J-09-251
VOIES D’EXECUTION – SAISIE – SAISIE IMMOBILIERE – CAHIER DE CHARGES – ABSENCE DES MENTIONS OBLIGATOIRES (DATE DE NAISSANCE DU CREANCIER) – PREJUDICE (OUI) – NULLITE (OUI).
VOIES D’EXECUTION – SAISIE – SAISIE IMMOBILIERE – CREANCIER CHIROGRAPHAIRE – VIOLATION DU PRINCIPE DE LA SUBSIDIARITE DE LA SAISIE IMMOBILIERE – NULLITE DE LA SAISIE (OUI).
VOIES D’EXECUTION – SAISIE – SAISIE IMMOBILIERE – COMMANDEMENT – ABSENCE DE SIGNIFICATION AU TIERS DETENTEUR – NULLITE DU COMMANDEMENT (OUI).
1 L’omission de certaines mentions exigées dans le cahier des charges, en l’espèce la date de naissance du créancier, donne lieu, en cas de préjudice moral à la nullité du cahier de charges.
2 Faute pour le créancier chirographaire d’avoir d’abord procédé à la saisie des biens meubles du débiteur dont l’existence est prouvée par un procès-verbal qui en a fait l’inventaire, la saisie immobilière pratiquée doit être déclarée nulle.
3 A peine de nullité de la procédure de saisie immobilière, le créancier poursuivant doit signifier le commandement aux fins de saisie au tiers détenteur de l’immeuble qui, en l’espèce est une personne morale distincte du débiteur saisi.
(Tribunal de Grande Instance du Moungo, Jugement N 15/CIV du 07 Décembre 2006, affaire Maître LANKEUH Senghor, Madame LANKEUH née KOUAGANG Marguerite, C/ Sieur NGAMOU Théophane).
Le Tribunal
Vu les lois et règlements en vigueur.
Vu les pièces du dossier de procédure.
Attendu qu’en vertu de l’arrêt N 233/CRIM du 26 Août 1997 rendu par la Cour d’Appel du Littoral, NGAMOU Théophane, directeur de société ayant pour conseil Maître TCHOUAWOU SIEWE Luc, Avocat au Barreau du Cameroun, a par exploit du 27 mars 2006 enregistré à Nkongsamba le 31 octobre 2006, volume 4 folio 183 numéro 640 aux droits de quarante mille (40. 000) francs, fait commandement à LANKEUH Senghor, Notaire domicilié à Nkongsamba, et à dame LANKEUH née KOUAGANG Marguerite d’avoir à lui payer dans un délai de 20 jour à compter de la signification de cet exploit les sommes suivantes :
– 6.100 000 francs en principal;
– 189.500 francs de droit de recette;
– 36.478 francs de taxe sur la valeur ajoutée sur droit de recette;
– 27.770 francs coût signification commandement du 25 Juillet 1997;
– 14.435 francs coût signification commandement du 16 janvier 2001;
– 14.435 coût signification arrêt itératif commandement du 20 Novembre 2000;
– 100 000 coût du présent exploit.
Soit au total 6.482.618 francs, sous peine de saisie suivie de vente des immeubles ci-après : l’immeuble urbain bâti situé à Nkongsamba au lieu dit Ekangté d’une contenance superficielle de 1861 m² objet du titre foncier N 5039 vol 22 folio 22 du département du Moungo; l’immeuble urbain non bâti situé à Nkongsamba au lieu dit Ekangté formant le lot N 2 bloc 41 d’une superficie de 764 m² objet du titre foncier N 4935 vol 21 folio 124 du département du Moungo.
Attendu que les époux LANKEUH ne s’étant pas exécutés dans le délai de 20 jours à eux imparti, NGAMOU Théophane a déposé au Greffe de céans un cahier de charges relatif à la vente des immeubles projetée.
Qu’en réaction, les époux LANKEUH, sous la plume de leur conseil Maître NTSAMO Etienne, y ont inséré des dires et observations tendant à l’annulation des poursuites ainsi engagées contre eux.
Que pour soutenir l’annulation du commandement qui leur a été signifié, les époux LANKEUH, par l’organe de leur conseil, ont évoqué la violation par le saisissant des dispositions des articles 28, 254 alinéa 2, 255, 259 alinéa 2, 267 alinéa 5 de l’Acte Uniforme N 06 portant sur le recouvrement des créances et voies d’exécution, et 11 de la loi N 87/022 du 17 Décembre 1987 fixant les règles relatives aux activités des Établissements scolaires et formations privés au Cameroun.
Qu’ils ont développé s’agissant de la violation de l’article 267 alinéa 5 de l’acte N 6 OHADA que le cahier de charges du 03 Juillet 2006 ne contient pas la date de naissance du créancier poursuivant alors même que selon la loi « le cahier des charges contient à peine de nullité, les noms, prénoms, profession, nationalité, date de naissance et domicile du créancier poursuivant ».
Qu’ils ont également fait observer que le créancier poursuivant a violé l’article 28 du même acte uniforme en ce qu’il n’a pas commencé l’exécution, quelque soit la nature de la créance, en premier lieu sur les biens meubles, et en cas d’insuffisance donc de ceux-ci, poursuivre sur les immeubles.
Que bien plus les immeubles visés abritent les locaux du Collège d’Enseignement Secondaire dénommé « Institut Privé MITOUKEM BP 36 Nkongsamba » dont les meubles meublants, au cas où cet institut était extraordinairement admis comme biens du débiteur, auraient dû être saisis.
Que toujours en violation du même article, le créancier poursuivant ne s’est point intéressé aux biens pourtant de grande valeur meublant tant la résidence que leur fonds de commerce.
Que s’agissant de la violation des articles 254 alinéa 2 et 255 de l’acte N 6 OHADA, les époux LANKEUH ont fait valoir que les immeubles saisis abritant « l’ Institut Privé MITOUKEM BP 36 Nkongsamba » structure autonome, ayant un personnel, un budget, une direction autonome estant régulièrement en justice en tant qu’un sujet de droit distinct du débiteur saisi, donc un tiers occupant et détenteur des immeubles litigieux qui devrait recevoir signification tant du commandement aux fins de saisie que de la sommation de délaissement, ceci à peine de nullité de la saisie et des poursuites.
Que le débiteur saisi a enfin étayé en ce qui concerne l’inobservation de l’article 11 de la loi N 87/022 du 17 décembre 1987 que ce texte de loi interdit expressément toute vente d’un établissement d’enseignement secondaire, l’autorisation d’ouverture d’une telle structure étant strictement intuitu personae et incessible.
Qu’il a renchéri qu’en application de l’acte N 6 OHADA, s’agissant d’un immeuble bâti tel qu’en l’espèce, l’huissier instrumentaire est tenu de le visiter avant la rédaction du cahier de charges, et ce, en vue de recueillir tous les renseignements pour édifier le Tribunal saisi, ce qui n’a pas été fait, tout comme le cahier de charges ne comporte pas la date du dépôt du commandement à la conservation foncière.
Attendu que dans ses conclusions et en réaction aux dires et observations ci-dessus résumés, NGAMOU Théophane, sous la plume de son conseil Maître Luc TCHOUAWOU SIEWE a examiné successivement les moyens de nullité évoqués par le débiteur saisi.
Que pour mettre en déroute l’argument du débiteur saisi tiré de la violation de l’article 267 alinéa 5 de l’acte N 6 OHADA et selon lequel le créancier poursuivant n’a pas fait mention de sa date de naissance dans le cahier des charges, a répliqué que conformément à l’article 297 alinéa 2 du même acte uniforme, « les formalités prévues par … les articles 254, 267 et 277 ci-dessus ne sont sanctionnées par la nullité que si l’irrégularité a eu pour effet de causer un préjudice aux intérêts de celui qui l’invoque » que tel n’est pas le cas en l’espèce; aucun grief n’ayant été selon lui causé au débiteur de ce fait.
Que s’inscrivant en faux contre la violation de l’article 28 alinéa 2 de l’acte uniforme N 6 qu’on lui impute au motif qu’il ne s’est pas d’abord attaqué aux biens meubles meublants du débiteur saisi, le créancier poursuivant a fait valoir que les biens meubles meublants appartenant au Collège MITOUKEM et évoqués par le débiteur saisis étaient insaisissables en vertu des dispositions de l’article 327 du Code de Procédure Civile.
Qu’il a ajouté qu’il s’est strictement conformé aux dispositions de l’article 28 de l’acte N 6 OHADA en poursuivant l’exécution sur les immeubles de son débiteur après un procès verbal de carence qui fait foi jusqu’à inscription en faux.
Qu’en ce qui concerne les autres biens meubles que l’huissier instrumentaire n’aurait pas pu localiser, il appartient au débiteur de prouver leur existence.
Que s’attaquant ensuite à l’argument tiré de la violation des articles 254 alinéa 2 et 255 de l’acte uniforme OHADA N 6, violation fondée selon le débiteur sur le fait que le créancier poursuivant n’a pas signifié ni le commandement, ni la sommation de délaissement au tiers occupant et détenteur de l’immeuble qui est « l’ Institut Privé MITOUKEM » structure autonome, avec budget et direction autonomes, le créancier poursuivant a rétorqué que cette formalité ne s’applique pas au cas de la présente procédure.
Que pour davantage justifier sa position, il a évoqué l’article 8 de la loi N 87 de la loi N 87/022 du 17 décembre 1987 fixant les règles relatives aux activités des Établissements scolaires et formation privés au Cameroun qui dispose que « le fondateur d’un établissement privé en assure la responsabilité administrative, financière et pédagogique ».
Qu’en conséquence, le commandement fait à LANKEUH Senghor qui est en même temps le fondateur du collège MITOUKEM et le propriétaire des immeubles qui abritent le collège est suffisant et valable.
Attendu que contestant enfin la violation par lui de l’article 11 de la loi N 87/022 du 17 décembre 1987, le créancier poursuivant a exposé que le but poursuivi par la présente procédure, n’étant pas de vendre un établissement scolaire, l’argument tiré de la violation de ce texte n’est pas fondé.
Attendu que le Tribunal doit donc examiner chacun des moyens évoqués par Maître LANKEUH Senghor qui sollicite que soit déclaré nul et de nul effet le commandement aux fins de saisie immobilière sus évoqué.
I De la violation de l’article 267 alinéa 5 de l’Acte N 6 OHADA
Attendu qu’il ressort de façon non équivoque des dispositions de l’article 267 alinéa 5 de l’acte N 6 OHADA que le cahier des charges contient à peine de nullité « les noms, prénoms, profession, nationalité, date de naissance et domicile au créancier poursuivant »
Que l’inobservation de cette formalité prescrite à peine de nullité à l’évidence cause un préjudice tout au moins moral au débiteur saisi en ce sens qu’il ne sait même pas qui veut s’approprier de son immeuble.
Qu’en conséquence, en raison de l’absence de la date de naissance du créancier poursuivant dans le cahier des charges, c’est à juste titre que le Tribunal se doit de le déclarer nul et de nul effet.
II De la violation de l’article 28 alinéa 2 de l’acte N 6 OHADA
Attendu qu’il est reproché au créancier poursuivant de n’avoir pas commencé par la vente des biens meubles du débiteur avant de s’attaquer aux immeubles au cas où les meubles s’avéreraient insuffisants.
Qu’en réplique, ce dernier a déclaré qu’il a effectivement essayé mais que par manque de meubles, il a dressé un procès verbal de carence qui fait foi jusqu’à inscription de faux.
Qu’il a ensuite évoqué l’insaisissabilité des biens du Collège MITOUKEM conformément à l’article 327 du Code de Procédure Civile et a renchérit qu’il appartenait au débiteur saisi de prouver l’existence d’autres meubles que l’huissier instrumentaire n’a pas pu localiser.
Mais attendu que les arguments du créancier saisissant manquent de pertinence; qu’en effet, de bonne foi, le débiteur saisi a fait inventorier ses biens meubles le 11 août 2006 dont procès verbal joint au dossier de procédure.
Que n’ayant pas pris en compte l’existence de ces biens avant de s’attaquer aux immeubles, il va de soi que le créancier saisissant a violé l’article 28 de l’acte N 6 OHADA.
Que bien plus, le créancier saisissant n’a pas cru devoir s’attaquer aux importants biens se trouvant dans les locaux abritant le Collège MITOUKEM au cas où il serait admis que cet institut est la propriété du débiteur saisi.
Qu’en tout état de cause, force est de constater que la procédure régulière à suivre pour les créances chirographaires comme en l’espèce a été escamotée et qu’il convient en conséquence de déclarer les poursuites ainsi engagées nulles et de nul effet.
III De la violation des articles 254 alinéa 2 et 255 de l’acte N 6 OHADA
Attendu qu’il est reproché au créancier saisissant de n’avoir signifié ni le commandement, ni la sommation de délaissement au tiers occupant et détenteur de l’immeuble qui est l’institut MITOUKEM structure autonome, avec budget et direction autonomes.
Que celui-ci a réagi en brandissant les termes de l’article 8 de la loi N 87/022 du 17 décembre 1987, fixant les règles relatives aux activités des établissements scolaires et de formation privés au Cameroun qui dispose : « le fondateur d’un établissement privé en assure la responsabilité administrative, financière et pédagogique ».
Qu’en conséquence le commandement fait à LANKEUH Senghor qui est en même temps le fondateur du Collège MITOUKEM et le propriétaire des immeubles qui abritent le collège est largement suffisant.
Mais attendu que cette déduction facile n’obéit pas forcément à l’esprit de la loi sus évoquée.
Qu’en effet, le collège saisi est une personne morale autonome qui a un personnel distinct du débiteur saisi et est susceptible d’ester en justice.
Qu’il devait par conséquent être signifié par un représentant légal qui est son directeur et non LANKEUH Senghor.
Que ne l’ayant pas fait, le créancier saisissant a violé les articles 254 alinéa 2 et 255 de l’acte N 6 OHADA.
Qu’il convient également de déclarer ledit commandement nul et de nul effet par ce manquement.
IV De la violation de l’article 11 de la loi N 87/022 du 17 décembre 1987
(…).
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes les parties, en matière civile et commerciale, en premier et dernier ressort, après avoir délibéré conformément à la loi.
Déclare nul et de nul effet le commandement aux fins de saisie immobilière querellée ainsi que les poursuites subséquentes.
Donne main levée de la saisie litigieuse.