J-09-227
VOIES D’EXECUTION – SAISIE – SAISIE CONSERVATOIRE DES CREANCES – DEMANDE DE MAINLEVEE – CREANCE FONDEE EN SON PRINCIPE (OUI) – EXISTENCE D’UNE MENACE DE RECOUVREMENT (OUI) – REJET DE LA DEMANDE.
Lorsqu’une créance est fondée en son principe en ce qu’elle résulte entre autres de conventions signées entre les parties et d’une ordonnance de taxation d’honoraires et qu’il existe une menace sérieuse de recouvrement due à diverses procédures judiciaires en cours contre le débiteur, le juge saisi ne peut faire droit à la demande de mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée.
Article 54 AUPSRVE
Article 111 AUCE
(Tribunal de Première Instance de Yaoundé Centre Administratif, Ordonnance N 524/C du 18 Septembre 2008, affaire TELKOM Cameroun contre Société Alpha net, Me TCHUENKAM).
Nous Président
Attendu que suivant exploit des 13 et 14 Octobre 2008 non encore enregistré mais qui le sera en temps utile, de Maître NGWE Gabriel Huissier de Justice à Yaoundé, la Société Transnational Industries (TIC) Le BUS SA fait donner assignation à la Société Professionnelle MUNA, MUNA et Associés, à la Union Bank for Africa (UBA) et à la CITI Bank pour solliciter :
– la rétractation de l’ordonnance N 1181 rendue sur requête le 29 Septembre 2008 par le Président du Tribunal de Première Instance de céans autorisant la saisie conservatoire des créances pratiquée le 1er Octobre 2008;
– la mainlevée de ladite saisie opérée entre les mains de la CITIBANK et de la United Bank for Africa (UBA), sous astreinte de 10 millions de francs par jour de retard à compter du prononcé de la présente décision;
– la discontinuation des poursuites jusqu’à l’issue de la procédure en contestation de l’ordonnance de taxation d’honoraires N 014/08/BOA/TCM rendue le 23 Septembre 2008 par le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats.
Attendu que la demanderesse expose :
Qu’elle vient de recevoir signification d’un procès- verbal de saisie conservatoire des créances daté du 1er Octobre 2008 à l’initiative de la SCP MUNA, MUNA et Associés pour sûreté et avoir paiement de la somme de 62 millions de francs.
Que l’article 54 de l’Acte Uniforme OHADA pose deux conditions cumulatives préalables à l’ordonnance de saisie conservatoire à savoir que la créance doit paraître fondée dans son principe et il doit exister des circonstances de nature à en menacer le recouvrement.
Que la Cour d’Appel de NIAMEY dans un arrêt N 108 du 11 juillet 2001 définit la créance fondée dans son principe comme celle qui est certaine, liquide et exigible.
Que cependant, il s’agit en l’espèce d’une créance essentiellement aléatoire en ce qu’elle ne repose ni sur un contrat d’honoraires, ni sur la preuve des prestations effectivement fournies, quantifiables et qualifiables.
Qu’en effet les parties ont été liées par une convention d’honoraires et de collaboration du 06 novembre 2006 aux termes de laquelle pour tous les services juridiques rendus outre les procédures judiciaires pendant la période allant du 20 Octobre 2006 au 19 Octobre 2007 une somme forfaitaire de USD 125 000 devait être versée par TAUG SA et LECAR SA à la SCP MUNA, MUNA et Associés.
Qu’entre le 20 octobre 2006 et le 08 avril 2008, la SCP MUNA, MUNA et Associés a perçu la rondelette somme de 104 500 000 francs, soit l’équivalent USD 300 000 environ, et la dette éventuelle d’honoraires a été ainsi totalement purgée, ce qui rend la demande actuelle de paiement d’honoraires supplémentaires purement fictive et abusive.
Qu’il s’en suit que la créance dont le recouvrement est poursuivie est contestée tant dans son principe que dans son montant.
Que la Cour d’Appel de Dakar dans un Arrêt N 299 du 25 Mai 2001 prescrit en outre que pour que soit ordonnée une saisie conservatoire, le créancier poursuivant justifie des circonstances de nature à menacer le recouvrement de la créance.
Que la preuve de cette exigence n’a pas été rapportée.
Qu’elle est une société connue, ayant pignon sur rue avec un patrimoine consolidé au moins égal à 05 milliards de francs CFA, elle a des comptes régulièrement approvisionnés ouverts dans diverses banques de la place, elle n’est ni faillie ni en état de banqueroute.
Attendu que la SCP MUNA, MUNA et Associés réplique.
Qu’une société ne peut valablement ester en justice que par l’intermédiaire de son gérant ou de la personne physique reconnue comme telle en vertu des Statuts.
Qu’en l’espèce, la Société TIC LE BUS SA n’a plus de représentant légal puisque son Président du Conseil d’Administration a démissionné et n’a pas été remplacé à ce jour et cette carence doit être sanctionnée par l’irrecevabilité de l’action pour défaut de qualité.
Que les allégations des demanderesses se référant à la jurisprudence visent en réalité à tromper la vigilance du juge de l’exécution de céans en ce que l’Arrêt N 108 du 11 juillet 2001 de la Cour d’Appel de Niamey énonce que « la créance fondée en son principe peut aussi être une créance certaine, liquide et exigible » et nulle part, ni même dans l’article 54 de l’Acte Uniforme OHADA N 6, il n’est exigé ces caractères pour que la créance paraisse fondée en son principe.
Qu’en réalité, la créance litigieuse est née des honoraires dus par la société TIC LEBUS SA au titre de l’année Octobre 2007 à Octobre 2008.
Qu’en effet pour matérialiser la mission pour laquelle elle s’était déjà investie, elle-même et le Directeur Général de la société TIC LEBUS SA avaient signé le 06 Novembre 2006 un agreement qui en son article 4 prévoit qu’en contrepartie des services rendus, la SCP MUNA, MUNA et Associés recevrait par an 125 000 dollars.
Qu’en plus de ces montants, les affaires pendantes devant les juridictions devaient faire l’objet d’honoraires distinctes (articles 2.1 bV) de même que les frais de transport en cas de déplacement d’un avocat et le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée étaient à la charge du client.
Que le contrat dont s’agit a été régulièrement exécuté bien que le client n’ait pas signé le document reprenant ces conditions qui lui avait été transmis.
Que pour la période allant d’Octobre 2007 à Octobre 2008, la société demanderesse est ainsi débitrice de la somme de 60 millions de francs à laquelle il convient d’ajouter 02 millions de francs représentant les honoraires pour les affaires pendantes devant les juridictions contrairement à ses dires, elle n’a payé aucun franc pour cette année à la SCP MUNA, MUNA et Associés qui continuait à fournir à son profit un travail de titan.
Qu’en ce qui concerne le paiement allégué de 104 500 000 francs, il importe de préciser que l’état financier faisant ressortir ce montant mentionne que pour la période 2006-2007 la société TIC LEBUS a libéré 39 millions de francs au titre d’honoraires et 3 500 000 francs pour les frais de procédure (Affaire TAUG-C C/ Nelson 1 500 000 francs et Transformation LE CAR SARL en SA 2 000 000 francs).
Que par contre TAUG SA a payé 42 millions de francs et LE CAR SA 15 millions de francs d’honoraires et 05 millions de francs au titre de frais de procédure dans l’affaire l’opposant à l’Hôtel SAWA.
Que sur les 104 500 000 francs ces sociétés ont exposé 8 500 000 de frais de procédure et 96 millions de francs d’honoraires pour la période 2006- 2007.
Qu’en réalité pour les années 2006-2007 et 2007-2008, la SCP MUNA, MUNA et associés devrait normalement percevoir des Sociétés TAUG, LECAR et TIC LEBUS la somme globale de 240 millions de francs sans préjudice des honoraires conjointement dus pour les affaires pendantes devant les juridictions.
Qu’au regard de ce qui précède, la créance de 62 millions francs à l’égard de la société TIC LEBUS SA est ventilée comme suit :
– honoraires annuels Octobre 2007-Octobre 2008 :……. 60 000 000 francs
– honoraires pour les affaires pendantes devant les juridictions :. 02 millions de francs.
Que la menace de recouvrement est justifiée par la situation financière précaire des sociétés débitrices (autres dettes impayées, nantissements importants, compte de résultat déficitaire), et en l’occurrence certaines procédures démontrant qu’elle n’honorent pas leurs engagements vis-à-vis de leurs employés et de leurs cocontractants.
Qu’à titre d’exemples l’on peut citer les instances suivantes :
1 LEBUS SA C/ ENGAMA NOAH Joseph Marie, chauffeur licencié sans paiement de ses droits d’un montant de 452 666 francs.
2 C/ HASSANA, chauffeur licencié le 08 Avril 2008.
3 C/ SEYE Martin, chauffeur-mécanicien congédié le 07 Avril 2008 sans paiement de ses droits d’un montant de 6 538 953 francs.
4 C/ NANGIA Odine Valentine, Agent de sécurité licencié le 03 Juin 2008.
5 C/ FOUMANA Cyrille, agent de sécurité licencié le 05 Octobre 2007.
6 C/ MVONDO Claude Henri, conducteur licencié le 27 Mai 2008.
7 C/ MBELA Paul Blaise, agent de sécurité licencié le 03 Juin 2008.
Que par ailleurs, l’assemblée générale de la société demanderesse lors de sa tenue le 26 Février 2008 a refusé d’engager l’Etat du Cameroun dans une transaction motif pris de ce que le fonctionnement de TIC LEBUS « n’est pas encore clair » surtout au niveau des participations.
Que face aux inquiétudes des membres du conseil d’administration, comment ne pas dire que les honoraires de la SCP MUNA, MUNA et Associés sont menacés dans leur recouvrement.
Qu’au surplus, le parc automobile de la TIC LEBUS était constitué auparavant de 45 bus aujourd’hui en attendant des pièces de rechange, et cette saisie prouve à suffire qu’elle n’a pas un patrimoine sûr pouvant garantir le paiement des dettes sociales.
Que depuis la démission du Président du conseil d’administration et l’arrivée à terme du contrat du Directeur Général de la société TIC LEBUS SA, icelle est gérée par le Président Directeur Général de TAUG- Cameroun SA qui n’a nullement reçu les pouvoirs du Conseil d’Administration et une telle situation paralyse le fonctionnement normal, à peine l’Assemblée Générale prévue le 03 Juillet 2008 n’a pas eu lieu pour convocation irrégulière.
Qu’il n’est pas superflu de relever qu’au mépris des prescriptions de l’article 21 de leurs statuts, les dirigeants de cette société n’ont pas cru devoir dresser l’inventaire et établir les états financiers annuels, le rapport de gestion et le bilan, et une telle inertie est sanctionnée par l’article 111 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation de la comptabilité des entreprises.
Que sans bilan financier l’on ne peut pas savoir si les honoraires dont le paiement est sollicité sont inscrits dans la dette sociale et les créanciers restent alors dans l’incertitude.
Que l’unique source de revenus d’un avocat est constituée d’honoraires qui ont alors un caractère alimentaire et les lettres de relance et mises en demeure adressées à la société débitrice ont buté sur un mutisme révoltant d’icelle, et la SCP MUNA, MUNA et Associés s’est alors trouvée dans la triste obligation de saisir le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Cameroun qui a rendu l’ordonnance de taxation d’honoraires N 015/08/BOA/TCM du 23 Septembre 2008.
Que le silence ainsi opposé au paiement d’une dette alimentaire s’analyse en une manoeuvre organisée pour ne point s’en acquitter et met en péril le recouvrement.
Attendu qu’il est versé aux débats :
Le retainership Agreement du 21 octobre 2005 signé entre la SCP MUNA, MUNA et Associés et le Président de Parker Transnational Industries, reconduit par le retainership agreement pour la période allant du 20 Octobre 2007 au 19 Octobre 2008.
Les documents attestant l’audience accordée aux représentants de TAUG SA par le Chef de l’Etat camerounais son Excellence Paul BIYA le 28 septembre 2007.
Les consultations et rédactions des contrats et autres actes.
Les états de paiements opérés à hauteur de 104 500 000 francs.
Les lettres et mails de la SCP MUNA, MUNA et Associés réclamant le paiement des honoraires, les 27 mai 2008 et 30 mai 2008 et la lettre de relance du 28 Août 2008.
Les réclamations pécuniaires des employés licenciés et des prestataires de service.
Les actes de licenciement de certains cadres.
L’ordonnance de taxation d’honoraires N 015/08/BOA/TCM rendue le 23 septembre 2008 par le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats.
Attendu qu’en application de l’article 97 du code de procédure civile et commerciale, l’exception d’irrecevabilité de l’action pour défaut de qualité ne saurait prospérer pour avoir été soulevée à l’audience par Maître AKERE MUNA après qu’il ait développé oralement ses moyens de défense au fond.
Attendu qu’aux termes de l’article 54 de l’Acte Uniforme OHADA N 6 : « Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut, par requête, solliciter de la juridiction compétente du domicile ou du lieu où demeure le débiteur, l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur tous les biens mobiliers corporels ou incorporels de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances de nature à en menacer le recouvrement.
Que ces dispositions légales requièrent exclusivement l’apparence de la créance sans les caractères de certitude, de liquidité et d’exigibilité, et du reste la polémique dérivée de l’interprétation des Arrêts des Cours d’Appel de NIAMEY (Niger) et de Dakar (Sénégal) est superflue puisque pour des raisons de souveraineté nationale, la jurisprudence de ces pays ne s’impose pas aux juridictions camerounaises.
Qu’il résulte des pièces sus- énumérées, notamment le retainership agreement signé le 20 octobre 2007 entre la SCP MUNA, MUNA et Associés d’une part et la Transnational Automotive Group (TAUG) SA représentée par le sieur LAL KARSANBHAI d’autre part que la somme de 250 000 dollars due annuellement au titre des services rendus (articles 4.1) est distincte des honoraires et frais à payer pour les litiges pendantes devant les juridictions.
Que les documents produits au dossier illustrent que dans diverses instances, la SCP MUNA, MUNA et Associés a été constituée au soutien des intérêts de la Société TIC LEBUS SA.
Qu’au vu des développements qui précèdent et de l’ordonnance de taxation d’honoraires N 015/08/BOA/TCM du 23 Septembre 2008 du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats évaluant à 62 millions de francs la somme à payer à la partie défenderesse, la créance litigieuse repose sur des éléments justificatifs non négligeables.
Attendu que la société demanderesse ne conteste nullement l’avalanche des procédures judiciaires engagées à son encontre par leurs employés et cocontractants, ni le licenciement de plusieurs dirigeants sociaux, ni l’absence des états financiers et bilans annuels, tous éléments qui suscitent l’incertitude sur leur gestion et caractérisent la menace de recouvrement au sens de l’article 54 de l’Acte Uniforme OHADA précité.
Que c’est à bon droit que le juge des requêtes de céans a rendu l’ordonnance querellée N 1180 du 29 Septembre 2008.
Que la demande est en conséquence dépourvue de fondement et il échet de la rejeter.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière des difficultés d’exécution et en premier ressort.
Déclarons la demanderesse recevable en son action.
L’y disons non fondée et la déboutons de ses prétentions.