle de celle-ci, la somme de 5 000 000 000 (cinq milliards) francs CFA; qu’au soutien de sa demande, la société Nestlé Sahel énonce, d’une part, que les arbitres ont statué sans se conformer à la mission qui leur avait été conférée, en ce que :
1 ) lesdits arbitres ont statué ultra petita : la Cour notera à cet égard, que le point c) de la sentence arbitrale, intitulé « violation de la clause d’exclusivité », ne correspond pas à une demande formulée par la SCIIMAS, qui n’a en aucun moment, sollicité une quelconque indemnisation du fait de la violation de la clause d’exclusivité; il s’est agi d’un moyen invoqué par la société Nestlé Sahel et combattu par la SCIMAS, au même titre que le moyen tiré des infiltrations et celui du surstockage, mais en aucune façon d’une demande expresse formulée par la SCIMAS, la preuve étant faite par l’analyse des questions soumises au tribunal; que celui-ci, en transformant un moyen de défense en demande, a incontestablement statué ultra petita et, de ce fait, la sentence querellée, qui a condamné la société Nestlé Sahel, « toutes causes de préjudices confondues », encourt l’annulation.
2 ) les arbitres ont violé la confidentialité : il résulte de l’aveu écrit du tribunal arbitral, que Maître Olivier Weber, avocat non constitué de la SCIIMAS et étranger à la présente procédure, détenait non seulement l’adresse personnelle de chaque arbitre, mais aussi connaissait le déroulement de la procédure, d’autant que les arbitres ont reçu son courrier la veille des audiences des 25 et 26 novembre 2004; que seule l’annulation de la sentence permet de sanctionner équitablement cette faute grave qui viole les dispositions de l’article 14 du Règlement d’Arbitrage de la Cour de céans.
3 ) le défaut d’indépendance d’au moins un arbitre composant le tribunal arbitral est avéré : le conseil de la SCIMAS, Maître Toe, ayant affirmé solennellement ne pas être à l’origine de la remise de documents confidentiels à Maître Olivier Weber, dénégation que le tribunal arbitral a semblé accepter, il va de soi que dans ces circonstances, à l’exclusion de l’Avocat ayant nié être l’auteur de la violation de la confidentialité, seul un arbitre a pu remettre les écritures de la société Nestlé Sahel à Maître Olivier Weber; que dès lors, la déclaration d’indépendance d’au moins un des arbitres s’avère être « un leurre », dont la société Nestlé Sahel s’aperçoit à la rédaction de la sentence, ayant cru de bonne foi, que les arbitres, dont l’attention avait été attirée sur la gravité des faits, en auraient tiré les conséquences de droit lors de la prise de décision, ainsi qu’ils s’y étaient engagés; que l’indépendance affirmée par les arbitres, par déclaration, se révélant inexistante face à l’attitude incontestablement complaisante du tribunal arbitral, au regard d’une faute aussi grave, l’annulation de la sentence devra être prononcée pour violation de l’article 4.1 du Règlement d’Arbitrage susvisé.
4 ) le tribunal arbitral a statué infra petita : la société Nestlé Sahel fait observer qu’en omettant de statuer sur la violation de la confidentialité expressément relevée par son conseil lors des audiences des 25 et 26 novembre 2004, le tribunal arbitral ne s’est pas conformé aux dispositions du Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.
5 ) l’absence manifeste de collégialité est établie : selon la société Nestlé Sahel, l’opinion dissidente de l’arbitre minoritaire est si éloignée de la sentence arbitrale qu’elle traduit l’absence manifeste de concertation sur la demande reconventionnelle de la SCIMAS; il s’ensuit que les arbitres ne se sont pas conformés à la mission qui leur a été conférée, laquelle était de statuer de manière collégiale sur toutes les questions à eux soumises.
6 ) le tribunal arbitral a violé sa mission, en jugeant en amiable compositeur, alors que l’obligation lui était faite d’appliquer la loi ivoirienne : selon la société Nestlé Sahel, en retenant sa responsabilité dans la rupture du contrat de distribution le liant à la SCIMAS et pour fixer le montant de cinq milliards de francs CFA à titre de condamnation contre elle, le tribunal arbitral ne s’est fondé sur aucun texte de droit; bien au contraire, il est incontestable qu’il a jugé en équité, lorsqu’il affirme que » la société SCIIMAS, dans ses écritures et sa plaidoirie orale, envisage à juste titre, son préjudice au regard des 23 années de collaboration avec le groupe Nestlé; le tribunal, tout en estimant légitime une telle vision, ne peut suivre la société SCIMAS, la compétence du tribunal étant déterminée par la clause compromissoire »; la subjectivité du tribunal arbitral, telle que résultant des deux phrases précitées, a pris le dessus sur l’application stricte de la loi, puisque, en même temps qu’il affirme que « seule la non-arbitrabilité des relations de la société SCIMAS avec le groupe Nestlé Sahel, antérieures au 1er février 2002, fait obstacle à la prise en considération par le tribunal, de ladite période », il conclut de façon tout à fait inattendue, que « toutefois, le rôle important joué par la société Nestlé Sahel, en bout de la chaîne des sociétés du groupe Nestlé, dans la mise à l’écart brutale de la société SCIMAS, est pris en considération pour l’évaluation du préjudice subi par la société SCIMAS »; une telle décision, qui ne fait référence à aucun texte de droit, n’est fondée que sur l’équité, puisque le tribunal arbitral passe outre le droit qui limitait son appréciation aux 18 mois de relations contractuelles, pour prendre en compte la situation de la société Nestlé Sahel dans le groupe Nestlé, avec lequel la SCIMAS a travaillé pendant 23 ans; il apparaît donc que Nestlé Sahel a été condamnée en considération des 23 ans de collaboration antérieure dont se prévalait la SCIMAS et qui, légalement, ne lui sont pas opposables, puisque le tribunal arbitral avoue « avoir pris en considération sa position en bout de la chaîne des sociétés du groupe Nestlé »; il apparaît qu’en se déterminant ainsi, le tribunal arbitral a statué en équité, alors que celle-ci, comme moyen de rendre une décision, n’est admise que lorsque l’arbitre a reçu des parties, le pouvoir de statuer en amiable compositeur; que ce faisant, ledit tribunal a violé la mission qui lui avait été conférée, telle qu’elle résulte de la clause compromissoire rappelée dans le procès-verbal du 29 juillet 2004, et qui était de statuer selon la loi ivoirienne; que la violation de la mission étant flagrante, la sentence querellée encourt annulation.
Attendu que Nestlé Sahel relève, d’autre part, que la sentence arbitrale attaquée est contraire à l’ordre public international et viole l’article 22.1 du Règlement d’arbitrage susvisé, en ce qu’elle n’est pas motivée, ledit article disposant que « sauf accord contraire des parties et sous réserve qu’un tel accord soit admissible au regard de la loi applicable, toutes les sentences doivent être motivées »; que par ailleurs, la loi applicable en l’espèce étant la loi ivoirienne, l’article 142, alinéa 4, du Code de procédure civile, dispose que « tout jugement doit contenir les motifs en droit et en fait, précédés d’un résumé des prétentions des parties »; qu’à cet égard, force est de constater les lacunes dans la motivation d’une sentence aussi lourde de conséquences financières; qu’ainsi, la Cour de céans prononcera l’annulation de ladite sentence, pour trois motifs essentiels :
a) l’absence de motifs de droit pour conclure à la survivance de la clause d’exclusivité : pour conclure que « la clause d’exclusivité, comme l’entier contrat, est demeurée en vigueur jusqu’à la résiliation intervenue », le tribunal n’a évoqué le moindre argument de droit, ainsi qu’il s’était engagé à le faire; pis, le tribunal avoue avoir renoncé6 à rechercher la portée juridique du Règlement n 002 1 2002/CMIUEMOA, « trouvant cette démarche non pertinente », alors même que la démarche juridique appropriée aurait consisté à exercer le recours préjudiciel auprès de la Cour de Justice de l’UEMOA, pour obtenir une réponse fondée en droit; force est de constater qu’aucun texte de droit, aucune argumentation juridique rigoureuse, ne sont appliqués au fond de la sentence qui a été rendue sur la base d’affirmations gratuites, qui ne sont étayées par aucun élément sérieux; une telle sentence, qui n’est donc absolument pas fondée en droit, viole assurément l’ordre public international.
b) la contrariété des motifs dans l’argumentaire du tribunal arbitral pour entrer en voie de condamnation contre la société Nestlé Sahel : en effet, d’une part, ledit tribunal prétend ne pas prendre en compte les relations antérieures de la SCIMAS avec le groupe Nestlé, lorsqu’il affirme que « seule la non-arbitrabilité des relations de la SCIMAS avec le groupe Nestlé, antérieurement au 1er février 2002, fait obstacle à la prise de considération par le tribunal, de ladite période », d’autre part, ledit tribunal arbitral affirme le contraire, puisqu’il condamne la société Nestlé Sahel en raison de sa position au sein des sociétés du groupe Nestlé, lorsqu’il énonce que « le rôle important joué par la société Nestlé Sahel, en bout de la chaîne des sociétés du groupe Nestlé, dans la mise à l’écart brutale de la société SCIMAS, est pris en considération pour l’évaluation du préjudice subi par la société SCIMAS »; ainsi, en disant une chose et son contraire, le tribunal arbitral a violé l’ordre public international, du fait de la contrariété des motifs; que par suite, la sentence querellée encourt l’annulation.
c) l’absence de motivation dans la fixation du montant de la condamnation : en violation de l’article 142 du Code de procédure civile ivoirien, la condamnation de la société Nestlé Sahel au paiement de la somme de cinq milliards de francs CFA ne repose sur aucun fondement d’ordre juridique ou comptable; en effet, le tribunal arbitral ne dit pas en quoi ladite somme constitue une « juste proportion » pour 18 mois de relations contractuelles, sans aucune référence au chiffre d’affaires et à la marge bénéficiaire réelle du demandeur; le caractère vague à souhait du terme « juste proportion » équivaut à une absence totale de motivation; il est indéniable qu’une condamnation non motivée, dont les conséquences financières sont lourdes, viole l’ordre public international, la disproportion entre la légèreté de l’argumentaire et l’importance de la condamnation rendant encore plus intolérable cette violation et justifiant l’annulation de cette sentence totalement infondée.
Attendu que pour sa part, dans son mémoire en réponse en date du 12 janvier 2006 reçu à la Cour de céans le 16 janvier 2006, la SCIMAS, sous la plume de son conseil Maître Toe Frank Didier, avocat à la Cour, soulève in limine litis à titre principal, l’irrecevabilité de la requête en annulation de la société Nestlé Sahel, aux motifs que la convention d’arbitrage qui lie les parties, ayant prévu que « tous différends découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci.. seront tranchés définitivement suivant le Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA », et qu’il résulte de cette énonciation, que les parties ont renoncé à toute voie de recours et donc, à la possibilité de contester la validité de la sentence, dès lors que celle-ci est rendue à titre définitif par le tribunal arbitral; que la Cour devra donner à l’adverbe « définitivement », tout son sens; que de la mention de cet adverbe dans la convention d’arbitrage précitée, il doit être tiré les conséquences du choix des parties, de donner aux arbitres, le pouvoir de statuer de manière définitive, conformément à l’article 29.2 du Règlement d’arbitrage susvisé, aux termes duquel le recours en contestation de validité d’une sentence n’est recevable que si, dans la convention d’arbitrage, les parties n’y ont pas renoncé; que dès lors, la Cour de céans, en application dudit artiicle, doit déclarer irrecevable la requête en annulation formée par la société Nestlé Sahel; que, subsidiairement et dans le cas où, par extraordinaire, la requête de la société Nestlé Sahel serait déclarée recevable, la SCIMAS sollicite le rejet, tant du recours en annulation de la sentence arbitrale introduit le 7 décembre 2005 par la société Nestlé Sahel, que de la demande d’évocation formulée par celle-ci; qu’elle sollicite en outre, l’exequatur de la ladite sentence et la condamnation de la société Nestlé Sahel aux dépens.
Sur la recevabilité du recours
Attendu que la SCIMAS allègue in limine litis qu’en convenant que tous différends seront tranchés définitivement par un tribunal arbitral, les parties ont expressément renoncé au recours en contestation de validité prévu par l’article 29 du Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, de sorte que la présente requête de la société Nestlé Sahel est irrecevable.
Mais, attendu que la convention d’arbitrage conclue par les parties, bien qu’ayant prévu que « tous différends découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci.. seront tranchés définitivement suivant le Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA », ne saurait interdire le recours en contestation de validité de sentence initié par la société Nestlé Sahel, dès lors que, comme indiqué à l’article 29.2 du Règlement précité, il ne ressort pas de ladite convention, une renonciation expresse audit recours; que la locution adverbiale « définitivement », qui est purement usuelle, ne saurait impliquer à elle seule, la renonciation au recours en contestation de validité spécialement prévu par le Règlement d’arbitrage susvisé, recours auquel les parties ne peuvent renoncer que par une disposition expresse de la convention d’arbitrage; que tel n’étant pas le cas en l’espèce, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la SCIMAS.
Sur le premier moyen pris en sa sixième branche
Attendu qu’il est reproché au tribunal arbitral, d’avoir violé sa mission en jugeant en amiable compositeur, alors que l’obligation lui était faite d’appliquer la loi ivoirienne; qu’en effet, selon la requérante, pour retenir sa responsabilité dans la rupture du contrat de distribution la liant à la SCIIMAS, ledit tribunal, en fixant à cinq milliards de francs CFA le montant de la condamnation prononcée contre elle, ne s’est fondé sur aucun texte de droit; qu’en affirmant notamment, que « ..le rôle important joué par la société Nestlé Sahel, en bout de la chaîne des sociétés du groupe Nestlé, dans la mise à l’écart brutale de la société SCIMAS, est pris en considération pour l’évaluation du préjudice subi par la société SCIMAS », le tribunal arbitral passe outre le droit qui limitait son appréciation aux 18 mois de relations contractuelles, pour prendre en compte la situation de la société Nestlé Sahel dans le groupe Nestlé, avec lequel la SCIMAS a travaillé pendant 23 ans; qu’ainsi, il apparaît que la société Nestlé Sahel a été condamnée en considération des 23 ans de collaboration antérieure dont se prévalait la SCIMAS et qui, légalement, ne lui sont pas opposables, puisque le tribunal avoue « avoir pris en considération sa position en bout de chaîne des sociétés du groupe Nestlé »; qu’en statuant ainsi, le tribunal arbitral a jugé en équité, alors que celle-ci, comme moyen de rendre une décision, n’est admise que lorsque l’arbitre a reçu des parties, le pouvoir de statuer en amiable compositeur; que ce faisant, ledit tribunal a violé la mission qui lui avait été conférée, telle qu’elle résulte de la clause compromissoire rappelée dans le procès-verbal du 29 juillet 2004, et qui était de statuer selon la loi ivoirienne; que la violation de la mission étant flagrante, la sentence querellée encourt annulation.
Attendu qu’il ressort des énonciations de la sentence arbitrale attaquée, en ce qui concerne le préjudice causé par la société Nestlé Sahel à la SCIIMAS, que celle-ci, dans ses écritures et plaidoirie orale, envisage ledit préjudice au regard de 23 années de collaboration avec le groupe Nestlé; que toutefois, le tribunal arbitral, « tout en estimant légitime une telle vision », n’a pas suivi la SCIMAS, aux motifs que sa compétence était déterminée par la clause compromissoire; qu’il affirme avoir seulement pris en considération, les relations de près de deux années civiles intervenues, selon lui, entre la SCIMAS et sa cocontractante, la société Nestlé Sahel; que dès lors, en condamnant, nonobstant les affirmations sus évoquées, la société Nestlé Sahel à payer à la SCIMAS, toutes causes de préjudice confondues, la somme de cinq milliards de francs CFA, aux motifs que « le rôle important joué par la société Nestlé Sahel, en bout de la chaîne des sociétés du groupe Nestlé, dans la mise à l’écart brutale de la société SCIMAS, est pris en considération pour l’évaluation du préjudice subi par la société SCIMAS », le tribunal arbitral a fondé ladite condamnation sur la période de vingt-trois années, pourtant contestées, résultant de la collaboration antérieure entre la SCIMAS et le groupe Nestlé, au sein duquel la société Nestlé Sahel est une entité autonome. Qu’en statuant ainsi, sans par ailleurs fournir des éléments d’appréciation fondés sur le droit ivoirien devant régir ladite procédure, le tribunal arbitral a usé des pouvoirs d’amiable compositeur, que les parties ne lui ont pas conférés, l’amiable composition se définissant de manière négative, comme le pouvoir des arbitres, de ne pas s’en tenir à l’application stricte des règles de droit, ce qui permet aussi bien de les ignorer que de s’en écarter, en tant que leur sentiment de l’équité l’exige; qu’il s’ensuit que la sentence arbitrale attaquée encourt les reproches visés au moyen et doit, en conséquence, être annulée.
Sur l’évocation
Attendu que la Société Nestlé Sahel sollicite qu’il plaise à la Cour de céans, après avoir annulé la sentence arbitrale attaquée, d’évoquer et, statuant à nouveau, de condamner la SCIMAS au paiement des sommes suivantes :
– 1.502.175.543 francs CFA au titre de la créance formellement reconnue par la SCIMAS;
– 120 000 000 francs CFA à titre de dommages-intérêts;
– et en outre, aux entiers dépens de l’instance.
Attendu que dans son » mémoire en réponse à la requête aux fins d’annulation »reçu à la Cour de céans le 16 janvier 2006, la SCIMAS, sous la plume de son conseil, Maître Toe Frank Didier, avocat à la Cour, s’oppose à l’évocation sollicitée par la Société Nestlé Sahel; qu’elle estime que cette demande d’évocation n’est pas fondée et devrait être purement et simplement rejetée, dès lors que les parties ont convenu que tout litige qui résulterait du contrat de distribution du 1er février 2002 « sera tranché exclusivement et définitivement, par arbitrage ».
Attendu qu’aux termes de l’article 29.5, alinéa 2 du Règlement d’arbitrage susvisé, la Cour « évoque et statue au fond, si les parties en ont fait la demande ».
Attendu qu’il s’infère des dispositions de l’article 29.5, alinéa 2, sus énoncé du Règlement d’arbitrage susvisé, que l’évocation doit résulter de la volonté commune clairement exprimée des parties; qu’en l’espèce, en raison de l’opposition marquée de la SCIMAS qui se fonde, à juste titre, à cet égard, sur les stipulations du contrat de distribution précité la liant à la société Nestlé Sahel, lequel n’a pas prévu l’évocation, il convient de conclure que les conditions d’application dudit article ne sont pas réunies; qu’il y a lieu, en conséquence, de rejeter la demande d’évocation de la société Nestlé Sahel.
Attendu qu’aux termes de l’article 29.5, alinéa 3 du Règlement précité, « si les parties n’ont pas demandé l’évocation, la procédure est reprise, à la requête de la partie la plus diligente, à partir, le cas échéant, du dernier acte de l’instance arbitrale reconnu valable par la Cour ».
Attendu que le dernier acte de l’instance arbitrale devant être considéré comme valable est, en l’occurrence, le mémoire en date du 08 avril 2005 de la SCIMAS pris en réplique au mémoire en réponse en date du 25 mars 2005 de la société Nestlé Sahel.
Attendu qu’il Y a lieu de décider que chaque partie supporte ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré.
Déclare recevable, le recours en contestation de validité de sentence arbitrale formé par la Société Nestlé Sahel.
Annule ladite sentence arbitrale.
Rejette la demande d’évocation de la Société Nestlé Sahel.
Dit que la procédure arbitrale pourra être reprise à la requête de la partie la plus diligente, à partir du dernier acte reconnu valable par la Cour de céans, à savoir le mémoire en date du 8 avril 2005 de la SCIMAS, pris en réplique au mémoire en réponse en date du 25 mars 2005 de la Société Nestlé Sahel.
Dit que chaque partie supporte ses propres dépens.
Président : FALL Ndongo.
Deuxième espèce
ARBITRAGE – SENTENCE ARBITRALE – ANNULATION D’UNE SENTENCE ARBITRALE POUR NON RESPECT DE LA MISSION CONFIEE AU TRIBUNAL ARBITRAL : NON.
ARBITRAGE – SENTENCE ARBITRALE – ANNULATION D’UNE SENTENCE ARBITRALE POUR VIOLATION DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE : NON.
ARBITRAGE – SENTENCE ARBITRALE – ANNULATION D’UNE SENTENCE ARBITRALE POUR VIOLATION DES PRINCIPES D’ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL : NON.
En application du Règlement d’arbitrage de la Cour de céans, en son article 17 auquel les parties avaient convenu de soumettre le litige, l’arbitre tiendra compte des usages de commerce dans tous les cas, c’est-à-dire même lorsque les parties ont expressément désigné la loi devant s’appliquer au différend; en l’espèce, en se référant aux usages de commerce, dont l’existence n’est pas contestée par la requérante, le tribunal arbitral a statué en droit, ainsi qu’il en avait l’obligation, conformément au procès verbal du 13 septembre 2004.
Il est satisfait au principe du contradictoire, dès lors que chaque partie a eu la possibilité d’examiner et de discuter les pièces, ainsi que les moyens soumis au tribunal arbitral; en l’espèce, la sentence énonce que « toutes les pièces ont été bien reçues et qu’aucune d’entre elles n’a été dissimulée; que les parties ont disposé de tout le temps nécessaire et utile pour débattre »; il en résulte que le principe du contradictoire n’a pas été violé.
Au regard de l’ article 19 du Règlement d’arbitrage de la Cour de céans disposant que « l’arbitre instruit la cause dans les plus brefs délais par tous les moyens appropriés »; il appartient au tribunal arbitral, d’apprécier les mesures d’instruction adéquates à la solution du litige; que par conséquent, en décidant, au vu « des données particulièrement complexes de la situation » débattues contradictoirement par toutes les parties, « qu’il ne saurait donc en l’espèce, conclure à l’existence d’un cas de force majeure », le tribunal arbitral ayant rendu la sentence attaquée, n’a pas méconnu le principe d’égalité de traitement entre les parties, qui doit être respecté en matière d’arbitrage; et le second reproche invoqué n’entre pas dans le domaine d’application de l’article 30.6 du même Règlement, lequel énumère limitativement les griefs qui peuvent être opposés à la sentence, lesquels tiennent à l’absence, la nullité ou l’expiration de la convention d’arbitrage, à l’absence de conformité de la décision de l’arbitre à sa mission, à la violation du principe du contradictoire et à la contrariété de la sentence à l’ordre public international; il résulte des motifs retenus ci-dessus, que la sentence attaquée n’est pas incompatible avec les principes juridiques invoqués par la SIR, d’où il suit qu’en aucune de ses deux branches, le moyen ne peut être accueilli.
Article 17 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 19 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 30-6 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Article 29 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA
Arrêt n 029/2007 du 19 juillet 2007 « Société ivoirienne de raffinage dite SIR ci BONA SHIPHOLDING Ltd. Cour Commune de Justice et d’arbitrage (CCJA), arrêt n 029/2007 du 19 juillet 2007, audience publique du 19 juillet 2007, recours en contestaation de validité de sentence arbitrale n 00812006/PC du 20 février 2006, affaire : Société Ivoirienne de Raffinage dite SIR SA (conseils : SCPA Ahoussoun, Konan et associés, avocats à la Cour) contre 1 / Bona Shippholding Ltd, 2 / Monsieur Atle Lexerod, 3 / TTeekay Shipping Norway AS, 4 / Teekay Shipping Canada Ltd, 5 / Standard Steamship Owner’s Protection and Indemnity Association Ltd (conseils : Maîtres Timoty Cleemens Jones et Stanislas Lequette du Cabinet Holman, Fenwick et William, et Maître Martin Nomel, avocats à la Cour). Recueil de Jurisprudence n 10, juillet-décembre 2007, p. 12. Penant n 867, p. 226 s.
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), a rendu en assemblée plénière, l’arrêt suivant, en son audience publique du 19 juillet 2007, où étaient présents.
Sur le recours enregistré le 20 février 2006 au greffe de la Cour de céans sous le numéro 00812006/PC et formé par la SCPA Ahoussou Konan et associés, avocats à la Cour, demeurant à Abidjan, 19, boulevard Angoulvant, Résidence Neuilly, 01 BP 1366 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de la Société Ivoirienne de Raffinage dite SIR, dont le siège social est Abidjan, route de Vridi, 01 BP 1263 Abidjan 01.
En contestation de validité de la sentence rendue le 31 octobre 2005 par le Tribunal arbitral composé de Messieurs Alfred Smith, Emmanuel Fontaine, arbitres, et Philippe Delebecque, président, et dont le dispositif est le suivant :
– « Le tribunal, après en avoir délibéré, statuant contradictoirement et en dernier ressort :
1 : rejette la demande des parties visant à écarter des débats certaiines pièces;.
2 : se déclare incompétent pour connaître de l’action en responsabiilité de la Société Ivoirienne de Raffinage (SIR) à l’encontre de.
– la société Bona Shipholding Ltd, propriétaire du navire « Teekay Fountain »;.
– M. Atle Lexerod, capitaine du navire;.
– la société Teekay Fountain Shipping Norway AS, « manager » du navire;.
– la société Teekay Fountain Shipping Canada Ltd;.
3 : se déclare non compétent pour connaître de l’action de la SIR à l’encontre.
– du Club de Protection : Steamship Owner’s Protection and Indemnity Association.
– de la société Waibs, consignataire du navire, et.
– de la société TCI Africa CI.
et renvoie, par conséquent, la SIR à mieux se pourvoir à l’égard de ces personnes;.
4 : déclare recevable l’action en responsabilité engagée par la SIR à l’encontre de la société Bona Shipholding Ltd, du Capitaine Lexerod et des sociétés Teekay Fountain Norway AS et Teekay Fountain Canada Ltd;.
5 : déclare non fondée l’action en responsabilité engagée par la SIR à l’encontre de la société Teekay Norway AS et de la société Teekay Canada Ltd, en ce qu’aucune garde ni aucune faute n’a été démontrée à leur égard;.
6 : dit que l’évènement du 3 juillet 2000, à l’origine des dommages subis à la fois par la SIR et par les défendeurs, s’explique par plusieurs facteurs tenant au fait du navire, à l’existence de courant et au caractère inapproprié du terminal pour le type de navire en cause dans les circonstances climatiques exceptionnelles du moment;.
7 : décide que la responsabilité de ces dommages subis par la SIR incombe, partiellement, compte tenu de la faute imputable à la SIR, à la société Bona Shipholding;.
8 : précise que la société Bona Shipholding s’exonère partiellement de sa responsabilité en l’état, de la faute de la SIR ayant contribué à la réalisation de l’évènement dans une proportion fixée à deux tiers;.
9 : met hors de cause le Capitaine Ade Lexerod, commandant le navire Teekay Fountain;.
10 : dit que les préjudices subis par la SIR, pour les montants reconnus admissibles par le tribunal, seront supportés à hauteur de un tiers par la société Bona Shipholding Ltd;.
Il : condamne en conséquence, la société Bona Shipholding Ltd à payer à la SIR, la somme de deux cent quarante trois mille six cent vingt trois euros (243.623 euros);.
12 : dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la demande d’arbitrage;.
13 : prononce la capitalisation de ces intérêts;.
14 : dit n’y avoir lieu à exécution provisoire;.
15 : déclare recevable la demande reconventionnelle en responsabilité introduite par la société Bona Shipholding Ltd à l’encontre de la SIR;.
16 : déclare cette demande reconventionnelle fondée, en ce qu’elle émane de la société Bona Shipholding Ltd;.
17 : déclare cette demande reconventionnelle irrecevable et non fonndée, en ce qu’elle émane des sociétés Teekay Norway AS et Teekay Canada Ltd, ainsi que du Capitaine Atle Lexerod;.
18 : décide que la SIR devra réparer le préjudice subi par la société Bona Shipholding Ltd, pour les montants reconnus admissibles par le triibunal, dans une proportion de deux tiers;.
19 : condamne en conséquence, la SIR à payer aux sociétés Bona Shiipholding Ltd, la somme de cent soixante quatorze mille trois cent quatre vingt huit euros (174.388 euros);.
20 : dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2005;.
21 : dit que les frais et honoraires d’arbitrage seront supportés dans des proportions identiques, d’une part par la SIR, d’autre part par la société Bona Shipholding Ltd;.
22 : liquide ces frais et honoraires à la somme de cent cinquante quatre millions six cent dix neuf mille trois cent cinquante deux francs CFA (154.619.352 FCFA);.
23 : rejette toutes les autres demandes et prétentions de parties »; ladite sentence ayant été rendue dans le litige qui l’oppose à.
1/ Bona Shipholding Ltd, société de droit des Bermudes, dont le siège social est : Cedar House, 41 Cedar Avenue, PO Box HM 1179, HM 12 Hamilton, Bermudes, prise en la personne de son représentant légal;.
2/ Atle Lexerod, capitaine commandant le navire Teekay Fountain, domicilié Kobberslagervein 2C 1526 Moss, Norvège;.
3/ Teekay Shipping Norway AS, dont le siège social est à Langkaia PO Box 470, Centrum N-0105 Oslo, Norvège, prise en la personne de son représentant légal;.
4/ Teekay Shipping Canada LTD, dont le siège est : Suite 14000 One Bentali Centre, 505 Burrad Street, Vancouver, Canada, prise en la personne de son représentant légal;.
5/ Standard Steamship Owner’s Protection and Indemnity Association (Bermuda) Ltd, dont le siège social est à Dallas Building, 7 Victoria Street PO Box 1743 HMGX Hamilton, Bermudes, prise en la personne de son représentant légal;.
ayant toutes pour conseils, Maîtres Timoty Clemens Jones et Stanislas Lequette du Cabinet Holman, Fenwick et William, 65 rue d’Anjou, 75008 Paris et Maître Martin Nomel, avocat à la Cour, 20-22, boulevard Clozel, Immeuble Acacia, 01 BP 5081 Abidjan, Côte d’Ivoire;.
La requérante invoque à l’appui de son recours, les trois moyens d’annulation tels qu’ils figurent à la « requête en contestation de validité d’une sentence arbitrale rendue le 31 octobre 2005 à Abidjan » annexée au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur Antoine Joachim Oliveira, second vice président
Vu les articles 21 à 26 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu le Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA en ses articles 29 et 30.
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.
Attendu qu’à la suite d’une vente franco bord négociée entre la Société Ivoirienne de Raffinage dite SIR et la société Trafirura Ltd portant sur 45 000 tonnes métriques de VGO (Vaccum Gas Oil), cette dernière a affrété, le 20 juin 2000, par charte partie au voyage, auprès d’un armateur, la société Bona Shipping Ltd, représentée par Teekay Shipping Norway AS, le navire Teekay Fountain, battant pavillon norvégien, commandé par le capitaine Atle Lexerod, pour transporter le produit acheté; que la SIR, à laquelle Trafirura Ltd, sa cliente habituelle, avait le 16 mai 2000, transmis les caractéristiques du navire, en lui demandant de « confirmer » que ledit navire était en mesure d’accoster à son terminal, lui a répondu affirmativement, sans aucune réserve; que le navire, arrivé sur la rade le 30 juin 2000 a, conformément à la réglementation du port, embarqué un pilote et l’équipage d’amarrage de la SIR, ainsi que deux conteneurs de matériel nécessaire à cette équipe; qu’après la mise en place du navire et son amarrage au terminal CBM par l’équipe d’amarrage, assistée du pilote, le contremaître a quitté le navire en y laissant son équipe sous l’autorité du supérieur du préposé du terminal, chargé de conseiller les capitaines de navires pour la manœuvre d’approche du terminal, les opérations d’amarrage et de désamarrage, et le branchement des flexibles; que le 3 juillet 2000, les opérations de chargement commencées le 01 juillet 2000, ont été arrêtées en raison de la rupture de l’amarre n 2, du largage des autres amarres; que dans la nuit du 3 au 4 juillet 2000, le terminal a subi de graves dommages l’ayant laissé hors d’usage jusqu’en septembre 2000, tandis que le propriétaire du navire faisait état d’avaries importantes subies par celui-ci; que le 14 juillet 2001, la SIR, pour protéger ses droits, a fait pratiquer la saisie conservatoire du navire Teekay Fountain; que le 21 juillet 2001, les parties ont signé un protocole d’accord, aux termes duquel, d’une part, la Standard Steamship Club s’est engagée à fournir une garantie en contrepartie de la mainlevée de la saisie, d’autre part, qu’ » A défaut d’accord transactionnel entre les parties, tout litige entre la SIR et l’armateur du navire Teekay Fountain et/ou de son capitaine relatif aux dommages causés au terminal, sera soumis à la compétence exclusive d’un collège arbitral de trois arbitres, établi sous le contrôle de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, en conformité avec le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique. L’arbitrage aura lieu à Abidjan »; qu’ainsi, faute d’accord transactionnel entre les parties, la SIR, par requête aux fins d’arbitrage du 3 juillet 2001, a saisi la Cour de céans en lui demandant de mettre en œuvre la procédure arbitrale, en application de la clause compromissoire précitée contenue dans le protocole d’accord du 21 juillet 2000; que le 8 mars 2002, la SIR, d’un côté, la société Bona Shipholding, le Commandant Lexerod, les sociétés Teekay Shipping Norrway, Teekay Shipping Canada, Waibs, Le Standard Club et TCI Africa, de l’autre, ont signé un protocole d’accord ex6pressément soumis à la loi ivoirienne, dans lequel il a été précisé notamment, que :
– « la société Bona Shipholding et M. Lexerod déclaraient renoncer à maintenir Me de Richemont en qualité d’arbitre et s’engageaient à désigner, en remplacement, un autre arbitre (ce qui fut fait ultérieurement, en la personne de Me Emmanuel Fontaine).
– la société Bona Shipholding, M. Lexerod et la SIR confirmaient leur accord pour que le litige les opposant soit tranché par le tribunal arbitral désigné.
– la société Bona Shipholding, le capitaine du navire et la SIR déclaraient renoncer à soulever l’exception d’incompétence du tribunal ainsi désigné, et la SIR s’engageait à se désister de l’instance judiciaire introduite à Abidjan ».
Que le 30 avril 2002, la Cour de céans a confirmé Messieurs Smith, Fontaine et Delebecque en qualité d’arbitres; que le 13 septembre 2004, les arbitres et les conseils des parties ont convenu dans un procès-verbal, que l’arbitrage aura lieu en droit et dans les conditions fixées par le Règlement d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage; que le 31 octobre 2005, le tribunal arbitral, composé comme il a été indiqué ci-dessus, a rendu sa sentence, laquelle a été signifiée à la SIR le 21 décembre 2005; que la SIR a formé un recours en contestation de validité de ladite sentence, aux motifs que les arbitres n’ont pas respecté, d’une part, leur mission, d’autre part, le principe du contradictoire; enfin, qu’ils ont violé la règle « d’ordre public procédural et substantiel des Etats membres de l’OHADA »; qu’elle demande que la Cour de céans évoque et statue au fond sur le litige, et condamne les défendeurs à lui payer une indemnité de 250 000 euros pour les frais irrépétibles, ainsi qu’à tous les dépens d’arbitrage, sauf à parfaire.
Attendu que les défendeurs font valoir qu’en toute hypothèse, le recours est mal fondé, et demandent la condamnation de la SIR à leur payer, d’une part, la somme de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, d’autre part, la somme de 300 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés pour la présente procédure, et enfin, aux entiers dépens.
Sur le premier moyen pris du non-respect de la mission confiée au tribunal arbitral
Attendu qu’il est fait grief à la sentence attaquée, d’avoir été rendue par les arbitres, en application des usages de commerce, alors qu’ils ne peuvent les utiliser que pour désigner la loi issue de la règle du conflit qu’ils jugent appropriée au règlement du litige; qu’en statuant ainsi, alors que les arbitres avaient pour mission de statuer exclusivement en droit sur les demandes dont ils étaient saisis, la sentence encourt l’annulation.
Mais, attendu qu’en application du Règlement d’arbitrage de la Cour de céans, en son article 17 auquel les parties avaient convenu de soumettre le litige, l’arbitre tiendra compte des usages de commerce dans tous les cas, c’est-à-dire même lorsque les parties ont expressément désigné la loi devant s’appliquer au différend; qu’en l’espèce, en se référant aux usages de commerce, dont l’existence n’est pas contestée par la requérante, le tribunal arbitral a statué en droit ainsi qu’il en avait l’obligation, conformément au procès-verbal du 13 septembre 2004.
Sur le deuxième moyen pris de la violation du principe du contradictoire
Attendu que la requérante fait également grief à la sentence attaquée, d’avoir été rendue sans que le tribunal arbitral lui ait permis de discuter, d’une part, « les hypothèses avancées par l’armateur et validées par le tribunal pour statuer sur la responsabilité, d’autre part, la part de responsabilité attribuée à chaque partie, tant « dans la demande principale que dans la demande reconventionnelle »; qu’en statuant ainsi, le tribunal arbitral a méconnu le principe du contradictoire.
Mais attendu qu’il est satisfait au principe du contradictoire, dès lors que chaque partie a eu la possibilité d’examiner et de discuter les pièces ainsi que les moyens soumis au tribunal arbitral; qu’en l’espèce, la sentence énonce que » toutes les pièces ont été bien reçues et qu’aucune d’entre elles n’a été dissimulée; que les parties ont disposé de tout le temps nécessaire et utile pour débattre »; qu’il en résulte, que le principe du contradictoire n’a pas été violé.
Sur le troisième moyen fondé sur la violation des principes d’ordre public international des Etats parties de l’OHADA, pris en ses deux branches
Attendu que la requérante fait enfin grief à la sentence attaquée, d’avoir violé les principes fondamentaux de bonne justice applicables à tout procès arbitral ou judiciaire que sont, d’une part, le principe d’égalité de traitement des parties, que le tribunal arbitral n’a pas, en l’espèce, respecté en dispensant les parties défenderesses de faire la preuve d’une condition exonératoire qu’elles avaient alléguée, alors qu’elle avait supporté la preuve de tous les faits qu’elle avait allégués, aussi bien dans la demande principale que dans la demande reconventionnelle, d’autre part, le principe selon lequel l’ armateur ne peut « obtenir d’un tiers, la réparation d’un dommage subi et causé par son navire », lequel s’opposait à ce que le tribunal arbitral fasse droit à la demande de réparation de celui-ci.
Mais attendu qu’au regard de l’article 19 du Règlement d’arbitrage de la Cour de céans disposant que « l’arbitre instruit la cause dans les plus brefs délais, par tous les moyens appropriés »; il appartient au tribunal arbitral, d’apprécier les mesures d’instruction adéquates à la solution du litige; que par conséquent, en décidant, au vu « des données particulièrement complexes de la situation » débattues contradictoirement par toutes les parties, « qu’il ne saurait donc en l’espèce, conclure à l’existence d’un cas de force majeure », le tribunal arbitral ayant rendu la sentence attaquée n’a pas méconnu le principe d’égalité de traitement entre les parties, qui doit être respecté en matière d’arbitrage.
Et attendu que le second reproche invoqué n’entre pas dans le domaine d’application de l’article 30.6 du même Règlement, lequel énumère limitativement les griefs qui peuvent être opposés à la sentence, lesquels tiennent à l’absence, la nullité ou l’expiration de la convention d’arbitrage, à l’absence de conformité de la décision de l’arbitre à sa mission, à la violation du principe du contradictoire et à la contrariété de la sentence à l’ordre public international.
Attendu qu’il résulte des motifs retenus ci-dessus, que la sentence attaquée n’est pas incompatible avec les principes juridiques invoqués par la SIR, d’où il suit qu’en aucune de ses deux branches, le moyen ne peut être accueilli.
Sur les demandes de la SIR
Attendu qu’aucun des moyens invoqués au soutien du recours n’étant fondé, il convient de rejeter ledit recours et, partant, de dire qu’il n’y a pas lieu à annulation de la sentence attaquée, et par suite, à évocation du litige, contrairement à ce qu’a demandé la SIR; que ses autres demandes tendant à ce que la Cour de céans condamne, après examen du fond du litige, les parties défenderesses à lui payer 250 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens de l’arbitrage, doivent être déclarées irrecevables.
Sur les demandes de paiement de diverses sommes d’argent formées par les parties défenderesses
Attendu que les parties défenderesses n’ayant pas rapporté la preuve de l’existence des faits de nature à établir que la SIR a commis une faute, en exerçant contre la sentence querellée, le recours en contestation de validité qu’elle tient de l’article 29 du Règlement d’Arbitrage de la Cour de céans, il y a lieu de déclarer non fondée leur demande de condamnation de la SIR au paiement de la somme de 300 000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Attendu que l’article 43 alinéas 1 et 2 du Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dispose : « il est statué sur les dépens dans l’arrêt qui met fin à l’instance. 2. Sont considérés comme dépens récupérables : a) les droits de greffe; b) les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération des avocats, selon le tarif fixé par la Cour ».
Attendu qu’en application dudit article et de l’annexe à la décision n 001/00-CCJA du 16 février 2000, est irrecevable la demande tendant à ce que la Cour de céans statue par une disposition particulière, sur les frais irrépétibles, lesquels correspondent aux frais cités a l’alinéa 2.b du même article, et sont récupérables, au tarif déterminé par l’annexe susvisée dans les dépens afférents à la présente instance, auxquels sera condamnée la partie perdante.
Attendu que la SIR, qui succombe, est tenue aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré.
Rejette le recours en contestation de validité formé par la Société Ivoirienne de Raffinage contre la sentence arbitrale rendue le 31 octobre 2005.
Dit qu’il n’y a pas lieu à évocation du litige.
Rejette les demandes en paiement formulées par la Société Ivoirienne de Raffinage dite SIR.
Rejette les demandes en paiement des diverses sommes d’argent formulées par Bona Shipping Ltd et autres.
Condamne la Société Ivoirienne de Raffinage aux dépens.
Président : Fall Ndongo.
NOTE
Fragiles sont les délimitations entre l’arbitre de droit et l’amiable compositeur. Mais que la frontière soit si mince et difficile à visualiser concrètement ne doit toutefois pas mener à la conclusion que l’arbitre de droit exerce sa fonction dans les mêmes conditions que l’amiable compositeur. Tels sont les enseignements essentiels qu’il y a lieu de tirer de l’analyse de ces deux arrêts rendus par l’assemblée plénière de la CCJA ici rapportés et rendus coup sur coup le 19 juillet 2007.
La juridiction supranationale siégeant en tant que juge de l’annulation avait à se prononcer sur des griefs formulés à l’encontre de deux sentences rendues par des arbitres, statuant en droit auxquelles il était reproché d’avoir outrepassé leurs missions en jugeant en équité.
Les faits des deux espèces étaient relativement simples :
Dans le premier arrêt rapporté, la société Nestlé Sahel, dont le siège social est à Abidjan en Côte d’Ivoire, a sollicité la Cour Commune et d’Arbitrage par un recours en contestation de validité d’une sentence arbitrale rendue dans une affaire qui l’opposait à la société commerciale d’importation Azar et Salame dite SCIMAS située à Ouagadougou.
Pour soutenir sa démarche, la société Nestlé Sahel reproche principalement aux arbitres d’avoir non seulement statué ultra petita et infra petita, mais également, de ne pas s’être conformés à l’acte de mission en jugeant en amiable compositeur alors même qu’il leur était demandé d’appliquer la loi en l’occurrence celle convenue et fixée par les parties, la loi Ivoirienne.
Selon la requérante, en retenant sa responsabilité dans la rupture du contrat de distribution qui le liait à sa cocontractante la SCIMAS et en la condamnant au paiement de la somme de ECFA cinq milliards, les arbitres ont en réalité jugé en amiable compositeur en refusant de se référer aux stipulations contractuelles et à la loi applicable.
En effet, il est reproché au tribunal arbitral d’avoir statué en équité dans son appréciation de l’indemnité due en allant au delà de la période de 18 mois qui est celle couvrant la durée des relations contractuelles pour prendre en compte la période de 23 ans, période pendant laquelle la SCIIMAS a travaillé avec la société Nestlé Sahel appartenant au groupe Nestlé.
Il ressort de l’analyse des faits que, pour s’opposer à ces arguments, la SCIMAS se contente de développer l’idée qu’aux termes de la convention d’arbitrage, les parties avaient définitivement renoncé à toute voie de recours y compris la contestation de validité de la sentence arbitrale et se prononçait pour l’irrecevabilité de la requête en annulation de la sentence formée par Nestlé.
La juridiction supranationale a prêté une oreille attentive à l’argumentation développée par l’auteur du recours en annulation puisqu’elle accepte d’anéantir la sentence arbitrale aux motifs qu’en statuant plus en équité qu’en droit, les arbitres ont outrepassé l’acte de mission.
Dans le second arrêt ici rapporté, une société ivoirienne la Société Ivoirienne de Raffinage (SIR) avait affrété le 20 juin 2000 un navire battant pavillon norvégien auprès d’un armateur, la société Bona Shipping Ltd, afin d’acheminer 45 000 tonnes métriques de VGO (Vaccum Gas Oil). Mais les opérations de chargement commencées le 1er juillet 2000 ont été arrêtées en raison, d’une part, de la rupture des amarres et, d’autre part, de graves dommages subis par le terminal.
A la suite de ces dégradations, la SIR a fait pratiquer une saisie conservatoire du navire « Teekay Fountain ». Pour sortir de cette situation, les parties ont signé un protocole d’accord aux termes duquel il a été convenu que : 1) la Standard Steamship Club s’engage à fournir une garantie en contrepartie de la mainlevée de la saisie, 2) qu’à défaut d’un accord transactionnel entre les parties, celles-ci s’engagent à soumettre leur litige à un collège arbitral constitué sous le contrôle de la CCJA.
Faute d’être parvenus à un tel accord transactionnel, les parties ont actionné la procédure d’arbitrage en application de la clause compromissoire. Les parties ont, par ailleurs, fixé les limites de la mission assignée à l’arbitre dans un procès-verbal en convenant que l’arbitrage aura bien lieu en droit et dans les conditions fixées par le Règlement d’Arbitrage de la CCJA, elles ont également désigné, à cette occasion, la loi ivoirienne comme seule loi applicable.
Ainsi constitué, le tribunal arbitral a rendu une sentence qui s’est révélée défavorable à la SIR, laquelle n’a pas hésité à former un recours en contestation de validité de la sentence, aux motifs, d’une part, que les arbitres n’auront pas respecté leur mission, d’autre part, qu’ils auraient méconnu le principe du contradictoire, de troisième part, qu’ils auraient violé la règle d’ordre public procédural et substantiel des Etats Parties de l’OHADA.
La CCJA, après avoir analysé l’affaire à la lumière des dispositions contractuelles et de son Règlement d’arbitrage, refuse de suivre la requérante dans le détail de son argumentation et rejette la demande d’annulation de la sentence.
Pour estimer non fondé un tel moyen, elle écarte très fermement cette argumentation : la référence aux usages du commerce alors que l’arbitre devait statuer en droit ne permettait pas d’estimer que les arbitres avaient excédé les termes de leur mission : « .. en application du Règlement d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage les parties ont expressément désigné la loi devant s’appliquer au différend, qu’en l’espèce, en se référant aux usages du commerce, dont l’existence n’est pas contestée par la requérante, le tribunal arbitral a statué en droit ainsi qu’il en avait l’obligation, conformément au procès-verbal du 13 septembre 2004 ».
Dès lors que l’acte de mission mentionnait expressis verbis que les arbitres pourront se référer aux usages du commerce, il est mal venu de faire croire que le tribunal a statué en amiable compositeur.
L’identité des demandes et la référence en filigrane à l’amiable composition n’a pas pour autant pu empêcher la juridiction supranationale d’aboutir à des solutions différentes dans les deux espèces.
Alors que l’acte de mission invitait le tribunal arbitral à trancher le litige en application de la loi ivoirienne dans les deux cas, c’est en vertu de l’équité que dans le premier cas, les arbitres ont tranché et dans le second cas, en référence aux usages du commerce.
Tandis que dans le premier cas, rien n’autorisait le tribunal arbitral à aller dans le sens de l’application de l’équité, même de manière facultative, dans le second cas, les parties avaient expressément invité dans la convention d’arbitrage, les arbitres à se référer aux usages du commerce en cas de besoin.
Aux yeux de la CCJA donc, seul est de nature à entraîner l’annulation de la sentence le cas de figure où les arbitres devant statuer en droit se sont fondé sur l’équité(1) ou feraient primer cette dernière au soutien d’une solution différente de celle qui aurait été dans un premier temps fondée en droit.
Au-delà de ces affaires litigieuses, on constatera que les recours en annulation formés à l’encontre des sentences arbitrales permettent de dresser une sorte de tableau descriptif des relations qu’entretiennent l’arbitre chargé par les parties de statuer en droit et en équité.
Pour apprécier la portée des deux controverses, il faut les situer dans l’ensemble de la question du pouvoir de contrôle des sentences rendues par des arbitres statuant en droit.
Dépassant les données particulières et factuelles des litiges, objet de la présente note, on peut estimer que l’ensemble des décisions rapportées pose deux questions aussi essentielles l’une que l’autre, à savoir :
la détermination de la nature.
et de l’étendue de la mission de l’arbitre investi et le l’observation des principes directeurs du procès.
Si le législateur a proposé aux parties le choix entre arbitrage en droit et arbitrage en équité, c’est très certainement parce que les deux systèmes n’aboutissent pas exactement aux mêmes solutions (I).
Sous cet aspect, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage veille sévèrement au respect par l’arbitre de l’acte de mission qui lui fixe de manière précise la nature et l’étendue de sa mission (II).
1. La mission de l’arbitre : arbitrage en droit ou arbitrage amiable compositeur?
Aux termes de l’article 15 de l’Acte uniforme portant sur l’arbitrage : « les arbitres tranchent le fond du litige conformément aux règles de droit désignées par les parties ou à défaut, choisies par eux comme les plus appropriées, compte tenu, le cas échéant des usages du commerce international.
Ils peuvent également statuer en amiable compositeur lorsque les parties leur ont conféré ce pouvoir ».
L’affirmation qu’un litige sera tranché « conformément aux règles de droit » ne pose guère de problème de sens. En revanche, le terme « amiable composition » est susceptible d’interprétation. L’amiable composition n’est rien d’autre que l’équité(A). Mais le choix pour l’une ou l’autre possibilité n’est jamais sans conséquence (B).
A. Le principe de l’amiable composition
Opter pour l’amiable composition, c’est exprimer une volonté de s’affranchir du cadre rigide qu’impose l’appel à la règle de droit et de laisser entrer dans la résolution des litiges, des considérations qui ne soient pas que juridiques.
Selon l’article 15 de l’Acte uniforme portant sur l’arbitrage (AUA), les parties à un litige peuvent choisir que la décision d’intervenir soit prise en équité et non en suivant les règles traditionnelles de droit; elles transmettent ainsi ce pouvoir au juge qui prend alors le nom d’amiable compositeur.
L’acception d’amiable compositeur n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Pour A. Prujiner, l’amiable composition est « une variété de l’arbitrage qui se distingue par la latitude laissée à l’arbitre de ne pas être lié par les règles du droit applicable [et qui a également pour objectif de} mettre fin au litige par une décision qui lie les parties ». Mais c’est le professeur Loquin qui, en 1980, proposait la meilleure définition de l’amiable compositeur dans sa remarquable thèse. Cet auteur voit en effet l’amiable composition comme la clause de renonciation au droit Il soutient que « les parties, en stipulant comme une clause, abandonnant la protection ou le bénéfice du droit et autorisant les arbitres à statuer sans respecter strictement les règles du droit », dit-il.
C’est d’ailleurs cette définition que l’on retrouve tant dans la jurisprudence française tant judiciaire qu’arbitrale.
Aussi, la Cour d’appel de Paris a interprété la clause d’amiable composition comme, « une renonciation conventionnelle aux effets et aux bénéfices de la règle de droit, les parties perdant la prérogative d’en exiger la stricte application et les arbitres, corrélativement le pouvoir de modifier ou de modérer les conséquences des stipulations contractuelles dès lors que l’équité ou l’intérêt commun bien compris des parties l’exige »
(COUR D’APPEL DE Paris 1re chambre, Sté Minhal France, 28 novembre 1996, Rev. arb., 1997, p. 380).
C’est « le pouvoir de déroger [aux] lois et d’y substituer des règles mieux adaptées », ajoute M. Loquin.
L’arbitrage suivant l’amiable composition relève d’abord d’un souhait d’obtenir une décision plus juste, moins contrainte par la règle de droit. Une telle souplesse est pertinente au regard des évolutions du droit contemporain de l’arbitrage.
Au-delà de la loi du contrat, les parties peuvent, en effet, souhaiter sortir d’une stricte approche de leur litige par la règle de droit et permettre à l’arbitre d’adopter pour une position fondée davantage sur l’équité, afin de maintenir des rapports commerciaux fructueux. Elles décident alors de mettre de côté la rigidité du droit pour trouver la paix commerciale en ~a justice équitable. Certains commerçants ou opérateurs économiques voudront ainsi assurer le maintien de leur relation d’affaires à travers la recherche d’une décision équitable, possibilité rendue réelle selon eux par le recours à l’amiable composition.
La forme de résolution des conflits qu’est l’amiable composition apparaît donc comme un prolongement de l’arbitrage traditionnel pur, en ce sens que l’amiable compositeur peut très bien appliquer le droit s’il considère que la solution offerte par celui-ci respecte l’équité : seule la solution injuste sera contournée.
Lorsque nous pensons à l’arbitre en règle générale, nous l’imaginons souvent comme celui qui tranche le différend qui lui est soumis, et cela, conformément aux règles de droit. Les arbitres amiables compositeurs s’emploient eux, à proposer la solution qui pourrait être la meilleure pour les deux parties. En d’autres termes, ils vont souvent essayer de ne pas trancher le litige comme des juges ordinaires. Le rôle du juge intervenant en amiable compositeur est autrement plus large. Il peut faire appel à l’équité pour faire obstacle à la trop grande simplicité ou pauvreté des règles de droit ou encore pour trouver une solution plus adéquate aux besoins des parties dans le respect de leurs intérêts respectifs et de leur désir de perpétuer leur relation commerciale.
Dans son essence, l’amiable composition postule une grande confiance à l’arbitre et non de la défiance, c’est pourquoi, dans la pratique, le recours à l’amiable composition est si rare.
Même si l’amiable composition offre indéniablement à l’arbitre plus de latitude dans l’interprétation de la rigueur du contrat et est au cœur même de la définition de l’arbitrage à notre sens, son recours fait parfois « peur ». Pourquoi?.
Parce que les parties peuvent craindre que l’arbitre ne dénature l’équilibre du contrat.
B. La mission de l’arbitre de droit n’est pas celle de l’amiable compositeur
Les incertitudes liées au concept même de l’amiable composition, son rapport à la règle de droit rendent en définitive le choix en faveur de cette institution quelque peu dangereux aux yeux de quelques acteurs du commerce, ce qui, au demeurant, expliquerait sa faible attraction.
Il est vrai que des divergences peuvent apparaître entre le droit et l’équité surtout lorsque le droit poursuit des finalités qui sont, dans certains cas, étrangères à la seule recherche de la justice, de la solution équitable.
Dans bien des cas, le recours à l’amiable compositeur est considéré comme une incursion de l’imprévisibilité, de l’aléatoire et une sorte de subjectivité souvent peu souhaitée dans un contexte contractuel.
C’est pourquoi, d’un point de vue aussi bien légal que jurisprudentiel, le pouvoir de l’amiable compositeur doit résulter d’un choix éclairé. Pour que l’arbitre puisse réellement statuer en amiable composition, il faut que les parties l’aient manifestement voulu en lui conférant expressément cette mission dans la convention d’arbitrage ou dans le compromis.
En vérité, cet aspect du contrôle ne pose en pratique pas de difficultés dès lors que ce dépassement de mission est certain comme c’était le cas en espèce.
L’amiable composition est certes prévue par les textes (art. 15 de l’Acte uniforme), mais, ce sont les parties qui, au cas par cas, confèrent ce pouvoir aux arbitres. Dès lors, le tribunal arbitral en s’arrogeant ce pouvoir dans l’affaire société Nestlé Sahel contre société SCIMAS ci-dessus rapportée, sans que les parties n’y aient consenti, dépasse sa mission, et sa sentence devra être annulée, car l’arbitre aura statué sans se conformer et se tenir à la mission qui lui a été fixée.
Pour la jurisprudence française également, les arbitres ne sont donc amiables compositeurs que lorsqu’ils sont invités à statuer librement (CA Lyon. 28 juin 1881 : DP 1882.2.190).
L’arbitre doit respecter la volonté des parties en statuant en droit. Le raisonnement juridique suit là un cheminement qui lui est propre : la solution retenue résulte de l’application de textes, de principes juridiques, de précédents jurisprudentiels découlant de la stricte application de stipulations contractuelles, etc. Il se distingue du raisonnement en équité qui se caractérise principalement par la recherche de la solution la plus juste en l’espèce. La motivation de la solution est donc différente dans les deux cas.
Lorsque le droit est bien connu et bien établi, lorsque le contrat est conclu et que ses stipulations respectent les règles juridiques, on peut raisonnablement penser que le mode de règlement des conflits qui présente le plus de prévisibilité et de sécurité est l’arbitrage en droit. Dans ce cas, il est tout de même souhaitable que les arbitres ne tordent pas la règle juridique comme dans notre cas particulier (affaire Nestlé) pour aboutir à une solution qui s’apparenterait à une amiable composition.
L’arbitrage en droit apparaît comme le moyen le plus sûr pour les parties de conserver la plus grande maîtrise sur l’exécution du contrat, y compris sur la solution des problèmes qui peuvent apparaître lors de son exécution.
En réalité, la notion d’équité est elle, éminemment plus subjective. Il n’est pas certain, par exemple, que deux arbitres ayant des formations et des activités professionnelles distinctes parviennent à la même sentence pour un même litige. Or la pratique de l’arbitre statuant en droit suggère plutôt cet aboutissement.
Dans le cas de l’amiable composition, la personnalité de l’arbitre qui juge est donc capitale car c’est à son bon sens que les parties se remettent en définitive. Elles doivent en conséquence avoir une entière confiance en son sentiment de justice. Surtout que la décision rendue en équité a la même force que si elle l’avait été en droit, et les parties seront contraintes de la même façon à l’exécuter. Alors que dans le cas de l’arbitre statuant en droit, la loi applicable au contrat mobilise plus l’attention des parties et de leurs conseils.
C’est pourquoi, en pratique, on observe souvent quelques réticences à abandonner sa cause à une autorité aussi imprévisible que l’équité de celui qui va juger.
Les arbitres de droit travaillent dans un esprit partiellement différent de celui des arbitres amiables compositeurs.
Tandis que ces derniers ont pour souci premier de régler au mieux le cas particulier qui leur est soumis d’une manière qui soit bonne, donc acceptable, pour les différentes parties au litige, les arbitres de droit, eux, feront référence au droit sans aucun souci de la relation d’affaires des parties. C’est le droit qui dans tous les cas doit avoir le dernier mot.
Même s’il est vrai cependant, que dans le cas de l’arbitre jugeant en équité, la décision sera prise sans fondement juridique particulier, le mode d’adoption de la décision devra, lui, respecter les garanties fondamentales d’une bonne justice qui sont attachées à tout contentieux, et auxquelles on ne peut jamais déroger, comme les droits de la défense, le principe du contradictoire, l’indépendance de celui qui juge, etc.
Mais que se passe-t-il lorsque l’arbitre qui a pour mission de statuer en équité écarte l’équité pour juger en droit ?.
Là aussi, la CCJA applique la sanction de la violation de l’acte de mission en annulant la sentence : l’arbitre, amiable compositeur, a l’obligation de confronter les solutions légales à l’équité, à peine de trahir la mission qui lui a été confiée (CA Abidjan, 27 avril 2001, SOTACI c/Époux Delpech).
Il est important de relever que si les arbitres amiables compositeurs ont le pouvoir de statuer en équité comme ils l’entendent, ils ne sont cependant pas obligés de statuer uniquement en équité (Cass. civ., 29 novembre 1995 : Rev. arb. 1996.234, note Loquin). S’ils peuvent appliquer les règles de droit, ils doivent néanmoins justifier que cette application est conforme à l’équité (Cass. civ., 15 février 2001 : D. 2001.2780, note Rontchevsky).
11. Le contrôle du respect de la mission de l’arbitre par la CCJA.
Le recours en annulation peut être prononcé d’après l’article 26 de l’Acte uniforme « si le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée » par les parties.
On peut penser que les arbitres ne se sont pas conformés à leur mission lorsqu’ils n’appliquent pas la procédure en ne respectant pas le principe de la contradiction (B) ou lorsqu’ils statuent en amiables compositeurs alors que l’acte de mission ne les y autorisait pas (A).
A. Sur le dépassement par les arbitres de leur mission.
La liberté de choix qu’exprime le législateur OHADA à travers l’article 15 de l’Acte uniforme doit normalement conduire les parties à apprécier de manière plus approfondie les modalités et les conséquences de chaque mode de règlement des litiges lors de la négociation et de la rédaction de la clause compromissoire ou du compromis. Les éléments qu’elles peuvent retenir pour faire leur choix sont très nombreux. Ils dépendent, notamment, de leurs motivations et de la situation particulière qu’organise leur convention.
C’est à juste titre que la CCJA rappelle tout d’abord, que la mission de l’arbitre est définie par la convention d’arbitrage. C’est en effet dans cette convention de clause compromissoire ou compromis, que la mission de l’arbitre trouve non seulement son fondement, mais aussi son contenu et ses limites. Une première délimitation du champ d’intervention de l’arbitre peut donc parfaitement résulter du choix par les parties du mode d’arbitrage retenu pour statuer sur leurs différends.
Dans les deux arrêts ici rapportés, elle dit assez clairement que les arbitres sont tenus de juger en droit, à moins que la convention d’arbitrage ne leur confère la qualité d’amiables compositeurs, auquel cas, les arbitres ne sont pas tenus d’appliquer le droit et statuent en équité. La question du droit applicable appelle donc une réponse qui est fonction de la rédaction de la Convention d’arbitrage ou du compromis.
Ce que reproche le juge de l’annulation aux arbitres, notamment dans l’un des cas d’espèce ici rapporté, en l’occurrence l’affaire société Nestlé Sahel contre société SCIMAS, est le fait d’avoir jugé en amiable compositeur en accordant une indemnité calculée sur la base de 23 ans de collaboration alors que l’obligation principale faite dans la convention arbitrale était d’appliquer la loi ivoirienne, ce qui l’aurait amené à accordé des indemnités appréciées sur la période des 18 mois de relations contractuelles.
En agissant comme il l’a fait, l’arbitre aurait outrepassé sa mission.
Selon la CCJA, « en statuant ainsi le tribunal a jugé en équité, alors que celle-ci, comme moyen de rendre une décision, n’est admise que lorsque l’arbitre a reçu des parties, le pouvoir de statuer en amiable compositeur; que ce faisant, ledit tribunal a violé la mission qui lui avait été conférée, telle qu’elle résulte de la clause compromissoire rappelée dans le procès-verbal du 29 juillet 2004, et qui était de statuer selon la loi ivoirienne; que la violation de la mission étant flagrante, la sentence querellée encourt l’annulation ».
Dans l’affaire SIR contre Teekay Shipping également rapportée, il était reproché à l’arbitre d’avoir appliqué les usages commerciaux au litige qui lui était soumis alors qu’il était tenu de statuer en droit.
Conformément aux termes mêmes de l’acte de mission, le tribunal arbitral avait examiné les termes du litige à la lumière des dispositions du contrat liant les parties, puis par références aux usages du commerce, pour en déduire que les réclamations du demandeur ne pouvaient être accueillies.
La SIR s’empara d’un tel motif pour prétendre que les arbitres avaient dépassé leur mission : devant statuer en droit, ils n’avaient pas à appliquer les usages du commerce.
Pour estimer non fondé un tel moyen, c’est très fermement que la juridiction supranationale écarte cette argumentation : la référence aux usages du commerce alors que les parties ont évoqué et accepté les termes de l’article 17 du Règlement de la CCJA ne permettait pas d’estimer que les arbitres avaient excédé les termes de leur mission. La Haute juridiction a estimé qu’en se référant ainsi aux usages de commerce dont l’existence n’était pas contestée par la requérante, le tribunal n’avait pas outrepassé sa mission et avait bien statué en droit ainsi qu’il en avait l’obligation, conformément au procès verbal signé par les parties.
Ici, la nature conventionnelle des usages ne faisait aucun doute, de sorte que leur contestation en tant que règles de droit applicable était vaine.
Ces deux solutions doivent être entièrement approuvées.
La jurisprudence française tient d’ailleurs la même position sur l’application des usages du commerce dans un litige arbitral. La Cour de cassation a ainsi refusé de considérer que des sentences arbitrales qui avaient appliqué des règles non étatiques, et notamment des usages commerciaux, soient des sentences par lesquelles les arbitres, délaissant le recours aux règles de droit, se seraient comportés en amiables compositeurs.
Les magistrats de la première chambre civile ont pu énoncer qu’en « se référant à l’ensemble des règles du commerce international, dégagées par la pratique et ayant reçu la sanction des jurisprudences nationales, l’arbitre a statué en droit ainsi qu’il en avait l’obligation conformément à l’acte de mission ».
Les usages commerciaux fonctionnent donc, à l’égard de l’arbitre, comme les règles de droit substantiel. L’arbitre va devoir s’y référer, en indiquant le contenu et les principes, pour en faire la loi applicable au fond du litige. Lorsqu’ils sont connus et régulièrement pratiqués par les parties, les usages commerciaux doivent être appliqués pour combler les lacunes de la législation, conformément aux principes qui régissent le droit.
Dans le cas d’un contrat de droit international par exemple, ce sont les règles de droit international privé qui permettront de déterminer le droit applicable. Plusieurs instruments régissant le commerce international, l’arbitre pourra très bien prendre sa décision en fonction de règles internationales, transnationales ou mêmes coutumières. En d’autres mots, peu importe à quel niveau ces règles seront appliquées, elles demeurent dans le cadre de la mission de l’arbitre de droit, lequel doit justement faire respecter le droit.
Les arbitres ne se prononcent pas en amiables compositeurs lorsqu’ils se réfèrent à « l’ensemble des règles du commerce international dégagées par la pratique et ayant reçu la sanction des jurisprudences nationales » (Cass. civ. 22 octobre 1991 : Clunet 1992.177, note Goldman).
Le principal enseignement de l’arrêt SIR contre Teekay Shipping du 19 juillet 2007 de la CCJA consiste en une invitation à vérifier si l’usage existe et dans l’affirmative, s’il était connu des parties ou aurait dû l’être. Seuls les usages qui sont mis en application de manière constante par une communauté d’affaires seront donc considérés sans quoi l’existence même de l’usage perdrait tout son sens.
B. Sur le non respect du principe du contradictoire.
La violation du principe du contradictoire constitue le second grief formulé à l’encontre de la sentence arbitrale dans l’affaire SIR puisqu’il était reproché aux arbitres d’avoir « sans inviter ni permettre aux parties de s’expliquer sur un moyen qu’aucune n’avait évoqué ».
En conséquence, il était prétendu qu’une telle violation du principe de la contradiction devait entraîner la nullité de la sentence.
Il est vrai que le principe de la contradiction est, semble-t-il, un principe universellement reconnu comme devant être respecté dans les procédures judiciaires ou arbitrales. Tous les systèmes juridiques et les grandes conventions internationales en matière judiciaire ou d’arbitrage font du respect de ce principe, l’un des fondamentaux du contrôle de la validité des jugements ou des sentences.
C’est ainsi que l’article 26 de l’Acte uniforme portant sur l’arbitrage ouvre la voie de l’annulation à la sentence arbitrale qui aurait méconnu le principe du contradictoire.
Comme l’écrivait le Doyen Cornu, « la contradiction enveloppe le litige sous toutes ses faces. Non : elle l’innerve en toutes ses actions de procédure, de fait et de droit. Elle est le procès même ».
L’importance du principe du contradictoire dans le procès arbitral n’est donc plus à démontrer. « Rien de ce qui sert à fonder le jugement de l’arbitre ne doit échapper au débat contradictoire des parties », dit la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 14 oct. 1993, rev. arb., 1994.380).
Cette maxime, la Cour d’appel de Paris n’a cessé de la faire respecter dans sa jurisprudence arbitrale. La Cour d’appel a ainsi infirmé, le 19 juin 2008, une ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Paris acceptant de reconnaître en France une sentence rendue sous l’égide du CRCICA (Cairo Regional Centre for International Commercial Arbitration). La juridiction parisienne estimait en effet qu’en fondant sa décision sur des moyens juridiques qui n’étaient pas invoqués par les parties, sans soumettre ces derniers à la discussion des parties, le tribunal avait violé le principe de la contradiction.
Elle avait auparavant rappelé dans une autre affaire la place du principe de la contradiction dans l’arbitrage international :
– « La juridiction arbitrale doit impérativement respecter et faire respecter le principe de la contradiction; ce principe suppose que chaque partie ait été en mesure de faire valoir ses moyens de fait et de droit, de connaître ceux de son adversaire et de les discuter, ensuite qu’aucune écriture et qu’aucun document n’aient été portés à la connaissance des arbitres sans être également communiqués à l’autre partie, enfin, qu’aucun moyen de fait ou de droit, ne soit relevé d’office par le tribunal arbitral sans que les parties aient été invitées à présenter leurs observations » (CA Paris, 16 janv. 2003, Rev. arb., 2004.369, note Jaeger).
Dans un arrêt du 14 mars 2006 (Rev. arb., 2006.653, note Bolard), c’est la première chambre civile de la Cour de cassation qui avait ainsi décidé que, si le tribunal arbitral n’a pas l’obligation de soumettre au préalable l’argumentation juridique qui étaye sa motivation à la discussion des parties, il doit cependant respecter le principe de la contradiction.
Mais, dans notre cas particulier, l’affaire SIR, pour rejeter le recours en annulation sous cet aspect, la CCJA développe une argumentation aujourd’hui bien connue : il est satisfait au principe du contradictoire, dès lors que chaque partie a eu la possibilité d’examiner et de discuter les pièces, ainsi que les moyens soumis au tribunal arbitral; en l’espèce, la sentence énonce que « toutes les pièces ont été bien reçues et qu’aucune d’entre elles n’a été dissimulée; que les parties ont disposé de tout le temps nécessaire et utile pour débattre », il en résulte que le principe du contradictoire n’a pas été violé.
La juridiction supranationale a en outre écarté les motifs fondés sur la violation de l’ordre public procédural, en observant que le reproche invoqué pour la violation de l’ordre public procédural n’entrait pas dans les cas énumérés par l’article 30.6 du Règlement de la Cour.
Ainsi, la méconnaissance du principe de la contradiction ne saurait résulter de la prise en considération par les arbitres d’une règle invoquée par les parties elles-mêmes.
Au regard de ce principe également, un arbitre ne peut statuer ni ultra ni infra petita. TI peut tempérer une solution en droit, mais il ne peut pas allouer aux parties autre chose que ce qu’elles ont demandé.
A ceci, on pourrait d’ailleurs ajouter que, selon les termes de l’article 16 alinéa 3 du CPC, le juge « ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observation ». Pour une même formulation en matière d’arbitrage, M. Loquin précise que « rien de ce qui sert à fonder le jugement de l’arbitre ne doit échapper au débat contradictoire des parties ».
En dernière analyse la solution des deux arrêts ici rapportés mérite pleinement notre approbation.
Ces deux décisions reflètent la volonté de la juridiction supranationale de baliser le cadre et le déroulement de l’instance arbitrale OHADA, fortement imprégnée par la liberté contractuelle des parties. Les quelques esquives jurisprudentielles de la CCJA en matière arbitrale s’inscrivent pour l’instant dans un classicisme longtemps éprouvé.
Bakary DIALLO, Docteur en droit.