J-09-317
SAISIE IMMOBILIERE D’UN IMMEUBLE PROPRE DU MARI POUR UNE DETTE COMMUNE – VIOLATION DES ARTICLES 249 AUPSRVE, 77 ET 83 DE LA LOI IVOIRIENNE N 83-300 DU 2 AOÛT 1983, 21 DU DECRET DU 26 JUILLET 1932.
Doit être cassé l’arrêt de la Cour d’appel qui laisse se réaliser une saisie immobilière sur un immeuble propre du mari pour le paiement d’une dette commune violant ainsi l’article 249 AUPSRVE, les articles 77 et 83 de la loi ivoirienne 83-300 du 2 août 1983 sur les régimes matrimoniaux qui disposent que tout bien est présumé commun sauf preuve écrite contraire et l’article 21 du décret foncier du 26 juillet 1932selon lequel les droits ne sont opposables aux tiers que s’ils ont été publiés au livre foncier, ce qui est le cas en l’espèce.
Article 77 DE LA LOI IVOIRIENNE DU 2 AOÜT 1983
Article 83 DE LA LOI IVOIRIENNE DU 2 AOÜT 1983
Article 21 DU DECRET DU 26 JUILLET 1932
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A), ARRET N 025/2008 du 30 avril 2008, SGBCI (SCPA DOGUE ABER YAO & associes) c/ Madame KONAW Marie Aimee, Mr KONAN KOUADIO Camille (SCPA EKDE) Me ESSY Ngatta, Actualités juridiques, n 60-61, p. 433, note anonyme.
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique.
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que Gérant de la S.A.R.L unipersonnelle INTERACO, Monsieur KONAN KOUADIO Camille s’était porté caution solidaire de ladite société, par acte sous-seing privé en date du 23 juin 1986, pour bénéficier auprès de la SGBCI d’un prêt hypothécaire d’un montant de 550 000 000 francs CFA, en principal; qu’en garantie du recouvrement de sa créance, la Banque a bénéficié d’une hypothèque sur les immeubles objets des titres fonciers n 18.901, 24.884 et 24.956 de la circonscription foncière de Bingerville établis au nom de Monsieur KONAI”l KOUADIO Carnifie; que n’ayant pas été désintéressée, la SGBCI entreprit de réaliser ses garanties en initiant, à l’encontre du débiteur susnommé, une procédure de saisie immobilière portant sur les titres fonciers susvisés; qu’ainsi, la SGBCI servait au débiteur, par exploit d’huissier en date du 18 mars 2003, un commandement à fin de saisie réelle suivi du dépôt au greffe du Tribunal de première instance d’Abidjan d’un cahier des charges auquel Madame KONAN Marie Aimée ex-épouse de Monsieur KONAN KOUADIO Camille a inséré des dires et observations pour solliciter la nullité de ladite procédure de saisie immobilière aux motifs notamment “ que la créance dont le recouvrement est poursuivi par la SGBCI ne résulte pas d’une dette commune aux époux KONAN.. (quel la dette contractée par Monsieur KONAN Camille vis-à-vis de la SGBCI ne l’a pas été par les deux époux agissant ensemble et de concert dans l’intérêt commun.. que si la SGBCI, créancière hypothécaire, peut poursuivre la vente des immeubles qui lui sont hypothéqués par Monsieur KONAN Camille, elle ne le peut que sur la part de (celui-ci dans les immeubles communs.. qu’à ce jour, Monsieur et Madame KONAN sont en indivision, la communauté ayant existé entre eux n’ayant pas encore été liquidée., qu’il appartient à la SGBCI de provoquer cette liquidation.. en application de l’article 249 de l’Acte Uniforme portant organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution”; que suite à l’audience éventuelle tenue le 16juin 2003, le Tribunal a rendu le Jugement n 278/CIV4/ADD aux termes duquel il constatait que la procédure initiée par la SGBCI était régulière et renvoyait les parties à l’audience du 07 juillet 2003 pour être procédé à l’adjudication des immeubles saisis; qu’advenue cette date, ledit Tribunal constatait que les formalités de publicité avaient été régulièrement accomplies et procédait à l’adjudication des immeubles concernés; qu’à l’issue de la notification des deux Jugements précités n 278/CIV/4/ADD du 16 juin 2003 et 347 du 07 juillet 2003) à Monsieur KONAN KOUADIO Camille par exploit en date du 31 mars 2004, ce fut Madame KONAN Marie Aimée qui, le 29 avril 2004, en relevait appel; que statuant sur cet appel, la Cour d’Appel d’Abidjan rendait l’Arrêt infirmatif n 391 en date du 1er avril, 2005 objet du présent pourvoi en cassation initié par la SGBCI.
Sur le premier moyen
Attendu que la SGBCI énonce que dans ses conclusions écrites d’intimée (en date du 07juillet 2004 versées au dossier de la procédure], elle a soulevé l’irrecevabilité de l’appel formé par Madame KONAN Marie Aimée contre le Jugement d’adjudication n 347 du 07juillet 2004; qu’il ressort de l’arrêt attaqué que la Cour d’Appel d’Abidjan ne s’est pas prononcée sur la recevabilité de cet appel; qu’il s’agit là d’une omission de statuer qui fait encourir à la décision attaquée, la cassation.
Mais attendu que contrairement aux affirmations de la requérante, il ressort clairement du libellé de l’Arrêt ADD n 94 rendu le 21janvier 2005 par la Cour d’Appel d’Abidjan que celui-ci a formellement statué sur ledit appel en le déclarant “régulier” et “recevable”; que cet arrêt, qui est une décision préparatoire prescrivant par ailleurs des mesures d’instructions, ayant été visé par l’arrêt présentement attaqué, rendu sur le fond, et avec lequel il est indissociable et indivisible, c’est dès lors vainement que la requérante reproche à la décision attaquée d’avoir omis de statuer sur les conclusions d’appel précitées; qu’il suit que le moyen n’est pas fondé et doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen pris en ses trois branches
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé les articles 77 et 83 nouveaux de la loi ivoirienne N 83-300 du 02 août 1983 en ce qu’il résulte desdits articles, d’une part, que tout bien est présumé commun si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux et s’il y a contestation sur la nature d’un bien, la propriété personnelle de l’époux doit être établie par écrit; que, d’autre part, les dettes contractées par le mari seul peuvent être poursuivies sur ses biens propres ou sur les biens communs à l’exception des biens réservés de la femme; qu’en l’espèce, pour déclarer les immeubles litigieux insaisissables, la Cour d’Appel a indiqué que la déclaration de l’époux au titre foncier n’est pas suffisante pour établir que le bien litigieux est un bien propre et qu’il aurait fallu rapporter la preuve que le bien a été acquis avec des deniers propres, alors qu’il résulte des dispositions de l’article 77 susvisé que pour établir qu’un bien présumé commun est personnel à l’un des époux, il faut produire un écrit et ledit article n’indique pas qu’il faut rapporter la preuve que le bien a été acquis avec des deniers propres; qu’au regard de l’article 84 nouveau de la loi susvisé, en retenant même que les immeubles saisis sont des biens communs, la Cour d’Appel n’aurait pas dû les déclarer pour autant insaisissables; qu’en effet, la dette de Monsieur KONAN KOUADIO Camille ayant été contractée pendant le mariage, elle peut être poursuivie sur les biens communs et le divorce intervenu ne peut ici avoir aucune incidence puisque les biens n’ont pas été liquidés; que si donc la Cour d’Appel a jugé, que les immeubles litigieux étaient des biens communs, elle aurait dû néanmoins, en vertu de l’article 84 susvisé, les déclarer saisissables; qu’en les déclarant insaisissables, elle a violé les articles 77 et 84 nouveaux visés au moyen et sa décision encourt la cassation de ce chef.
Attendu qu’il est également reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 21 du Décret foncier du 26 juillet 1932 en ce qu’aux termes dudit article, en matière foncière, les droits ne sont opposables aux tiers qu’autant qu’ils ont été publiés au livre foncier; qu’il en résulte que seules les mentions portées audit livre sont opposables aux tiers; qu’en l’espèce, les titres fonciers ne relevant comme propriétaire des immeubles que Monsieur KONAJ”I KOUADIO Camille, l’on ne peut donc affirmer que les immeuble litigieux sont communs, alors que les titres fonciers révèlent le contraire; que c’est donc à tort que la Cour d’Appel n’a pas retenu les titres fonciers versés aux débats comme preuve patente que les biens litigieux appartiennent en propre à Monsieur KONAN KOUAI~IO Camille; que ce faisant, elle a violé les dispositions de l’article 21 susvisé et l’arrêt attaqué doit en conséquence être cassé
Vu l’article 249 de l’Acte uniforme portant organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution.
Mais attendu, en l’espèce, qu’il est constant comme ressortant des pièces du dossier de la procédure que le~ ex époux KONAN s’étaient mariés le 09 octobre 1965 à Abidjan sous le régime de la communauté des biens, seul régime matrimonial en vigueur au moment de leur mariage; qu’ayant divorcé le 14 mai 1993 suivant Jugement N 363/CIV 118 du Tribunal de première instance d’Abidjan, soit bien après l’entrée en vigueur de la loi n 83-300 du 02 août 1983 modifiant radicalement l’ancien et unique régime précédent, il n’est toutefois pas prouvé par les parties litigantes, et singulièrement la SGBCI, qu’il y ait eu partage ou liquidation des biens de la communauté entre les deux ex époux, ni qu’il y ait eu ou non changement de régime matrimonial entre eux avant le divorce; que dans ces conditions, la violation excipée par la requérante des dispositions visées au moyen se heurte nécessairement aux déclarations unanimes et ‘péremptoires des ex époux selon lesquelles les immeubles litigieux sont et demeurent communs et indivis; qu’il suit que leur bonne foi ne peut valablement être vérifiée et contestée que dans le cadre et à l’issue du partage ou de la liquidation des biens présumés communs formant l’indivision; qu’à cet égard, l’article 249 de l’Acte Uniforme précité ayant prescrit que “la part indivise d’un immeuble ne peut être mise en vente avant le partage ou la liquidation que peuvent provoquer les créanciers d’un indivisaire “, ce partage ou cette liquidation n’étant pas intervenus alors même qu’ils pouvaient être provoqués par la requérante, il échet, en l’état, de dire que le moyen ne peut être accueilli
Attendu que la SGBCI ayant succombé, doit être condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré
Rejette le pourvoi.
Condamne la SGBCI aux dépens.
Président : M. Antoine Joachim OL1VIERA.
Juges : M. Doumssinrinmbaye BADJE.
M. Boubacar DICKO (Rapporteur).
Greffier : Me MONBLE Jean Bosco.
Note anonyme
L’espèce, ci-après publiée, concerne la procédure de saisie immobilière et notamment le caractère saisissable du bien en cause. La banque avait consenti un prêt à un de ses clients nommé KONAN Camille assorti d’une garantie hypothécaire.
N’ayant pas été payée, elle entreprit, comme de juste, la réalisation de sa garantie. Au cours de la procédure de saisie immobilière, l’épouse du débiteur fit des dires et observations en sollicitant l’annulation de la procédure pour les deux raisons suivantes :
– la dette n’était pas une dette commune aux époux;
– la saisie ne peut porter que sur la part de KONAN Camille dans les immeubles communs qui, du fait de l’existence de la communauté de biens, se trouvent en indivision.
Après des fortunes diverses, la CCJA a été saisie dé ces questions. La demanderesse au pourvoi, le banquier saisissant argue de ce que la dette de KONAN Camille, contractée durant le mariage, elle peut être légalement poursuivie sur les biens communs et que le titre foncier relatif aux immeubles litigieux porte le nom de KONAN Camille, ce qui prouve que ces immeubles lui appartiennent.
Suivons à présent le raisonnement de la CCJA. Elle constate que les époux KONAN se sont mariés en 1965 sous le régime de la communauté et ont divorcé en 1993. La SGBC ne prouve pas qu’entre temps (après 1983), cette communauté ait été liquidée entre les époux ni que ceux-ci aient changé de régime matrimonial (la loi de 1983 avait en effet introduit un régime optionnel, celui de la séparation des bien). La conséquence que la CCJA, à ce stade du raisonnement, devait tirer est que la SGBCI n’apportait pas la preuve que la communauté ayant existé entre les parties a été dissoute. Elle l’a dit mais en ajoutant que les arguments de la SGBCI se heurtaient” aux déclarations unanimes et péremptoires des ex époux selon lesquelles les immeubles litigieux sont et demeurent communs en biens et que leur bonne foi ne peut être valablement contestée que dans le cadre et à l’issue du partage ou de la liquidation des biens présumés communs formant l’indivision. L’arrêt de la CCJA ne donne cependant pas à affirmer que ce qui était en cause était la bonne foi des défendeurs.
La CCJA trouve, en outre, refuge derrière l’article 249 de I’AURSVE qui dispose que “ la part indivise d’un immeuble ne peut être mise en vente avant le partage ou la liquidation que peuvent provoquer les créanciers d’un indivisaire “. Constatant que la SGBCI n’avait pas provoqué ce partage ou cette liquidation, elle rejette son argumentation. Il est bon de rappeler que l’article 249 sus- énoncé concerne les immeubles en indivision, que la CCJA a déjà affirmé que la preuve n’était pas rapportée que la communauté avait été liquidée et que les biens litigieux, de la bonne foi bruyamment (c’est nous qui le disons) clamée par les défendeurs. étaient demeurés ‘communs. Ces biens communs sont- ils vraiment en indivision ? L’indivision est définie par le lexique des termes juridiques comme la situation juridique née de la concurrence de droits de même nature exercés sur un même bien ou sur une même masse de biens par des personnes différentes sans qu’il y ait division matérielle de leur part. Les biens communs forment ils une indivision?
Il est admis par tous que le régime de la communauté de biens ne connaît que deux types de biens, les biens propres et les biens communs tandis que ceux du régime de la séparation sont les biens propres ‘et éventuellement les biens indivis dans l’hypothèse où les époux séparés de biens achètent ensemble un bien ou reçoivent celui-ci par voie successorale ou par voie libérale. Les règles applicables aux deux types de régime sont si différentes et évidentes qu’il n’est pas nécessaire de les exposer. Il importe cependant de relever ce qu’il est convenu d’appeler indivision post communautaire, qui caractérise la situation juridique des biens communs dans la période située entre la dissolution du régime de la communauté et la liquidation et le partage de celle-ci.
Est-ce cette période que visait la CCJA dans sa décision? Ou bien au contraire avait elle volontairement qualifié les biens communs à la fois comme de biens communs et indivis ? La rédaction de l’arrêt ne permet pas aisément de prendre partie pour l’une ou l’autre position. On peut le regretter car l’on aurait compris pourquoi elle n’a pas avancé l’article 250 de 1’AURSVE qui dispose que “la vente forcée des immeubles communs est poursuivie contre les deux époux. La situation au litige aurait certainement changé. De même peut – on regretter qu’elle ne se soit pas expressément prononcée sur la nature commune ou non de la dette et sur l’influence que le titre foncier au nom de l’époux pouvait avoir sur les droits de sa conjointe.