J-09-208
SOCIETES COMMERCIALES – SOCIETE EN FORMATION – SOCIETE NON ENCORE IMMATRICULEE – ENGAGEMENTS PRIS PAR LES FONDATEURS – VALIDITE – CONDITIONS – PROTECTION DES INERETS DES ASSOCIES.
MARCHES PUBLICS – REGLES DE PASSATION – INOBSERVATION PAR L’AUTORITE CONTRACTANTE – FAUTE DU COCONTRACTANT (NON).
CONTRAT – CONTRAT D’ASSISTANCE – RUPTURE UNILATERALE AVANT TERME PAR LE COCONTRACTANT – RUPTURE ABUSIVE (OUI) – REPARATION.
CONTRAT – RUPTURE ABUSIVE – COCONTRACTANT PRIVE DE PERCEVOIR SA PART DE TAXES ET REDEVANCES – GAIN MANQUE (OUI).
Le Contrat d’assistance est valable, dès lors qu’aux termes de l’article 106 AUSCGIE, les fondateurs peuvent faire des actes et prendre des engagements pour le compte de la société en formation, avant sa constitution, et si elle est constituée mais non encore immatriculée, ces engagements sont pris par le ou les dirigeants sociaux. Par conséquent, la société a pu valablement contracter dès lors que les intérêts des associés sont protégés.
Est manifestement abusive et ouvre droit à réparation, la rupture du contrat intervenue unilatéralement par l’autre partie et avant terme.
Il y a gain manqué dès lors que la rupture abusive du contrat a privé le cocontractant de percevoir sa part de taxes et redevances de la radioélectricité.
Article 106 AUSCGIE
Cour d’appel d’Abidjan, arrêt n 1122 du 23 décembre 2005, affaire RADIOTEL c/ ATCI.
LA COUR
Vu les pièces du dossier.
Oui les parties en leurs conclusions.
Après en avoir délibéré conformément à la loi.
Suivant acte d’huissier de justice en date du 19 juillet 2005 avec ajournement au 29 juillet 2005, la société RADIOTEL ayant pour conseil la SCPA AHOUSSOU KONAN et Associés, Avocats à la Cour, a relevé appel du jugement N 40 rendu le 28 février 2002 par le Tribunal d’Abidjan-Plateau qui, en la cause a statué ainsi qu’il suit.
– « .. rejette l’exception de nullité de l’exploit d’assignation.
Déclare la société RADIOTEL recevable en sa demande.
L’y dit mal fondé.
L’en déboute et la condamne aux dépens »
Aux termes de son acte d’appel, la société RADIOTEL expose que le 27 septembre 2000, elle a conclu aves L’agence de télécommunication de cote d’ivoire dite ATCI, un contrat d’assignation pour la gestion du spectre de fréquence radioélectrique et des terminaux satellitaire IMMAR SAT, VST ou équivalents, pour une durée de cinq ans à partir du 1er octobre 2000.
Elle ajoute qu’enregistré le 28 septembre 2000, ledit contrat stipule en son article 4 que la dénonciation ne peut intervenir qu’à compter de la seconde année d’exercice au plus tard un an avant la date d’échéance.
Elle indique que l’article 4 de l’annexe financière du contrat est ainsi libellé :En ce qui concerne le budget d’investissement à réaliser par RADIOTEL au titre du contrat d’assistance, pour le premier exercice évalué à environ 2.300 000 000 F CFA et en tenant compte des impératifs de sécurité nationale devant amener à une mise en place très rapide de RADIOTEL, les dépenses seront prises en charge selon le chef de répartition suivants :
– D1 60% au compte de RADIOTEL;
– D2 40 % au compte de l’ATCI.
Elle explique qu’en exécution de ce contrat, elle a passé commande du matériel radioélectrique et versé un acompte de 690 000 000 F CFA mais poursuit-elle, en violation des clauses contractuelles l’ATCI a par courrier en date du 08 novembre 2000 résilié de manière unilatérale le contrat en raison selon elle « des irrégularités dont il est attaché; sans autres précision.
Elle révèle que cette rupture injustifiée du contrat lui a causé un préjudice financier et moral dont elle a vainement demandé la réparation d’abord à l’ATCI par l’intermédiaire du conseil des télécommunications de cote d’ivoire dite CTCI et ensuite au tribunal. Elle reproche au premier juge de justifier sa décision par le fait « qu’au moment de la conclusion du contrat RADIOTEL n’avait pas la capacité juridique; qu’ainsi, elle ne pouvait accomplir aucun acte juridique ».
Elle indique qu’au lieu de statuer sur la responsabilité contractuelle de l’ATCI pour rupture abusive du contrat comme elle le lui demandait, le tribunal s’est plutôt placé sur le terrain de la validité de la convention.
Elle affirme qu’il s’agit d’un contrat synallagmatique dont la rupture ne peut être demandée qu’en cas de non respect par l’une des parties d’une clause du contrat et que, mieux, la convention prévoit en son article 9 les circonstances et faits pouvant justifier la rupture du contrat.
En tout état de cause, poursuit elle, les sanctions du défaut est la nullité du contrat et non sa résiliation.
Elle ajoute que la société ATCI aurait du demander la nullité relative du contrat en s’adressant au tribunal, seul habilité à trancher après avoir l’examen de la qualité du demandeur.
Par ailleurs, elle affirme qu’une société en formation peut bien exercer une activité sociale avant son immatriculation, les articles 106 et suivants de l’acte uniforme de l’OHADA sur les sociétés commerciales et groupement d’intérêt économique (GIE) n’édictant des règles que pour protéger les tiers des conséquences que peuvent entraîner les engagements pris par les fondateurs.
La société RADIOTEL indique que dans ce cas, les engagements sont repris automatiquement par la société des immatriculations de celle-ci et au cas où ces engagements excèdent les pouvoirs données au mandataire, les personnes qui les ont souscrites sont tenus solidairement et indéfiniment par les obligations qu’ils comportent.
Elle relève qu’il appartient à l’ATCI d’engager la responsabilité des dirigeants sociaux si, après l’immatriculation de RADIOTEL intervenue quinze jours après la signature de la convention d’engager la responsabilité des dirigeants sociaux si la reprise des engagements ne s’était pas faite de façon automatique.
Elle déclare qu’en tout état de cause, l’ATCI ne pouvait, en se fondant sur cet argument, ni dénoncer le contrat, ni l’annuler, l’action en annulation n’appartenant par ailleurs qu’au associés ou fondateur a entendu protéger; elle déclare également que l’ATCI, en rompant de façon unilatérale la convention avant l’arrivée du terme, a commis une faute qui engage sa responsabilité car il y a violation de l’article 1134 du code civil qui dispose que « les conventions tiennent lieu de loi aux parties d’une part et d’autre part, des articles 1184 et suivant du même code pour n’avoir pas demandé la résolution du contrat en justice.
Elle ajoute que la rupture du contrat intervenue est infondée car la lette de dénonciation à elle adressée le 08 novembre 2000 ne contient aucun motif précis, l’ATCI se contentant d’affirmer péremptoirement que le contrat est entaché de nombreuses irrégularités sans précisions.
Elle soutient que la rupture abusive du contrat par ATCI lui a fait perdre des sommes considérables d’argent et invoque l’article 1149 du code civil qui dispose que :
« Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé ».
Elle explique qu’en exécution de l’article 4 de la convention qui mettait à sa charge une obligation d’investissement à hauteur de 60% de la valeur du projet, elle a passé commande de matériels à la société ARPEGE DEFENSE sise en France et lui a versé un acompte de 690 000 000 f.
Elle demande le remboursement de cette somme par elle investie en vain.
Sur le gain manqué, elle fait valoir que conformément aux dispositions de l’article 33 de l’annexe financière jointe au contrat et faisant partis intégrante de celui-ci, il était prévu pour l’année 2001, la somme de 8.349.000 000 f CFA provenant des taxe et redevances de la radioélectricité sur laquelle elle devait percevoir 2.899.000 000 f CFA.
Elle indique que par cette rupture brusque et injustifiée, elle a perdu cette somme d’argent à laquelle elle s’attendait légitimement.
Elle sollicite également la condamnation de la société ATCI à lui payer cette somme.
Pour sa part, L’agence de télécommunication de cote d’ivoire dite ATCI, sous la plume de son conseil, la SCPA DADIE-SANGARET et associés explique le 22 juillet 2005 qu’elle a conclu le 27 septembre 2000 avec la société RADIOTEL, un contrat d’assistance pour la gestion du spectre de fréquences radioélectriques et des terminaux satellitaires INMARSAT,VSAT ou équivalents.
Elle ajoute que s’étant rendu compte de nombreuse irrégularités dont est entachée la signature dudit contrat, son conseil d’administration a décidé de le dénoncer le 02 novembre 2000.
Sur les irrégularités relevées, elle indique que le contrat sus-mentionné a été passé au mépris du code des marchés en ce qu’il n’a pas respecté les conditions du gré à gré qui exigent que l’autorité contractante ne recourt à ce type de marché qu’après y avoir été autorisé préalablement par le ministre chargé des marchés publics, même dans les cas d’urgence; or, poursuit-elle, malgré le montant qui excède les 80 000 000 FCFA à partir desquels un marché doit être obligatoirement passé, aucune autorisation du Ministre de l’économie et des finances n’a été donnée.
Par ailleurs, elle relève qu’au moment de la signature du contrat, la société RADIOTEL n’avait pas encore d’existence juridique, puisqu’elle n’a été inscrite au registre du commerce que le 20 octobre 2000 et publié dans le journal d’annonces légales le 02 Novembre 2000.
Elle innove l’article 1842 alinéa 1 du code civil français aux termes duquel « les sociétés jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation » pour soutenir que RADIOTEL n’ayant pas la personnalité morale ne pouvait pas contracter, de sorte que la convention du 27 septembre 2000 est nulle de nullité absolue et lui oppose que « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».
Relativement au remboursement de l’acompte, la société ATCI explique qu’il ressort de la lettre du 23 octobre 2000 que le matériel pour lequel il a été versé a été commandé le 06 juillet 2000 or, indique –t- elle, RADIOTEL n’existait pas encore et surtout le contrat du 27 septembre n’avait pas encore été signé.
Pour les dommages-intérêts réclamés elle fait valoir que la rupture intervenue n’est pas abusive parce qu’intervenue pour des raisons valables.
Au total, elle sollicite la confirmation du jugement attaqué et la condamnation de la société RADIOTEL aux entiers dépens distrait au profit de la SCPA DADIE- SANGARET et associés, avocats aux offres de droit.
Par des conclusions écrites du 21 novembre 2005, le Ministère public a requis la confirmation du jugement entrepris.
SUR CE
EN LA FORME
L’appel de la société RADIOTEL est recevable pour être régulier.
AU FOND
DE LA VALIDITE DU CONTRAT D’ASSISTANCE
Sur la capacité juridique de RADIOTEL à contracter
Il résulte clairement des articles 106 et suivant de l’acte uniforme OHADA relatif au droit des société commerciales et groupement d’intérêt économique que les fondateur peuvent faire actes et prendre des engagements pour le compte de la société en formation, avant sa constitution et si la société est constituée mais non encore immatriculée, ces engagements sont pris par le ou les dirigeants sociaux.
Les seules conditions exigés par ces textes sont celles tendant à protéger les intérêts des associés.
Il s’en suit que la société RADIOTEL a pu valablement contracter le 27 Septembre 2000 avec la société ATCI.
SUR LA VIOLATION DU CODE DES MARCHES
Il ressort des propres écritures de la société ATCI que c’est l’autorité contractante qui, doit conformément aux articles 37 et 38 du code des marchés, doit solliciter l’autorisation préalable du ministre chargé des marchés publics avant d’engager la procédure de gré à gré; or cette autorité se trouve être l’ATCI, elle-même de sorte que la règle « nul ne peut prévaloir de sa propre turpitude » s’applique à elle; ce n’est pas la faute à la société RADIOTEL si l’ATCI qui invoque les règles de passation des marché publics a elle-même violé celles-ci.
DE LA RUPTURE DU CONTRAT
La rupture du contrat intervenue unilatéralement par la société ATCI et avant terme est manifestement abusive; elle ouvre tout naturellement droit à réparation.
SUR LE REMBOUSEMENT DE L’ACOMPTE
La lettre de la société ARPEGE DEFENSE à RADIOTEL en date du 23 octobre 2000, même si elle fait référence à la commande du 06 juillet 2000 n’est cependant pas étrangère au contrat passé le 27 septembre 2000 entre l’ATCI et RADIOTEL; en effet tout le contenu de cette lettre traite des rapports née de ce contrat; en outre il n’est pas surprenant que RADIOTEL ait pris très tôt ses précautions pour honorer ses engagements; ils n’est pas non plus contesté que le compte de RADIOTEL à pointe noire à été débité du montant de 425.377.800 F CFA tel que cela ressort de l’avis d’opération débit en date du 12 octobre 2000; il s’en suit que cette somme doit être remboursée à la société RADIOTEL.
SUR GAIN MANQUE
La rupture abusive du contrat du fait de l’ATCI a privé la société RADIOTEL de percevoir sa part de taxe et redevances de la radioélectricité au titre de l’année 2001; cependant il est de bonne justice de cantonner cette somme d’argent à six cent million de franc CFA (600 000 000 FCFA).
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernière ressort.
EN LA FORME
Reçoit la société RADIOTEL en son appel.
AU FOND
L’y dit partiellement fondé.
Infirme le jugement attaqué.
Statuant à nouveau.
Condamne la société ATCI à payer à la société RADIOTEL les sommes d’argent suivantes :
– 425.377.800 f CFA à titre de remboursement d’acompte;
– 600 000 000 f à titre de gain manqué.
Condamne la société ATCI aux dépens;
En foi de quoi, le présent arrêt prononcé publiquement, en matière civile, commerciale et en dernier ressort par la Cour d’Appel d’Abidjan, (1ere chambre civile), à été signé par le président et le greffier.