J-09-309
DROIT DES SOCIETES – CONTRATS ET OBLIGATIONS – NULLITE DES CONTRATS – CAUSES D’ANNULATION DES CONTRATS – EXISTENCE D’UNE CLAUSE LEONINE – DOMA1NE D’APPLICATION DE LA CLAUSE LEONINE – CARACTERE DOLOSIF DU CONTRAT – PREUVE DU DOL ET CARACTERE DETERMINANT.
Le caractère léonin d’une convention ne peut être invoqué qu’entre associés dans leur rapport tendant au partage de bénéfices ou de dividendes ou à la contribution aux pertes de l’entreprise; ce qui n’est pas le cas dans un contrat synallagmatique.
Cour suprême de Côte d’Ivoire, chambre judiciaire, arrêt n 056/08 du 06 mars 2008, Sté Tropical Bois, (Me MOULARE Thomas) c/BOUSSOU Maxime, (Me TOURE KADIDIA). Actualités juridiques n 62, p. 51, note KOUASSI Bernard, Magistrat.
Vu les mémoires produits.
Vu les conclusions écrites du Ministère Public en date du 09 août.2007.
Sur le premier moyen de cassation pris en sa Première branche et tiré des articles 11 et 18 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative
Attendu, selon 1’arrêt attaque (Abidjan 30 juin 2006) qu’aux termes d un contrat conclu le 03 mars 2004 et de ses avenants BOUSSOU MAXIME devait livrer, à titre exclusif, à la Société Tropical Bois, des essences de grumes qu’il achetait bord champ à la SEPROFOR sise dans le ressort d’Abengourou qu’en contrepartie, la Société Tropical Bois devait avancer au susnommé des numéraires et mettre à ,sa disposition à titre locatif, des moyens logistiques, notamment des engins débardeurs a raison de 2 millions de francs par mois et par engin; qu’il était également stipulé que les avances faites seraient remboursées par compensation avec le montant des livraisons; que par la suite, estimant que cette. convention revêtait un caractère léonin en ce qu elle lui faisait obligation de rembourser mensuellement les avances perçues et les frais de location de deux machines débardeurs au lieu d’une mise à sa disposition selon lui BOUSSOU Maxime faisait assigner en annulation de la convention Tropical Bois devant le Tribunal de Première Instance d’Abengourou qui par jugement du’ 25, novembre 2004 se déclarait incompétent aux ‘motifs que l’article 10 du contrat avait donné compétence à la juridiction d’Adzopé pour tout litige relatif aux difficultés d’exécution; que la Cour d’Appel d’Abidjan infirmait le jugement entrepris, et statuant à nouveau, ‘déclarait le Tribunal dAbengourou compétent, annulait la convention en cause et condamnait la Société Tropical Bois à lui payer des dommages-intérêts.
Attendu que la Société Tropical Bois reproche à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré le Tribunal de Première Instance d’Abengourou territorialement compétent pour connaître de l’action formée contre elle, bien que son siège social, fut à Adzopé alors, selon le moyen, d’une part, que l’article 11 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative attribue la compétence au Tribunal du domicile du défendeur, que d’autre part l’article 10 de la convention litigieuse stipulait que c’est la juridiction d’Adzopé qui devait connaître des litiges nés de son exécution, et ce, en application’ de l’article 18 du Code précité et d’avoir ainsi violé lesdits textes
Mais attendu, d’une part, qu’il ne résulte pas des conclusions déposées par la Société Tropical Bois en cause d’appel que celle-ci ait invoqué le grief soutenant le moyen tiré de la violation de l’article il du Code de Procédure Civile qu’étant nouveau il ne peut être accueilli que d autre part en retenant pour écarter 1 application de 1 article 10 de la convention que 1’action engagée visait la mise a néant de la convention et non les difficultés nées de son exécution la Cour d’Appel n a pas viole les textes visés au moyen, lequel n’est pas fondé.
Mais sur le second moyen pris du défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété des motifs
Vu l’article 206-6 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative.
Attendu que, pour annuler la convention en cause, l’arrêt retient que celle-ci avait, en certains points, un caractère léonin et dolosif.
Attendu cependant qu’en se déterminant ainsi, d’une part, sans indiquer si les cocontractants étaient dans un rapport d’associés, et d’autre part sans préciser si les manoeuvres invoquées consistant dans sa mise à la disposition de BOUSSOU MAXIME d’un seul engin débardeur au lieu de deux constituent la cause déterminante de son engagement, la Cour d’Appel a manqué de donner une base légale à sa décision; qu’il s’ensuit que le moyen est fondé; qu’il y a lieu de casser et annuler l’arrêt attaqué et d’évoquer en application de l’article 28 de la~ loi n 97-243 du 25 avril 1997.
Sur l’évocation
Attendu que BOUSSOU MAXIME sollicite, la nullité de la convention en ce qu’elle a, en certains points, un caractère léonin et dolosif, et la condamnation de la Société Tropical Bois à lui payer des dommages-intérêts
Mais Attendu, d’une part, que le caractère léonin d’une convention ne peut être invoqué qu’entre associés dans leurs rapports tendant au partage de bénéfices ou de dividendes ou à la contribution aux pertes de leur entreprise, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, les cocontractants étant liés par un contrat synallagmatique; que d’autre part BOUSSOU MAXIME ne démontre pas que la mise à sa disposition d’un seul engin au lieu de deux est la cause déterminante de son engagement; qu’il s’en infère, dès lors, que sa demande en annulation de la convention le liant à la Société Tropical Bots n’est pas fondée, et qu’il y a lieu par conséquent de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts
PAR CES MOTIFS
Et sans qu’il y ait lieu à statuer sur les autres moyens, Casse et annule l’arrêt attaqué
Évoquant.
Déboute BOUSSOU MAXIME de ses demandes
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.
Président : M. BOGA TAGRO (rapporteur.
Conseillers : Mme TIMITE Sophie; M. AGNIMEL MELEDJE.
Greffier : Me AHISSI N’DA Jean-François.
Notes
La chambre judiciaire de la cour suprême a saisi l’occasion de cette espèce pour préciser le domaine d’application de la clause léonine alors même que le litige soumis à sa sagacité n’opposait pas des associés se disputant les bénéfices de leur affaire commune ou tentant de se dégager de toute contribution aux pertes subies.
Pour pouvoir discuter te contenu et la valeur de la décision rendue par la cour il est utile de rappeler les éléments du litige soumis à la plus haute juridiction.
La société Tropical Bois a conclu un contrat avec le sieur Boussou Maxime aux termes duquel ce dernier devait livrer à titre exclusif à la société Tropical Bois, des essences de grumes qu’il achetait à la société SEPROFOR. En contrepartie la société Tropical Bots devait avancer a son cocontractant des numéraires et mettre a sa disposition a titre locatif des moyens logistiques notamment des engins débardeurs a raison de deux millions de francs et par engin Il était également stipule que les avances faites seraient remboursées par compensation avec le montant des livraisons
Estimant que cette convention revêtait un caractère léonin et dolosif en ce qu’elle faisait obligation de rembourser mensuellement les avances perçues et les frais de location de deux débardeurs au lieu d’une mise à disposition, le sieur Boussou Maxime assignait la société Tropical Bots devant le tribunal de première instance d’Abengourou en annulation de ladite convention. Cette juridiction se déclarait incompétente motifs pris de ce que l article 10 de la convention des parties avait donné compétence à la section de tribunal d’Adzopé. La cour d’appel d’Abidjan saisie, infirmait ladite décision, ‘annulait la convention et condamnait la société Tropical Bois à payer des dommages intérêts. Celle-ci formait un pourvoi en cassation.
Le problème posé à la cour était de savoir si le caractère léonin d’un contrat synallagmatique invoqué par l’une des parties constituait une cause d’annulation de celui-ci?
La haute juridiction répond a cette question de façon claire en indiquant d’une part que le caractère léonin d’une convention ne peut être invoqué qu’entre associés dans leurs rapports tendant au partage de bénéfices ou de dividendes ou à la contribution aux pertes de leur entreprise, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, les contractants étant liés par un contrat synallagmatique, et d’autre part le sieur Boussou ne démontre pas que la mise à disposition d’un seul engin au lieu de deux a été la cause déterminante de son engagement.
On constate à l’analyse de cette décision que la cour a exclu le caractère léonin comme cause d’annulation du contrat liant les parties. Elle a aussi rejeté le caractère dolosif invoqué pour défaut de preuve.
S’agissant de l’exclusion du caractère léonin de la convention, la cour a d’abord précisé le domaine d’application de cette clause avant de conclure a son inapplicabilité dans l’espèce.
La clause léonine trouve traditionnellement application en droit des sociétés. Elle permet à un associé de se tailler « la part du lion » par allusion à la fable de la’ Fontaine : “ la génisse, la chèvre et la brebis~” en société avec le lion qui au moment du partage s’attribue toutes les parts et la première en vertu de son nom (quoniam nominor leo). La clause léonine ainsi définie est gravement attentatoire à la liberté de répartition accordée aux associés C’est’ d’ailleurs pourquoi l’article 1844 du code civil répute non écrite la convention qui donnerait à l’un des associés la totalité des bénéfices ou qui exclurait totalement un associé du profit. Une telle clause détruit le contrat de société dans son ‘essence.
On peut donc en déduire que seuls des associes peuvent invoquer le caractère léonin d’une clause à condition bien entendu que celle-ci porte sur le partage des bénéfices ou la contribution aux pertes. Or tel n’est pas le cas dans l’espèce soumise à la sagacité de la cour.
Le contrat liant la société Tropical Bois et le sieur Boussou n’est assurément pas un contrat de société. Il s’induit clairement des faits de la cause’ qu’il s’agit en réalité d’un contrat de vente d’essences de grumes. Le sieur Boussou achetant les essences avec la société SEPROFOR et les revendait exclusivement à la société Tropical Bois. Pour faciliter l’exécution de cette convention cette dernière s’est engagée à mettre à la. disposition de son cocontractant du matériel et’ des avances de sommes d’argent pour lui permettre d’exécuter ses obligations à charge pour lui d’en payer ultérieurement Les loyers et autres remboursements au moment de percevoir le prix de vente des essences de grumes par lui livrées a cette société Il s’agit là de deux entreprises indépendantes s’étant engagées l’une envers l’autre sans qu’il n’y ait intention commune de mettre ensemble des biens pour faire une activité en vue d’en tirer des profits ou faire des économies comme cela découle de l’article 4 de l’acte uniforme sur les sociétés commerciales et le groupement d’intérêt économique1.
C’est donc justice que la cour ait réaffirmé que “le caractère léonin d’une convention ne peut être invoqué qu’entre associés dans leurs rapports tendant au partage de bénéfices ou de dividendes ou à la contribution aux pertes de leur entreprise”2.
En l’espèce les parties étaient liées par un contrat synallagmatique mettant à leur charge des obligations réciproques la société Tropical Bois s’est engagé à mettre à la disposition du sieur Boussou du matériel de chantier (débardeurs, carburants) et des avances en numéraires, ce dernier s’étant engagé quant à lui à payer les loyers et à rembourser les avances perçus par compensation des sommes à lui dues au titre de la vente des essences de grumes.
Une telle disposition ne constitue pas une clause léonine et ne’ peut donc entraîner l’annulation du contrat. Encore et surtout que même dans son domaine d’application c’est-à-dire en matière de contrat de société la loi notamment l’article 1844 du code civil précité répute la clause non écrite mais ne prescrit pas pour autant l’annulation du contrat de société3
Concernant le caractère dolosif de la convention soulevé par le sieur Boussou pour demander l’annulation du contrat, la cour ne l’a pas non plus admis. En effet, le plaideur arguait de ce la société Tropical-Bois a mis à sa disposition deux engins débardeurs au lieu d’un seul et que ce faisant son consentement a été surpris par dol.
Le dol, aux termes de l’article 1116 du code civil, est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas, et doit être prouvé.
De cette définition légale du dol il ressort que l’annulation du contrat pour dol nécessite l’existence de manœuvres émanant du cocontractant dans le but de tromper l’autre et le déterminer à contracter. Ces manœuvres peuvent consister selon le professeur Lapoyade Deschamps en des. ruses, artifices, déloyautés, fraudes, mises en scène etc.
Dans le cas d’espèce soumis à LA COUR, le sieur Boussou allègue que le fait pour la société Tropical Bois d’avoir mis à sa disposition deux débardeurs avait un caractère dolosif Le problème dans ce cas est qu’il ne démontre pas en quoi consistent, les manœuvres trompeuses dans cette opération. Car comme le prévoit les dispositions finales de l’article 1116 du code civil précité, le dol ne se présume pas, il doit être prouvé. Cette preuve n’a pu être faite par le sieur Boussou qui n’a nullement été contraint d’accepter les deux engins s’il n’avait besoin que d’un seul. La cour ne pouvait donc que rejeter ce moyen d’autant plus qu’aucun élément de la cause ne permet de soutenir valablement que la mise à disposition d’un seul engin par la société cocontractante du sieur Boussou a été la cause déterminante de son engagement.
Au total on peut retenir que dans cette affaire les éléments caractéristiques du dol vice du consentement susceptible de provoquer l’annulation du contrat n’étaient pas réunis.
Par Bemard KOUASSI, Magistrat

1 Voir Cozian et Viandier, droit des sociétés. Litec, 9ème édition, P.67

2 L’article 4 de l’acte uniforme sur les sociétés commerciales dispose à cet effet que la société commerciale est créée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par un contrat, d’affecter à une activité des biens en numéraire ou en nature, dans le but de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. Les associés s’engagent à contribuer aux pertes dans les conditions définies par l’acte uniforme.

3 Certains auteurs estiment pourtant que le partage des bénéfices étant le but visé par les associés, l’annulation de la clause léonine devrait provoquer l’annulation de la société. Voir sur ce point Cozian et Viandier déjà cité p. 68.