J-09-113
Voies d’exécution – saisie – saisie-attribution de créances – sommes saisies n’appartenant pas au saisi – nullité de la saisie – mainlevée – paiement du tiers-saisi entre les mains du saisissant – condamnation du saisissant au remboursement des sommes saisies entre les mains du tiers propriétaire des sommes saisies – ARTICLE 32 AUPSRVE, ARTICLE 156 AUPSRVE – ARTICLE 170 AUPSRVE – ARTICLE 809 code de procédure civile.
La saisie-attribution ne pouvant être pratiquée que sur des créances appartenant au débiteur; les sommes domiciliées dans le compte du débiteur sont la propriété de la banque financière de l’opération, et l’obligation du créancier saisissant de rembourser à la banque les créances saisies et encaissées n’est pas sérieusement contestable.
Dès lors, on ne peut opposer à la banque, l’article 170 de l’AUPSRVE, qui ne concerne que le débiteur et non le tiers déclaré propriétaire des sommes saisies; il s’ensuit que lorsque le créancier saisissant n’avait pas pris le soin, comme le lui prescrivait l’article 156 de l’AUPSRVE, de se renseigner sur l’étendue de l’obligation du débiteur et des modalités qui pourraient l’affecter, il doit être condamné au remboursement à la banque, desdites sommes.
Tribunal Régional de Niamey, ordonnance de référé n 111 du 21 juin 2005, affaire Banque S. c/ Office O.
Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey
Ordonnance de référé n 111 du 21 juin 2005
L’an deux mille cinq; et le vingt et un juin
Nous, HASSANE DJIBO, Président du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, Juge des Référés, PRESIDENT; assisté de Maître ASSARID ALKASSOUM, GREFFIER, avons rendu l’ordonnance dont la teneur suit
ENTRE :
LA SOCIETE NIGERIENNE DE BANQUE (SONIBANK), BP 891 Niamey, représentée par son Directeur Général, assisté de la SCPA MANDELA, Avocats associés à la Cour.
DEMANDERESSE.
D’une part.
ET
L’OFFICE DES PRODUITS VIVRIERS DU NIGER (OPVN), BP 474 Niamey, représenté par son Directeur Général, assisté de Maître CISSE Ibrahim, Avocat à la Cour.
DEFENDEUR.
D’autre part.
Par exploit d’huissier en date du 05 mai 2005, la Société Nigérienne de Banque (SONIBANK) S.A., ayant son siège à Niamey, agissant par l’organe de son Directeur Général, assisté de la SCPA MANDELA, a assigné l’Office des Produits Vivriers du Niger (OPVN), ayant son siège à Niamey, pris en la personne de son Directeur Général, par-devant le Président du Tribunal Régional de Niamey, juge des référés, aux fins de s’entendre condamner à rembourser à la SONIBANK, la somme de 98.048.522 FCFA illégalement perçue auprès de la Cellule des Crises Alimentaires, sous astreinte de 10 000 000 FCFA par jour de retard.
La SONIBANK expose au soutien de sa requête, que le 12 mai 2003, l’OPVN pratiquait entre les mains de la Cellule des Crises Alimentaires (CCA), une saisie-attribution portant sur la somme de 140.260.200 FCFA au préjudice de ELH Nassirou AMBOUKA.
Que l’huissier saisissant n’a pas pris le soin de relever les déclarations de la CCA quant à l’étendue de ses obligations à l’égard de Elhadji Nassirou AMBOUKA, et les modalités qui les affecteraient, comme le prescrit l’ARTICLE 156 AUPSRVE.
Que par lettre du 19/06/2003, la CCA informe la SONIBANK de ladite saisie, et dès le 26/06/2003, elle saisissait le juge des référés du Tribunal Régional de Niamey, d’une requête aux fins de mainlevée de ladite saisie, au motif que les deniers saisis lui appartiennent.
Cette requête a été déclarée irrecevable en première instance, mais en appel, la Cour d’Appel de Niamey, suivant arrêt n 110 du 05/11/2003, annulait l’ordonnance attaquée, et sur évocation, déclarait recevable la requête de la SONIBANK; déclarait illégale la saisie pratiquée entre les mains de la CCA, et en ordonnait mainlevée.
Que pendant que les contestations étaient pendantes à la Cour d’Appel, l’OPVN s’était fait payer la somme de 98.048.522 FCFA par la CCA, le 10/07/2003.
Que malgré le fait que l’arrêt déclarant la saisie illégale et ordonnant sa mainlevée lui a été signifié le 18/02/2004, l’OPVN n’a toujours pas remboursé ladite somme.
Elle soutient que même si l’OPVN a formé pourvoir contre l’arrêt de la Cour d’Appel devant la CCJA, l’ARTICLE 16 du Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique dispose que la saisie de la CCJA ne suspend pas la procédure d’exécution de l’arrêt attaqué.
Enfin, elle invoque l’article 809 alinéa 5 du Code de Procédure Civile, pour demander la condamnation de l’OPVN à lui rembourser la somme de 98.048.522 FCFA.
L’OPVN soulève au principal, l’incompétence du juge des référés. Il fait valoir que l’ARTICLE 809 ALINÉA 5 du Code de Procédure Civile, base de la requête de la SONIBANK, autorise le juge des référés à condamner le débiteur à payer au créancier, tout ou partie de sa créance, dans les cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable : il soutient qu’en l’espèce, la SONIBANK, qui soutient avoir financé le marché dont Nassirou AMBOUKA est attributaire, n’est pas créancière de l’OPVN, mais de Nassirou AMBOUKA.
L’OPVN soutient qu’au moment de l’arrêt ordonnant la mainlevée, il n’y avait plus de saisie depuis six mois.
Sur la propriété des sommes saisies, l’OPVN déclare que la domiciliation des sommes dans le compte SONIBANK de Nassirou ne fait pas de la SONIBANK, la propriétaire desdites sommes; il fait valoir qu’on est en présence de plusieurs créanciers; qu’il n’y a pas de privilèges pour départager les créanciers, et que la domiciliation n’est pas un privilège.
L’OPVN soutient que la SONIBANK ne saurait valablement se fonder sur l’argument de la Cour selon lequel les deniers saisis seraient la propriété de SONIBANK, car cet arrêt, comme toute décision de référé, n’a pas au principal l’autorité de chose jugée.
Que la SONIBANK ne peut que saisir le juge du fond en action de responsabilité de l’OPVN, ou pour paiement de l’indu, comme en dispose l’article 170 AUPSRVE.
Que l’obligation que réclame la SONIBANK étant sérieusement contestable et contestée, le juge des référés doit se déclarer incompétent.
Suivant conclusions responsives, la SONIBANK soutient que l’exception d’incompétence du juge des référés soulevée par l’OPVN est irrecevable, pour avoir été soulevée après des observations préliminaires qui concluaient au mal-fondé des demandes de la SONIBANK.
Subsidiairement, elle demande de rejeter l’exception d’incompétence, parce que l’obligation de restitution dont l’exécution est poursuivie par la SONIBANK, ne peut souffrir d’aucune contestation possible, puisqu’elle s’induit explicitement de l’arrêt de la Cour d’Appel de Niamey du 05 novembre 2003, qui a constaté que les deniers saisis entre les mains de la CCA sont la propriété de la SONIBANK, et a conséquemment infirmé l’ordonnance querellée, déclaré illégale la saisie-attribution pratiquée par l’OPVN, et a ordonné sa mainlevée.
La SONIBANK fait valoir que conformément à l’article 32 AUPSRVE, qui dispose que celui qui exécute une décision exécutoire par provision la fait à ses risques et périls; qu’en conséquence, même si l’OPVN a exécuté de bonne foi l’ordonnance du premier juge, il ne serait pas moins tenu à la restitution des sommes après l’arrêt de la Cour d’Appel. La SONIBANK fait observer que :
– l’OPVN ne peut continuer à se prévaloir ni de l’ordonnance du premier juge infirmée en appel, ni du certificat de non-contestation, qui ne concerne que le débiteur et non un tiers;
– La présente instance n’a pas pour objet de vérifier la compétence de la Cour d’Appel, mais d’apprécier si les avoirs saisis appartiennent effectivement au prétendu débiteur, d’autant plus que l’OPVN s’est gardé d’interroger le tiers saisi sur l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur, et les modalités qui les affectaient, comme le lui prescrivait l’ARTICLE 156 AUPSRVE;
– L’ARTICLE 170 AUPSRVE invoqué par l’OPVN s’adresse au débiteur n’ayant pas élevé des contestations, et non aux tiers dont les avoirs sont illégalement saisis; et que le seul texte qui sied à la situation est l’article 809 ALINÉA 5 du Code de Procédure Civile.
Enfin, la SONIBANK demande d’assortir la décision de l’exécution provisoire sur minute et avant enregistrement.
Sur l’exception d’incompétence
Attendu que l’OPVN soulève l’incompétence du juge des référés, au motif qu’en l’espèce, l’ARTICLE 809 ALINÉA 5 du Code de Procédure Civile n’est pas applicable, en ce sens que la SONIBANK n’est pas créancière de l’OPVN; que la domiciliation des sommes dans le compte SONIBANK de Nassirou AMBOUKA ne fait pas de la SONIBANK, propriétaire desdites sommes.
La SONIBANK oppose à cet argument, l’irrecevabilité, pour avoir été soulevé après des moyens de fond.
Attendu que l’exception d’incompétence doit, à peine d’irrecevabilité, être soulevée avant toute défense au fond.
Attendu qu’en l’espèce, avant de soulever l’exception d’incompétence, l’OPVN a développé des moyens de défense dans des observations préliminaires, pour conclure que la demande de SONIBANK est mal fondée.
Que dans ces conditions, l’exception d’incompétence soulevée par l’OPVN doit être déclarée irrecevable.
EN LA FORME
Attendu que la requête de l’OPVN est régulière en la forme; qu’il y a lieu de la déclarer recevable.
AU FOND
Attendu qu’aux termes de l’article 809 ALINÉA 5 du Code de Procédure Civile : « Toutefois, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut prononcer une condamnation du débiteur à payer au créancier, tout ou partie de la créance de celui-ci… ».
Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure, notamment de l’arrêt n 110 du 05/11/2003, qu’il a été ordonné « mainlevée de la saisie sur la somme de 140.620.200 FCFA entre les mains de la Cellule des Crises Alimentaires », après avoir constaté que la somme qui sera versée par la Cellule des Crises Alimentaires dans le compte SONIBANK détenu par ELH Nassirou AMBOUKA, « devient la propriété exclusive de la SONIBANK », et déclare que la saisie est illégale.
Attendu que l’argument de l’OPVN, selon lequel il n’y avait pas de saisie au moment de l’arrêt ne saurait prospérer; qu’en effet, la saisie-attribution ne pourrait être pratiquée par le créancier que sur des créances appartenant au débiteur; qu’en l’espèce, les créances saisies et payées entre les mains de l’OPVN étant déclarées propriété de la SONIBANK, l’OPVN doit faire rentrer la SONIBANK dans ses droits; la nullité de la saisie pratiquée doit anéantir tous les effets de ladite saisie, et faire comme si elle n’avait pas existé.
Qu’ainsi, il résulte de l’arrêt n 110 du 05/11/2003 de la Cour d’Appel de Niamey, que l’obligation de l’OPVN à restituer à la SONIBANK ses créances saisies et encaissées, n’est pas sérieusement contestable.
Attendu que l’OPVN oppose à la SONIBANK, l’article 170 AUPSRVE pour soutenir que les délais de contestation ayant expiré, elle ne peut qu’agir en répétition de l’indu, en saisissant le juge du fond.
Mais, attendu que l’article 170 ne concerne que le débiteur, et non le tiers propriétaire des sommes saisies; qu’en outre, la contestation de la saisie élevée par la SONIBANK a été tranchée par la Cour d’Appel par son arrêt n 254 du 06/12/2004.
Que de tout ce qui précède, il y a lieu de condamner l’OPVN à rembourser à la SONIBANK, la somme de 98.048.522 FCFA.
Attendu que la SONIBANK sollicite l’exécution provisoire sur minute et avant enregistrement de la décision à intervenir.
Attendu que l’obligation de l’OPVN résulte de l’arrêt n 254 du 06/12/2004; qu’elle est ancienne.
Qu’il échet de faire droit à la demande de la SONIBANK.
Attendu, enfin, que l’OPVN ayant succombé, doit être condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en premier ressort :
Déclare irrecevable l’exception d’incompétence du juge des référés soulevée par l’O.P.V.N.
Déclare recevable en la forme, la requête de la SONIBANK.
Condamne l’O.P.V.N. à rembourser à la SONIBANK, la somme de 98.048.522 FCFA.
Ordonne l’exécution provisoire sur minute et avant enregistrement.
Condamne l’O.P.V.N. aux dépens a.D.d. : 15 jours
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la Cour d’Appel de Niamey, les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé le Président et le Greffier.