J-09-252
SOCIETES COMMERCIALES – SOCIETE COOPERATIVE – GESTION – OBLIGATION DE PRESENTER LES COMPTES DE GESTION – NON P¨RESENTATION DES COMPTES DE GESTION – FAUTE DE GESTION – DELAI POUR PRESENTER LES COMPTES DE GESTION.
Une société coopérative qui exerce des activités commerciales est soumise aux règles régissant la gestion des sociétés commerciales notamment l’obligation faite aux dirigeants de présenter le rapport annuel de gestion. Dès lors, le procès verbal de passation de service présenté par le directeur général et le PCA d’une société coopérative et qui se contente d’énumérer les pièces et dossiers transmis ne saurait constituer un rapport de gestion en ce qu’il ne présente pas la situation de la société durant l’exercice écoulé. C’est donc à bon droit que le juge saisi condamne les dirigeants à la présentation dudit rapport en leur enjoignant un délai pour ce faire.
Article 137 AUSCGIE
Article 138 AUSCGIE
(Tribunal de Grande Instance du Moungo, jugement N 30/CIV du 21 juin 2007, affaire UNION DES COOPERATIVES DU LITTORAL représentée par NGOUL NZONJE contre EKWELLE EWANE Marcel Michel), note Yvette KALIEU ELONGO.
LE TRIBUNAL
Vu les lois et règlements en vigueur.
Vu les pièces du dossier de procédure.
Attendu que suivant exploit d’huissier des 26 et 30 mars 2004 enregistré à Nkongsamba le 22 avril 2004 à huit mille francs, volume 1 folio 80, N 190 l’Union des coopératives Agricoles du Littoral (UCAL) agissant par la voie de son représentant légal NGOUL NZONJE, a fait donner assignation à EKWELLE EWANE Marcel et SOBCHINDA TAGATSING Michel d’avoir à se trouver et comparaître devant le Tribunal de Grande Instance du Moungo à Nkongsamba statuant en matière civile et commerciale pour est-il dit dans l’exploit :
Recevoir l’Union des Coopératives Agricoles du Littoral en son action régulièrement engagée.
Vu le procès verbal de la dernière assemblée générale annuelle.
Constater que les requis n’y sont plus ni Directeur Général, ni Président du conseil d’administration.
Constater que ceux-ci n’ont pas présenté leur rapport d’activité à l’assemblée Générale Annuelle du 10 Décembre 2003, tous les efforts privés faits pour les y contraindre ayant échoué.
Constater que la nouvelle équipe dirigeante issue de ladite assemblée Générale ignore tout sur les comptes, les fonds, les stocks, les avoirs, les biens, les équipements, les procédures judiciaires, les engagements pris au nom de l’Union entre autres.
Vu les articles 268 et suivants du Code de procédure civile et commerciale.
Condamner sieur SOBCHINDA TAGATSING Michel et EKWELLE EWANE Marcel à rendre compte de leur gestion de l’Union des Coopératives Agricoles du Littoral (UCAL) jusqu’au 10 Décembre 2003 sur les points concernant la situation des comptes dans les Banques, les fonds, les avoirs, les stocks, les biens et équipements, les procédures judiciaires et les engagements pris envers les tiers en son nom et sur tous autres points que le Tribunal estimera utile.
Dire que ce compte sera rendu dans le délai d’un mois courant à compter du prononcé de la décision sollicitée avec Monsieur le Président du Tribunal de céans, Juge commissaire, et tout ayant droit intéressé, appelé.
Dire que ce délai passé, les rendants y seront contraints par saisie et vente de leurs biens jusqu’à concurrence de telle somme qui sera fixée à dire d’expert désigné par le Tribunal de céans.
Condamner les requis aux entiers dépens.
Rejeter toutes fins et conclusions contraires.
Attendu qu’au soutien de son action, l’Union des Coopératives Agricoles du Littoral, concluant sur la plume de Maître SIEWE Jean Joseph Claude son conseil expose que SOBCHINDA TAGATSING Michel a dirigé l’UCAL durant quelques années sous la Présidence de EKWELLE EWANE Marcel.
Que si le premier a démissionné quelques jours avant la tenue de l’Assemblée Générale annuelle du 10 Décembre 2003, le second n’a pas été reconduit dans ses fonctions par cette institution.
Qu’ils sont donc partis sans présenter à cette Assemblée leur rapport annuel d’activité.
Qu’aux termes des dispositions combinées des articles 21 et 28 des statuts de l’UCAL, son Directeur Général en assure la gestion au jour le jour sur la bienveillante surveillance du Président du conseil d’administration.
Que cette gestion consiste en la tenue régulière des comptes, en la sauvegarde des fonds, avoirs, stocks, biens et équipements de l’Union, le tout sur fond de présentation à l’Assemblée Générale annuelle d’un rapport d’activités faisant ressortir les comptes contrôlés conformément à la loi.
Que la nouvelle équipe dirigeante issue de l’Assemblée Générale du 10 Décembre 2003 ignore tout en raison de l’inexistence de tout document pouvant lui permettre de travailler avec sérénité.
Que l’UCAL a le plus grand intérêt a obtenir des requis le compte rendu de leurs activités durant leur gestion notamment sur la situation des fonds, avoirs stocks, biens et équipements, la situation des comptes dans les Établissements financiers, les procédures judiciaires et les engagements éventuellement pris au nom de l’Union.
Attendu que venant aux débats, EKWELLE EWANE Marcel et SOBCHINDA TAGATSING Michel ayant pour conseil Maître NTSAMO Etienne concluent aux déboutés de l’UCAL de toutes ses demandes et prétentions comme mal fondées et sa condamnation aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître NTSAMO Etienne, Avocat aux offres de droit.
Qu’ils expliquent notamment que les demandes et prétentions de la nouvelle équipe dirigeante de l’UCAL sont basées soit sur leur incompétence, soit sur leur mauvaise foi.
Qu’en effet, il ressort clairement du procès verbal de passation de service du 5 Janvier 2004 signé tant par l’équipe sortante que par celle entrante que celle-ci a reçu tous les documents, registres et dossiers de l’UCAL lors de sa prise des fonctions.
Que NGOUL NZONJE, auteur de l’exploit d’assignation du 26 Mars 2004 a accusé réception effective de tous ces documents de concert avec son vice Président (TAGNE Jacques) et ses deux co-directeurs (FOGUE Jean Pierre et TAFFOU Bernard).
Qu’il est curieux qu’ayant pris possession effective desdits documents contre décharge le 5 Janvier 2004, ils attendent le 26 Mars 2004 pour les réclamer à nouveau par devant le Tribunal de céans.
Qu’après cette passation de service avec transmission effective de tous les documents comptables, registres, dossiers à la nouvelle équipe dirigeant actuellement l’UCAL ils se trouvent dans l’impossibilité matérielle de rendre compte.
Que par ailleurs, NGOUL NZONJE qui prétend qu’ils ont déserté l’UCAL avant la tenue de l’Assemblée Générale du 10 Décembre 2003, n’explique au Tribunal par quel mystère ladite Assemblée a été présidée par EKWELLE EWANE Marcel et avec pour secrétaire de séance SOBCHINDA TAGATSING Michel.
Qu’il n’explique pas davantage par quel mystère l’équipe sortante a passé tous les documents, registres et dossiers de l’UCAL contre décharge à l’équipe entrante lors de la cérémonie de passation de service du 5 Janvier 2004 avec procès-verbal rédigé et signé par les deux équipes.
Qu’en somme, la présente procédure initiée par NGOUL NZONJE n’a aucun fondement, sinon celui de nuire aux concluants.
Qu’enfin, l’UCAL ne rapporte pas la preuve ni de ce que les concluants étaient tenus de rendre compte lors de l’Assemblée Générale du 10 Décembre 2003, ni de ce que ce point était inscrit à l’ordre du jour.
Qu’au demeurant, les activités de l’exercice 2003 ont été présentées, devant tous les administrateurs, délégués, auditeurs internes et un témoin neutre (l’auditeur externe des comptes de l’UCAL, GAP CONSULT) tant au conseil d’administration du 9 Décembre 2003 qu’à l’Assemblée Générale du 10 Décembre 2003.
Que cette présentation des activités a été reprise par écrit et introduite dans un document relié appelé « Document de Travail » remis à chacun des participants au cours des réunions statutaires.
Que sur le plan fiscal, les nouveaux dirigeants devaient faire basculer les comptes sur le nouveau système comptable OHADA, les faire contrôler et certifier par expert comptable au plus tard le 31 Mars 2004.
Que sans doute, pour dissimuler leur incompétence, ils ont préféré saisir le Tribunal par assignation du 26 Mars 2004, c’est-à-dire quelques jours avant la date fatidique.
Mais Attendu que le procès-verbal des passations de service du 5 Janvier 2004 sur la base duquel les défendeurs justifient leur gestion n’est pas un rapport de gestion.
Que cette pièce qui se contente d’énumérer les pièces et dossiers transmis par l’équipe sortante à l’équipe entrante ne contient aucunement le compte rendu des opérations de gestion de l’année 2003.
Qu’au moment de passer le service aux nouveaux dirigeants, EKWELLE EWANE Marcel et SOBCHINDA TAGATSING Michel, anciens dirigeants de l’UCAL, se devaient d’arrêter les comptes de gestion retraçant notamment les recettes et dépenses effectives et la récapitulation de la balance desdites recettes et dépenses conformément à l’article 274 du Code de procédure civile et commerciale, avant de les faire certifier par un expert comptable agréé.
Qu’en passant le service après l’assemblée générale du 10 Décembre 2003 sans présenter un rapport de gestion couvrant l’exercice 2003, les défendeurs ont violé l’obligation de rendre compte qui incombe à tous les mandataires sociaux et ne sauraient se réfugier derrière la passation des documents et dossiers à la nouvelle équipe dirigeante pour prétendre avoir exécuter une telle obligation.
Qu’en tout état de cause, il ne ressort ni des pièces du dossier, ni de l’enquête commerciale ordonnée par le Tribunal que les défendeurs ont arrêté et fait certifier les comptes de gestion de l’exercice 2003.
Attendu par ailleurs que le basculement du système comptable OCAM à celui de l’OHADA au plus tard le 31 Mars 2004 n’a aucune incidence en l’espèce dans la mesure où les comptes devaient être arrêtés par les défendeurs en Décembre 2003 avant d’être basculés par les nouveaux dirigeants au trop tard à la date butoire du 31 Mars 2004.
Que s’agissant d’une société coopérative exerçant les activités commerciales et soumises au système comptable OHADA comme en l’espèce, les défendeurs ne sauraient davantage s’interroger sur le fondement de la présente procédure.
Que la gestion d’une telle société obéit aux règles de gestion des sociétés commerciales conformément aux dispositions de l’acte uniforme du 17 Avril 1997 relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
Qu’en effet, aux termes des articles 137 et 138 de cet acte uniforme, « à la clôture de chaque exercice, le gérant ou le conseil d’administration ou l’administrateur général, selon le cas, établi et arrête les états financiers de synthèse conformément aux dispositions de l’acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités » (article 137).
Que « le gérant ou le conseil d’administration ou l’administrateur général, selon le cas, établi un rapport de gestion dans lequel il expose la situation de la société durant l’exercice écoulé, son évolution prévisible et, en particulier les perspectives de continuation d’activité, l’évolution de la situation de trésorerie et le plan de financement » (article 138).
Qu’aucune des ces dispositions n’ayant été respectée par les défendeurs, il y a lieu de les condamner à rendre compte de leur gestion de l’UCAL pour l’exercice 2003.
Attendu qu’en application de l’article 271 du Code de procédure civile et commerciale, tout jugement portant condamnation de rendre compte doit fixer le délai dans lequel le compte sera rendu et commettre un juge.
Qu’il y a lieu de fixer le délai de (02) deux mois aux rendants pour présenter et affirmer leur compte, et désigner NKENGNI Félix, membre de la formation collégiale du Tribunal de céans pour suivre ces opérations.
Attendu que les défendeurs qui succombent supportent les dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes les parties, en matière civile et commerciale, en premier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi à l’unanimité des membres.
Reçoit l’Union des Coopératives Agricoles du Littoral (UCAL) en sa demande.
L’y dit fondée.
En conséquence.
Condamne SOBCHINDA TAGATSING Michel ET EKWELLE EWANE Marcel à rendre compte de leur gestion de l’Union des Coopératives Agricoles du Littoral (UCAL) pour l’exercice 2003.
Dit qu’à cet effet, l’UCAL mettra à leur disposition bon pour exploitation et remise tout document reçu lors de la passation de service et qui pourrait être utile dans la reddition des comptes sollicitée.
Imparti un délai de deux (02) mois pour compter de la signification de la présente décision aux condamnés pour rendre compte de ladite gestion.
Dit que passé ce délai et faute par eux de présenter un rapport de gestion en bonne et due forme, les rendants seront débiteurs vis-à-vis de l’UCAL de telle somme qui sera fixée par expert désigné par le Tribunal de céans.
Commet Monsieur NKENGNI Félix, membre de la formation collégiale de ce jour juge commissaire aux dites opérations de reddition de compte.
Note : Pr. Yvette Rachel KALIEU ELONGO, Agrégée des Facultés de Droit, Université de Dschang, Cameroun
Cette décision apporte des précisions sur quelques points qu’il convient de relever :
les sociétés à statut spécial mais à objet commercial sont régies par le droit des sociétés commerciales OHADA. En l’espèce, bien qu’il s’agisse d’une société coopérative, dès lors qu’elle a un objet commercial, elle est soumise à l’obligation de présenter les comptes de gestion.
la précision sur la notion de rapport de gestion : prévu par l’article 138 AUSCGIE, le rapport de gestion établi annuellement doit contenir obligatoirement des éléments sur la situation de l’exercice écoulé et les perspectives de continuation avec notamment la situation de la trésorerie et le plan de financement. Dès lors, tout document présenté, même au cours dune assemblée générale annuelle mais qui ne comporte pas ces éléments ne saurait valoir rapport de gestion.
La sanction de la non présentation des rapports : les juges n’ont pas droit à la demande de la société de procéder à la saisie et vente des biens des dirigeants en cause mais ont plutôt octroyé un délai aux mis en cause pour la présentation de leur rapport sous la surveillance d’un juge commissaire. C’est dire que les juges n’ont pas considéré que cette non présentation était constitutive d’une faute de gestion. Peut-être que les demandeurs auraient dû demander non pas la saisie des biens mais le paiement des dommages-intérêts pour le préjudice subi par la société ce qui aurait éventuellement amené les juges, en plus de l’obligation de présenter les rapports à prononcer contre les dirigeants une condamnation aux dommages-intérêts.