J-09-300
ARBITRAGE – CONVENTION DE CESSION – CLAUSE COMPROMISSOIRE – LITIGE RELATIF A LA VALIDITE DE LA CONVENTION – COMPETENCE DE LA JURIDICTION ARBITRALE (OUI).
Les litiges relatifs à la validité dune convention de cession contenant une clause compromissoire doivent être soumis à la juridiction arbitrale – Dès lors, les tribunaux étatiques sont incompétents pour en connaître.
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), Arrêt N 020/2008 du 24 avril 2008, SOW Yérim ABIB (Me René BOURGOIN &Patrice K. KOUASSI) c/ Ibrahim Souleymane AKA (Me KOFFI KOUASSI Gilbert 2 / KOFFI Sahouot Cédric (Me SONTE Émile). Actualités juridiques, n 63, p. 147, note François KOMOIN, Magistrat.
LA COUR
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que par convention de cession en date du 09 juin 1999, feu KOFFI BERGSON avait cédé à SOW Yérim Abib, tous deux actionnaires de la Société LOTENY TELECOM, 28650 actions de la catégorie B de ladite société moyennant 1.500 000 USD ($); que l’article 9 de ladite convention disposait que : “les parties s’engagent à régler les différends nés de l’application des présentes à l’amiable.
A défaut les différends sont soumis à Abidjan, à l’arbitrage de la Cour de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA”; que le 23 juin 2004, le nommé KOFFI Sahouot Cédric, l’un des héritiers de feu KOFFI Bergson, assignait SOW Yérim Abib en nullité de la cession d’actions intervenue entre les parties devant le Tribunal de première instance d’Abidjan; qu’en cours de procédure, KOFFI Sahouot Cédric et SOW Yérim Abib transigeaient et KOFFI Sahouot déclarait renoncer expressément et irrévocablement à tous droits et actions liés directement où Indirectement à l’assignation du 23 juin 2004 et se désister de son action; qu’alors que les parties attendaient que le délibéré fixé au 16 mars 2005 fût vidé, Ibrahim Souleymane AKA faisait une intervention volontaire dans la procédure et le Tribunal saisi rendait le 29 juin 2005, après rabat du délibéré et réouverture des débats, le Jugement n 1947 : que sur appel relevé par Monsieur SOW Yérim Abib dudit jugement, la Cour d’appel d’Abidjan confirmait celui-ci en toutes ses dispositions par Arrêt n 552 du 12 mai 2006 dont pourvoi.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Vu les articles 23 du Traité institutif de l’OHADA et 4 de l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé ou commis une erreur dans l’application ou l’interprétation des articles 23 du Traité et 4 de l’Acte uniforme susvisés en ce que la Cour d’appel d’Abidjan, pour confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, a retenu que “le litige porte sur la validité et donc l’existence même de la convention et non sur son application; dans ces conditions la clause compromissoire qui ne joue que dans l’exécution de la convention ne peut trouver application en l’espèce; c’est donc à juste titre que le premier juge a retenu sa compétence” alors que, selon le moyen, en application des dispositions des articles 23 du Traité et 4 de l’Acte uniforme sus indiqués, la Cour devait constater que la clause compromissoire était applicable et se déclarer incompétente; qu’en ne le faisant, sa décision encourt cassation.
Attendu qu’aux termes des articles 23 du Traité et 4 de l’Acte uniforme susvisés, “tout tribunal d’un Etat partie saisi d’un litige que les parties étaient convenues de soumettre à l’arbitrage se déclarera incompétent si l’une des parties le demande et renverra, le cas échéant, à la procédure d’arbitrage prévue au présent Traité” et “ la convention d’arbitrage est indépendante du contrat principal.
Sa validité n’est pas affectée par la nullité de ce contrat et elle est appréhendée d’après la commune volonté des parties, sans référence nécessaire à un droit étatique”
Attendu qu’il ressort de l’analyse des dispositions sus énoncées que celles-ci posent deux principes, à savoir le principe de l’incompétence de toute juridiction étatique saisie d’un litige que les parties sont convenues de soumettre à une procédure d’arbitrage et le principe de l’autonomie de la convention d’arbitrage par rapport au contrat principal auquel elle se rapporte; que dans le premier cas, toutes juridiction d’un Etat partie saisie d’un tel litige ,doit se déclarer incompétente lorsque l’une des parties en fait la demande; que dans le second cas et en vertu de ce principe de l’indépendance de la convention d’arbitrage par rapport au contrat principal, la validité de celle-là n’est pas affectée par la nullité de celui-ci et ladite validité est appréhendée d’après la commune volonté des’ parties sans référence nécessaire à un droit étatique.
Attendu, en l’espèce, qu’en stipulant expressément à l’article 9 de la convention de cession d’actions signée le 09 juin 1999 que “les parties s’engagent à régler les différends nés de l’application des présentes à l’amiable.
A défaut les différends sont soumis à Abidjan, à l’arbitrage de la Cour de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA”, les parties ont exprimés leur commune volonté de faire trancher par des arbitres tous les litiges, sauf ceux qu’elles ‘auraient exclus expressément, le cas échéant, qui naîtraient de leur relation contractuelle; que la nullité du contrat qui contient la clause compromissoire est incontestablement un des litiges susceptibles de naître de la relation contractuelle; qu’il n’y a pas lieu de rechercher, comme le Tribunal et la Cour d’ appel l’ont fait, si le litige porte sur la validité et donc l’existence même de la convention ou sur son application : qu’en effet, le principe d’autonomie de la convention d’arbitrage, par rapport au contrat principal auquel elle se rapporte, impose au juge arbitral, sous réserve d’un recours éventuel contre sa sentence à venir, d’exercer sa pleine compétence sur tous les éléments du litige à lui soumis, qu’il s’agisse de l’existence, de la validité ou de l’exécution de la convention; qu’ainsi, en retenant sa compétence pour confirmer le jugement entrepris~ en toutes ces dispositions au motif que “le litige porte ici sur la validité et donc l’existence même de la convention et non sur son application; dans ces conditions la clause compromissoire qui ne joue que dans l’exécution de la convention ne peut trouver application en l’espèce; c’est donc à juste titre que le premier juge a retenu sa compétence”, la Cour d’appel d’Abidjan a fait une mauvaise application des dispositions sus énoncées des articles 23 du Traité et 4 de l’Acte uniforme susvisés; qu’il échet en conséquence de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres branches du premier moyen ainsi que le second moyen.
Sur l’évocation
Attendu que par exploit d’huissier en date du 09 novembre 2005, Monsieur SOW Yérim Abib a relevé appel du Jugement n 1947 rendu le 29 juin 2005 par le Tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau et dont le dispositif est le suivant :
– “Statuant publiquement; contradictoirement, en matière civile et en premier ressort
Reçoit l’action de Monsieur KOFFI SAHOUOT Cédric.
Le dit sans objet du fait de la transaction intervenue.
Rejette toutes les fins de non recevoir soulevées par Monsieur SOW YÉRIM ABIB contre l’intervention
volontaire de Monsieur IBRAHIM SOULEYMANE AKA.
Déclare donc recevable l’intervention volontaire de Monsieur IBRAHIM SOULEYMANE AKA.
L’y dit fondée :
Déclare nulle et de nul effet, la cession d’action conclue le 09 juin 1999 entre feu KOFFI BERGSON
Victor et Monsieur SOW YÉRIM ABIB.
Déclare la demande reconventionnelle sans objet.
Condamne le défendeur aux entiers dépens de l’instance”
Attendu qu’à l’appui de son appel, Monsieur SOW Yérim Abib estime que le Tribunal d’Abidjan est incompétent pour connaître du présent litige; que sur l’action de KOFFI Sahouot Cédric, il estime que celle-ci est irrecevable parce que le susnommé n’a reçu aucun mandat de ses cohéritiers avant de l’intenter : que quant à l’action de Ibrahim Souleymane AKA, il affirme que celle-ci est intervenue au moment où l’action de KOFFI Sahouot Cédric est éteinte par la transaction; qu’enfin il sollicite la condamnation des intimés à lui payer la somme de 100 000 000 F CFA pour procédure abusive et vexatoire et qu’il sollicite également la condamnation de Souleymane AKA aux entiers dépens dont distraction au profit de Maîtres René BOURGOIN et Patrice K. KOUASSI, Avocats aux offres de droit.
Attendu que par conclusions en date du 06 janvier 2006, Monsieur Ibrahim Souleymane AKA, intimé, par la voix de son conseil Maître KOFFI Gilbert, soulève in limine litis l’irrecevabilité de l’appel pour violation des règles d’ajournement de l’audience parce que, selon lui, entre la date de l’acte d’appel et la comparution des parties, il doit y avoir soixante dix jours alors qu’en l’espèce il y a eu moins; que par ailleurs, il invoque le défaut de communication des pièces.
Que subsidiairement au fond et dans ses écritures du 27 janvier 2006, Monsieur Ibrahim Souleymane AKA fait valoir que le jugement attaqué est tout à fait valable, l’action ne portant que sur l’annulation de la convention de cession d’actions et le paiement de dividendes indéterminés de l’exercice 1999 et ne porte pas sur la valeur de ces actions.
Attendu que relativement à la recevabilité de son intervention volontaire, Monsieur Ibrahim Souleymane AKA, autre intimé, explique que non seulement il n’a pas consenti au désistement d’action comme le prévoit l’article 52 alinéa 1er du code de procédure civile et comme l’a retenu le premier juge mais encore il n’a usé que de son action paulienne pour demander la nullité de ce désistement
Que sur la nullité de la cession d’actions, il indique que celle-ci s’impose pour défaut de paiement du prix de la cession, non respect du formalisme statutaire, vente éventuelle d’action d’autrui, non respect du cahier des charges :
Attendu qu’en réplique, Monsieur SOW Yérim Abib soulève toujours la nullité du jugement intervenu en faisant valoir que l’action est née du prétendu non paiement de la somme convenue de sorte que c’est l’application de la convention qui est en jeu et relève aussi le défaut de qualité pour agir de KOFFI Sahouot ainsi que l’irrecevabilité de son action pour non respect du préalable de règlement amiable; que l’intervention volontaire, poursuit-il, suivant le sort de l’action principale, l’action de Monsieur Ibrahim Souleymane AKA est irrecevable.
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux développés lors de l’examen du ~premier moyen de cassation, pris en sa première branche, il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris, de se déclarer incompétent en raison de la clause d’arbitrage et de renvoyer la cause et les parties à la procédure d’arbitrage prévue à la convention de cession du 09 juin 1999.
Attendu que Ibrahim Souleymane AKA et KOFFI Sahouot Cédric ayant succombé, il échet de les condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement après en avoir délibéré.
Casse l’arrêt n 552 rendu le 12 mai 2006 parla Cour d’appel d’Abidjan.
Cour d’appel d’Abidjan.
Évoquant et statuant sur le fond.
Infirme le Jugement n 1974 rendu le 29 Juin 2005 par la 3ème chambre civile du Tribunal de première instance d’Abidjan.
Se déclare incompétente.
Renvoie la cause et les parties à la procédure d’arbitrage prévue à la convention du 09 juin 1999
Condamne Ibrahim Souleymane MA et KOFFI Sahouot Cédric aux dépens.
Président M. Jacques M’BOSSO.
Juges : M. Maïnassara MAIDAGI; (rapporteur)M. Biquezil NAMBAK.
Greffier : Me ASSIEHUE Acka.
Note
L’arrêt ci-dessus publié de la CCJA n’appelait pas vraiment de commentaires tant la question traitée et la solution apportée apparaissent évidentes. Nous avons toutefois tenu à en faire de brefs pour marquer dans l’esprit de tous l’office attendu du juge lorsqu’il se trouve en présence d’une clause compromissoire.
En l’espèce le différend est né de l’application d’une convention de cession d’actions comportant une clause compromissoire attribuant compétence à la CCJA. Nonobstant cette clause compromissoire, le tribunal de première instance d’Abidjan dans un jugement rendu le 29 juin 2005 s’est déclaré compétent pour connaître du litige né, a, entre autres annulé la convention de cession d’actions conclue le 9 juin 1999, décision intégralement confirmée par la Cour d’appel d’Abidjan dans son arrêt N 552 du 12 mai 2006. 11 fait dire que ces juridictions avaient cru devoir faire une différence qu’elles croyaient subtiles entre la validité de la convention (objet du litige) et l’exécution de celle-ci, seule visée, selon elle, par la clause compromissoire. La CCJA censure cette façon de procéder en rappelant deux choses essentielles :
par la clause compromissoire, les parties ont exprimé leur commune volonté de faire trancher tous les litiges nés de leurs relations contractuelles par des arbitres à l’exception de ceux qu’elles auraient expressément exclues;
Il n’y a pas lieu de rechercher si le litige porte sur la validité de la convention ou sur son application car” le principe de la convention d’arbitrage par rapport au contrat principal auquel elle se rapporte impose au juge arbitral d’exécrer sa pleine compétence sur tous les éléments du litige à lui soumis qu’il s’agisse de l’existence, de la validité ou de l’exécution de la convention “.
Le Tribunal autant que la Cour d’appel étaient dès lors incompétents pour connaître d’un tel litige. La décision de la CCJA doit être approuvée avec force. Il reste à espérer que les magistrats des juridictions nationales la méditent et en saisissent la pleine portée afin de donner plus de vie à l’arbitrage qui, loin de concurrencer leur office, apparaît comme un mode complémentaire de règlement des conflits au seul bénéfice des justiciables, qui constituent la raison d’être des juges professionnels et des arbitres.
Dr KOMOIN François
Magistrat